Les méthodologies de l’Education permanente en Education à la citoyenneté mondiale et solidaire – Analyse d’éducation permanente

Les méthodologies de l’Education permanente en Education à la citoyenneté mondiale et solidaire – Analyse d’éducation permanente
  • Analyses et études d'éducation permanente

 


Une analyse de Claire WILLIQUET, chargée d’éducation citoyenne chez Eclosio.

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Cet article revient sur les principes et les méthodologies l’éducation populaire ou l’éducation permanente (EP) qui met au cœur de ses approches une lecture critique du système en partant des réalités de chacun, l’émancipation des personnes et l’inclusivité des publics généralement marginalisés. Nous verrons comment ces principes et méthodes, peuvent enrichir les pratiques d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire (ECMS).

Education permanente, éducation à la citoyenneté mondiale : convergences et divergences

L’éducation populaire est une forme d’éducation non formelle, qui vise principalement les adultes. Elle a pour objectif leur émancipation en développant leurs capacités d’analyse et d’action.

En Belgique francophone, on parle essentiellement d’éducation permanente. L’éducation permanente est soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui la définit dans son décret1 comme ceci :

L’éducation permanente a pour objectif de favoriser et de développer, principalement chez les adultes:
a) une prise de conscience et une connaissance critique des réalités de la société ;
b) des capacités d’analyse, de choix, d’action et d’évaluation ;
c) des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique.
La démarche s’inscrit dans une perspective d’égalité et de progrès social, en vue de construire une société plus juste, plus démocratique et plus solidaire, qui favorise la rencontre entre les cultures par le développement d’une citoyenneté active et critique et de la démocratie culturelle.

On parlera ici d’EP pour faire référence indifféremment à l’éducation populaire et l’éducation permanente.

Au travers de cette définition, nous pouvons identifier des convergences dans les valeurs et les finalités de ECMS et de l’EP : une société plus juste, plus solidaire, une citoyenneté active. Des divergences apparaissent également : l’ECMS s’inscrit historiquement dans la coopération au développement qui lui donne une dimension Nord-Sud, alors que l’EP s’intéresse à la société dans laquelle les personnes évoluent. Divergence notamment dans les publics, alors que l’ECMS est destinée à tout le monde et s’exerce aussi bien dans l’éducation formelle que le non formel, l’EP vise des adultes en dehors de l’éducation formelle. Historiquement, l’EP se centre également sur un public issu de milieux populaires, qui connait des situations de précarité.

Ces différents éléments ont amené l’EP à développer des méthodologies d’intervention propres qui peuvent venir nourrir les pratiques d’ECMS, en particulier dans les tournants qu’elle a pris ces dernières années.

Rapprochements

Un premier tournant est le passage à l’approche en termes d’interdépendance. L’ECMS a en effet connu un changement de paradigme motivé par une dynamique de remise en question des réflexes coloniaux,  l’ECMS s’est distancié d’une approche Nord-Sud où il s’agissait de rapporter au public Nord les réalités des populations du Sud, en vue de susciter la solidarité à une approche plus systémique d’interdépendance où populations du Nord et du Sud font partie d’un même système avec ses mécanismes de dominations, de production d’inégalités et de phénomènes qui se posent à l’échelle globale contre lesquels il faut  lutter et construire des alternatives.

Il ne s’agit plus de faire découvrir des réalités lointaines, sur lesquelles nous pouvons agir de façon ponctuelle et extérieure mais de faire prendre conscience d’enjeux mondiaux qui se déploient dans un système d’interdépendance dans lequel le public évolue au quotidien et prend part. L’enjeu est d’amener à identifier les manifestations de ce système dans son cadre de vie, de développer à partir de ces éléments du quotidien une analyse complexe et systémique, d’en comprendre les mécanismes de domination et de production des inégalités et d’identifier les leviers d’action pour les enrayer et devenir, individuellement et collectivement coresponsables et coproducteurs d’un monde plus juste, durable, inclusif et solidaire2.

Ceci a dans la pratique un effet sur la perception de la capacité d’action des publics d’ECMS. En effet, cette lecture en termes d’interdépendance amène à envisager une action dans son environnement direct comme pouvant avoir un impact, aussi minime soit-il, à une échelle globale. Ainsi, en réduisant notre empreinte écologique, nous luttons contre le phénomène global du changement climatique, en choisissant telle ou telle filière d’achat, c’est un modèle économique mondial que nous souhaitons influencer, en nous ouvrant à la diversité culturelle nous allons à l’encontre du repli identitaire qui plane sur nos sociétés, etc. « Chacun·e est concerné·e et coresponsable dans un monde interdépendant »3. Le slogan « Penser global, agir local » résume cette nouvelle approche.

Ce changement de paradigme amène les objectifs de l’éducation à la citoyenneté mondiale à entrer en résonnance avec les objectifs de l’éducation populaire ou permanente, et cette convergence dans les objectifs entraîne le champ de l’ECMS à s’enrichir des méthodologies de l’éducation permanente pour atteindre cette prise de conscience et cette mise en action des publics.

Un deuxième point de convergence entre le EP et l’ECMS apparait également avec le principe du « leave no one behind », « ne laisser personne derrière », qui émerge actuellement dans le champ de l’ECMS. Ce principe invite les acteurs de l’ECMS à porter une attention particulière à inclure les publics généralement laissés pour compte dans les programmes d’activités. Parmi eux on retrouve notamment des personnes fragilisées, des personnes aux statuts socio-économiques dévalorisés ou encore les groupes structurellement discriminés. Groupes pour lesquels il peut être nécessaire de développer des approches et stratégies éducatives particulières. Celles-ci  peuvent être puisées dans les expériences d’EP qui comme nous l’avons vu, travaille traditionnellement en priorité avec ces publics.

Des pédagogies critiques et transformatrices

La pédagogie critique est un mouvement de pensée attribué à Paulo Freire (1921-1997), pédagogue brésilien qui a développé une didactique centrée sur l’alphabétisation des adultes en milieux ruraux et précaires. En quelques mots, le fondement de la pédagogie critique est de : « Partir des expériences vécues pour permettre la conscientisation des rapports sociaux de domination, et agir en vue d’une transformation sociale» Mais pas n’importe quelle transformation sociale puisque : « Les pédagogies critiques participent à un projet politique de remise en cause de l’ordre néo-libéral et des dominations de toutes sortes (sexistes, racistes, ou de classe). » Au cœur de cette pédagogie, réside le principe que les premiers concernés par une telle situation, ont la capacité et les moyens de changer le cours des choses.

De cette pédagogie nous soulignerons deux points clés : celui de partir du vécu des participants et celui de la posture de l’animateur·trice.

Vivre le système

Le premier moment de la pédagogie critique, est celui de la conscientisation des systèmes de dominations et des inégalités sociales. L’apport de l’éducation permanente est, dans le processus qui nous occupe, d’identifier avec les participant·e·s des évènements dans leur vécu qui sont la manifestation d’inégalités systémiques. Ces évènements, vécus de manière individuelle sembleront souvent accidentels et/ou liés à un contexte particulier aux yeux des personnes qui l’ont vécu : à leur parcours de vie, à une relation particulière, etc. ; des « anecdotes » qui seront lues et analysées par la personne selon des critères interpersonnels ou situationnels.

Identifier ces évènements demande de s’intéresser aux discours et pratiques infra-politiques, des analyses que s’expriment hors de l’espace public. Concrètement, cet infra-politique peut tout simplement s’exprimer à travers des remarques, des émotions exprimées… Il s’agit parfois de débats a priori anodins mais qui révèlent en fait l’opportunité de « capter » dans son groupe, une expertise et une légitimité « de dire les choses ». Une énonciation qui montre une capacité de compréhension de la production et de la reproduction de la violence subie ou constatée pour les autres, des besoins à faire valoir, des solutions à y apporter. Le travail d’animation consiste à faire émerger le récit de ces expériences et à les faire résonner avec des d’expériences similaires d’autres membres du groupe.

Au travers de ces échanges, les participant·e·s passent peu à peu d’une lecture situationnelle à une lecture systémique, les faisceaux de faits permettent de dégager des mécanismes plus généraux : ce n’est plus seulement une tâche qui est venue alourdir la charge de travail, c’est une pression toujours plus grande sur les travailleurs liée à un système productiviste, ce n’est plus seulement un rapport à son corps qui est problématique mais le diktat d’un modèle imposé par le publicité pour soutenir le consumérisme. Ce n’est plus seulement une insulte vis-à-vis d’une femme ou d’une personne racisée, c’est l’autorisation sociale du racisme/sexisme reposant sur des rapports de domination entre sexe/race, etc.

Cette étape de monter en généralité à partir d’expériences particulières a comme effet également de revaloriser le savoir expérientiel et par-là de redonner confiance dans leur savoir à des personnes qui pourraient avoir développé un sentiment d’infériorité sur le plan de la connaissance ou de la légitimité d’expression. Afin de donner aux participant·es toutes les clés de compréhension et d’analyse complexe d’une problématique, l’animateur·trice a un rôle de mise en contact des participant·es avec des savoirs théoriques. Il ou elle proposera le visionnage d’un documentaire, la rencontre avec une expert.es, la lecture collective d’un livre, la visite d’une expo, etc.

La mise en récit collective, et la compréhension des phénomènes sous-jacents qui en découlent permettent de « politiser » la problématique, c’est-à-dire de la poser dans l’espace public, et d’en faire une question de société sur laquelle les citoyen·nes peuvent se positionner et agir. En effet, prendre conscience du fait que les inégalités sociales n’ont rien de naturel, c’est également comprendre qu’il est possible de transformer la société.

Dans cette perspective, l’une des forces d’enraciner un processus dans l’expérience vécue, au-delà de pouvoir incarner dans le concret une violence du système, c’est d’utiliser ces sentiments d’injustice, d’indignation, de révolte, comme ressort de l’action.

En ce qui concerne la mise en action, le processus impliquera un travail d’identification de ce que les participant.es peuvent et veulent faire changer et comment ils ou elles peuvent le faire. Cette action pourra prendre de multiples formes : mise en place d’une activité de sensibilisation à destination de leurs pairs, interpellation des pouvoirs publics, modification dans l’espace de vie, création artistique, etc. Le rôle de l’animateur·trice sera de désamorcer le sentiment d’impuissance, d’ouvrir des perspectives d’action, d’accompagner dans l’identification du projet, de proposer des outils pour sa construction et de donner des balises pour que le projet reste dans le cadre du bien commun et des missions de l’organisation.

Le processus de mise en récit individuel, puis collectif d’une injustice, de travail de compréhension du phénomène, puis de mise en projet n’est pas linéaire, des aller-retours entre les différentes étapes ont constamment lieu.

L’égalité des savoirs

En ce qui concerne la posture de l’animateur·trice, dès le moment où l’on considère que nous sommes traversé.es par un système que l’on souhaite changer, les choix pédagogiques et la posture de l’animateur·trice deviennent capitaux. Il s’agit de réaliser un travail réflexif et personnel, pour ne pas reproduire dans les groupes, les mêmes systèmes de dominations, qui ont cours au sein de la société. En effet, les lieux d’apprentissages sont rarement des  endroits neutres, mais tendent au contraire à perpétuer le système et les rapports de dominations établis. L’animateur·trice devrait s’interroger sur ces rapports de dominations, mais également sur sa propre trajectoire sociale, sa position, et les représentations qu’il·elle   à propos des personnes avec qui il·elle est amené·e à travailler, ainsi que ses éventuels préjugés, afin de les désamorcer. Les personnes perçoivent d’où l’on vient, ce que l’on a traversé et si on fournit l’effort de les connaître et les écouter, il faudra donc veiller à maitriser les codes qui nous permettent d’entrer en contact avec le public. C’est en réalité beaucoup plus complexe que de simples outils d’animation et d’activation de groupe.

Il importe donc d’adopter une posture d’écoute, voire d’humilité. L’animateur est à la fois acteur et récepteur du savoir, prêt à admettre que les membres de son groupe, lui transmettront des connaissances qu’il ne possède pas. Chacun est expert de sa réalité, l’égalité des savoirs est ici un principe central, dans la démarche : l’animateur à autant, voire plus, à apprendre des participant·es que les participant·es de l’animateur. En effet, s’il est question des violences du système, ceux qui en sont victimes peuvent certainement mieux en témoigner que ceux qui sont plus facilement du côté des privilégiés.

Enfin, pour emmener un collectif vers une dynamique de changement et de transformation sociale et culturelle, il est également nécessaire d’intégrer des conditions liées aux modes de collaboration, d’organisation et de distribution des rôles et pouvoirs. En d’autres termes, il faut que le cadre du projet soit démocratique. Si l’on créé ou que l’on anime une initiative d’EP ou d’ECMS et que nous tenons le rôle du sachant, que c’est nous qui possédons tous les pouvoirs, cela ne peut porter ses fruits, d’où l’intérêt de toujours proposer de répartir et nommer le pouvoir et les rôles pour rendre le cadre de l’initiative le plus horizontal possible, et donc de donner au public le plus de pouvoir possible au niveau du contenu du projet et des décisions à prendre. L’idée est que le projet soit le laboratoire du changement que le projet porte pour la société dans son ensemble.

 


Notes :

1 http://www.educationpermanente.cfwb.be »>http://www.educationpermanente.cfwb.be

2 Nous faisons référence ici à la définition proposée par les ONG belges reprises dans le référenciel Acodev : https://www.acodev.be/ressources/referentiel-de-leducation-citoyenne-mondiale-et-solidaire-2016

3 Op cit. 2

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