Héloïse & JAGROS : clap de fin sur 6 années d’expérience !

Héloïse tourne la page de JAGROS… Et d’Eclosio!

C’est avec émotion que l’aventure JAGROS, mais aussi Eclosio, se clôture pour notre collègue Héloïse Blondeel, qui a pendant six belles années non seulement travaillé au sein de notre équipe d’éducation citoyenne mais également porté à bras le corps ce projet phare impliquant les diverses hautes écoles agronomiques wallonnes (HEPN, HEPL, heCH, HELHa, HE Condorcet) aux côtés des étudiant·es et du corps pédagogique, mais également des ONG partenaires Humundi (ex-SOS Faim) et Vétérinaires Sans Frontières (VSF).

Aujourd’hui envolée vers d’autres horizons professionnels, nous avons pris soin de recueillir son retour d’expérience avant la fin de son aventure chez Eclosio, de sorte à ne rien perdre de ses apprentissages et réflexions. Découvrez ici son témoignage, à l’issue de 6 années passées à sillonner la Wallonie pour soutenir la sensibilisation à la souveraineté alimentaire.

Nous lui sommes infiniment reconnaissant pour toute son énergie, son dévouement, sa passion et son amitié pendant 7 années dans notre équipe d’éducation citoyenne !

Souveraineté alimentaire : il s’agit du droit des populations et des pays de définir leurs propres politiques alimentaires et agricoles. Ces politiques doivent être écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées à chaque contexte spécifique et ne pas menacer la souveraineté alimentaire d’autres pays.

 

Jagros 2018 à Charleroi

Jagros 2018 à Charleroi – Introduction à la souveraineté alimentaire

 

Sens et motivation

Pourquoi ce projet avait-il du sens pour toi ?

Parce que j’ai pu voir avec mes années d’expérience ici qu’il y avait un changement de mentalité entre le moment où je suis arrivée chez ADG (avant une fusion vers Eclosio) et aujourd’hui, sur la connaissance de ce qu’est l’agroécologie, par exemple. Entre 2016 et 2020, j’ai vraiment vu une évolution dans les hautes écoles. Les jeunes étaient plus conscient·es du besoin général de retourner vers une agriculture plus durable.

Le projet JAGROS permettait justement de prolonger cette conscientisation, d’informer les jeunes mais aussi de donner des clés et renforcer ceux et celles qui se mobilisent, pour qu’ils et elles puissent mettre sur pied leurs propres projets. JAGROS leur offrait une opportunité via des « groupes relais », qu’ils/elles n’avaient pas forcément en-dehors de ces espaces-là. Et puis, comme ce n’était pas obligatoire et non évalué, ça permettait complètement le droit à l’erreur et l’engagement spontané, laissant le/la jeune y mettre la motivation et le temps qu’il a envie de donner au projet. Avant JAGROS, il n’y avait pas, à ma connaissance, vraiment d’endroits d’expérimentation et de gestion de projet en lien avec l’agriculture et l’alimentation [dans ces hautes écoles].

« Avant JAGROS, il n’y avait pas, à ma connaissance, vraiment d’endroits d’expérimentation et de gestion de projet en lien avec l’agriculture et l’alimentation. »

Quel a été le moteur de ton investissement ?

Le moteur pour moi, enfin, la motivation, c’était de se dire « chaque année, on va toucher à nouveau 450-500 nouveaux·elles étudiant·es sur cette question-là » et, grâce aux ateliers – c’est peut-être un peu prétentieux – « ils vont avoir envie de consommer différemment, de produire de manière raisonnée ». En plus de ça, il y a le fait de se dire que même si c’est un petit germe, une petite étincelle dans la tête d’un·e étudiant·e, que ça paraît minime, en fait 5 ans plus tard, ils et elles vont se rappeler de cette journée. Puisque c’est un format qu’il y a peu dans les cours à l’université ou en haute école, on s’en souvient plus tard. Avec du recul, si on se demande « qu’est-ce qui t’a marqué dans ton cursus ? » typiquement, ça peut être le genre de choses dont on se souvient, enfin je pense.

« Même si c’est un petit germe, une petite étincelle dans la tête d’un·e étudiant·e, que ça paraît minime, en fait 5 ans plus tard, ils et elles vont se rappeler de cette journée. »

Journée Jagros 2022 intervention de Hélène Capocci de Entraide et Fraternité - Photo Eclosio

Jagros 2022 à Gembloux – « Agricultures d’ici et d’ailleurs: interdépendances et défis communs »
Intervention de Hélène Capocci de Entraide et Fraternité

Aviez-vous beaucoup de demandes spontanées pour l’animation de jeux pédagogiques en-dehors des événements phares ?

Quelques-unes par année pour des classes entières. Ca ne parait pas énorme, mais il suffit par exemple que 2 classes fassent une demande pour qu’on ait déjà 60 étudiant·es touché·es. Pour une année, c’est déjà super. Et puis, ces ateliers sont renforcés par la journée JAGROS et les ciné débats [prévus dans le programme académique].

Vous voyez JAGROS plus comme un processus plutôt qu’une sensibilisation par activités « choc », en quelque sorte ?

Tout à fait, c’est un tout. D’ailleurs, c’est ça que l’on voulait : ne pas limiter JAGROS à une activité par an pour les premières années. Il y a vraiment tout un processus qui commence en première année : en septembre, on rencontre les étudiant·es et on les familiarise avec les ONG (qu’est-ce qu’une ONG ?) et le projet – quelles formations sont proposées, quelles rencontres avec des partenaires dits « du Sud » auront lieu, quel accompagnement en gestion de projet est mis à disposition.

« C’est ça que l’on voulait : ne pas limiter JAGROS à une activité par an pour les premières années. Il y a vraiment tout un processus… »

 

Moments marquants

Quels ont été tes temps forts avec JAGROS ?

Moi je dirais, les journées JAGROS. Je n’en ai pas une en particulier, mais le fait de se retrouver dans un auditoire avec 450 étudiant·es, plus leurs professeur·es, pour faire passer un message, et de voir qu’à la fin de la journée ils et elles ont appris des choses et sont content·es d’avoir été là et d’avoir appris des choses… Pour moi, c’était quelque chose de fort. C’était gai. Et aussi, je dirais simplement le partenariat avec Humundi (ex-SOS Faim) et VSF : je me suis toujours bien entendue avec les chargé·es de projet et on a vraiment appris les un·es des autres. Chaque ONG a ses forces. Le projet a bien fonctionné parce que chaque ONG amène sa pièce et sa particularité dans le projet JAGROS.

«  Chaque ONG a ses forces. Le projet a bien fonctionné parce que chaque ONG amène sa pièce et sa particularité dans le projet JAGROS. »

Jagros 2018
Jagros 2018

Jagros 2018 – technique participative d’animation du public

Peux-tu préciser un petit peu en quoi ?

Oui, par exemple, l’ONG Humundi est très forte en contenus… Les différentes personnes avec qui j’ai travaillé, 3 je pense, ont toujours été fortes pour l’organisation des débats, trouver les intervenant·es, par exemple, et poser les questions pertinentes. L’ONG VSF est forte au niveau de la thématique de l’élevage, parce que c’est quelque chose qu’Humundi et Eclosio ne portent pas beaucoup ou pas du tout. C’était vraiment une plus-value d’avoir cette thématique-là. Ils et elles étaient fort·es aussi pour tout ce qui est organisation logistique. Et pour Eclosio, je dirais que c’est plutôt l’aspect méthodologie des ateliers qui fait notre force. On a pu transformer des ateliers initialement plutôt ex-cathedra, plutôt classiques, – avec par exemple un témoignage et un·e producteur·ice qui vient raconter son expérience en question-réponse et avec des schémas, voilà, “intervention-questions-réponses” – qu’on a au fur et à mesure transformé en des vrais ateliers en intelligence collective, avec des méthodologies, des dispositifs pédagogiques qui favorisent la participation des étudiant·es et qui créent davantage de connexions aussi entre les étudiant·es des différentes hautes écoles avec les intervenants et les intervenantes.

 

Jagros 2022 : jeu de la ficelle sur les interdépendances

Jagros 2022 – Jeu de la ficelle sur les interdépendances dans le secteur de l’alimentation

Au niveau thématique, as-tu un moment qui te vient en mémoire qui t’a particulièrement touchée ?

Hm, y en a beaucoup. Et puis, maintenant ça date un peu mais… Moi, j’ai toujours beaucoup aimé entendre les témoignages – qui ne sont pas que des témoignages mais des expertises aussi, de partenaires de pays dits du Sud. Je me souviens qu’on a eu un intervenant, Deogratias Niyonkuru, qui venait de République démocratique du Congo, si je ne dis pas de bêtises, qui nous avait parlé de la dignité paysanne. J’avais trouvé son intervention super intéressante parce que ça offre un autre point de vue, qu’on n’a pas l’habitude d’entendre ici. Et j’ai beaucoup aimé aussi lorsqu’il y avait des partenaires, par exemple, même des collègues d’Eclosio de zone andine qui venaient en Belgique, avec lesquels on faisait un peu un tour des hautes écoles pendant le temps de midi ou même pendant une heure de cours, pour faire découvrir un peu le paysage de l’alimentation au Pérou, par exemple.

« J’aimais beaucoup parce que je voyais que c’est quelque chose que les étudiant·es ne reçoivent pas comme contenu dans leurs cours, en tout cas, ceux que j’ai pu voir. Et donc ça leur offrait un tout autre type de contenu et une perspective, une vision sur le monde qu’ils n’avaient pas forcément reçue auparavant. »

 

Jagros Huy low

Ciné-débat Jagros 2018 à la Haute école Charlemagne de Huy

 

Professeur·es, partenaires de terrain

Côté professeur·es, comment évoluait votre lien ?

Il y avait des professeur·es impliqué·es depuis le début de JAGROS, depuis 2011 donc, qui sont restés impliqué·es pendant 10 ans. On a fêté les 10 ans de JAGROS avec des professeur·es qui étaient là depuis le début ! Après, il y avait des changements de carrière, par exemple, donc il y a eu des professeur·es qui se sont rajouté·es au fur et à mesure, alors que d’autres quittaient. Il y avait quand même plus de nouveaux et de nouvelles professeur·es que de professeur·es qui ont quitté l’aventure.

Comment vivaient-ils/elles le projet ? As-tu vu une évolution ?

Ca a été difficile à voir parce qu’on n’est pas là dans leurs cours donc on ne voit pas comment ils et elles transmettent la matière. Et puis, quand on vient animer quelque chose, c’est souvent nous qui apportons le contenu. Le ou la professeur·e reste plus en retrait. Mais il y a des professeur·es qui ont dit qu’ils ou elles avaient au fur et à mesure des années mieux compris aussi ce que c’est la souveraineté alimentaire et on a fait quelques formations dans des hautes écoles pour des professeur·es, par exemple lors d’une journée pédagogique où on en a touché·es qui, de prime abord, ne seraient pas touché·es par cette thématique. Des professeur·es de français ou d’anglais dont ce n’est pas la spécialité, par exemple.

Si des professeur·es sont engagé·es, on imagine que le fait d’être accompagnés par des ONG doit être une source de motivation pour elles et eux?

Oui, oui, complètement. Parce que c’est revenu plusieurs fois lors des comités de pilotage dans chaque haute école – où il y avait des professeur·es et la direction parfois, que ça les motivait d’avoir des actions communes et de se dire que c’est pas juste leur haute école qui propose un programme à leurs étudiant·es, mais c’est l’ensemble des hautes écoles agronomiques.

« Et on voyait bien qu’il y a aussi des hautes écoles qui faisaient partie de l’aventure parce qu’il y avait les autres hautes écoles qui faisaient déjà partie de cette aventure, et qu’elles s’entraînaient un peu toutes vers le haut en se disant : « Ah ben, ensemble, on va organiser ça. ». »

Et puis bon, il y a les ONG qui soutenaient et qui organisaient beaucoup du coup, pour les hautes écoles, c’était tout bénefice d’être dans une dynamique commune plutôt que seules. Je ne suis vraiment pas sûre que le projet aurait eu autant d’impact s’il avait été unidirectionnel.

C’est donc la vision d’ensemble qui porte tous et toutes les acteurs/trices ?

Oui, et le fait de se rendre compte que « Bam, il y a 500 étudiant·es qui sont touché·es par la thématique cette année-là ! », ça donnait une vision de grandeur au projet, aussi.

 

Petits couacs

Quel est le plus gros obstacle, la plus grosse difficulté que tu aies rencontré pendant toutes ces années ?

L’implication des professeur·es, parfois. Avoir des professeur·es relais qui, malgré qu’ils ou elles aient un temps de travail sur JAGROS, ou une responsabilité dans le projet, donnent peu de réponse… Ou avec lesquel·les c’est difficile de collaborer quand on n’a pas de réponse… Du coup, ça ne fait pas avancer les projets. Et puis, c’est dur dans son travail d’avoir des choses en stand-by, de ne pas pouvoir avancer parce qu’on n’a pas de réponse.

Penses-tu que c’est fort lié à la surcharge des professeur·es dont on a parlé plus tôt ?

Certainement, aussi aux personnalités. Aux envies de s’impliquer plus ou moins grandes.

 

Petit frère

JAGROS a un petit frère : DJESA. Ce nouveau projet similaire vise à toucher les sections autres qu’agronomiques. Penses-tu que le projet est pertinent quand il sort du contexte agronomique ?

Ah, c’est tout à fait pertinent dans d’autres contextes, parce que la question de l’alimentation, ça touche tout le monde. Et la question du système alimentaire nous touche toutes et tous en tant que citoyen·nes, mais aussi dans un cadre professionnel, parce que les étudiant·es ce sont des futur·es professionnel·les.

 

« Quand on étudie les sciences économiques, par exemple, on pourrait être amené à travailler dans une institution qui a des liens avec le système alimentaire et donc c’est intéressant de pouvoir être un peu conscient·e de comment fonctionne ce monde-là (les industries et leur impact, le lobbying, les grandes institutions,…). »

DJESA : pièce Nourrir l'humanité c'est un métier - acte II

DJESA 2023 : pièce « Nourrir l’humanité c’est un métier – acte II » à Namur avec des étudiant·es ULiège et UNamur en sciences politiques

 

D’autres thématiques comme les inégalités dans le système alimentaire, ça c’est intéressant d’être au courant, peu importe le profil qu’on a, au final. Donc c’était tout à fait pertinent de sortir du cadre des études en agronomie et d’aller développer le projet dans d’autres types de cursus. Et c’est d’ailleurs très bien reçu dans les différentes universités où le projet DJESA est mené. On a eu des retours très positifs du coup pour des étudiant·es en sciences éco, en sciences vétérinaires, aussi, en bio-ingénieur à l’ULB. Et ceux et celles en sciences politiques de l’UNamur.

 

Mot de la fin (de la fin!) d’Héloïse

Veux-tu rajouter encore une petite chose ? Pour tes ancien·nes collègues qui vont continuer JAGROS ou les personnes qui vont rejoindre le projet ?

Bah que c’est un beau projet ! Un beau projet qui vaut vraiment la peine de continuer. Et ça, je le dis autant aux ONG qui continuent à mener le projet qu’aux hautes écoles parce que je trouve que ça vaut la peine que celles-ci – ou même d’autres établissements ou universités – mettent sur pied des dispositifs thématiques qui sortent un peu du cadre des cours, qui sont pour moi de l’éducation à la vie, de l’éducation citoyenne, mondiale et solidaire!

 

Team Jagros

Marie de Vétérinaires Sans Frontières, Héloïse d’Eclosio et Nicolas de Humundi

A nous de rajouter encore une petite chose: encore mille mercis Héloïse pour tout ton travail et ton care continuel dans l’équipe. Nous te souhaitons bon vent et émerveillement ailleurs !

 

Pssst, pour en savoir plus, c’est par ici :

Le Keyline design : une piste à creuser ! – Analyse

 


Une analyse de Lisa DI MAGGIO, Bioingénieur en Sciences et technologies de l’environnement.

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Au cours des 20 dernières années, de nombreuses études ont été menées pour tenter de prédire les impacts du changement climatique sur les ressources en eau. Avec le dérèglement climatique, certaines régions du monde risquent d’être frappées par d’intenses vagues de chaleur à l’origine de périodes de sécheresse. Cependant ces dernières ne seront pas la seule conséquence de cette évolution. Le climat futur aura un effet certain sur l’intensité des précipitations extrêmes en Europe et augmentera leur fréquence.

Contexte

Cette réalité peut susciter des inquiétudes quant à notre emprise sur la situation. Cependant, il est crucial de comprendre que l’humain n’a jamais eu le contrôle absolu sur la nature. Il l’observe, l’imite, l’étudie, s’en inspire, il la dirige, au mieux, mais devrait aussi lui accorder l’espace nécessaire pour récolter ses bienfaits. Il est important pour tous les secteurs d’activité d’engager une réflexion sur l’amélioration de la gestion des eaux sur le bassin hydrographique. Le secteur agricole semble le plus prometteur, car il présente un potentiel considérable en matière de gestion de l’eau. Dans le cadre de mon mémoire, j’ai pu étudier le potentiel d’une agriculture résiliente et repensée afin de limiter l’impact de ces extrêmes hydrologiques. Ce mémoire s’est concentré sur un petit bassin versant de 1 km² situé dans la région de la Vesdre, plus précisément sur le plateau de Herve.

Je vais ici présenter les principales conclusions découlant de ce travail de recherche. Ce dernier représente un challenge étant donné qu’il existe à ce jour peu d’études quantifiant le potentiel de l’agriculture en ce qui concerne la lutte contre les inondations et les sécheresses. Il est pourtant impératif de comprendre le rôle pivot de ce secteur dans la gestion des flux d’eau.

L’aménagement du territoire

Les sols ont une place importante dans la régulation des flux hydrologiques. En effet, ils vont permettre d’infiltrer, de stocker, mais aussi de ralentir les flux d’eau grâce à la végétation. Leurs capacités sont influencées par l’aménagement du territoire, et dans le cas qui nous occupe, par les pratiques agricoles. De ce fait, l’imperméabilisation des sols due à une urbanisation croissante entraîne une perte de capacité d’infiltration, accentuant les vitesses d’écoulement. De la même manière, la simplification des pratiques agricoles a entraîné l’agrandissement des exploitations, en rallongeant les parcours sans obstacle naturel. Cette absence d’aspérité pour ralentir l’eau de ruissellement contribue également à accentuer les phénomènes de ruissellement.

Par ailleurs, la résilience des écosystèmes est un aspect crucial à considérer au vu des extrêmes climatiques. Celle-ci est définie comme « l’aptitude d’un système à surmonter une altération de son environnement ou de son fonctionnement ou à modifier son état pour garantir ou préserver les fonctionnalités du système » (Rondeux, 2022). En plaçant la production au cœur des choix des techniques culturales, les autres services que l’écosystème agricole peut soutenir sont négligés. Il s’en suit une gestion palliative des problèmes causés par une agriculture productiviste.

Il existe une bonne occasion d’adopter des systèmes agricoles plus autosuffisants et naturels, pouvant conduire à des gains significatifs autant sur le plan de la productivité, de l’efficacité que de la durabilité des agrosystèmes. Vis-à-vis des enjeux actuels, il est urgent de repenser certaines pratiques rurales afin de réduire la pression sur l’environnement. En fait, adopter une gestion du paysage plus proche du fonctionnement naturel des écosystèmes favorise l’adaptation naturelle et accroît la résilience.

Hydrologie régénérative

Représentation du principe du Keyline design, Ponce-Rodríguez, M. (2021). Analyse Lisa Di Maggio

Représentation du principe du Keyline design, Ponce-Rodríguez, M. (2021).

Certain·e·s agriculteur·trice·s ont compris l’importance de travailler avec la nature au lieu de la contrer. Ils n’ont pas attendu que la Science leur montre le chemin pour agir, souvent contraint·e·s par des conditions de terrains nécessitant une réaction rapide. Ils ont mis en place et développé des techniques innovantes d’aménagement du territoire. L’Hydrologie régénérative, bien que dans ses débuts, vise la régénération des cycles d’eau douce par des développements territoriaux respectueux des écosystèmes. Cette démarche rassemble toutes les connaissances, les initiatives et le savoir-faire accumulés jusqu’à présent. Elle s’articule autour de 4 objectifs principaux : ralentir, répartir, infiltrer et stocker les eaux de pluie et de ruissellement. Cela peut être facilement visualisé comme un budget qu’on doit optimiser et dont il est nécessaire d’augmenter, les entrées, les stocks et le nombre de zones de stockage, mais aussi de limiter les sorties.

La technique du Keyline design, ou ligne-clé en français, est l’un des précurseurs de l’Hydrologie régénérative. Cette méthode de conception agricole et paysagère est initiée à la moitié du 20e siècle par un Australien, P.A. Yeomans. La technique, bien que très peu documentée dans la littérature scientifique, est utilisée un peu partout dans le monde comme en Australie, aux États-Unis, en Inde, en Italie, en Espagne ou encore en France. Elle a pour objectif d’optimiser la gestion de l’eau à l’échelle d’une ferme en utilisant la topographie naturelle du terrain. Le terme Keyline vient des keypoint, ou point-clé, correspondant à des endroits de ralentissement des écoulements de surface sur un bassin versant. Les keylines sont des lignes parallèles aux courbes de niveau, sélectionnés dans le prolongement des keypoints. Au travers d’aménagements, elles permettent la redirection des eaux ruisselées vers des zones de crêtes, naturellement peu rechargées en eau. De manière générale, la méthode peut s’inspirer d’autres types aménagements pour limiter le ruissellement; appelés solutions fondées sur la nature. Dans le cadre de ce travail, des fossés ont été constitués surmontés d’une butée et d’une plantation d’arbres. Ce type d’aménagement est fréquemment rencontré dans le keyline design et permet de rediriger efficacement les eaux de ruissellement.

La construction du modèle

Représentation des lignes clés sélectionnées sur le bassin versant, Di Maggio L. (2023). Analyse Lisa Di Maggio

Représentation des lignes clés sélectionnées sur le bassin versant, Di Maggio L. (2023).

Pour parvenir à quantifier le potentiel du Keyline design, j’ai eu recours à une modélisation hydrologique. En effet, le temps de mise en place de ce type d’agriculture en condition réelle, avec tout le système d’acquisition de données, aurait été beaucoup trop long pour la durée de ce mémoire. La modélisation va permettre de construire plusieurs scénarios, pour pouvoir par la suite comparer les résultats avec et sans aménagement. L’implémentation des fossés-butées a été réalisée en modifiant simplement la topographie du terrain.  L’évaluation de l’efficacité passe par la comparaison sur les débits à la sortie du bassin versant (exutoire), la diminution de ruissellement sur le bassin versant, et les teneurs en eau dans le sol.

Les résultats montrent que l’aménagement en Keyline design réduit le ruissellement et les débits maximums en sortie de bassin versant. Les fossés ont permis une conduite efficace des eaux de ruissellement vers les zones de crête et une meilleure infiltration des eaux de surface. Ces aménagements ont également permis de favoriser une infiltration en profondeur et une capacité de subvenir aux besoins hydriques des plantes sur de plus longues périodes de sécheresse. Ce travail atteste qu’il y a bien un effet du Keyline sur les flux hydrologiques, cependant il est relativement faible.

Les pistes à creuser

Les résultats sont encourageants, cependant, il faudra à l’avenir passer par une quantification de leurs effets sur le terrain. Cela n’est pas chose facile, étant donné que c’est à l’échelle d’un bassin versant, cela passe par des propriétés privées, par des routes, par des champs ; il faut donc avoir l’accord de plusieurs parties. De plus, au-delà des effets face aux extrêmes hydrologiques, il serait intéressant de quantifier la performance multifonctionnelle des keylines. Des techniques de mesure en développement permettraient de quantifier par exemple, la santé des sols en Keyline pour évaluer la durabilité de cet agroécosystème ; ou encore les services écosystémiques de ce dispositif cultural. De plus, dans le cadre de ce mémoire, l’effet sur le long terme de ces aménagements n’est pas pris en compte. Les modèles hydrologiques utilisés ne sont pas conçus de façon évolutive. Pourtant, d’après les observations de terrains, l’effet des keylines serait d’autant plus bénéfique dans le temps. De surcroît, l’entretien concernant le curage des fossés ou le rehaussement des butées n’est pas budgétisé. Pourtant, une quantification de la charge d’entretien et du coût économique entraîné pourrait affiner l’étude du potentiel des keylines dans un contexte socio-économique.

En conclusion, les perspectives de recherche sont prometteuses et un nombre grandissant de scientifiques s’intéressent au sujet. Cependant, il n’y a pas de solution unique et il n’y a pas une alternative meilleure que les autres. Il existe autant de solutions que de contextes dans lesquels elles s’inscrivent. Le concept d’Hydrologie régénérative trouve son origine dans les pratiques d’acteur·trice·s liés directement aux terrains, comme en témoignent les expérimentations menées à travers le monde. Les connaissances transmises par ces acteur·trice·s, loin d’être opposées aux savoirs scientifiques, offrent un nouveau champ de connaissance issu d’une relation unique avec la nature (Idoux, 19997). Il s’agit d’avantage de compléter ces savoirs en favorisant des modalités de co-construction pour une meilleure compréhension et gestion du patrimoine naturel commun à toutes et tous.

À mes yeux, ce qui est le plus important à retenir du Keyline design se trouve dans ce rapport de l’humain à la nature, loin d’un contrôle de l’un sur l’autre. L’essentiel est de laisser une place suffisante à la nature pour s’adapter et être résiliente. En diminuant la pression sur celle-ci, on lui laisse la possibilité de se régénérer et de minimiser son impact sur notre société. L’impression de perte de contrôle, telle que celle ressentie lors des inondations, diminuera en conséquence. Il est important de construire cette réflexion en amont de tout projet concernant le territoire et d’impliquer dans le débat toutes parties prenantes; à savoir, les agriculteurs·trices, les propriétaires des terres, les scientifiques et les politiques. Nous devons garder à l’esprit que c’est à nous de faire preuve de créativité pour trouver des solutions durables et équilibrées, afin d’affronter les enjeux de demain.

 


Bibliographie

Di Maggio L. (2023). Quel est le potentiel de l’Hydrologie régénérative ? Modélisation sur un bassin versant agricole. Matheo.

IDOUX, A.M., BEAU, C., (1997). Savoirs paysans et savoirs scientifiques : à la recherche d’équilibre. Leçons tirées d’une centaine d’expériences liées à la vulgarisation agricole. Ed Charles Léopold Mayer. Fiches : 10, 11, 12, 17, 19, 20, 31, 43, 57, 63, 65, 66, 72, 89, 99.

Ponce-Rodríguez, M., Carrete-Carreón, F., Núñez-Fernández, G., Muñoz-Ramos, J., & Pérez-López, M.-E. (2021). Keyline in bean crop (Phaseolus vulgaris l.) for soil and water conservation. Sustainability (Switzerland), 13 (17). https://doi.org/10.3390/ su13179982

Rondeux, J. (2022). La résilience forestière, vocabulaire et concept. Les Infos de RND, (2ème Trimestre).

L’expérience de Manon, la mémorante belge qui nous accompagne dans l’Ancash (Pérou)

Manon, étudiante en master de Sciences de la Population et du Développement de l’Université Libre de Bruxelles s’est jointe à l’équipe d’Eclosio – Zone Andine le 4 septembre dernier.

Pendant les 3 prochains mois, dans le cadre du projet SAMA, Manon séjournera dans le district de La Merced à Aija (Ancash) et ira visiter des familles paysannes des communautés environnantes, en vivant avec eux et en écoutant leurs expériences, afin d’apprendre comment ils s’organisent pour gérer et utiliser l’eau.

Son travail aboutira à l’élaboration de sa thèse et contribuera à l’analyse des changements dans les structures organisationnelles et les rôles au sein des comités d’usagers de l’irrigation et des JAAS. Nous lui souhaitons bonne chance et beaucoup d’apprentissage pendant son séjour au Pérou.

« Depuis mon arrivée à La Merced, je me suis sentie très bien accueillie par la communauté locale, tout le monde est très gentil et hospitalier avec moi. Même si je ne suis ici que depuis deux semaines, je me sens presque chez moi. ☺️ Chaque jour est une nouvelle leçon, une découverte fascinante des traditions, du mode de vie, de la nourriture et de l’histoire de cette région. J’ai l’impression de vivre une immersion authentique dans la culture andine ! Je suis très excitée par toutes les expériences qui m’attendent dans les semaines à venir ! 🙌 », nous dit Manon.

Témoignage de Valentin sur son stage au Sénégal avec Eclosio et ULB-Coopération

Bonjour, je m’appelle Valentin Decamp, j’ai 33 ans. Je suis étudiant du master en sciences de l’éducation à finalité formation des adultes à l’Université de Liège. J’ai auparavant effectué un baccalauréat d’instituteur primaire. Je souhaitais poursuivre mes études afin d’en apprendre davantage sur la pédagogie et m’ouvrir de nouvelles portes pour par exemple travailler avec des adultes.

Ma mission principale était de concevoir et d’animer une formation sur la thématique du genre et sur l’indice A-WEAI, un indice qui calcule le niveau d’empowerment des femmes et des hommes dans le secteur de l’agriculture.

C’est donc dans le cadre mes études du master que j’ai saisi l’opportunité, lancée par Eclosio, d’effectuer un stage chez eux dont une partie à l’étranger au Sénégal. Ma mission principale était de concevoir et d’animer une formation sur la thématique du genre et sur l’indice A-WEAI, un indice qui calcule le niveau d’empowerment des femmes et des hommes dans le secteur de l’agriculture. Cette formation était à destination de membres sénégalais issus de deux ONG universitaires belges que sont Eclosio (ONG de l’université de Liège) et ULB-Coopération (ONG de l’université libre de Bruxelles), ainsi que de partenaires locaux. Celle-ci devait permettre à ces personnes de mieux s’approprier l’indice A-WEAI et de l’utiliser par la suite pour récolter des données.

Avant de revenir sur le déroulement de mon stage, je vais vous présenter brièvement cet indice Abbreviated Women’s Empowerment in Agriculture Index (A-WEAI). Celui-ci a été conçu notamment par l’International Food Policy Research Institute (IFRI) et testé dans différents pays par Feed the Future en 2011 et 2012. Cet indice est composé de cinq grands domaines d’empowerment : la production ; les revenus ; les ressources ; l’allocation du temps ; le leadership. Pour chacun de ces domaines, sauf pour les revenus où il y en a deux, un questionnaire a été conçu afin de récolter des données. Par exemple, pour le domaine de l’allocation du temps, les hommes et les femmes d’un même ménage décrivent une journée de 24h avec leurs activités respectives. Cela peut notamment permettre de comprendre la répartition de la charge de travail. Les objectifs poursuivis par l’utilisation de cet indice sont : de mesurer l’autonomisation, l’intervention et l’inclusion des femmes dans le secteur agricole ; d’évaluer l’autonomisation et la parité des sexes dans l’agriculture ; de recenser les principaux domaines dans lesquels l’autonomisation doit être renforcée ; de suivre les progrès réalisés dans le temps. En d’autres mots, les ONG qui souhaitent récolter des données avec cet indice pourraient, par la suite, mieux se rendre compte des différences entre les hommes et les femmes afin, si nécessaire, de repenser leurs actions dans le but de réduire certaines inégalités liées au genre.

Pour le domaine de l’allocation du temps, les hommes et les femmes d’un même ménage décrivent une journée de 24h avec leurs activités respectives. Cela peut notamment permettre de comprendre la répartition de la charge de travail.

Concrètement, ce stage a donc débuté en Belgique, en février et en mars 2023, à raison d’environ trois jours par semaine. J’ai travaillé un jour dans les bureaux d’Eclosio à Gembloux, un jour dans les bureaux d’ULB-Coopération à Bruxelles et un jour en télétravail. Cette première grande partie de mon stage en Belgique m’a permis, outre une recherche thématique concernant le genre et l’indice A-WEAI, de participer à des réunions et de découvrir le contexte organisationnel de ces ONG.

Je suis parti cinq semaines au Sénégal afin d’effectuer la deuxième grande partie de mon stage. C’est là que j’ai conçu de A à Z, puis animé, la formation « genre et indice A-WEAI ».

Départ pour le Sénégal - Stage Valentin Decamp

Par la suite, en avril et en mai, je suis parti cinq semaines au Sénégal afin d’effectuer la deuxième grande partie de mon stage. Durant celle-ci, j’ai eu l’opportunité de rencontrer les équipes locales au sein principalement des bureaux d’Eclosio dans la ville de Thiès. C’est là que j’ai conçu de A à Z, puis animé, la formation « genre et indice A-WEAI ». Cette formation fut d’une durée de quatre jours, le premier sur la thématique du genre et les trois autres sur l’indice A-WEAI. Il y avait une petite vingtaine de participants, ma maître de stage et moi-même. Nous avons passé ce temps ensemble afin de partager nos connaissances et expériences. Nous avons réalisé des jeux de rôles, des débats, nous sommes partis sur le terrain, nous avons rigolé, échangé, testé, nous nous sommes questionnés.

Ainsi, cette expérience de stage m’a, je pense, beaucoup apporté tant personnellement que professionnellement. Tout d’abord, personnellement, car elle m’a conforté dans l’idée d’effectuer le métier de formateur d’adultes. De plus, j’ai eu la chance de rencontrer de nombreuses personnes bienveillantes et intéressantes.

Formation pour adulte - Stage

Ce stage m’a permis de mieux percevoir la réalité de la profession de formateur d’adultes, ce qui peut quelquefois être assez éloigné des études universitaires où l’auditoire est un des espaces principaux dans lequel nous apprenons.

Enfin, j’ai été touché par la culture sénégalaise, par le sens de l’accueil, par une vision plus collective du vivre ensemble, qui je trouve peut nous faire défaut. Mais aussi, professionnellement, car ce stage m’a permis de mettre en pratique une partie de la théorie apprise durant mes cours de master. Également, de mieux percevoir la réalité de la profession de formateur d’adultes, ce qui peut quelquefois être assez éloigné des études universitaires où l’auditoire est un des espaces principaux dans lequel nous apprenons. Enfin, j’ai aussi pu mettre un pied dans le secteur de la coopération au développement, que je trouve riche, car au croisement de différentes disciplines et domaines.

Pour conclure, je suis en tout cas fier d’avoir pu proposer ce dispositif de formation et d’avoir je pense contribué humblement à l’utilisation de cet indice au sein de ces ONG. Je remercie les différentes personnes que j’ai rencontrées, que cela soit au Sénégal et en Belgique, elles m’ont permis de transformer ce stage en une magnifique expérience. Je garderai de très bons souvenirs de vous et des moments passés ensemble.

Valentin Decamp

Valentin Decamp - Stage Eclosio Sénégal

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Rions ! et Pensons ! L’engagement 2.0 – Analyse

 


Une analyse d’Alexia THOMAS, chargée de projets d’Education citoyenne Eclosio et socio-anthropologue en citoyenneté durable. 

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Comment éveiller les consciences face à l’urgence climatique sans ajouter aux inquiétudes quotidiennes? Comment arriver à faire naitre une réflexion sur les enjeux actuels au plus grand nombre ? A ceux qui ne lisent plus les journaux, ne regardent plus les nouvelles, sont sur Spotify et n’écoutent plus la radio ? Comment dans ce monde où le nombre de personnes dépressives et anxieuses augmente de jour en jour1, garder le sourire ?

« Dans cette époque sinistre, la tâche qui nous [les humoristes] incombe de faire rire s’apparente plus à de la médecine d’urgence que du divertissement. » disait Blanche Gardin (humouriste) lors de son discours lors de la 31ième nuit des Molières en 2019.

Dans un article précédent, sur la question de l’anxiété climatique et le besoin d’une dose « saine » d’angoisse, nous nous étions demandé·es comment dédramatiser ce sentiment de culpabilité personnel lié aux diverses crises sociétales et plus précisément à la crise climatique. En effet, lors d’un échange fait en Tunisie en juillet 2023, sont ressorties beaucoup de réflexions autour de l’éco-anxiété et de l’incohérence de chacun·e quant à ses actions versus ses valeurs d’écologie et d’éthique pour un monde meilleur. Face aux préoccupations grandissantes quant à l’avenir, nous avions exploré différentes manières de voir les choses afin de décomplexer l’action climatique individuelle, et de respirer. Ces réflexions ont été le fruit d’un premier article2 et celui-ci prolonge le questionnement afin de réfléchir à la place de l’humour comme étant une solution potentielle à une diminution de la culpabilité individuelle et à l’éco-anxiété mais aussi afin de réfléchir à l’humour comme étant un moyen d’éveil, un lieu de conscientisation, d’apprentissage, de déclics et finalement : d’engagement.

Pour rappel, les moyens de trouver une dose « saine » d’anxiété et de dédramatiser l’angoisse grandissante chez les jeunes face à l’inaction climatique était qu’il est utile de se rappeler qu’il y a des notions d’échelle et d’ordre de grandeur à prendre en compte en termes d’empreinte carbone. Par exemple : prendre l’avion a un impact bien plus important que de manger de la viande plusieurs fois par semaine. Ainsi en calculant un peu ce qui est le plus polluant versus le moins, on peut se décomplexer de la tranche de saucisson mangée chez mamy à l’apéro du dimanche soir3.

D’autre part, on peut se délester d’une partie de notre culpabilité en regardant la part de responsabilité des politiques et des entreprises qui peuvent à eux seuls faire basculer les modalités de consommation et de vie des individus. « C’est important de ne pas s’hyper-responsabiliser, de n’endosser de responsabilités que ce sur quoi l’on peut agir. Il faut mettre de côté cette hubris d’impuissance pour se remobiliser ici et maintenant, à sa juste place, à son juste niveau. » 4 Il est important que la culpabilité ne soit pas principalement remise sur les épaules des individus, et ce, malgré ce que voudraient parfois faire croire les acteurs précités, premiers promoteurs de l’individualisation de la responsabilité d’action climatique.

Cet article quant à lui pose diverses questions : est-ce que les différents formats de l’humour promeuvent une dose « saine » d’anxiété nécessaire à l’action climatique de tous·tes (pas uniquement les individus) ? L’humour est-il inclusif et permet-il une réflexion de fond sur des enjeux sociétaux ? Quelles sont les limites à l’humour et quels sont les formats que prennent le « rire engagé » ? Dans cet article nous allons proposer une autre manière de se défaire du sentiment d’être coincé·es dans le piège du réchauffement climatique, héritage de l’activité humaine au nom du progrès de l’industrialisation, du capitalisme et perpétué encore et encore par un système de croissance continue dans un monde aux ressources finies … alors pourquoi ne pas en rire ? Le rire comme dernier rempart aux larmes ? Les jeux de mots fusent : « des larmes au rire, du rire aux armes », « trouble de l’humour », …on n’est pas seul·es à penser l’humour comme potentiel levier d’action ou en tout cas de réflexions engagées pour un monde meilleur. Pour nous aider à répondre aux questionnements posés, nous avons demandé à des jeunes étudiant·es leurs avis sur l’humour au moyen d’un micro-trottoir réalisé sur le campus de Liège le 7 septembre 2023.

L’humour, lieu d’apprentissage en légèreté

« Rire pour ne pas pleurer ! Le rire contre l’inaction climatique : c’est ce que proposent les internautes sur divers réseaux sociaux ces derniers temps. Face aux messages alarmistes sur l’environnement qui nous enferment dans une spirale de culpabilité, d’angoisse et de lassitude, le rire est devenu une nouvelle manière de s’informer sur notre planète. » Voilà un extrait d’un article de la RTBF5 (14 décembre 2022) qui note l’importance grandissante que prend le rire dans le discours autour des enjeux de société et plus spécifiquement autour des défis climatiques. L’humour que ce soit une bd, au théâtre, au cinéma, à la TV, sur les scènes de stand-up, sur YouTube, Instagram ou TikTok touche un public varié de jeunes et de moins jeunes issu·es de tous les milieux sociaux (les goûts varient mais tout le monde aime rire). On note dans ce passage également le lien qui est fait entre l’humour et les réseaux sociaux à l’heure actuelle. Nous avons interrogé des étudiant·es sur le campus de l’université de Liège en micro-trottoir : « Pour moi l’humour peut être un moyen d’engagement politique parce que sur les réseaux sociaux, il y a beaucoup de gens qui font de l’humour et qui ont beaucoup plus de visibilité puisqu’ils sont plus suivis et ça permet de faire passer différents messages à travers un support qui est à la base plus ludique et plus amusant à regarder qu’un simple discours pas très passionnant où tout le monde s’ennuie. »  Un autre jeune : « Je pense que l’humour c’est quelque chose qui nous touche en tant que jeune que ça pourrait faire passer des messages ou des leçons de vie et cetera. Par exemple, Jamel Debouze, il nous fait toujours passer des leçons bien avec ses sketchs. »

Effectivement de plus en plus d’humoristes se tournent vers les médias sociaux afin de se faire connaitre, remplir des salles, faire des vues et partager du contenu. « S’il [le stand-up] reflète bien notre époque, c’est parce que l’humour est un élément fondamental pour les millennials [la génération Y, soit les personnes nées entre 1980 et 2000]. Une étude de la chaîne Comedy Central montre que, plus que la musique, plus que le sport ou le style, l’humour est le premier moyen d’expression de soi, et c’est quelque chose de nouveau. On partage des liens de vidéos humoristiques car elles dévoilent qui on est. D’ailleurs, c’est intéressant de voir que l’humour s’adapte à ses moyens de diffusion. Cette étude, rapportée dans le New York Times, révèle aussi que l’humour absurde avait pris le dessus sur l’ironie, davantage associée à la génération précédente. »6 L’humour, qui existe depuis bien longtemps (si pas toujours, nous avons des preuves via les pièces de Diogène en Grèce antique, les fous du roi au Moyen-Age, …), présent sur les scènes de théâtres, à la radio, au cinéma, à la TV, s’est adaptés aux moyens contemporains. Ces moyens actuels lui servent de tremplins par leurs pouvoirs de diffusion et lui donne le vent en poupe surtout chez les jeunes qui sont sur les réseaux sociaux. Cela en fait également réceptacles de bons nombres de ce genre de messages. Messages qui peuvent être purement absurdes et ayant comme but unique de faire rire, ou alors encore qui, sous couvert d’une blague, font quand même passer une position, une opinion, une critique. Mais l’humour n’est pas réservé qu’aux jeunes « L’humour est une chose qui transcende la plupart des barrières. Il s’agit d’une unité commune, d’un concept compris par tous. (…) Y a-t-il des gens qui n’aiment pas rire ? » 7 L’humour rapproche et fait fit des différences d’âges, d’origines sociales, …

L’humour ça peut aussi amener un éclairage sur des sujets lourds avec fraicheur et légèreté.

Rire du patriarcat, du capitalisme, des inégalités, …  revient à les dénoncer et à vouloir faire bouger les mœurs. L’humour c’est « un ton qui permet de lutter contre l’éco-anxiété, mais aussi de participer à l’éveil des consciences. »8 « On est loin de faire juste une blague en faisant l’humour. On fait bien plus que ça quand on rit de Gilbert Rozon 9, par exemple. On fait bien plus que générer des rires quand on fait une blague sur les différences entre les hommes et les femmes » analyse Julie Dufort, professeure du cours Humour et société à l’École nationale de l’humour.10 On va donc au-delà des normes et on déconstruit. « Ainsi, Shifman et Lemish11 notent l’utilisation de l’humour dans un cadre postféministe qui s’oppose aux « inégalités genrées et à la stéréotypisation hégémonique » comme une expression de l’agentivité des femmes et de leur droit de critiquer les structures sociales. » 12 Et ça agirait sur le réel : « Les discours féministes sur la plateforme [Youtube] pourraient donc permettre de remettre en question les stéréotypes et les rôles traditionnels hiérarchisés attribués aux genres masculins et féminins, et ils pourraient avoir un impact sur les réalités et opportunités des femmes sur la plateforme et dans le monde réel. » 13

Des humouristes qui déconstruisent avec humour (par exemple le féminisme) ça fonctionne vraiment ? Exemple avec une blague qui fait rire et réfléchir avec un extrait d’un réel de Swann Périssé (humoriste engagée) : « L’autre jour j’étais dans le métro avec mon énorme sac à dos de voyage et mes rollers qui dépassaient. Je me suis rendue compte que je bousculais tout le monde. Je me suis dit « Tiens, je me rends pas compte de la place que je prends dans l’espace public ! » Et pendant un instant je me suis sentie comme un homme blanc non déconstruit ! Haha !

C’est donc ça que ça fait de ne pas prendre en compte les besoins des autres ? De faire comme si nous étions tous sur un pied d’égalité ? « C’est pas de ma faute, c’est la faute du sac à dos. » « Rholala c’est pas de ma faute si vous êtes pris les roues de mes rollers sur le visage ! Allez, Regardez un peu hein !  Mes rollers sont là, adaptez-vous à moi un peu ! » (…) » 14 . La vidéo est évidemment mieux que la retranscription mais vous avez l’esprit.

Quête d’identité

De plus en plus, les humouristes se branchent donc sur des sujets d’actualité afin de faire rire et créer une réflexion autour de sujets qui leurs tiennent à cœur tel que le féminisme, le racisme, l’écologie, les inégalités, l’éducation, … Ça en devient une marque de fabrique, une obligation ? Exemplification avec Blanche Gardin qui souligne cette tendance et qui est engagée dans de multiples causes. Voici un extrait de son spectacle « Bonne Nuit Blanche » -la vidéo15 est encore une fois évidemment mieux- “J’aimerais bien avoir une cause moi. Parce que je vois bien en plus la nouvelle génération les gens qui montent sur scène… Ils ont tous un truc à défendre : une identité, un truc. Et moi, j’ai rien, moi. Je, enfin, j’ai pas de spécificités. Je veux dire ; j’suis pas homo, j’suis pas trans, j’suis pas végan, j’suis pas poly amoureuse, j’suis pas obèse, j’suis pas noire, … Je suis même pas antisémite… J’suis rien du tout. (…) J’aimerais bien représenter un groupe. Je me dis que ça doit être bien de pouvoir dire « Nous c’est ça ! Nous c’est ça !… Et on souffre !! » Mais j’ai pas de… non.. Enfin si, oui, je représente un groupe… mais mon groupe est nul quoi. Mon groupe est désespérant quoi. Mon groupe je veux dire.. Les femmes blanches hétérosexuelles de 42 ans consommatrice d’anxiolytiques.. Bon ! C’est pas une identité. C’est un cercueil hein ! Je n’ai rien à vendre sur le terrain d’identité. » 16 Dans cet extrait, on lit bien l’importance grandissante des humouristes de défendre une cause, de représenter une identité et un combat. Elle parodie en faisant semblant qu’elle ne revendique rien, alors une partie de son spectacle revient à une association permettant la lutte au sans-abrisme et qu’elle est engagée dans la déconstruction des normes sociales en passant à la loupe et en questionnant la sexualité patriarcale, le viol, le mouvement #metoo, le célibat, l’écologie, la migration, … Elle utilise avec brio humour afin de soulever divers sujets de société ; « Je suis pas écolo. Ouais. Je suis pas écolo du tout. J’ai pas d’enfant moi, donc, pour moi la vie s’arrête à la mienne. Donc même si ça va un peu plus vite que prévu, j’aime pas le ski toute façon. (rires) (…) Non. J’aime pas le ski, parce que la dernière fois j’ai été au ski… seule. Est-ce qu’il y a quelque chose de plus triste au monde que d’aller au ski seul ? En dehors d’une maman érythréenne qui trouve plus son petit à l’arrière du zodiaque au milieu de la Méditerranée.. Je veux dire hein.. sur notre échelle de tristesse à nous. Je veux dire… c’est vrai, c’est chiant d’aller au ski seule. » 17 Son intonation et son humour noir permet de se rendre compte de l’absurdité de certaines situations qui méritent offuscation, prise de conscience et puis actions (ex : c’est un problème de riches de se préoccuper de ne plus pouvoir aller skier à cause du réchauffement climatique alors qu’on laisse mourir des gens dans la Méditerranée). Blanche Gardin a d’ailleurs refusé de prendre part au programme « LOL : Qui rit sort ! » d’Amazon en revendiquant justement que l’humour était engagé et que ce n’était pas en accord avec ses valeurs de participer. Vous trouverez une retranscription de son post qui explique son choix, drôle et éducatif en Annexe 1.

Humour noir : provocateur oui. Mais pas que…

Le type d’humour utilisé ici est dit « noir » définit par Wikipédia comme étant « L’humour noir est une forme d’humour qui souligne avec cruauté, amertume et parfois désespoir l’absurdité du monde, face à laquelle il constitue quelquefois une forme de défense. Faisant généralement appel à l’ironie et au sarcasme le plus violent, il doit être parfaitement maîtrisé pour ne pas être confondu avec de la simple grossièreté ou de la méchanceté gratuite.« , ce genre d’humour est particulièrement prisé car il permet justement de tourner au comique les situations dramatiques de ce monde. Il n’est pas sans risque car il peut être mal interprété mais qu’on l’apprécie ou pas, il permet une mise en avant des incohérences et de l’absurdité du monde. Il provoque quelque chose et au-delà de choquer, ce type d’humour vise à être générateur de réflexions.

Un des jeunes interrogés nous dit : « L’humour noir fait tout le temps réfléchir. L’humour noir ça traverse l’esprit et c’est un peu le concept que ça choque souvent. » Et à la question de savoir si l’on peut rire de tout, il nous répond « Moi je suis croyant et j’ai pas de problème à dire que j’ai pas envie qu’on rigole de ma religion. »

Humour et transgressions des codes

L’humour semble donc être le tremplin parfait pour aborder des questions de sociétés de par la liberté laissée aux stand-uppers à aborder tous les sujets qu’ils·elles souhaitent. « Liberté » car dans l’humour, ce dont on peut rire et ne pas rire reste sujet à controverses, cela dépend beaucoup du vécu de chacun. « Si les dirigeants ont toujours tenu l’humour à l’œil, c’est justement parce qu’il peut être utilisé pour pointer leurs incohérences et convaincre les gens. Car l’humour génère des émotions.» 18 Historiquement, la naissance du stand-up est née dans un entremêlement d’humour et de privation de liberté. « Parmi les pionniers de cet art oratoire profondément américain, on rencontre la figure d’un homme en costume cintré et aux yeux de félins : Lenny Bruce. Il émerge à la fin des années 50 (…). Marqué par le jazz, la Beat Generation, le sexe et la boucherie que fut la Seconde guerre mondiale, Bruce torpille dans ses sketchs la morale hypocrite, la ségrégation raciale, et un certain ordre du discours. La télévision, alors en plein essor, le fait connaître au niveau national, mais son style et ses propos percutent assez vite les codes établis de l’Amérique puritaine des jeunes années 60. À l’époque, le crime d’obscénité règne. Il condamne toute œuvre qui susciterait l’excitation sexuelle. Une guerre juridique empoisonne dès lors la vie de Lenny Bruce : arrestations en plein spectacle, rapports de police, séjours en prisons et procès interminables. » 19 Lenny Bruce lance donc une nouvelle modalité qui bouscule les normes, le stand up. Défini par Le Robert comme étant un : « Genre de spectacle, né à la fin du xixe siècle aux États-Unis, au cours duquel un humoriste s’adresse au public directement, sans accessoires ni personnages, d’une manière spontanée, quasi improvisée ; spectacle de ce genre. La vie quotidienne est l’un des thèmes de prédilection des stand-ups. » 20 Ainsi se présente sur scène quelqu’un qui partage avec humour, en tournant au ridicule ou à la (auto)dérision, des situations du quotidien en passant parfois par une critique de l’actualité. Ce qui n’est pas pour plaire à tous. En effet, à ces débuts il était fort controversé de rire de certaines choses. Ça l’est encore. Un autre jeune interrogé nous dit « On ne peut pas rire de religion, peu importe laquelle, qu’il faut respecter les croyances. »

Mais certains résistent et affirment que l’on peut rire de tout (Blanche Gardin, Ricky Gervais par exemple). Ce format d’humour qu’est le stand-up, a le vent en poupe dans les milieux francophones se développe à la vitesse VV’ car justement décloisonne l’humour de milieu tel que le théâtre, le cinéma dont l’accès n’est pas toujours démocratique. Le stand-up rend accessible l’humour à un plus grand public et ce encore davantage grâce aux moyens de communications modernes (radio, tv, internet, …). Au-delà du public plus vaste, les protagonistes changent également ainsi « la parole change de camps ». Le stand-up représente dès lors un lieu où la parole se donne de plus en plus à des personnes issues des marges à qui on ne donne pas forcément la parole ailleurs. « Longtemps dominé par la présence masculine blanche, le stand-up se veut aujourd’hui beaucoup plus inclusif, voire intersectionnel, cherchant ainsi à s’adresser à l’ensemble de la société. »21 « Nelly Quemener, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’Université de la Sorbonne de Paris, retrace dans son livre « Le Pouvoir de l’humour » les évolutions du rire dans les médias français de 1980 à nos jours. Avec l’émergence du stand-up comme scène d’affirmation par et pour les minorités ethniques et l’irruption d’humoriste-femme interrogeant les normes masculin/féminin, l’humour est devenu au cours des années 2000 une arme politique pour les subalternes et un moyen de lutte contre les hégémonies culturelles dominantes. »22 

En France, en Belgique, au Canada, nombreux·ses sont celles et ceux qui jouent avec l’humour afin de générer de la curiosité sur divers enjeux : @lejeuneengagé, @louannemanshow, Fanny Ruwet, Claudine Mercier, Paul Mirabel, Marina Rollman, Kyan Kojandhi, « et tout le monde s’en fout », Tahnee, Mahaut Drama, Lou Trotignon,…  Swann Périssé fait parler d’elle. Stand-uppeuse, youtubeuse, influenceuse, … féministe, écolo engagée, elle cherche à sensibiliser et influencer par son humour. Extrait d’un épisode du podcast du « clic d’Alix » avec Swann où elle parle de sa chaine « Vert chez vous » -chaine où elle parle d’écologie- : « J’aime bien avoir une chaîne tout public [d’humour ‘Swann Périssé’]. Ben comme ça on rigole tous ensemble et au fur et à mesure, vu que ça infuse tout ce que je fais l’écologie, ils [les auditeurs] se disent : « Ah bah elle me fait rire genre, je crois qu’elle est écolo ». Donc ils regardent et tout à coup ils trouvent ce 2e réseau (Vert chez vous) et y’en a plein qui se disent « Attends, je kiffe cette meuf ! Elle me fait taper des barres ! Ah, mais en plus elle est écolo ! Ah tiens c’est vrai qu’on peut avoir un composteur chez soi ! Ah il faut réduire l’avion pour être plus écolo ? Ah je peux manger du chocolat sans me sentir coupable mais il faut que je réduise la voiture » (histoire genre qu’ils aient des notions d’ordre de grandeur) et là je me dis que j’ai réussi ma vie quoi ! » On voit donc bien l’intention affichée de conscientiser par son humour à des enjeux qui lui tiennent à cœur afin de lier l’utile à l’agréable.

L’humour comme moyen de rire et comme moyen d’influence.  « Le stand-up intègre une dimension d’expérimentation, pour créer une émotion. Il peut être une forme d’art très transgressive, car très risquée et très incarnée. Ce qui est formidable, c’est qu’on sait tout de suite si cela marche ou pas, si le public rit ou pas. Il me semble aussi que ce genre est à la pointe des débats qui traversent l’Amérique et incarne les valeurs les plus avant-gardistes, en particulier sur les questions de race, de sexualité, de drogue… Et puis, il transforme la vie des gens, ce qui peut être l’un des critères de définition d’un art. »23  Ce moyen d’allier humour et activisme peut entrer dans la définition du néologisme d’ARTIVISME : Activisme s’appuyant sur des actions artistiques.24 Au final, l’humour est un art à part entière où, comme le dadaïsme25 qui joue avec la provocation, l’humour va également provoquer et tourner à la rigolade des situations absurdes du quotidien qui au final mérite une réflexion.

Les limites de l’humour

Mais attention car la ligne est fine afin d’être drôle. On se souvient du présentateur Tex qui s’est fait viré après avoir fait une blague26 «

de mauvais gout » sur les femmes battues. Il s’agit de comprendre qui fait la blague, dans quel contexte et avec quel « background ». Une jeune lors de notre micro-trottoir souligne ceci. « Je trouve qu’il faut par contre faire attention avec l’humour que dans certains cas, il y a certains types d’humour qui sont mal placés. Si on regarde en politique et qu’on voit ce que les partis de droite ou d’extrême droite et les choses qui sont dites sur un ton soi-disant humoristiques mais au final ça ne passe pas très bien parce que ça critique certaines personnes ou quoi. » Une autre complète : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. Je pense que tous les sujets peuvent être abordés avec humour. Après ça dépend la manière dont s’est fait. Il faut que ça soit humoristique, mais toujours avec un minimum de respect quand même. Il y a une jauge à avoir et c’est pas toujours facile. Mais voilà, en fonction du public aussi il y a des trucs à adapter. Ça dépend par qui s’est fait et dans quelle idée quoi, mais parfois ça peut être abusif et voilà, faut faire attention. »

L’humour est basé sur les traditions de nos sociétés et tord les coutumes pour créer une tension qui se relâchera par un rire grâce à l’inattendu.27 L’humour est dès lors très culturel et subjectif, et demande une connaissance des codes sociétaux. Chaque culture a ses propres codes et les codes de l’humour sont les mêmes : rire de ses codes là, pour aller au cœur des problèmes de sociétés. On n’a pas tous le même humour. Doit-il critiquer ou juste divertir ? Cette question a fait l’objet d’une chronique sur France Inter avec la directrice de France Inter (Laurence Bloch) et le directeur des programmes (Yann Chouquet). Mme Bloch dit ceci : « L’humour est la chose la moins bien partagée du monde. Ce qui vous fait rire ne fait pas forcément rire votre voisin parce que vous n’êtes pas à la même place. Il y a mille façons d’être drôle : il y a la poésie toujours très fraternelle de François Morel, le côté très « salle de garde » qui exaspère de Daniel Morin, le côté plus surréaliste de Chris Esquerre, et la caricature et la satire, les fous du roi que doivent être les humoristes. La limite que je mets c’est la loi et la jurisprudence. Les personnalités politiques et publiques ont besoin de leurs fous du roi. L’humoriste doit-il avoir une limite ? C’est la question de la liberté de pensée. Ce ne sont pas les sentiments et les ressentis mais la loi qui limite. » 28 Elle souligne que le fait « rire de quelque chose qui fait mal le rend moins douloureux » et qu’il faut avoir le courage de déplaire, la permission absolue d’être imprudent. Le glissement possible est quand la méchanceté remplace l’humour alors c’est le dérapage, mais le rire est le signe d’une société démocratique qui arrive à prendre du recul. Cet argument de l’humour comme signe d’un état démocratique est également repris dans la vidéo dédiée à l’humour de « Et tout le monde s’en fout »29 où ils mettent en avant l’autodérision comme moyen de prendre du recul et donc de prendre de meilleures décisions. Ils notent que l‘humour est un baromètre démocratique car l’interdiction de l’humour est une manière d’être totalitaire.

Illustration analyse Alexia Thomas

Conclusion

En conclusion, on peut voir que l’humour a sa place à part entière dans l’engagement pour des causes variées selon les enjeux/combats de chacun. L’humour est un moyen utile et même nécessaire, qui rassemble jeunes et moins jeunes grâce à des formats et des styles différents : du théâtre au podcasts, en passant par les réseaux sociaux, les films, les petites vidéos, le standup, l’improvisation, les sketchs, l’ironie, le comique de situation, la caricature, la satyre… … de plus en plus d’humouristes s’attèlent à faire rire toute en éclairant certains sujets de société. Ce doux alliage déride et donne un autre gout à la crise climatique, donne envie d’en savoir plus et parfois donne envie de passer à l’action. Sous couvert d’une blague peut-être que certains finiront par comprendre que certaines habitudes mettent en péril la vie des générations futures … encore faut-il trouver le phrasé. C’est tout un art.  « Au-delà du rire, des humoristes veulent aussi faire réfléchir »30 Et cet art est d’autant plus précieux qu’il permet de relativiser, de relâcher la pression que beaucoup ressentent quant à l’urgence climatique qui est anxiogène à juste titre. Le fait de pouvoir avoir un lieu de décompression, de rires, de critique satirique, de joie est de plus en plus comme le disait Blanche Gardin : une urgence médicale.

 


Notes :

¹ « La détresse augmente partout dans le monde, et ce n’est pas dû à la pandémie de Covid-19, relèvent des chercheurs. Entre 2009 et 2021, les signalements de stress, tristesse et inquiétude sont ainsi passés de 25 à 31%, soit une augmentation d’un quart, souligne Michael Daly, premier auteur de l’étude parue dans la revue PNAS et chercheur au département de psychologie de la Maynooth University (Irlande). » GAUBERT C., mars 2023, Sciences et Avenir, [en ligne :] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/la-sensation-de-detresse-augmente-partout-dans-le-monde-et-ce-n-est-pas-a-cause-du-covid-19_170325 , consulté le 2 septembre 2023.

2 THOMAS Alexia, Eco-LOCO ou la question de la cohérence : https://www.eclosio.ong/publication/etre-eco-loco-ou-la-question-de-la-coherence-analyse-deducation-permanente/

3 Cet article est à prendre avec humour, bien entendu. « Practice what you preach. », « Walk the talk » On n’est pas juste là à perpétuer les stéréotypes sur la société, on en rigole pour les déconstruire 😉

4 Alice Desbiolles, médecin de santé publique, épidémiologiste et autrice de L’éco-anxiété, vivre sereinement dans un monde abîmé (Fayard, 2020).

5 « Le rire, l’arme des réseaux sociaux contre le changement climatique », RTBF, 14 décembre 2022, [en ligne :] https://www.rtbf.be/article/le-rire-l-arme-des-reseaux-sociaux-contre-le-changement-climatique-11122938, consulté le 31 août 2023.

6 GOURDON J., « «Le stand-up peut être une forme d’art très transgressive», Libération, 21 avril 2015, [en ligne :] https://www.liberation.fr/cinema/2015/04/21/le-stand-up-peut-etre-une-forme-d-art-tres-transgressive_1256735/, consulté le 31 aout 2023.

7 TARVIN A., « The Skill of Humor », Juin 2017, [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=MdZAMSyn_As consulté le 12 septembre 2023.

8 OTTER M., « L’humour contre l’éco-anxiété : « rire de l’urgence, c’est avoir l’illusion de prendre le pouvoir sur le réel », Nouvel Obs, Avril 2023, [en ligne :] https://www.nouvelobs.com/ecologie/20230401.OBS71622/l-humour-contre-l-eco-anxiete-rire-de-l-urgence-c-est-avoir-l-illusion-de-prendre-le-pouvoir-sur-le-reel.html, consulté le 4 septembre 2023.

9 Fondateur du festival « Juste pour rire » au Québec.

10 FRAGASSO-MARQUIS V., « Au-delà du rire, des humoristes veulent aussi faire réfléchir », La Presse, Décembre 2017, [en ligne :] https://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/humour-et-varietes/201712/09/01-5146525-au-dela-du-rire-des-humoristes-veulent-aussi-faire-reflechir.php consulté le 12 septembre 2023.

11 Limor Shifman et Dafna Lemish, « “Mars and Venus” in Virtual Space: Post-Feminist Humor and the Internet», Critical Studies in Media Communication 28, no 3 (août 2011): 253 73, https://doi.org/10.1080/15295036.2010.522589.

12 Marée, Constance. Quelque part entre féminité traditionnelle et féminisme… Analyse des stéréotypes genrés au sein de la chaîne Youtube MadmoiZelle. Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Université catholique de Louvain, 2019. Prom. : De Cock, Barbara.

13 « (…) Les discours féministes sur la plateforme pourraient donc permettre de remettre en question les stéréotypes et les rôles traditionnels hiérarchisés attribués aux genres masculins et féminins, et ils pourraient avoir un impact sur les réalités et opportunités des femmes* sur la plateforme et dans le monde réel. Le discours politique féministe sur Youtube possède de ce fait une potentielle double portée : il connaît une possibilité d’impact sur les autres utilisateur·trice·s et sur leurs idées mais il peut également constituer les vidéastes féministes en tant que sujets, en tant qu’actrices de leur propre lutte, mettant en action leur pouvoir d’agentivité. La création de ces contenus féministes peut en effet représenter une forme d’agency pour les militant·e·s, de prise de parole et d’empowerment des femmes* en général au sein des espaces numériques encore sexistes, et influencer ainsi les destinataires des messages. » Marée, Constance. Quelque part entre féminité traditionnelle et féminisme… Analyse des stéréotypes genrés au sein de la chaîne Youtube MadmoiZelle. Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Université catholique de Louvain, 2019. Prom. : De Cock, Barbara.

14 PERISSE S., « Tu parles trop Judith », juin 2022, [en ligne :]  https://www.instagram.com/reel/CeVwvQqAi4C/  consulté le 12 septembre 2023.

15 Extrait de « Bonne Nuit Blanche », Blanche Gardin, 2019, [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=KN_QbEpibl8 consulté le 2 septembre 2023.

16 « Bonne Nuit Blanche » de Blanche Gardin spectacle de 2019.

17 Extrait de « Bonne Nuit Blanche », Blanche Gardin, 2019 [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=KN_QbEpibl8 consulté le 2 septembre 2023.

18 « Et tout le monde s’en fout #66 -L’humour-», décembre 2020, [en ligne :]  https://www.youtube.com/watch?v=9f3Mc25mg9k , consulté le 12 septembre 2023.

19 « Lenny Bruce (1925 – 1966), pionnier et martyr du stand-up », France Culture, 30 juillet 2023, [en ligne :] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/toute-une-vie/lenny-bruce-1925-1966-pionnier-et-martyr-du-stand-up-6046767 consulté le 31 août 2021.

20 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/stand-up#:~:text=D%C3%A9finition%20de%20stand%2Dup%20%E2%80%8B,improvis%C3%A9e%20%3B%20spectacle%20de%20ce%20genre

21 « Culture Urbaine » Théâtre National, [en ligne :] https://www.theatrenational.be/fr/group/3346-culture-urbaine , consulté le 31 août 2023.

22 « L’humour des minorités contre les hégémonies culturelles », Agir par la Culture, Printemps 2017,  [en ligne :] https://www.agirparlaculture.be/l-humour-des-minorites-contre-les-hegemonies-culturelles-entretien-avec-nelly-quemener/ consulté le 31 août 2023.

23 GOURDON J., « Interview de Miriam Katz : Le stand-up peut être une forme d’art très transgressive », Libération, Avril 2015, [en ligne :]
https://www.liberation.fr/cinema/2015/04/21/le-stand-up-peut-etre-une-forme-d-art-tres-transgressive_1256735/, consulté le 31 août 2023.

24 Dictionnaire https://langue-francaise.tv5monde.com/decouvrir/dictionnaire/a/artivisme , consulté le 31 août 2023.

25 « Le dadaïsme est un mouvement intellectuel et artistique qui apparut à New York et à Zurich (1916), se diffusa en Europe jusqu’en 1923 et exerça, par sa pratique subversive, une influence décisive sur les divers courants d’avant-garde. Dada, mouvement international d’artistes et d’écrivains, est né d’un intense dégoût envers la guerre qui signait à ses yeux la faillite des civilisations, de la culture et de la raison. Terroriste, provocateur, iconoclaste, refusant toute contrainte idéologique, morale ou artistique, il prône la confusion, la démoralisation, le doute absolu et dégage les vertus de la spontanéité, de la bonté, de la joie de vivre. » Larousse, [en ligne :] https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/mouvement_dada/115416 , consulté le 12 septembre 2023.

26 « Que dit on a une femme qui a un œil au beurre noir ? bah plus rien, on vient de lui expliquer. » avait donc dis Tex. Blague qui lui coutera son poste.

27 TARVIN A., « The Skill of Humor », Juin 2017, [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=MdZAMSyn_As , consulté le 12 septembre 2023.

28 « L’humour Inter : peut-on rire de tout ? », Le rendez-vous de la médiatrice, France Inter, 21 décembre 2018, [en ligne :] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-rendez-vous-de-la-mediatrice/l-humour-inter-peut-on-rire-de-tout-5067693 , consulté le 12 septembre 2023.

29 « Et tout le monde s’en fout #66- l’humour », décembre 2020, [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=9f3Mc25mg9k , consulté le 12 septembre 2023.

30 FRAGASSO-MARQUIS V., « Au-delà du rire, des humoristes veulent aussi faire réfléchir », La Presse, Décembre 2017, [en ligne :] https://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/humour-et-varietes/201712/09/01-5146525-au-dela-du-rire-des-humoristes-veulent-aussi-faire-reflechir.php , consulté le 12 septembre 2023.

 


Annexe 1. Blanche Gardin refuse de participer à LOL Qui sort ! saison 4 et explique pourquoi (20 avril 2023):

« Très très cher Monsieur Bezos,

Je suis au regret de devoir refuser votre invitation à participer à la prochaine saison du jeu « LOL : Qui rit sort ! » diffusé sur votre plateforme d’Amazon. J’ai bien compris qu’il ne s’agissait que d’une seule journée de tournage, seulement voilà, ce jour-là, j’ai dentiste. Et, en tant que troisième fortune mondiale, vous le savez, il faut de bonnes dents bien longues pour réussir dans ce monde.

Il se trouve aussi que je serais gênée aux entournures (pour ne pas dire que ça me ferait carrément mal au cul) d’être payée 200 000 euros pour une journée de travail même si je perds à votre jeu, quand l’association caritative de mon choix remporterait, elle, 50 000 euros, c’est-à-dire 4 fois moins, et encore, seulement si je gagne.

Oui, ça me gêne de toucher, pour 8 heures de travail, cette somme affolante de la part d’une entreprise qui :

– Ne paye pas ses impôts en France et bénéficie même d’1 milliard d’euros de crédit d’impôts alors qu’elle fait 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

– Qui émet 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an (soit l’équivalent des émissions du Portugal) seulement avec ses data centers, sans parler des milliers de camions, d’avions…

– Qui utilise la main-d’œuvre des camps de concentration ouïghours.

– Qui détruit les emplois du petit commerce et toute la vie sociale qui va avec.

– Que les emplois qu’elle crée en détruisant d’autres sont des emplois éreintant dans des entrepôts déshumanisés, où on traite les employés comme des robots qu’on essore en leur mettant une pression folle avec des cadences infernales et qu’on empêche de se syndiquer…

Tout ça pour quoi ? Pour qu’on puisse commander des couches pas chères depuis notre canapé en se grattant les couilles. Oui, ça me gêne.

D’autre part, en tant qu’actrice et auteure de films, je caresse le rêve un peu fou que mes futurs projets puissent sortir dans une salle de cinéma. J’ai bien conscience que le niveau de dissonance cognitive est très élevé à notre époque, mais vous conviendrez que faire de la publicité pour votre plateforme (puisque c’est de cela qu’il s’agit je crois) reviendrait à me tirer une balle dans le pied. Je n’ai pas envie que dans dix ans plus personne n’aille au cinéma et qu’on soit tous en train de mater des séries sur le canap’ en se faisant livrer des burgers par des sans-papiers qui pédalent sous la pluie.

Si toutefois, me lisant, vous tombiez des nues, ou de l’espace (je connais pas votre emploi du temps ces jours-ci) en découvrant des choses dont vous n’étiez pas au courant et qui vous peinent, et que ça vous donne envie de repenser entièrement votre entreprise, alors peut-être que vous pourriez me réinviter ultérieurement. Et que je pourrais accepter. Lol. »

Startup Nation : pour tous ? – Analyse

 


Une analyse de Laetitia MASSA, Co-Founder et Managing Director at Pinshasa.

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(Analyse en format Word à venir)


Le 19 mars 2021, 24 pays européens signent la « Startup Nations Standard of Excellence », norme dite d’excellence, avec la volonté déclarée de « soutenir les jeunes pousses […] dans l’ensemble de l’UE »1 . Force est de constater que la « Start Up Nation », et avec elle le concept de « Startup », est érigée en modèle de réussite socio-professionnelle au sein de l’Europe. Il a donc paru pertinent à Eclosio, de mesurer la température de l’inclusivité de la société belge, à la lumière de ce phénomène. D’où la question, à laquelle Eclosio m’a demandé de répondre : la « Startup Nation » belge est-elle, à l’heure actuelle, inclusive ? Et si elle ne l’était pas encore, à quelles conditions pourrait-elle le devenir ?

 

Bulletin d’information Afrique de l’Ouest n°7 – Septembre 2023

Faites le tour des dernières actualités de nos projets au Sénégal, Bénin et en Guinée dans ce septième numéro du bulletin d’informations de septembre 2023, publié par l’équipe d’Eclosio Afrique de l’Ouest.

Cliquez sur le lien ci-dessous pour lire le bulletin d’information n°7.

Etre Eco-LOCO* ou la question de la cohérence – Analyse

 


Une analyse d’Alexia THOMAS, chargée de projets d’Education citoyenne Eclosio et socio-anthropologue en citoyenneté durable. 

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Cette analyse aimerait se faire la critique de notre culpabilité individuelle afin de proposer des solutions concrètes à nos prises de têtes, tout en continuant l’action climatique, entendue comme le définit l’UNICEF comme étant : les actions humaines qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le cœur de la question étant ce besoin de cohérence que nous poursuivons, et plus particulièrement, ce curieux fardeau mental qu’est celui d’une cohérence souhaitée en ce qui concerne ladite “action climatique”.

Quelle est l’empreinte écologique de l’action environnementale?

“Juillet 2023, il drache en Belgique, il fait frais, on boit du thé derrière des carreaux plein de buée. On aurait presque envie de se plaindre, se plaindre de cette humeur d’automne alors qu’on n’a pas encore vraiment profité de l’été. On aurait presque envie de se plaindre, si seulement… si seulement on ne savait pas que le sud de l’Europe est en flammes et que certain·es pleurent en ce moment même pour quelques gouttes de pluie. On aurait presque envie de dire à notre ami·e qui n’en peux plus de la pluie de… « oui, on n’a qu’à le faire et se les prendre ces billets à 20 euros de chez Ryanair pour une destination un poil plus exotique que notre Belgique pluvieuse ». Les sensations estivales de mai où les grosses chaleurs laissaient penser à un été-canicule se sont vite dissoutes dans toute cette quantité d’eau et de grisaille. Alors “oui c’est bon pour le renouvellement des nappes phréatiques”, mais concrètement on râle intérieurement, mais on n’ose pas de trop… Ou alors juste à demi-mot, quand on arrive trempé·e au bureau et qu’on le lâche finalement ce petit : “Quel temps de chien ! Je ne pensais pas me faire saucer ce matin”. On se regarde gênés·es. Oui, on est un peu gênés·es parce qu’on sait qu’on n’a pas vraiment “le droit” de se plaindre. Le droit, mais quel droit ?

Il n’y a plus vraiment de débat, le réchauffement climatique est là. Le secrétaire des Nations Unies a déclaré suite aux incendies et aux vagues de canicules un peu partout et à répétition autour du globe, le 27 juillet que “L’ère du réchauffement climatique est terminée, place à l’ère de l’ébullition climatique”. Le temps des questions qui ne faisaient que maintenir le statu quo du capitalisme2 se termine… L’idée qu’une production croissante infinie dans un monde aux ressources limitées est insoutenable, est acquise. La conscience que l’humanité est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise est de plus en plus répandue. Mais bon là, c’est là, maintenant, ici, chez nous, “In My Backyard”3. Maintenant que nous vacillons entre incendies, inondations, “catastrophes naturelles”4, records de températures, qu’on a besoin d’un sac en papier dans lequel faire des exercices de respiration à chaque fois qu’on regarde les nouvelles5. Non, on ne va pas oser se plaindre, pas nous.

Introduction tout court

Cette analyse aimerait se faire la critique de notre culpabilité individuelle afin de proposer des solutions concrètes à nos prises de têtes, tout en continuant l’action climatique, entendue comme le définit l’UNICEF comme étant : les actions humaines qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le cœur de la question étant ce besoin de cohérence que nous poursuivons, et plus particulièrement, ce curieux fardeau mental qu’est celui d’une cohérence souhaitée en ce qui concerne ladite “action climatique”.

Contexte de la réflexion et questionnement

Assises dans l’avion vers la Tunisie afin d’aller parler des objectifs de développement durable (ODD) lors d’une semaine d’échange interculturel avec 3 autres associations française, marocaine et tunisienne, nous sommes là, moi et six jeunes participantes, contentes de l’aventure qui se dessine devant nous. A l’aéroport, on discute, on fait plus ample connaissance et on finit inévitablement par échanger sur nos habitudes de transports… Certaines prennent souvent l’avion, d’autres se sentent coupables de le prendre. C’est de cette interaction furtive qu’est né cet article, car elle deviendra une question récurrente lors du séjour : Quelle est la cohérence écologique de ce séjour ? Quelle est l’empreinte écologique de notre semaine interculturelle en Tunisie ? Est-ce que les impacts positifs l’emportent sur l’emprunte carbone du voyage ? Comment allier mobilité internationale et objectifs de développement durable avec des budgets serrés qui ne permettent pas de couvrir réellement les modes de transports écologiques malgré les efforts faits ? Faut-il que les organisations se détournent des projets nécessitant les trajets en avion ?

 Moyenne d’âges de participantes6 : 21 ans, jeunes, fraichement arrivées ou sorties des études supérieures dans un contexte post-covid où elles ont été confinées géographiquement. Dans ce contexte, difficile de poser un jugement sur celles qui prennent régulièrement l’avion pour enfin profiter du monde et de le découvrir. Délicat également d’oser poser un jugement alors « qu’à mon époque”, pas si lointaine de la leur, j’ai profité des vols peu chers avec la conscience légère. C’est dans ce contexte qu’ensemble, on s’est posée la question de la cohérence de ce qu’on faisait. Nous voilà de retour avec cette gêne face à nos propres contradictions.

Point sur ce qu’est la cohérence et catégorisation

Dès lors, avant toute chose, faisons le point sur la raison pour laquelle nous avons tant besoin de cohérence et d’éradiquer les contradictions. Concrètement, notre cerveau catégorise la réalité afin d’en faire sens, pour qu’elle soit lisible et ainsi cohérente. ”La catégorisation a une fonction adaptative essentielle : elle permet de faire des inférences sur les propriétés d’objets [ou idées] rencontrés pour la première fois. Catégoriser consiste à regrouper mentalement des objets considérés comme équivalents d’un certain point de vue.7” Ainsi, dès qu’on apprend quelque chose de nouveau notre vision de la réalité est infirmée et/ou confirmée, ajustée et/ou renforcée, … C’est de cette façon qu’en nous confrontant à des informations neuves, nous essayons d’en faire sens. Parfois en réajustant nos catégories, parfois en ajustant la réalité à ces catégories construites8 afin de sortir de la confusion, du chaos de l’incohérence. Cette quête de logique, de sens, de catégorisation et de cohérence est donc propre au fonctionnement du cerveau humain et nous permet de fonctionner sans être en “erreur 404” face à la moindre incompréhension. Mais cette quête de cohérence sera argumentée dans cette analyse comme ne devant pas devenir un objectif en soi.

Car si l’individu commence à tout diviser en catégorie ou en continuum « éco-responsable » et « non-éco-responsable » et qu’il souhaite être absolument fidèle à cette classification-là, il·elle ne verra le monde plus que par ce prisme-là. A chaque moment et pour tout. Ce qui peut devenir envahissant à long terme car toutes nos actions quotidiennes peuvent être lue sous cette classification-là. Effectivement, nous le savons les décisions se trouvent partout. On prendrait jusqu’à 35 000 décisions par jour9 lorsque l’on mange, s’habille, achète, déplaçons etc. Ce sont dès lors tous les aspects de notre vie qui sont empreints du prisme ‘durable’ ou pas, et chaque décision se fait sur base de ce questionnement. Bien qu’il soit encouragé que cette grille de lecture se répande au maximum dans les consciences de chacun·e -plus sous forme de continuum que de catégorisation binaire-, la question ici est celle de savoir si une volonté de cohérence absolue pourrait devenir contraignante pour l’individu et, in fine, pour la cause en cas de décompensation de l’individu  ?

La cohérence, c’est gênant…

Comme l’écrit Juan Tallon dans sa pilule philosophie du Courrier International (22.04.2023) :  “Je crains que la cohérence ne soit un comportement très complexe, épuisant, très difficile à conserver sur la durée. Il est inévitable qu’en cherchant à l’atteindre on finisse par s’épuiser. Et si on ne s’épuise pas dans cette quête et que la cohérence triomphe, celle-ci ne risque-t-elle pas de nous conduire au fanatisme ?” 10 Dans un contexte d’éco-anxiété grandissant, le besoin de cohérence ne dessert-il pas la cause ? C’est la question de s’est posée Alaina Wood dans Teen Vogue : “J’ai commencé à voir des gens faire des déclarations farfelues, disant que, si vous n’êtes pas 100 % végan ou 100 % zéro déchet, vous n’êtes pas un militant pour le climat. Je me suis dit : ‘Attendez une minute, ce n’est absolument pas vrai, et cela effraie les gens loin du mouvement [pour le climat] !’”11 Elle souhaite déculpabiliser les gens et souligner les solutions afin de ne pas décourager par le pessimisme et ainsi continuer l’action climatique sans l’anxiété qui y est attachée et la culpabilité de ne pas faire assez ou pas “parfaitement” ou “logiquement”. C’est ainsi que, professionnelle des déchets, elle s’est défaite du mouvement zéro déchet -tout en continuant de réduire sa quantité de déchets- mais sans plus viser le zéro absolu. (Un bouquin de Céline Portal sur le sujet se nomme d’ailleurs « Zéro déchet, Zéro pression »). Cette vague décomplexante permet à certains·aines activistes de retrouver un peu d’oxygène dans un environnement qui était devenu toxique de part une compétitivité avec eux-mêmes ou avec les autres, afin de savoir qui a la vie la plus écologique, engagée, etc. C’est ainsi que dans cette veine de libération de croyances limitantes que certains disent que « La culpabilité environnementale doit changer de camp : ce sont les entreprises capitalistes qui prennent les grandes décisions économiques, pas les consommateurs. », extrait du livre ‘Pour une écologie du 99 %’ de Frédéric Legault, Arnaud Theurrillat-Cloutier et Alain Savard. Ces derniers prônent une plus grande prise en mains de leurs responsabilités de la part des décideurs politiques et des entreprises, ce afin de briser le mythe de la surconsommation individuelle qui empêcherait de voir la part de responsabilité qui en revient aux ”géants” de ce monde.

Alors que faire?

Face à la crise climatique, le Courrier International a récolté différents avis en mars 2021. Il ressort de ce dossier sur la face sombre de la transition écologique que « la solution la plus viable, c’est sans doute CNBC qui l’explore dans ce dossier. La chaîne américaine a interrogé des chercheurs (économistes, anthropologues…), des “objecteurs de croissance”. Leur préconisation ? Consommer moins de ressources, en finir avec le “toujours plus”, “redéfinir les objectifs de l’humanité […] pour donner la priorité au bien-être social et écologique et non à une quête effrénée de croissance”. »12 On peut noter ici une attention portée au bien-être social qui rejoint notre position, ici faite dans cet article, qui encourage une dose saine d’anxiété. Il est important de nuancer le propos et de décomplexer une fois encore le terme car « pour de nombreux chercheurs, l’éco-anxiété n’est pas une maladie mentale ou une pathologie. Ainsi, les chercheurs australiens et néo-zélandais mentionnés plus haut (Teaghan L. Hogg, Samantha K. Stanley, Léan V. O’Brien, Marc Wilson et Clare R. Watsford) affirment qu’à l’instar de nombreux autres chercheurs, « [ils mettent] en garde contre la pathologisation des réponses psychologiques et émotionnelles à la crise environnementale, car cela suppose que ces réponses sont inadaptées, inutiles ou disproportionnées par rapport à la menace posée ». Pour eux, en effet, « l’éco-anxiété et l’anxiété liée au changement climatique sont largement des réponses rationnelles compte tenu de la gravité de la crise zélandais(?)11 ». Véronique Lapaige explique également que l’éco-anxiété ne relève pas « du registre de la santé mentale » ou « du pathologique », « ça n’a rien à voir avec le secteur psy » et « ça n’a rien d’une maladie12 ». Pour elle, c’est avant tout « un mal-être, une responsabilisation nécessaire qui est expérimentée, qui va conduire à un engagement responsable en termes de pensée, de parole et d’action ». C’est également la position d’Alice Desbiolles pour qui l’éco-anxiété n’est pas une pathologie, mais plutôt « une réaction adaptative, normale face à une prise de conscience des enjeux environnementaux13 ». De son point de vue, « les personnes éco-anxieuses sont in fine les personnes rationnelles et lucides dans un monde qui ne l’est pas14 » et il est donc « important de ne pas pathologiser des émotions par rapport à des réactions normales face à un événement indésirable. C’est la raison pour laquelle l’éco-anxiété n’est pas une maladie mentale15 ». »13 Maintenant que nous sommes rassurés de ne pas être fous à l’idée d’être inquiets·ètes pour l’avenir de l’humanité, nous pouvons maintenant convenir de ce qu’une anxiété saine peut être pour nous.

Chacun sa route, chacun son chemin?

A chacun sa définition propre de ce qu’est une dose “saine” de “bonne” anxiété qui pousse à l’action, pour certain·es ça se traduira dans le fait d’abolir la viande, l’avion, la fast fashion, le plastique, l’agriculture intensive, de manifester, voter et faire un plaidoyer politique en même temps alors que pour d’autres, il s’agira d’une seule des options précitées à des degrés variables d’engagement (et de possibilités économiques…) Tout va dépendre de l’énergie à disposition, des ressources et de la capacité de chacun à ne pas se laisser submerger par la quantité de choses potentiellement « à faire » dans la grille de lecture « durable/non-durable ».  Effectivement, au-delà de l’aspect financier, qui idéalement ne devrait jamais être limitant, nous avons chacun un nombre limité d’inquiétudes14 possibles à avoir/penser. “Nous ne pouvons pas nous inquiéter de tout, tout le temps, ce qui nous amène à privilégier certaines problématiques plutôt que d’autres. Opérer un changement drastique pour respecter notre environnement est difficile car il implique la quasi-totalité des aspects de notre vie. Être totalement cohérent entre nos pratiques quotidiennes faites d’habitudes tenaces et la volonté de vivre en accord avec les principes du développement durable relève du véritable défi. La question se pose de déterminer si la cohérence doit être un but en soi ou si nous pouvons accepter le fait de faire « good enough for now », assez bien pour le moment, comme le dit le mouvement de la Transition?” 15 Ainsi, il s’agit de choisir ses combats. Voir ce qui nous convient, ce que l’on sait accomplir maintenant et ce que l’on souhaitera accomplir plus tard, tout en n’étant pas dans une compétition ni avec nous-même -en quête d’une cohérence inatteignable sans payer le prix du fanatisme-, ni avec les autres :« ha ouais tu manges encore de la viande toi ? -nous dira notre voisin·e alors qu’on croque dans un bout de saucisson… on ne les réinvitera plus à l’apéro. Une des logiques sous-jacentes du capitalisme est la compétition, la comparaison et c’est à ça que l’on s’attaque aussi, la compétition n’est pas un des carcans dans lesquels la mouvance écologique souhaite évoluer. « La prise de conscience de la nature systémique du changement climatique est récente. Elle a émergé notamment dans le contexte de réunions placées sous l’égide de l’ONU et des rapports du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC), qui ont reconnu la responsabilité de l’homme dans ce changement. »16 Fondamentalement c’est cette idéologie du « toujours plus » que nous essayons de revoir afin d’enrayer le réchauffement climatique. Or il est difficile, voire impossible, d’être cohérent en étant à contre sens du système dans lequel tout pousse au productivisme au consumérisme, à la mobilité rapide, au high tech etc. c’est évidemment beaucoup plus facile d’être cohérent en étant super branché qu’en étant super écolo…. Dès lors l’exigence de cohérence fait peser sur l’individu toute la charge du changement nécessaire, alors que le vrai problème est systémique.  « Dérèglement climatique, pandémie, guerre, récession… Ces crises en cascade rythment notre quotidien, nous donnant le sentiment d’être submergés. Comment penser ce monde en convulsion, où tout est interconnecté ? Comment trouver des solutions de long terme ? En développant un regard plus global, plus systémique, répondent les intellectuels Nouriel Roubini, Thomas Homer-Dixon et Johan Rockström. »17 Le besoin d’une vision globale est primordial dans la lutte contre le réchauffement climatique étant donné les implications multiples de notre système économique sur tous les aspects de la vie humaine et son rôle, maintenant accepté, de responsable des dérèglements en cours. Le changement climatique est anthropique, c’est-à-dire généré par l’activité humaine régie par des lois économiques décidées par nos soins, au-delà donc de chercher une cohérence individuelle, le concept d’individu étant également une construction sociale très liée à l’effervescence du capitalisme, il faudrait réformer « les règles du jeu ». L’action se joue à tous les niveaux et non pas uniquement dans le camp des individus et malgré ce que souhaiteraient les géants de l’industrie (cfr. Coca-cola premier sponsor du recyclage afin de faire changer la culpabilité de camps18).

Rayon bonne nouvelle : les habitudes ça s’apprend

La bonne nouvelle concernant le nombre incalculable de décisions que nous prenons tous les jours est qu’une grande partie de celles-ci se déroulent inconsciemment. « Réalisée par Lightspeed Research, cette étude tire le constat que l’être humain (européen) n’est conscient que de 0,26 % des décisions prises par son cerveau. 99,74% de nos décisions sont prises à l’insu de notre plein gré. Etrangement, le cerveau humain prendrait près de 35 000 décisions par jour, alors que les personnes interrogées estiment n’en prendre que 92 sur toute une journée.19 » C’est alors sur cette « bonne » nouvelle que l’on peut se dire que certaines décisions qui, actuellement nous coutent une réflexion mentale, peuvent, au fil du temps, devenir des automatismes et donc devenir ‘gratuit’. Nous sommes habitués à certains systématismes confortables non-durables car la société a été construite autour d’eux, par exemple les villes sont construites autour de la voiture, comme l’avait dénoncé de manière avant-gardiste Jane Jacobs aux USA en 1961. Dès lors, prendre son vélo à la place de l’auto est un choix couteux en termes de confort car les infrastructures urbaines et sociétales (pistes cyclables sécurisées, emplacements pour attacher son vélo, possibilité de prendre une douche au travail/école, …) ne sont pas mises en place pour les cyclistes mais bien pour les automobilistes. En découle qu’il faut fournir un effort actif et prendre la décision volontaire de perdre de son confort (de rapidité, de sécurité, d’intempéries…) au profit d’un moyen de déplacement durable de mobilité douce et ce au nom de notre envie de tendre vers plus de cohérence envers notre engagement climatique. Dans une analyse faite par le Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation, l’avis a été demandé à des individus concernés par cette question des choix quotidiens faits afin d’apporter notre pierre à l’édifice. Voici un extrait qui corrobore notre version selon laquelle ”certaines habitudes piquent au début mais on s’y habitue“ : « Plus j’installe des choses de transition, plus j’y trouve du plaisir. Au début prendre mon vélo quand il faisait mauvais c’était dur et plus j’ai installé des choses, plus ça devient vraiment une source de joie. J’ai l’impression que c’est le début le plus dur, après ça devient agréable »20.

L’espoir réside donc dans le fait que certaines des décisions que l’on prend aujourd’hui consciemment deviennent des réflexes et ne soient dès lors plus une charge, en bref que les normes changent. Pour cela, certains militent afin que certains choix ne soient plus une option malgré le confort qu’ils apportent (auquel nous avons été habitués) et que des modalités durables soient mises en place afin de faciliter considérablement ce qui est encore source d’efforts comme par exemple prendre le vélo (dans les trains, en ville, …). Il s’agit d’augmenter la demande pour ce genre d’infrastructures afin qu’elles soient mises en place mais également, que les autorités publiques instaurent des aménagements qui vont encourager une plus grande utilisation de ces modalités afin d’en faciliter l’utilisation et qu’elles ne soient plus des difficultés à surmonter mais la norme (ex : prendre le vélo au Pays-Bas = la norme). Il ne suffit pas de punir les comportements peu durables mais leur opposer une  proposition d’alternatives convenables et accessibles. C’est donc une fois que les normes auront changé en matières des diverses possibilités de nos choix de tous les jours que la charge morale diminuera également (exemple de changements déjà d’application : les sacs plastiques à usages uniques).

La question est alors celle de l’œuf ou la poule : faut-il attendre que les modalités soient là pour s’y mettre ou, s’y mettre afin d’encourager le changement de modalités ? Libre à chacun de faire ses choix en fonction de ses catégories construites, et de son degré de cohérence voulu. Le tout est dans l’équilibre et de ne pas être dans une démarche paralysante, culpabilisante et démotivante pouvant mener à un épuisement et peut-être à un rejet face à de trop grandes difficultés.

Encore au rayon bonne nouvelle : on n’est pas tout seul

C’est alors qu’il est utile de se décentrer et de se souvenir que l’individu seul n’est pas le responsable n°1 de l’action climatique et que bien que cela peut arranger certaines entreprises que cette culpabilité incombe aux citoyens, il s’agit d’avoir des actions auX niveauX politiqueX, à tous les niveaux et des entreprises également afin d’avoir des actions à toutes les échelles et de réels changements favorables à un avenir durable pour l’humanité.

Le besoin de cohérence s’il devient une fin en soi est épuisant et nous peut nous égarer dans notre lutte climatique. Il fait changer la culpabilité de camps21. La responsabilité historique et d’action ne repose pas sur l’individu principalement. « Le problème de la surconsommation est un mythe promu par les grandes entreprises pour camoufler leur responsabilité dans la crise environnementale, selon l’auteur Arnaud Theurillat-Cloutier. 22 » Il s’agit de comprendre qu’une action multi niveaux de la part des sphères politiques et des entreprises au-delà de la société civile et ses individus est nécessaire. Greenpeace note dans ses missions justement l’importance de l’action de trois pôles d’acteurs principaux : “Nous agissons partout dans le monde pour exiger des actions fortes et différenciées des États, des entreprises et des populations. (…) Nous avons besoin d’agir individuellement et collectivement pour que la société dans son ensemble se rende compte qu’un changement radical de système est inévitable, et pour que les responsables politiques agissent. Cette prise de conscience collective passe par chacun·e d’entre nous.”23 Ici on lit donc bien le besoin primordial et combiné d’une action de la société civile qui passe par l’individu et le collectif afin d’interpeller le monde politique (normalement responsable de la gestion entre l’individuel et le commun24). Ce politique qui, dès lors, effectuera son travail de régulation de l’économie et passera des lois respectant les engagements pris lors des différents sommets afin de convenir de règles pour les entreprises.

Conclusion

Cette analyse souhaite mettre en lumière que le focus sur l’individu est une manière de détourner le regard des acteurs puissants . « La dimension systémique du risque climatique est également liée à la « tragédie des horizons » (Carney, 2015), les agents économiques n’internalisant pas les conséquences futures sur leurs propres activités de leurs comportements présents. Ainsi, ils ne se sentent pas concernés par des événements se situant au-delà de leur horizon de décision.»25. Il convient toutefois de nuancer le propos en ne suggérant pas une déresponsabilisation de l’individu car les politiques et les entreprises ne sauraient survivre sans les choix posés par les consommateurs que nous sommes. Il s’agit dès lors d’avoir une partie raisonnée d’attention à nos choix personnels (certains utilisent le terme : consommACTEUR). Effectivement un rejet de la part de responsabilité entrainerait un cautionnement du statu quo et de l’inaction climatique. Or en se sentant responsable, nous avons le poids (dont tout l‘art réside dans le fait qu‘il s‘agit d‘apprendre à équilibrer, précisément) de l’attention qu’il faut porter à changer et à choisir des alternatives à certains choix peu responsables et durables26. C’est cette charge mentale/morale et par extension notre volonté excessive de cohérence, qui mène à une pression démesurée. Il s’agit donc dans cet article de prôner la juste mesure. Comme le dit l’adage populaire : “l’excès nuit en tout”. Cet équilibre est essentiel à trouver car “il existe un lien entre l’efficacité et le niveau de stress, (…). Trop ou trop peu de peur réduit l’efficacité, tandis que le sommet de la courbe, le moment où l’efficacité est maximale, coïncide avec le niveau de peur intermédiaire. C’est la good anxiety, la bonne peur”. Il s’agit donc d’encourager la ”bonne” peur. Celle qui mobilise, indigne et donne de l’élan à une action et à des choix durables avec comme objectif “pousser les entreprises et les dirigeants politiques à prendre des décisions à la hauteur des enjeux.” 27

La question originelle de cet article qui était celle de savoir quelle est la logique d’avoir une gigantesque empreinte carbone28 afin de mener l’action climatique, est peut-être, in fine, une mauvaise question à se poser ? Car elle pose la question de la cohérence. Question qui est ici argumentée comme pouvant mener à un dépassement de soi, à l’encouragement de faire mieux, l’envie de s’informer mais également au désespoir de ne pas arriver à tout faire et à l’épuisement potentiel.

Mais cette réflexion peut-être est-elle justement judicieuse afin de remettre en perspective le choix de certaines associations de mobilité de jeunesse qui découragent et font parfois le choix de refuser des projets qui nécessitent la prise de transport polluant comme l’avion ? ou peut-être que cette question permet d’une fois encore se demander ce qu’il en est d’une taxation du kérosène ? Pourquoi est-ce que l’essence est taxée alors que le kérosène pas ? « Ce problème est pourtant traité avec une négligence sans pareille. Les taxes sur le kérosène sont interdites par les traités internationaux, ce qui est une manière unique d’encourager la pollution. Les émissions causées par les vols internationaux ne sont pas prises en compte par les accords de lutte contre le réchauffement de la planète et pour la réduction de la couche d’ozone. »29 Au final, que l’on choisisse de voler ou de ne pas voler, faire partie d’une expérience de mobilité internationale est un apprentissage riche et unique. Mais … faut-il encourager la mobilité limitrophe plutôt que les voyages de longues distances ? Faut-il compenser l’empreinte carbone ? si oui, comment ? Toutes ces réflexions sont utiles et traversent les acteurs concernés. Ces échanges ont lieu dans le cadre de la mobilité européenne et plus précisément via le programme Erasmus + qui met en place des remboursements plus importants, certes pas toujours suffisants mais soulignons l’intention déjà, pour les trajets « verts ». Ces questions sont aussi des moments d’introspection pour les agences nationales qui prennent part à ces programmes d’échange. Certaines décident de ne plus prendre l’avion, d’autres de rendre leurs évènements végétariens d’office, d’autres de compenser les trajets… Être cohérent est une tâche ardue mais, elle nous pousse à être plus en accord avec nos valeurs d’engagement climatique et à toujours s’améliorer tant qu’elle ne paralyse pas.

En ce qui concerne une piste de réponse à la question de la cohérence dans le cadre précis de l’échange auquel nous avons pris part en Tunisie, nous avons choisi de croire qu’il était sans doute incohérent sur certains aspects et émancipateur sur beaucoup d’autres. J’ai demandé aux jeunes leurs avis sur la question.

« Moi j’n’aurai pas d’enfants donc prendre l’avion c’est okay pour moi »

« J’aime pas le fait d’avoir pris l’avion mais j’ai vécu une telle expérience inoubliable et puis je suis végétarienne »

« Je reprends l’avion dans 3 jours, j’ai hâte d’expliquer à mes amis des US tout ce que j’ai appris »

En résumé, on s’accommode chacun·e à notre manière de nos incohérences tout en étant ravis·es d’avoir pris part à cet échange, car une expérience de terrain reste une plus-value indéniable.

Comme bien (trop) souvent, nous sortons avec peut-être plus que questions que de réponses, mais l’espoir de cet article est qu’il aura pu éclairer certain·es complexé·es de l’incohérence de leur engagement afin de leur proposer un apaisement et de leur redonner confiance en leur action. Dans cette analyse nous avons découvert différents apprentissages :

  • Il est humain de catégoriser et de vouloir diviser sa réalité. Dès lors pouvons-nous peut-être sortir de la binarité et créer des catégories variantes de celles “éco-responsable”, “non-éco-responsable”? Par exemple une catégorie “non-éco-responsable à 100% mais participe quand même à la lutte” peut ainsi être créée et nous apaiser et nous aider à faire face à nos illogismes.
  • Il est normal d’être inquiet·e face au dérèglement climatique qui se manifeste dorénavant chez nous et maintenant et de plus en plus.
  • Il est cohérent de vouloir mettre en place des actions individuelles afin de l’enrayer dans une logique de porter une pierre à l’édifice.
  • Il est nécessaire d’avoir une vision multiniveaux du changement et surtout de partager le poids de la culpabilité entre les différents acteurs responsables de la crise climatique actuelle.
  • Être cohérent·e sans être soit fanatique, soit épuisé·e. Ce qui n’est peut-être pas possible et donc pas un objectif à vouloir atteindre en soi.

Nombreux sont les philosophes qui tentent de nous aider à comprendre le monde et comment s’y faire. Allan Watts30 qui a écrit un livre sur la sagesse de l’insécurité, nous invite à accepter le chaos plutôt qu’à le « ranger » dans nos catégories donnant un semblant de contrôle et ce afin de trouver un moyen d’être en paix avec les incohérences du monde et de nous-même.

Le besoin et la volonté de cohérence sont de nobles cibles vers lesquelles il est essentiel de tendre afin de continuer à apprendre, s’améliorer mais sans en faire une fin en soi.

L’enjeu se situe une fois de plus, dans l’équilibre entre ce que l’on croit , ce que l’on fait , ce que l’on souhaite (une taxation du kérosène ?) et ce que l’on peut.

 


Notes :

* (¹) Loco = fou en espagnol.

2 Selon le Larousse : « Système économique dont les traits essentiels sont l’importance des capitaux techniques et la domination du capital financier. » [en ligne :] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/capitalisme/12906 consulté le 21 août 2023

3 En référence au mouvement NIMBY : Not In My Backyard “Au cours des dernières décennies, on a souvent constaté des mouvements d’opposition, individuels ou collectifs, à la réalisation d’ouvrages présentant un intérêt public. On a regroupé ces attitudes sous le terme de « phénomène Nimby », acronyme de l’expression anglaise « Not In My Backyard », qu’on traduit en français par « Pas de ça dans mon jardin ! », ou « Pas de ça chez moi ! ». Ce terme rendrait compte d’une réaction courante qui amène à rejeter l’installation de ces ouvrages près de chez soi, même si, sur le plan des principes, on est d’accord sur leur utilité. Les réponses « Nimby » s’appliquent à une grande variété d’installations d’intérêt général, qu’il s’agisse d’équipements collectifs (infrastructures de transport routier et ferroviaire, réseaux d’approvisionnement en énergie, comme les barrages, les ouvrages de transport d’électricité) ou d’ouvrages nécessaires à la gestion de l’environnement, notamment les sites de traitement et d’enfouissement des déchets.   
Les oppositions collectives sont justifiées par les dommages que ces ouvrages pourraient entraîner pour les voisins. Il peut s’agir de risques encourus par les riverains, allant de gênes sensorielles (sonores, visuelles ou olfactives) à des risques pour la santé engendrés par les pollutions causées par les ouvrages et leur utilisation, de perturbations du milieu environnant (par exemple la création de champs électromagnétiques par les lignes de haute tension, les dégagements nuisibles résultant de processus chimiques comme dans le cas des dépôts de déchets, etc…” Jodelet, D. (2001). Le phénomène Nimby. Dans : Michel Boyer éd., L’Environnement, question sociale : Dix ans de recherche pour le ministère de l’Environnement (pp. 91-97). Paris : Odile Jacob. https://doi.org/10.3917/oj.roche.2001.01.0091

4 L’usage des guillemets est de rigueur étant l’accélération des occurrences de phénomènes climatiques à cause de l’activité humaine sur le climat et la gestion politique desdites ‘crises’ qui n’ont plus grand chose de “naturel” cfr. La gestion de l’ouragan Katerina où une partie de la ville de la Nouvelle Orléans a été sacrifiée afin de limiter les dégâts des quartiers plus aisés. (“Une catastrophe « naturelle » est, fondamentalement, une catastrophe « humaine » en ce qu’elle résulte de choix d’exposition ou non à l’aléa. La question sous-jacente est celle de l’acceptabilité du risque, notion éminemment variable” source : Katrina et la Nouvelle-Orléans : entre risque « naturel » et aménagement par l’absurde https://doi.org/10.4000/cybergeo.90 consulté le 21.08.23

5 “De la guerre en Ukraine à la présidentielle française, de l’été caniculaire à la Coupe du monde au Quatar, en passant par le 20ème Congrès du Parti communiste chinois et les élections de mi-mandat aux Etats-Unis, … » (courrier international n°1676 janvier 2023, p 4)

6 Ce n’était que des femmes

La charge mentale, c’est la charge cognitive invisible que représentent la planification, l’organisation et la gestion de tout ce qui se situe dans la sphère domestique (tâches ménagères, rendez-vous, achats, soins aux enfants, etc.) et qui, chez les couples hétérosexuels[2], échoit généralement aux femmes en plus de leur activité professionnelle. (…) Et ce travail invisible prend énormément de temps et d’énergie psychique; il génère davantage de stress que l’accomplissement des tâches domestiques comme telles, la charge mentale accompagnant les femmes au boulot et dans toutes leurs activités. Or, de nombreux articles et témoignages récents[3] indiquent qu’à cette charge mentale (domestique) s’ajoute désormais une nouvelle charge morale : une pression supplémentaire est mise sur les épaules des femmes qui deviennent de facto les principales garantes de la conduite écoresponsable des ménages.” https://fec.lacsq.org/2020/02/06/pratiques-ecoresponsables-une-nouvelle-charge-mentale-pour-les-femmes/ consulté le 1 aout 2023

Lire aussi : cfr. Cultivons le futur n°6 Automne 2021, article p 30-31 “Femmes écolos : toutes soumises à la charge morale ou leaders du changement ?”

7 « (…) Ainsi, dès lors qu’un objet nouveau est identifié comme relevant d’une catégorie familière, les propriétés partagées par les membres de la catégorie lui sont aussitôt attribuées et permettent d’interagir efficacement avec lui » « Développement de la catégorisation », Universalis [en ligne :] https://www.universalis.fr/encyclopedie/developpement-de-la-categorisation/ consulté le 31 juillet 2023

8 (cfr. La notion de « construction sociale » ex : le genre est une catégorie construite par la société)

9 « Notre cerveau fonctionne-t-il à l’insu de notre plein gré ? » [en ligne :] https://www.rtbf.be/article/notre-cerveau-fonctionne-t-il-a-l-insu-de-notre-plein-gre-9801474 consulté le 1er août 2023

10 https://www.courrierinternational.com/article/la-pilule-philosophique-je-suis-incoherent-et-alors consulté le 27/07/2023

11 https://www.courrierinternational.com/article/la-personne-a-suivre-alaina-wood-la-scientifique-qui-lutte-contre-l-ecoanxiete-et-le-nihilisme-climatique consulté le 27/07/2023

12 https://www.courrierinternational.com/article/la-une-de-lhebdo-la-face-sombre-de-la-transition-ecologique consulté le 1er août 2o23

13 https://www.jean-jaures.org/publication/eco-anxiete-analyse-dune-angoisse-contemporaine/ consulté le 09/08/23

14 cfr. la théorie du « finite pool of worry » émise par le Center for Research on Environmental Decisions

15 Thomas Alexia, Le changement climatique ? Oui. Le changement tout court ? Non, Bruxelles : CPCP, Analyse n°371, 2019, [en ligne :] http://www.cpcp.be/publications/changement-climat.

16 Clerc, L. (2021). Prise de conscience du risque climatique et de sa dimension systémique. Annales des Mines – Responsabilité et environnement, 102, 6-9. https://doi.org/10.3917/re1.102.0006

17 « L’ère des mégamenaces », 2023, Courrier International [en ligne :] https://www.courrierinternational.com/system/files/magazine/h1679.pdf consulté le 22 août 2023

18 « Comment les industriels ont abandonné le système de la consigne. Eh bien, recyclez maintenant ! » février 2019, Le Monde Diplomatique [en ligne :] https://www.monde-diplomatique.fr/2019/02/CHAMAYOU/59563 consulté le 22 août 2023

19 « Notre cerveau fonctionne-t-il à l’insu de notre plein gré ? », DATE, RTBF [en ligne :] https://www.rtbf.be/article/notre-cerveau-fonctionne-t-il-a-l-insu-de-notre-plein-gre-9801474 consulté le 10 août 2023

20 Vanhèse Louise, Entre éco-consommation et carpe diem, comment les Belges vivent l’urgence climatique, Bruxelles : CPCP, Analyse n° 463, 2022, [en ligne :] http://www.cpcp.be/publications/ecoconso-carpe-diem. Consulté le 9/08/23

21 ”Le culpabilité environnementale doit changer de camp : des consommateurs aux entreprises capitalistes ” (https://ecosociete.org/livres/pour-une-ecologie-du-99) ”Il faut libérer les consommateurs de l’écoanxiété. Le problème de la surconsommation est un mythe promu par les grandes entreprises pour camoufler leur responsabilité dans la crise environnementale, selon l’auteur Arnaud Theurillat-Cloutier.

22 https://pivot.quebec/2021/10/12/il-faut-liberer-les-consommateurs-de-lecoanxiete/ consulté le 1er août 2023

23 « Climat : Changer nos habitudes ou le système ? » 2019, Greenpeace [en ligne :] https://www.greenpeace.fr/climat-changer-nos-habitudes-ou-le-systeme/ consulté le 1er août 2023

24 Ce qui pose toute la question également des biens communs et d’un besoin de régulation de denrées comme l’eau afin de la définir comme un bien commun et non un bien privatisable comme cela l’est actuellement. (ex : Vittel, Evian, …)

25 « … À l’exception de l’horizon de décision des investisseurs institutionnels qui couvre plusieurs décennies, celui de la finance est généralement très court : celui des traders algorithmiques est de l’ordre de la nanoseconde ; les assureurs renouvellent leurs polices tous les ans sur la base des événements observés dans l’année ; les banquiers enregistrent une rotation des prêts qu’ils accordent en moyenne de 3 à 5 ans pour les entreprises et de 7 à 8 ans pour les ménages. Toutes ces positions devront cependant être renouvelées et refinancées à des coûts croissants. » Clerc, L. (2021). Prise de conscience du risque climatique et de sa dimension systémique. Annales des Mines – Responsabilité et environnement, 102, 6-9. https://doi.org/10.3917/re1.102.0006

26 “durable” entendu dans le sens du rapport Brundtland (1987) : Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre à leurs propres besoins.

27 « Climat : La génération qui s’y colle » 2022, Le Courrier International [en ligne :] https://www.courrierinternational.com/article/a-la-une-de-l-hebdo-climat-la-generation-qui-s-y-colle#:~:text=%E2%80%9CDepuis%202020%2C%20pr%C3%A8s%20de%20500,pour%20les%20dommages%20li%C3%A9s%20 au consulté le 7 août 2023

28 0,46 tonnes de CO2 pour l’aller-retour Bruxelles-Tunis, alors que sur un an il est recommandé de ne pas dépasser le 0,6 tonnes de CO2…

29 https://www.courrierinternational.com/article/2001/09/13/destruction-de-la-planete-embarquement-immediat consulté le 3/08/2023

30 “Wisdom of Insecurity : A Message for an Age of Anxiety” 1951, Allan Watts.

Agroécologie, processus participatifs et droits. Expériences avec des familles et des communautés paysannes au Pérou et en Bolivie

*Article publié dans le magazine Leisa: https://leisa-al.org/web/revista/volumen-38-numero-01/

 

WALTER CHAMOCHUMBI, DIANA SANTOS, ERIC CAPOEN

L’intervention du programme Interagir avec des territoires vivants (2017-2021) au Pérou et en Bolivie a-t-elle contribué, depuis l’agroécologie, à l’exercice des droits des agriculteurs familiaux par rapport à leur alimentation, à la prise en charge de l’environnement et des ressources naturelles, et à la réduction des inégalités de genre ??

Pour répondre à cette première question, nous partons de l’accompagnement et de l’inter-apprentissage générés avec les familles paysannes, les communautés et les peuples natifs installés dans les territoires des hautes zones andines et de l’Amazonie du Pérou et de la Bolivie. Cet accompagnement a lieu tout au long de leur transition complexe de l’agriculture traditionnelle à l’agroécologie, à la recherche d’une alimentation saine, avec une gestion territoriale et environnementale, ainsi que dans la réduction des écarts sociaux entre les sexes.

Le programme Interagir avec des territoires vivants (ITV, voir encadré) est le résultat d’expériences antérieures avec d’autres projets de promotion de l’agroécologie et de gestion territoriale participative dans la région andine, coordonnés par l’organisation non gouvernementale belge Eclosio, qui ont servi de base au programme ITV (2017-2021) mis en œuvre par neuf partenaires/associés : cinq au Pérou (Consorcio Agroecológico Peruano – CAP, Centro Peruano de Estudios Sociales – CEPES, Diaconia – Asociación evangélica luterana de ayuda para el desarrollo comunal, Junta de Desarrollo Distrital de Pamparomás – JDDP et Grupo Género y Economía – GGE) et quatre en Bolivie (Asociación de Promotores de Salud del Área Rural – APROSAR, Fundación TIERRA, Asociación de Organizaciones de Productores Ecológicos de Bolivia – AOPEB et Red Boliviana de Mujeres Transformando la Economía – REMTE).

Ces organisations ont favorisé de nouvelles approches et des méthodes participatives pour aborder la réalité rurale. Elles se sont basées sur les problèmes et les dynamiques socio-territoriales des familles paysannes à faibles revenus, qui vivent principalement de l’agriculture traditionnelle et de l’élevage extensif dans différents écosystèmes et qui sont éloignées du plein exercice de leurs droits.

Le programme ITV a mené des actions de plaidoyer et d’articulation multi-acteurs d’envergure nationale dans les deux pays, ainsi que des actions locales dans cinq territoires ruraux au Pérou (municipalités de La Merced et Pamparomás dans la région d’Ancash) et dans trois territoires ruraux en Bolivie (municipalités de Taraco dans l’Altiplano et Palos Blancos dans Sud Yungas, dans le département de La Paz ; et la municipalité de Salinas dans l’Altiplano, dans le département d’Oruro).

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Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques