Bâtir des rencontres interculturelles

publié par UniverSud en Mai 2017

La xénophobie, le repli sur soi, la peur de l’autre montent un peu partout. Nous en avons beaucoup entendu parler en France lors des élections présidentielles avec le score historiquement haut du Front National, mais la Belgique, malgré sa réputation de nation chaleureuse et accueillante, n’y échappe pas. C’est en tout cas ce que montre l’enquête « Noir Jaune Blues »[1] publiée en janvier dernier par la RTBF. Cette enquête acte l’échec de la construction du vivre ensemble en Belgique. En effet, pour reprendre quelques chiffres deux tiers de la population considèrent qu’il y a trop d’immigrés, que nous sommes envahis, que cela constitue une menace pour notre société, son identité et ses valeurs et que cela représente une concurrence dans l’accès au travail et/ou à la protection sociale[2]. Les musulmans, trop souvent associés à l’islam radical et au terrorisme, sont en particuliers visés par cette peur et ce rejet. Le corollaire de cela est que 69% des musulmans se sentent regardés comme des étrangers alors qu’ils sont de nationalité belge. Ces quelques chiffres laissent  poindre une spirale infernale de défiance et de rejet des uns et des autres.

Et pourtant ! Si cette enquête met en lumière une xénophobie exacerbée par les multiples crises en cours, elle n’en contient pas moins des signes d’espoir. En effet, un quart des répondants croient qu’une société meilleure est possible et veulent plus que jamais s’ouvrir à l’autre. Avec eux, nous pensons qu’il est possible de briser le cercle vicieux de la méfiance en multipliant les espaces de rencontre. Dans ce qui suit, je raconterai l’un de ces moments d’échange : le Forum Alternatif pour Bâtir une Rencontre Interculturelle et Citoyenne (FABRIC) auquel j’ai eu la chance de participer.

Qu’est-ce que la FABRIC ?

La FABRIC est une initiative organisée en été 2016 née de l’association entre trois associations actives dans trois pays différents : UniverSud-Liège en Belgique, Étudiants et Développement en France et Carrefour Associatif au Maroc. Ce projet avait pour but de tisser des liens et de construire une vision commune de la citoyenneté entre des jeunes de cultures différentes. Cet évènement organisé en deux voyages de 5 jours au cœur de la capitale française a permis à 8 étudiants de chaque pays d’échanger sur leur vision de l’Éducation à la Citoyenneté et la Solidarité Internationale (ECSI).

Qu’est-ce que la FABRIC nous a apporté ?

Des outils pédagogiques à exporter sans restriction

Pédagogiquement parlant, la FABRIC a été conçue dans le but de transmettre certaines compétences aux participants telles que l’expression en public, le développement de l’esprit critique et la pédagogie de l’éducation non-formelle.

Pour acquérir ces compétences, rien de mieux que de les appliquer dans un projet réel. Pour cela, nous avons formé des sous-groupes pour élaborer dans chacun d’eux un outil de sensibilisation à la citoyenneté mondiale et solidaire. Celui dont je faisais partie était en charge de créer un jeu de grande ampleur potentiellement transposable dans chacun des trois pays représentés. Après plusieurs sessions de brainstorming et d’organisation, nous avons créé un jeu haut en couleur, amusant et éducatif.

Notre idée est de proposer à des groupes de tous âges un grand jeu sur le thème du voyage dans le temps. Les participants sont envoyés dans un futur où le monde va mal, leur mission est alors de sauver la terre. Par équipe, ils passent de poste en poste où ils réalisent  des épreuves. Chaque épreuve, en fonction de la réussite ou de l’échec, rapporte un cadeau ou un fardeau. Par exemple, mal réalisée l’épreuve sur l’environnement oblige l’équipe à porter deux couches de vêtements supplémentaires jusqu’à la fin du jeu – pour rappeler le réchauffement climatique. On le comprend donc, les épreuves sont en fait des moments de réflexion sur différentes thématiques telles que l’interculturalité, les problématiques liées à l’environnement et à la surconsommation.

Au-delà de ce grand jeu d’animation ludique et pédagogique, un deuxième sous-groupe a créé un théâtre-image : un outil qui par une mise en scène figée dénonce une situation et suscite la discussion alors qu’un troisième sous-groupe participait à un atelier d’écriture.

La réelle richesse : abondance interculturelle

Au-delà des nouvelles compétences acquises durant les deux sessions du forum, la formation nous a permis de nous rendre compte de la situation citoyenne dans les pays représentés et d’avoir accès à des points de vue inédits de personnes vivant au jour le jour certaines réalités, différentes des nôtres. Comment les jeunes au Maroc engagent-ils les personnes vivant dans les villages : principalement en marocain ou en français ? Les Belges arrivent-ils à toucher les trois parties linguistiques de leur pays ? Comment, en France, fait-on pour engager les citoyens dans des activités prônant l’interculturalité en dépit de la xénophobie montante suite aux multiples attentats terroristes ?

Ces questionnements, posés dans un espace multiculturel, donnent des clés précieuses pour comprendre l’autre. J’ai ainsi pu créer des liens forts malgré les kilomètres, et je peux désormais continuer à collaborer sur des projets d’ECSI avec les personnes rencontrées à la formation. En somme, je me sens grandie grâce à l’expérience vécue à la FABRIC.

Mais surtout, en ces périodes d’accroissement du repli identitaire, pouvoir rentrer chez soi et témoigner d’expériences positives contrecarre cette tendance au renferment. C’est ainsi que je peux raconter aujourd’hui comment une « simple » formation de dix jours m’a permis d’en apprendre plus sur la religion musulmane, d’évoluer par rapport au « clivage franco-belge » et de rencontrer des personnes de ma ville qui partagent mes idées sur le monde. En effet, j’ai eu l’occasion d’échanger avec plusieurs femmes musulmanes à propos de sujets qui m’étaient totalement étrangers : pourquoi portent-elles le voile ? Leur mariage et leur vie au Maroc, leur relation avec Dieu… Et leurs réponses aussi étaient teintées de diversité ! Une jeune femme à peine plus âgée que moi m’expliquait les désaccords qu’elle vivait avec ses parents sur le mariage alors que la coordinatrice de notre projet en sous-groupe, une femme mariée dynamique, m’expliquait à quel point elle chérissait sa relation avec son mari et celle avec son Dieu. En tant qu’agnostique, j’ai aussi pu discuter avec elles du lien entre la religion et la science et ai été surprise d’apprendre que de grands noms de la théologie musulmane étaient aussi des scientifiques.

Ensuite, il est vrai que, même si ce n’est pas ma plus grande fierté, j’ai toujours ressenti une sorte de « compétition » avec les français. Ayant déjà participé à des formations en France (même si celles-ci n’avaient rien à voir avec l’ESCI), j’ai déjà vécu des rencontres qui s’étaient moins bien passées, revenant toujours sur un schéma « les belges contre les français ». Pendant la FABRIC, cette rivalité s’est plutôt transformée en camaraderie.

Finalement, je chérirai longtemps la rencontre de plusieurs personnes de ma ville qui, pour la plupart, ont suivi leurs études dans la même université que moi. Sans cette initiative, je ne les aurais probablement jamais rencontrés et pourtant, deux semaines après notre retour en juillet, nous organisions déjà des week-ends ensemble pour visiter la capitale et souper les uns chez les autres, de véritables amitiés sont nées.

Bien sûr, comme dans toutes expériences, il y a aussi eu des désaccords. En mettant 24 jeunes personnes d’horizons différents dans une pièce et en leur demandant de débattre, il ne peut y avoir consensus immédiatement. En guise d’exemple,  nous avons eu des désagréments pour construire l’outil pédagogique dont j’ai parlé plus haut. Nous n’étions pas toujours d’accord, principalement car nos expériences respectives de l’éducation à la citoyenneté dans nos pays étaient différentes. Ceci était d’autant plus enrichissant car, par la suite, quand nous arrivions à nous mettre d’accord, la solution choisie était un compromis, imprimé des expériences de chacun et par conséquent qui pouvait convenir à toutes sortes de publics ; ce qui n’aurait pas forcément été le cas si nous n’avions travaillé qu’avec des personnes venant du même milieu culturel.

Des espaces de dialogue à multiplier

Le projet de la FABRIC est un exemple, il y en a bien d’autres qui permettent de confronter nos diversités et de construire un dialogue.

Au-delà des compétences qu’ils permettent d’acquérir, ces projets de rencontres entre personnes de différents horizons créent des expériences interculturelles positives dont les participants peuvent ensuite témoigner. Ils deviennent alors porteurs d’un message d’espoir vis-à-vis du reste de la société : la diversité culturelle est une richesse, pas une menace. C’est en multipliant ce type d’échanges et de rencontres pour apprendre à connaitre l’autre et le comprendre que l’on luttera contre mettra fin à la spirale infernal de la peur et que l’on construira une société plus ouverte.

 

[1] Noir-Jaune-Blues est une enquête menée par l’lnstitut Survey&Action, dirigé Benoît Scheuer, sur commande de la Fondation Ceci n’est pas une crise avec pour objectif mesurer des représentations sociales des perceptions des Belges. Enquête complete: http://www.cecinestpasunecrise.org/content/uploads/2017/01/Noir-Jaune-Blues-Rapport-denquete-complet-Dec-2016-.pdf

[2] Il s’agit ici de perceptions qui en réalité sont biaisés. Par exemple, la proportion de musulmans dans la société est généralement très sur-évaluée : elle est estimée à 30% alors qu’elle n’est en réalité que de 5,8%. (Cfr enquête Noir Jaune Blues p.46). Pour une déconstruction des préjugés sur les migrants voir Amnesty : 10 préjugés sur la migration : https://www.amnesty.be/camp/asile/prejuges/nimportequoi

Philanthropie et solidarité internationale : des ressources privées au service d’un intérêt général mondial ?

publié par UniverSud en Juin 2017

Alors que « La Bolivie dit non aux milliers de poules offertes par Bill Gates »,[1] « Mark Zuckerberg parle pauvreté chez le Pape François ».[2] À la lecture de ces deux phrases, mises bout à bout, nous imaginons déjà s’esquisser les sourires amusés aux coins des lèvres de ceux qui s’intéressent aux questions de solidarité et de relations internationales, de rapports Nord-Sud, de coopération au développement. « Pourquoi ces multimillionnaires, génies des nouvelles technologies viennent se mêler des inégalités dans le monde ? », doivent-ils penser…

 

D’ordinaire, la philanthropie est liée aux notions de charité, d’altruisme, de bienfaisance, de générosité, et j’en passe. Etymologiquement, la philanthropie est définie comme l’amour (philos) de l’homme (anthropos). En pratique, la philanthropie est considérée comme un transfert de ressources privées au service d’un intérêt général, du bien commun et d’une meilleure qualité de vie d’autrui. Néanmoins, bien que parties intégrantes du tiers-secteur, la philanthropie, son rôle et ses enjeux restent peu – voire mal – connus, de manière générale et notamment en coopération au développement. En conséquence, l’acte philanthropique n’est que trop rarement remis en question ou, du moins, considéré sous un angle un tant soit peu critique.[3]

 

Et pourtant, questionner le rôle de l’action philanthropique au sein de l’espace public se révèle particulièrement important, et même essentiel. En effet, les décisions en matière d’intérêt général, en ce compris la coopération internationale, ne sont aujourd’hui plus uniquement du ressort des autorités gouvernementales  – à considérer qu’elles l’aient jamais été. Aux choix collectifs consensuels se substituent des préférences individuelles multiples. Désormais, dans notre société interconnectée et interdépendante, chacun peut se faire philanthrope à sa manière et exporter sa philanthropie où il l’entend. Un exemple récent : le youtubeur français Jérôme Jarre est parvenu à récolter deux millions de dollars en quelques jours à peine pour lutter contre la famine en Somalie.[4] Il apparaît aujourd’hui légitime de s’interroger : quelles influences, positives et négatives, les ressources privées exercent-elles sur une mission d’intérêt aussi général que l’amélioration des conditions de vie des populations du Sud et la réduction des inégalités de par le monde ?

 

Quel état du financement du développement à l’heure actuelle ?

 

Si le cœur de cette réflexion est de considérer le rôle des ressources privées – financières en majorité – dans le secteur de la solidarité internationale, il importe de commencer par se pencher sur l’état du financement du développement à l’heure actuelle. En juillet 2015, s’est tenue à Addis Abeba, Ethiopie, la Troisième Conférence internationale sur le Financement du Développement. Cette conférence définit le cadre de financement de l’aide, et plus spécifiquement des Objectifs de Développement Durable (ODD). Sa particularité par rapport aux précédentes conférences onusiennes ? Elle insiste sur la nécessité de mobiliser des ressources alternatives – issues du secteur privé notamment – aux budgets nationaux.

 

Tout qui fait l’exercice d’évaluer les budgets supposément nécessaires à la réalisation de ces ODD dirait, sans la moindre hésitation, que l’ONU a, effectivement, toutes les raisons d’insister. Les montants annoncés pour financer ces objectifs s’élèvent entre 3 et 5 milles milliards USD… par an.[5] Soit légèrement au-dessus des 146 milliards USD que représentaient l’aide publique au développement (APD)[6] allouée par les pays membres du Comité d’aide au développement (CAD)[7] de l’OCDE pour l’année 2015.[8] Soyons ambitieux et ajoutons à ces 3 à 5 milles milliards les 13 à 15 milles milliards USD d’investissement entre 2015 et 2030 que l’Agence internationale de l’Energie estime nécessaires pour financer la réalisation de l’Accord de Paris sur le climat, adopté lors des négociations de la COP21 en décembre 2015.[9] À la vue de ces chiffres faramineux, il devient évident que les gouvernements ne pourront, à eux seuls et sur la base du système économique et bancaire actuel, fournir, au travers de l’aide publique, qu’une mince portion des montants requis ;  surtout s’ils continuent d’amputer leur montant d’APD de quelques pourcents chaque année, à l’instar de la Belgique.[10] Mais tout reste une question de choix politiques.

 

À la suite de cet exposé chiffré sur l’état du financement du développement, une question nous vient à l’esprit : concrètement, que représente, parmi tous ces milliers de milliards, le budget philanthropique alloué à la coopération au développement ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Selon la base de données statistiques de l’OCDE,[11] les apports totaux privés et publics des pays membres du CAD s’élèvent à 588 milliards USD pour l’année 2014.[12] D’une part, les apports et dons privés représentent 445 milliards USD, soit un peu plus de 75% du total de 588 milliards USD. Autrement dit, sans avoir attendu le programme d’Addis Abeba, les ressources privées dominent d’ores et déjà les flux de financement du développement. D’autre part, parmi ces 445 milliards USD de flux privés, seuls 32 milliards concernent les fondations et les bras philanthropiques des entreprises (et encore, rassemblés avec les ONG), soit 6% du total de 588 milliards USD. Autrement dit, pas grand-chose…

 

Poussons la réflexion un pas plus loin et considérons les données pour l’années 2004, soit dix ans auparavant. L’apport de l’APD était de 97 milliards USD (137 en 2014) et les dons privés (dont ONG) étaient de 14 milliards USD (32 en 2014). Les dons privés ont fait un bon de presque deux fois et demi, alors que l’APD n’a augmenté que d’une fois et demi. Compte tenu de ce rythme de croissance, certains chercheurs en sont venus à affirmer que les dons privés égaleraient, voire dépasseraient, bientôt les montants de l’APD. Selon ces chercheurs, sur les presque 100 milliards USD d’APD en 2004, seul un tiers a été alloué à des programmes de développement à long terme,[13] soit un montant proche des 32 milliards de dons privés avancé par l’OCDE.

 

Si l’argumentation de ces chercheurs parait tenir la route, il ne faut pas oublier qu’il est encore, à ce jour, compliqué de définir ce que l’on entend par acteurs et organisations philanthropiques, tant les catégorisations, les pratiques et les législations nationales en la matière sont nombreuses. Les montants supposés du financement philanthropique du développement se révèlent trop volatiles pour en tirer une quelconque conclusion générale. La littérature, tant scientifique que grise, regorge de chiffres aussi différents les uns que les autres, suivant le périmètre considéré. Par contre, même si les chiffres fournis par l’OCDE ne sont probablement pas tout à fait exacts, ils permettent de donner un ordre de grandeur. Et il apparait indéniable que la part des subsides publics alloués au secteur associatif diminue chaque année. Les résultats du dernier baromètre de Donorinfo confirment eux aussi cette diminution : « en 2015, la part des financements privés pro- gresse (60,2% des produits 2015 contre 59,2% en 2014), celle des subsides publics se contracte (35% des produits 2015 contre 36% en 2014) ».[14] En matière de coopération au développement plus précisément, l’aide belge ne cesse de diminuer depuis 2010 et l’intention du Cabinet De Croo est de continuer à opérer des coupes budgétaires jusqu’en 2019.[15]

 

Quelle participation de la philanthropie à la coopération internationale ?

 

En réalité, la présence et la progression des ressources privées et philanthropiques dans les flux de financement du développement n’ont rien d’étonnant. La participation des acteurs privés philanthropiques au financement de la solidarité internationale n’est pas neuve, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Comme le soulignent Gautier Pirotte et Julie Godin dans leur « Enquête sur les Initiatives Populaires de Solidarité Internationale », dans l’histoire de la coopération, « […] depuis toujours, initiatives privées et interventions publiques ont coexisté [et] l’initiative privée domine largement », voire précèderait le financement public.[16] Quelques exemples en termes d’action philanthropique : dès 1920, la Rockefeller Foundation soutient des actions en matière de santé hors des frontières américaines ; en 1940, elle initie la Révolution verte au Mexique et ambitionne d’éradiquer la faim dans le monde ; en 1980, sa consœur, la Ford Fondation, finance Yunus et sa célèbre Grameen Bank, amorçant ainsi l’ère du micro-crédit.[17] Plus récemment : la Ford Foundation a soutenu la 21e International AIDS Conference à Durban ; et la Bernard van Leer Foundation, bien connue aux Pays-Bas, est parvenue à convaincre le gouvernement brésilien de l’efficacité de ses projets en matière de santé à destination des populations amazoniennes.[18]

 

Par contre, la participation des acteurs philanthropiques aux conférences onusiennes traitant du financement et de l’efficacité de la solidarité internationale, comme celle d’Addis Abeba, est, quant à elle, un évènement (très) récent. Ni le Consensus de Monterrey sur le financement du développement de 2002, ni la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide de 2005 ne font mention du rôle potentiel du secteur philanthropique pour atteindre leurs objectifs. En 2008, la Déclaration de Doha et le Programme d’Action d’Accra, qui réaffirment les deux précédents accords, évoquent simplement la nécessité de chercher d’autres sources de financement pour compléter l’APD. Ce n’est qu’en 2011, avec le Partenariat de Busan, que la contribution des fondations – acteurs philanthropiques par excellence – est officiellement reconnue. Pourtant, une seule fondation est représentée cette année-là en Corée du Sud : la Bill & Melinda Gates Foundation.[19] Il faut attendre la 69e Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 2014, pour voir la création d’une plateforme visant à faciliter et visibiliser l’engagement philanthropique en faveur de la réalisation des ODD.[20]

 

Entre moins-values et plus-values, le paradoxe philanthropique ?

 

Dès lors, puisque le financement privé de la coopération au développement n’est pas une nouveauté en soi, mais que la diminution des subsides publics se fait de plus en plus grande et que les fondations et autres acteurs philanthropiques participent davantage aux conférences onusiennes, il importe de s’interroger sur les influences potentielles, positives (plus-values) et négatives (moins-values), de l’action philanthropique.

 

La philanthropie émane d’un choix individuel, d’une vision personnelle du philanthrope de ce qui relève ou non de l’intérêt général. Le philanthrope a, inévitablement, tendance à favoriser certaines causes qui lui paraissent davantage légitimes. Ce choix individuel rencontre rarement la majorité. Cet aspect critique est appelé particularisme philanthropique. Et si le choix d’une mission d’intérêt général est laissé à l’appréciation d’un individu, il apparait évident que ce même individu ne peut disposer, à lui seul, des ressources financières et matérielles suffisantes pour répondre pleinement, efficacement et professionnellement à la cause choisie. Sont ainsi critiqués le caractère insuffisant et l’amateurisme de la philanthropie.[21]

 

Par conséquent, certains domaines, plus compliqués à évaluer, moins visibles, moins sexy – l’éducation à la citoyenneté mondiale, à titre d’exemple – peuvent être délaissés par le financement privé. Et d’autres domaines, a contrario, peuvent se voir accaparés par les acteurs privés, aucune décision ne pouvant plus être prise sans leur aval – la santé publique des pays du Sud, par exemple.[22] Il existe ainsi un risque de paternalisme philanthropique, autrement dit les individus les plus fortunés, et donc potentiellement les plus influents, prennent le contrôle, sans consultation démocratique préalable, de telle ou telle cause d’intérêt général, visant précisément une société plus juste et égalitaire. Après tout, la philanthropie ne doit-elle pas son existence à cette répartition inégalitaire des richesses ? Et, in fine, ne participerait-elle pas à la reproduction d’un système qui pourrait être qualifié de ploutocratique ?[23]

 

Prenons l’exemple de la Bill & Melinda Gates Foundation. Avec un budget deux fois supérieur à celui de l’Organisation Mondiale de la Santé et en tant que second bailleur de fonds de l’organisation onusienne, la fondation du créateur de Microsoft exerce une influence certaine dans le secteur de la santé publique à travers le monde. Et pourtant, le placement du capital de la fondation Gates, notamment dans des compagnies pétrolières, peut difficilement être qualifié de « socialement responsable ». En effet, celui-ci, bien qu’utilisé pour financer les missions d’intérêt général que se donne la fondation, n’est pas toujours cohérent avec ces mêmes missions.[24]

 

À ces aspects critiques anti-démocratiques, la philanthropie et ses adeptes répondent par une série de plus-values, comblant les failles du financement étatique et de l’aide publique au développement. Par leur contribution aux activités de coopération internationale, les structures philanthropiques enrichissent, au sens propre comme au figuré, la communauté du développement. N’étant contraintes par aucun accord intergouvernemental, les philanthropes auraient tendance à proposer d’autres méthodes, en dehors des cadres paradigmatiques traditionnellement revendiqués. Les inclure dans cette communauté du développement diversifie les valeurs et représentations qui la composent, offrant l’opportunité d’aborder un même problème sous différents angles. Ce pluralisme d’opinions contribue au renforcement d’une société dynamique, ouverte et inclusive. N’est-ce pas justement le propre d’une société démocratique de réunir en son sein des acteurs se différenciant sur autant de variables que sont les expériences culturelles et éducatives, les convictions politiques, économiques et sociales, les obédiences religieuses… ?[25]

 

Poussons la réflexion un pas plus loin. En ce sens, la philanthropie ne ferait-elle pas partie intégrante de la société civile ? De par son pluralisme et sa rencontre avec l’intérêt général, la philanthropie serait constitutive de cet espace d’échange public où l’ordre politique au sens large est débattu, voire remis en cause. D’une certaine manière, les organisations philanthropiques en solidarité internationale sont des acteurs politiques, au sens où elles permettent de penser le développement autrement. En cela, la philanthropie peut se revendiquer de la démocratie : elle remet potentiellement en question le monopole gouvernemental sur les priorités du Sud.[26] Mieux encore : la philanthropie peut devancer l’action publique et stimuler la création de partenariats porteurs d’idées qui ont fait leurs preuves. Puisque l’indépendance des philanthropes n’a de limite que leurs finances et leur engagement, ils ne sont pas tenus de répondre aux attentes de l’électorat, ni aux préoccupations des actionnaires, ni aux exigences des bailleurs de fonds et disposent, ainsi, d’une plus large marge de manœuvre que les gouvernements, les entreprises et les ONG. Par conséquent, ils disposent également de l’opportunité de mener des projets à la fois innovants et de long-terme, souples et sans embarras bureaucratique, et de se positionner en joueurs de niches, pour tester des formes de coopération singulières. Ils peuvent faire office de « learning laboratory » et développer une connaissance pointue de certaines causes, régions et communautés.[27]

 

Prenons un exemple belge pour illustrer cette plus-value philanthropique. En mai 2016, une coopérative de café du Burundi a pu ouvrir sa propre usine de traitement, grâce à l’investissement réalisé par le fonds à impact social Kampani. Créé à l’initiative de diverses ONG et investisseurs privés, dont la Fondation Roi Baudouin, ce fonds se donne pour mission de soutenir les organisations agricoles jugées trop petites pour se voir accorder un prêt par les institutions bancaires classiques et trop grandes pour accéder au micro-crédit. Ainsi, Kampani est unique en son genre sur deux aspects. D’une part, il se positionne entre l’entreprise traditionnelle et l’acteur philanthropique : les investissements réalisés sont, une fois récupérés, réutilisés pour soutenir d’autres organisations agricoles. D’autre part, il vient combler un vide dans les possibilités d’accès à des financements. Grâce à Kampani, la coopérative ne dépend plus de tiers pour traiter ses grains de café. Sachant que plusieurs milliers de familles burundaises vivent grâce au secteur du café, l’intervention du fonds d’impact apparaît non négligeable.[28]

 

Aurait-on trouvé là, en dépit des possibles dérives anti-démocratiques, le remède miracle à tous les maux dont souffre l’humanité ? Ce serait sans compter le manque de transparence qui caractérise souvent le secteur philanthropique. Selon les législations nationales en vigueur, les philanthropes sont contraints ou non de divulguer les informations liées à la gestion de leurs fonds. Ainsi, il est parfois difficile d’obtenir des informations précises quant à la conduite des soutiens philanthropiques en solidarité internationale. Les risques de fragmentation, de saupoudrage et de duplication de l’aide peuvent, en conséquence, être accrus. Or, s’il n’existe pas de véritable culture du partage de la part des organisations philanthropiques, le capital intellectuel construit ne peut être pleinement utilisé et ne peut favoriser la création de potentiels partenariats publics-privés. Et en cela réside tout le paradoxe philanthropique : entre contribution originale et discrétion contestable.[29]

 

Réflexions, questionnements et pistes d’action

 

C’est sur ce paradoxe que se fonde notre réflexion en matière d’action philanthropique en solidarité internationale.

 

Nous l’aurons compris : que les budgets nationaux alloués à la coopération au développement – et à toute autre thématique sociale – diminuent et que les ressources privées se fassent de plus en plus présentes ne constitue pas un problème en soi et pourrait même se révéler positif. Chacun de ces modes de financement possède des atouts et des faiblesses. Par contre, que la part du public disparaisse complètement et que celle du privé se rende indispensable et prenne le contrôle de certaines missions d’intérêt général, plaçant association et organisation qui défendent ces missions en situation de dépendance, pourrait se révéler problématique. Il convient de se demander si cette relation de dépendance et les exigences qui l’accompagnent ne pourraient constituer une entrave à la capacité de contre-pouvoir dont doivent pouvoir faire preuve les organisations de la société civile. In fine, la philanthropie ne serait alors qu’un emplâtre sur une jambe de bois, perpétuant les relations de pouvoir inégalitaires, à l’encontre du paradigme d’empowerment qui régit la coopération au développement d’aujourd’hui. Cet enjeu, certains acteurs l’ont bien saisi, preuve en est le réseau EDGE Funders Alliance, qui vise un changement systémique, une transition vers une société plus juste et équitable.[30]

 

Et si, pour éviter cette situation problématique et continuer d’insister sur la nécessité de mobiliser des ressources alternatives aux budgets nationaux, les pouvoirs publics, étatiques et multilatéraux structuraient davantage, à coup de recommandations et bonnes pratiques, les organisations philanthropiques actives en solidarité internationale ? Guidelines et autres plateformes créées par l’OCDE et l’ONU vont dans ce sens. Il s’agit ni plus ni moins d’élaborer la « Déclaration de Paris, d’Accra, de Busan… » de la philanthropie, afin d’éviter les écueils subis par les acteurs gouvernementaux en matière de développement à la fin des années 1990. Or, depuis dix ans, nombreux sont ceux qui se sont penchés sur ces accords inter-gouvernementaux et ont exprimé leurs doutes quant aux progrès réalisés dans le cadre de l’agenda de l’aide. Arnaud Zacharie, notamment, souligne que cet agenda « a continué de ne pas suffisamment prendre en compte la nature politique de l’aide au développement, en la présentant comme un domaine technique dans lequel les parties prenantes ont une vision consensuelle du développement ».[31]

 

Or, compte tenu de la diversité des philanthropes, de leur pluralisme d’opinions et du peu de données dont nous disposons à leur sujet, il est légitime de se demander si un accord consensuel pourrait dépasser la vision théorique et être appliqué en pratique. Il nous semble important de reconnaitre la nécessité d’améliorer la transparence de l’action philanthropique. Néanmoins, il nous faut également reconnaître qu’un « code de conduite philanthropique » risquerait de limiter leur capacité pluraliste et innovatrice, les assimilant aux acteurs gouvernementaux, souvent piégés dans et par leur carcan paradigmatique. La question reste ouverte.

 

Au final, nous recommandons à chacun de s’informer pour s’éloigner des idéologies obtuses qui confinent un peu trop rapidement le financement privé aux notions de particularisme, d’insuffisance, d’amateurisme, d’opacité et de paternalisme, et de s’approcher d’un pragmatisme éveillé à la découverte, à la compréhension et à l’appréciation de modes opératoires et d’alternatives économiques et financières, peut-être peu usuels, mais qui offrent la possibilité de viser un même objectif de solidarité sous différents angles. En conclusion, la philanthropie en solidarité internationale doit peut-être simplement être appréhendée comme une opportunité d’interactions entre secteurs, publics et privés, collectifs et individuels, profit et nonprofit, pour atteindre un objectif commun ; une opportunité d’ouvrir de nouveaux espaces de collaboration entre différents acteurs qui se côtoient et se connaissent généralement peu.

 

Elodie Dessy

Le contenu de cet article se base en grande partie sur une recherche exploratoire plus vaste menée dans le cadre de la réalisation du mémoire de fin de Master en Sciences de la Population & du Développement, Faculté des Sciences Sociales, Université de Liège.

[1] Titre d’un article du Vif / L’Express paru le 16 juin 2016. Pour accéder à l’article complet : http://www.levif.be/actualite/insolite/la-bolivie-dit-non-aux-milliers-de-poules-offertes-par-bill-gates/article-normal-513341.html, dernièrement consulté le 16 novembre 2016.

[2] Titre d’un article du Monde paru le 30 août 2016. Pour accéder à l’article complet : http://www.lemonde.fr/international/video/2016/08/30/mark-zuckerberg-parle-pauvrete-chez-le-pape-francois_4989762_3210.html, dernièrement consulté le 16 novembre 2016.

[3] Maxime Fortin, novembre 2015, « Justice sociale et philanthropie, une relation tendue », [URL : http://www.ledevoir.com/societe/ethique-et-religion/454764/sommet-2015-sur-la-culture-philanthropique-justice-sociale-et-philanthropie-une-relation-tendue, dernièrement consulté le 4 décembre 2016] ; Académie des Entrepreneurs sociaux, 2015, Baromètre des entreprises sociales en Belgique, HEC-ULg, [URL : http://www.academie-es.ulg.ac.be/Barometre2015.pdf, dernièrement consulté le 4 décembre 2016] ; Frédérique Konstantatos, 2013, Fondations et économie sociale, Solidarité des Alternatives Wallonnes et Bruxelloises (SAW-B).

[4] La Libre Belgique, 23 mars 2017, « Quand Internet se mobilise contre la famine ».

[5] Heather Grady, 2015 (décembre), « New mindsets and practices are needed to finance the SDGs », in Alliance Magazine, [URL : http://www.alliancemagazine.org/feature/new-mindsets-and-practices-are-needed-to-finance-the-sdgs/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016].

[6] « L’aide publique au développement (APD) est fournie par les États pour améliorer le développement économique et le niveau de vie des pays en développement », plus d’informations, http://www.oecd.org/fr/cad/lesmembresducad.htm, dernièrement consulté le 24 mars 2017.

[7] « Le Comité d’aide au développement a été créé au sein de l’OCDE par résolution ministérielle le 23 juillet 1961. Un forum international unique, le CAD réunit des quelques plus grands fournisseurs de l’aide, y inclus ses 30 membres », plus d’informations : http://www.oecd.org/fr/cad/lesmembresducad.htm, dernièrement consulté le 24 mars 2017.

[8] Banque de données de l’OCDE, [URL : https://data.oecd.org/oda/net-oda.htm, dernièrement consultée le 20 novembre 2016].

[9] Mark Campanale & Iancu Daramus, 2016 (juin), « Philanthropy’s role in mobilizing green finance », in Alliance Magazine, [URL : http://www.alliancemagazine.org/feature/philanthropys-role-in-mobilizing-green-finance/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016] ; International Energy Agency (IEA), 2015 (octobre), « Climate pledges for COP21 slow energy sector emissions growth dramatically », [https://www.iea.org/newsroom/news/2015/october/climate-pledges-for-cop21-slow-energy-sector-emissions-growth-dramatically.html, dernièrement consulté le 24 mars 2017].

[10] À l’exception de l’année 2010 où elle atteint les 0.64% du RNB, l’APD belge oscille depuis 2007 entre 0.43% et 0.55% et heurte pour l’année 2015 un plancher de 0.42%, soit bien en deçà de l’objectif international des 0.7% fixé dans les années 1970. Banque de données de l’OCDE, [URL : https://data.oecd.org/oda/net-oda.htm, dernièrement consultée le 20 novembre 2016] ; Direction générale Coopération au Développement et Aide humanitaire (DGD), 2016 (mai), Rapport annuel 2015.

[11] Pour plus d’informations : http://www.oecd.org/fr/ & http://datat.oecd.org/fr/, dernièrement consultés le 24 mars 2017.

[12] Précisions quant aux données du graphique : l’APD nette, qui équivaut à 137 milliards USD, est fournie par les États ; les apports privés incluent les investissements directs étrangers (IDE), les envois de fonds des migrants et d’autres transactions financières du secteur privé ; les dons d’organismes privés (dont ONG) comprennent les fondations privées, les ONG et le secteur privé à but lucratif. Pour des définitions plus détaillées, voir https://data.oecd.org/fr/developpement.htm, dernièrement consulté le 24 mars 2017.

[13] 62 milliards ont donc été alloués à ce qui est parfois appelé « l’aide fantôme », autrement dit ne représentant pas des montants nouveaux à la disposition des pays du Sud (allègement de la dette, aide humanitaire, accueil des réfugiés et frais administratifs liés à ces transactions) ; Homi Kharas, 2008, « The New Reality of Aid », in Lael Brainard & Derek Chollet (éds.), 2008, Global Development 2.0. Can Philanthropists, the Public, and the Poor Make Poverty History? ; Nicolas Van Nuffel & Arnaud Zacharie (dir.), 2015, Rapport 2015 sur l’aide belge au développement. Des Objectifs du millénaire aux Objectifs de développement durable, CNCD-11.11.11. ; Samuel Worthington & Tony Pipa, 2011, « Private Development Assistance: The Importance of International NGOs and Foundations in a New Aid Arichtecture », in Homi Kharas et al., 2011, Catalyzing Development. A new vision for aid. 

[14] Donorinfo, 2017, Analyse finanicère des organisations philanthropiques belges, p.8 [URL : http://donorinfo.be/fr/page/publications, dernièrement consulté le 29 mars 2017].

[15] Arnaud Zacharie (dir.), 2017, Rapport 2016 sur l’aide belge au développement. Peut-on faire mieux avec moins ?, CNCD-11.11.11.

[16] Gautier Pirotte & Julie Godin, 2013, Enquête sur les Initiatives Populaires de Solidarité Internationale, Presses Universitaires de Liège, p.141 ; Brian Pratt et al., 2012, Understanding private donors in international development, International NGO Training and Research Centre, Policy Briefing Paper 31.

[17] Gregory J. Dees, 2008, « Philanthropy and Entreprises: Harnessing the Power of Business and Social Entrepreneurship for Development », in Lael Brainard & Derek Chollet (éds.), 2008, Global Development 2.0. Can Philanthropists, the Public, and the Poor Make Poverty History?, Brookings Institution Press, p. 120-121.

[18] Alliance Magazine, 2016 (septembre), « What Influence does Philanthropy exert? », in Alliance Magazine, [URL : http://www.alliancemagazine.org/feature/what-influence-does-philanthropy-exert/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016].

[19] Heather Grady, 2014, Philanthropy as an Emerging Contributor to Development Cooperation, United Nations Development Program (UNDP) ; Noshua Watson, 2012, The Changing Ecosystem of Philanthropies in International Development, The Bellagio Initiative.

[20] Jens Martens & Karolin Seitz, 2015, Philanthropic Power and Development. Who shapes the agenda?, Bischöfliches Hilfswerk Misereor.

[21] Lester Salamon, 1987, « Partners in public service. The scope and theory of government-nonprofit relations », in Walter Powell, 1987, The Nonprofit Sector: A Research Handbook, Yale University Press, pp. 99-117.

[22] Julien Winkel, 2014 (juin), « Et si le financement privé était l’avenir de l’innovation sociale ? » in Alter Echos, [URL : http://www.alterechos.be/alter-echos/et-si-le-prive-etait-lavenir-de-linnovation-sociale/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016] ; Paul Benkimoun, 2012 (août), « Philanthropie politique », in Le Monde, [URL : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/08/30/philanthropie-politique_1753414_3232.html, dernièrement consulté le 10 novembre 2016].

[23] Theo N. Schuyt, 2010, « La philanthropie dans les Etats providence européens : une promesse ambitieuse ? », Revue internationale des Sciences Administratives, vol. 76, n° 4, pp. 811-826 ; Matthew Bishop & Michael Green, 2008, Philanthrocapitalism. How giving can save the world, Bloomsbury Publishing Plc ; Karl Zinsmeister, 2016 (mai), « 12 common criticisms of philanthropy — and some answers », in Standford Social Innovations Review, [URL : https://ssir.org/articles/entry/12_common_criticisms_of_philanthropyand_some_answers, dernièrement consulté le 6 novembre 2016].

[24] Jean François Pollet, 2014 (mars), « La fondation Gates ou la charité (mal) ordonnée », [http://www.cncd.be/La-Fondation-Gates-ou-la-charite, dernièrement consulté le 24 mars 2017].

[25] Heather Grady, 2014, Philanthropy as an Emerging Contributor to Development Cooperation, United Nations Development Program (UNDP ; Heidi Metcalf, 2010, « The Role of Private Assistance in International Development », New York University International Law and Politics, pp. 101-119.

[26] Alexandre Lambelet, 2014, La philanthropie, Presses de la fondation nationale des sciences politiques ; Gautier Pirotte, 2007, La notion de société civile, La Découverte, Collection Repères ; Theo N. Schuyt, 2013, Philanthropy and the Philanthropy Sector. An Introduction, Ashgate Publishing Ltd.

[27] Patrick Develtere & Tom De Bruyn, 2009, « The emergence of a fourth pillar in development aid », Development in Practice, vol. 19, n° 7, pp. 912-922 ; Michael Edwards, 2011, The Role and Limitations of Philanthropy, The Bellagio Initiative ; Julien Winkel, 2014 (juin), « Et si le financement privé était l’avenir de l’innovation sociale ? » in Alter Echos, [URL : http://www.alterechos.be/alter-echos/et-si-le-prive-etait-lavenir-de-linnovation-sociale/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016].

[28] Pour en savoir plus sur Kampani : Fondation Roi Baudouin, 2016 (mai), « Le Fonds à impact social belge Kampani réalise son premier investissement », [https://www.kbs-frb.be/fr/Newsroom/Press-releases/2016/20160526ND, dernièrement consulté le 24 mars 2017].

[29] Brian Pratt et al., 2012, Understanding private donors in international development, International NGO Training and Research Centre, Policy Briefing Paper 31.

[30] Pour plus d’information, voir http://edgefunders.org/about-us/, dernièrement consulté le 29 mars 2017.

[31] Arnaud Zacharie, 2013, Mondialisation : qui gagne, qui perd. Essai sur l’économie politique du développement, Editions Le Bord de l’Eau, Collection La Muette, p. 229.

D’un projet de coopération atypique à quelques conseils pratiques

publié par UniverSud en Juin 2017

Le projet qui sous-tend cette réflexion s’est déroulé en Amérique du Sud, plus précisément en République coopérative du Guyana (ex-Guyane britannique) située au nord du Brésil, entre le Venezuela et le Surinam.

 

Lors d’un voyage touristique réalisé avec mon compagnon à l’intérieur du pays, nous avons visité la réserve amérindienne d’Orealla-Siparuta, peuplée d’Arrawak et de Warrou. Nous avons été bouleversés par la beauté et la quiétude de l’endroit, mais aussi par le dénuement et le manque de moyens des Amérindiens. Nous avons également été très interpellés par un projet américain plus que douteux qui leur était proposé. En effet, la situation particulière de la réserve en frontière du Surinam permet de faire sortir les arbres précieux du pays sans tenir compte des quotas imposés par le Guyana. Les Américains voulaient donc installer une scierie dans le village et exploiter le bois de la réserve pendant 3 ans. Ensuite, suivant le contrat, la scierie aurait dû revenir aux Amérindiens. Cependant il était clair qu’à ce moment-là, il n’y aurait plus eu d’arbres sur le territoire.

Scandalisés devant le contenu du contrat, nous avons incité les Amérindiens à le refuser. Leur réponse a été très simple : « Nous n’avons pas d’argent et pas d’idées, si vous avez une meilleure solution nous sommes preneurs… »

J’ai quitté le village en larmes en promettant d’essayer de les aider. J’ignorais à ce moment-là que l’avenir nous réserverait 3 ans dans la réserve ; une vie dans une cabane faite de bois et de feuilles, sans eau ni électricité, entourés de tas de bestioles dont pas une ne vous voulait du bien.

Après un deuxième voyage sur place, destiné à mieux comprendre le contexte et la demande de la communauté d’Orealla-Siparuta nous avons, de commun accord avec les amérindiens, décidé de construire une petite usine de pâte de fruits et de leur apprendre à la gérer. Le projet serait financé par une fondation privée.

Ainsi, la première année, nous avons construit l’usine et appris aux Amérindiennes à préparer la pâte de fruits. La deuxième année nous avons mis l’usine en production et nous avons aidé ces mêmes femmes à la gérer. Enfin, la troisième année, nous les avons formées à la gestion de la société.

En parallèle, nous participions aux activités du village. Nous avons, par exemple ouvert une bibliothèque, réalisé des examens de la vue ou encore aidé à la construction de la nouvelle école gardienne.

Après 3 ans dans le village, nous sommes rentrés en Belgique et un coopérant a poursuivi quelques mois la formation des Amérindiens à la gestion d’entreprise, puis les femmes de la réserve ont fondé une Women Friendly Association. Depuis elles gèrent seules la société.

Au regard de la coopération au développement, le projet est une réussite : nous avons répondu aux attentes de la population locale, nous avons construit ensemble une petite entreprise génératrice de bénéfices et augmenté le niveau de compétences de nombreux Amérindiens. Bref, nous avons réalisé notre engagement de départ.

Pourtant, je pense que notre plus grande réussite est ailleurs. Nous avons rendu dignité et confiance en eux à de nombreux Amérindiens qui grâce au projet ont pris conscience de leurs talents. Quoi qu’il advienne de la société, ceux qui y travaillent pourront rebondir et je suis confiante pour leur avenir.

Mais une analyse plus fine fait apparaître d’autres questions plus fondamentales : au-delà des progrès économiques ou techniques apportés par le projet, quels sont les impacts de nos actes?

 

Réfléchir à l’impact de nos actes

 

Pour aborder ce point, je voudrais partager avec vous deux anecdotes.

Première anecdote : durant notre séjour dans la réserve, le village comptait un seul boulanger, Birdy, qui préparait deux fois par semaine, lorsqu’il y avait de la farine, de longs sandwiches mous dans un demi-tonneau rouillé, sur un sol de terre battue au milieu des poulets et des canards. Sur son terrain, Birdy possédait un magnifique manguier. Lorsque nous avons commencé à lui acheter des mangues pour préparer de la pâte de fruits, il a estimé gagner assez d’argent et a préféré aller pêcher plutôt que de faire du pain. Le village s’est retrouvé sans pain. Sans le vouloir, pensant bien faire, nous en avions modifié l’équilibre. Il a heureusement été facile de démontrer à Birdy que la période des mangues était courte et que le village avait besoin de lui. Dans ce cas-ci, la conséquence de notre action était visible et réparable aisément, mais cela donne à réfléchir. C’est une sacrée leçon quant à la conséquence inattendue et parfois invisible de nos bonnes intentions. Toute interaction est porteuse de changement et difficile à maîtriser. Une observation attentive et une grande prudence s’imposent.

Deuxième anecdote : Un an après notre retour, j’ai reçu une lettre qui m’a particulièrement troublée : Marcy qui dirigeait l’usine, après m’avoir encore une fois remerciée pour ce que nous avions construit ensemble et demandé de lui envoyer de la pectine pour préparer la pâte de fruit, me racontait qu’elle avait avorté pour pouvoir continuer à gérer la production de peur que sans elle, le projet ne s’arrête. Soyons clair, l’avortement ne me pose aucun problème. Ce qui m’interpelle, c’est qu’un avortement n’est pas dans les mœurs au village et que dans les conditions sanitaires de l’hôpital de Skelden et avec le mépris local pour les Amérindiens, un avortement correspond à risquer sa vie et à se mettre au ban de sa société. Le désir de rester la directrice de l’usine et de gagner de l’argent a pris le pas sur les valeurs sociales de la communauté.

Notre impression en ayant partagé leur vie est que bien qu’en situation de grande précarité, les Amérindiens vivent sans contrainte de temps et peuvent passer des heures à regarder couler le fleuve en bavardant et en riant… pas de dépression, pas de stress continu. Ils ne s’opposent pas à la nature, mais agissent avec elle. Ce qui peut sembler du fatalisme est pour eux la seule manière d’accepter l’incontournable. Ils profitent pleinement de l’instant présent, ce que nos sociétés ont tant de mal à faire. Ils ont des leçons de sagesse à nous donner.

La confrontation avec les étrangers leur a donné envie de porter des Nike, de manger comme en ville, de porter des lunettes de soleil et donc leur besoin d’argent s’est accru.

L’image qu’ils ont de notre société est fausse. Pour eux, nous vivons dans une sorte d’Eldorado où l’argent coule à flot et le bonheur est partout. Cette illusion les éloigne de leurs valeurs et crée des besoins non satisfaits, donc des frustrations.

Si j’ai gagné en sérénité à leur contact, je ne suis pas sûre que l’inverse soit vrai. Faut-il pour autant ne rien faire lorsqu’ils demandent de l’aide ?

Ce n’est pas à nous de juger de ce qui est bon pour eux, mais une grande prudence doit guider nos actions et leur qualité de vie doit être préservée.

Sans remettre en cause la valeur de l’aide au développement, l’approche me semble incomplète car le bonheur des populations est rarement pris en compte lors de l’élaboration des projets. Nous avons trop tendance à confondre niveau de vie et qualité de vie, Les projets qui visent un mieux-être économique ne doivent pas entraîner une perte des valeurs de la communauté.

 

Quels sont les facteurs clés du succès d’une telle entreprise ?

 

La chance

Tout au long des trois années, nous n’étions pas à l’abri d’une maladie, d’un accident, d’une dispute avec les Amérindiens ou d’un coup d’état.

 

L’intégration au village

Nous avons pris soin de participer à la vie du village pour que la population non impliquée directement dans le projet comprenne pourquoi nous étions là et ce que nous allions faire ensemble. J’ai donc par exemple participé aux travaux du groupe des femmes pendant que mon compagnon était impliqué dans la construction de l’école gardienne.

 

L’adaptation à l’environnement

Il est rare que les projets se passent comme prévu. Par exemple : le chef du village nous avait dit que la réserve nous fournirait le bois nécessaire à la construction de l’usine. Il n’avait pas précisé que cela signifiait choisir des arbres en forêt et se débrouiller pour les transformer en planches. Pas simple quand on ne connaît pas les essences locales et qu’il n’y a ni tronçonneuse, ni tracteur au village.

Nous devions nous adapter en permanence et c’est pourquoi tout prenait plus de temps que prévu et entrainait des difficultés à respecter le budget.

 

Quelques conseils, issus de cette expérience 

 

Le respect et la dignité

Respect et dignité sont les deux valeurs à ne jamais perdre de vue, et ce pour toutes les parties prenantes. Il faut pouvoir échanger sur les coutumes respectives tout en gardant ses propres racines, même s’il y a des comportements que nous ne comprenons pas toujours.

 

S’entourer d’objets racines 

Emmener avec soi des objets « racines » qui aident à garder le moral dans les cas de déprimes inévitables quand on est loin de chez soi. Des objets auxquels on tient : instruments de musique, livres…

 

Garder une mémoire de ce qui est vécu 

Tenir un journal ou garder des éléments pour ne pas oublier les péripéties du voyage et avoir un témoignage à partager. Dans mon cas, le journal s ‘est transformé en un livre intitulé « Orealla, enfer ou paradis » rédigé avec mon amie Anne Zumkir.

 

Ne pas négliger les difficultés du retour 

Il est impossible de revenir d’une expérience longue de coopération sans modifications profondes et sans un autre regard à la fois sur les projets de coopération en général mais aussi sur notre propre société.

 

Quelle conclusion tirer de cette expérience ?

 

Si vous souhaitez réaliser un projet de coopération, soyez très prudent et posez-vous les bonnes questions sur ce que le projet va vraiment apporter aux populations concernées. Demandez-vous aussi si vous êtes la personne adéquate pour le faire. Par exemple : une jeune femme ne pourra pas être crédible dans une tribu Somalienne où la femme n’a aucun droit, un jeune homme ne pourra pas conseiller une entreprise en état de précarité où l’autorité est aux mains des aînés. A cet égard, le livre écrit par Clair Michalon et intitulé « Différences culturelles : mode d’emploi » est une aide précieuse.

 

Osez et vivez vos rêves. Restez utopiste et ne laisser pas les rabat-joie vous décourager. Analysez lucidement le problème et ce que vous pourrez y apporter et, si vous êtes convaincus, foncez. Ce qui est impossible, c’est ce que l’on n’a pas tenté.

 

 

Aude Niffle

Membre d’UniverSud

Pour des Informations sur le livre écrit par Aude.Niffle et Anne Zumkir « Orealla, enfer ou paradis », Aude.Niffle@gmail.com

La nature, une nécessité symbolique et vitale

publié par UniverSud en Juin 2017

Introduction

L’environnement est une préoccupation majeure de notre société, pourtant nombreux sont encore les indécis et trop peu nombreux sont ceux qui sont prêts à agir et à changer leurs habitudes pour améliorer la situation critique actuelle. Dans le présent article, j’aborderai, en utilisant le modèle nord-américain comme principale référence, l’évolution d’une représentation de la nature. D’abord vue comme nécessaire car symbolisant à la fois un nouveau continent et une nouvelle identité ensuite vue comme consommable, artificielle et enfin vue comme facultative. Afin de pallier cette dernière conception, parfois inconsciente, de la nature comme « accessoire », dont on pourrait se passer, et favoriser un mode de vie et une consommation écologiquement responsables, je terminerai par donner une série de pistes d’action exerçables aux niveaux individuel, collectif et sur les pouvoirs publics.

 De la nature « authentique » et symbolique a la commodite

« C’est la fin de la nature », écrit l’environnementaliste nord-américain Bill McKibben dans son essai The End of Nature (McKibben, 1989). Lors de l’arrivée des premiers colons dans le Nouveau Monde, ceux-ci furent rapidement victimes d’une obsessive volonté de se découvrir une identité qui correspondrait à leur nouvelle vie dans le continent nord-américain. La nature américaine, vaste et abondante, d’abord entendue comme une reconstitution du jardin d’Eden, fût rapidement utilisée comme symbole dans le but d’assurer les fondements de cette identité, par opposition aux valeurs véhiculées par l’Ancien Monde. Les premiers colons étaient impressionnés par cette nature grandiose inspirant du respect, mais surtout une profonde crainte de l’inconnu. Par exemple, l’explorateur et botaniste William Bartram décrit dans ses célèbres Travels (1791) le paysage naturel américain en utilisant le concept d’esthétique du sublime afin de souligner le caractère divin, supérieur, et inaccessible de la nature.

Pour répondre à cette peur ou à ce complexe d’infériorité, des figures fondatrices « transcendentalistes » telles que Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau ou John Muir remanièrent ce concept d’esthétique et prônèrent une relation fusionnelle avec la nature, à travers laquelle l’homme ne ferait qu’un avec les autres éléments naturels. Néanmoins, certains de ces penseurs, comme Emerson, dans son essai Self-Reliance, tendirent vers un optimisme agressif qui délaissa l’aspect « écologique » de la pensée transcendentaliste au profit d’une valorisation de l’individu, devenu capable de franchir tous les obstacles et de parvenir à accomplir tous ses objectifs. La nature n’était donc plus tellement symbolique, plus quelque chose d’étrange à comprendre, mais un simple obstacle à l’expansion économique, à l’industrialisation, et donc sujette à la domination. Ainsi, le désir de progrès fût plus fort que celui d’harmonie et de durabilité et la transformation du paysage naturel originel fût rapide, principalement durant la période d’après-guerre civile (1865-1917), le rendant presque entièrement industrialisé et bientôt toxique.

De la découverte, nous passons à la domination, qui engendre la destruction. En 1962, la zoologiste et biologiste Rachel Carson publie son livre scientifique le plus célèbre, Silent Spring, dans lequel elle démontre l’empoisonnement de la nature par le progrès et l’industrialisation à travers une analyse pertinente de l’effet néfaste des pesticides sur la santé environnementale et donc humaine. En effet, aussi simple que cela puisse paraître aujourd’hui, l’homme fait partie de l’environnement et donc aussi de la nature. Alors que les premiers colons américains percevaient la nature du nouveau continent comme une nécessité symbolique, comme un paradis terrestre, celle-ci fut graduellement convertie en vulgaire commodité, un produit de consommation courante, valorisée et exploitée pour ses ressources, puis en artéfact, non plus « authentique » mais manipulée et transformée par la main de l’homme.

De la commodité à la nature artificielle ou virtuelle

La nature « authentique » a disparu souligne McKibben, elle est maintenant entièrement « artificielle » car il n’existe plus un seul espace terrestre qui n’a pas été touché directement ou indirectement par la main de l’homme (McKibben, 1989). La publication de Silent Spring de Carson fut souvent associée au début d’une crise écologique nationale étatsunienne, certes, mais qui n’en était pas moins globale. De par mon analyse du modèle nord-américain, je souhaitais rappeler le caractère mondialisant, globalisant de celui-ci. En effet, le problème provient de notre société moderne qui fût construite sur les fondations d’un système socio-économique capitaliste et consumériste aliénant l’homme au monde physique. Par exemple, Thoreau témoignait déjà dans son œuvre la plus célèbre, Walden (1854), de sa peur que la « nouvelle économie de marché » — le capitalisme — encouragerait l’homme à se perdre dans le matérialisme,  en accumulant des biens matériels, ou dans des abstractions telles que la célébrité. Thoreau tenta ainsi d’inciter son lectorat à se contenter des « nécessités de la vie » que peut offrir « un mode de vie simple dans la nature » (Thoreau, 1854).

Les craintes du transcendentaliste furent confirmées, car si l’homme pouvait se définir et exister en rapport étroit avec le paysage naturel, il existe maintenant dans un paysage artificiel ou même virtuel. En outre, s’il entre en contact direct avec un paysage naturel, ou un simulacre de celui-ci, c’est souvent pour profiter de son cadre esthétique, le réduisant ainsi à l’état d’« objet de consommation esthétique » (Byerly, 1996). Dans notre société moderne, l’homme tend à considérer la nature comme secondaire voire inutile, pouvant être reproduite et éventuellement remplacée par de nouvelles technologies. Par exemple, selon l’auteur et défenseur de l’environnement Aldo Leopold, nous étions déjà devenus, à la moitié du XXe siècle, des « chasseurs de trophées » qui parcourent « les continents avant de voir [leur] propre jardin » et « qui consomment des plaisirs du monde extérieur mais n’en créent jamais » (Leopold, 1949). Autrement dit, la découverte du monde contribue encore dans ce cas-ci, comme dans l’optimisme excessif d’Emerson, à la valorisation de l’individu et à sa célébrité, car il n’y a pas de contemplation des merveilles naturelles mais simplement un « acte de présence » en vue de collecter des photographies comme « trophées » à exhiber sur ce qu’on pourrait qualifier d’une « étagère virtuelle » pour nous élever au statut de voyageur ou aventurier reconnu. Le monde physique était alors excessivement « consommé » sans éveiller un réel intérêt chez l’humain et donc sans être vraiment compris.[1] En 1992, Bill McKibben publia un autre essai intitulé The Age of Missing Information dans lequel il note que la télévision a changé notre perception du monde physique, masquant « l’information subtile » qu’il nous offrait, et nous rendant ainsi « divorcé » de celui-ci (McKibben, 1992). Dès lors, la situation n’a fait que s’empirer car les technologies actuelles nous permettent maintenant de voir le monde entier en quelques minutes sur le « filtre » d’un réseau social comme Instagram, ou de chasser des créatures virtuelles — et non plus des « trophées » — dans les parcs à travers un écran de smartphone sur Pokémon Go !. Si nous suivons le postulat de McKibben, ces applications mobiles ou réseaux sociaux ont le même effet que la télévision car elles n’impliquent pas un contact direct mais rapide et artificiel avec le monde physique et donc une utilisation très limitée de nos sens, dénuant ainsi ce monde de tout son « sens », son symbolisme, et de toute son importance, sa nécessité vitale pour l’homme.

La nature aujourd’hui

Il va sans dire que la nature n’a pas complètement disparu, ceci s’écarte de la pensée de McKibben. Il s’agit de notre manière de représenter, de définir et d’interagir avec la nature qui a été déformée, et qui lui a soutiré sa valeur fondamentale. S’il existe une leçon à tirer de ces auteurs nord-américains, elle est bien qu’une intention de préservation passe par une étape de compréhension, de familiarisation avec le milieu naturel. En effet, comme Thoreau l’a démontré, une relation respectueuse de l’environnement commence par un intérêt particulier pour et un contact direct avec celui-ci. Chaque individu devrait, par lui-même, prendre conscience des bienfaits de la nature, planter un arbre avant son antenne satellite et se déconnecter occasionnellement du Wi-Fi pour se (re)connecter au monde sensible. C’est en nous intéressant et en nous sensibilisant à la nature que nous deviendrons désireux d’améliorer la situation environnementale tragique dans laquelle nous nous trouvons actuellement et d’entamer des démarches conservatrices.

Quelques pistes d’action

Premièrement, au niveau individuel, il est possible d’opter pour un mode de vie et une consommation responsable et respectueuse de notre environnement. Par exemple, la simple activité de « faire les courses » peut représenter un acte citoyen, car un simple achat peut avoir certaines répercutions sur la stabilité de l’environnement. Dans la mesure du possible, il faudrait privilégier une consommation de produits locaux dont la production et la vente sont visibles, voire tangibles, nous rapprochant ainsi de la terre et de la nature, et n’impliquent pas l’utilisation de plastique ou d’autres agents toxiques. Dans notre société moderne, le simple acte de « prendre le temps » de faire soigneusement et de manière responsable les courses est très souvent négligé. Comme justification, nous tendons à clamer que nous « n’avons pas le temps » ou que le temps, « c’est de l’argent ». Or, la santé et l’environnement n’ont pas de prix, ils ne doivent pas faire partie de ces « produits » dont nous planifions graduellement l’obsolescence de par notre désintérêt et notre négligence.

Deuxièmement, chaque action individuelle peut contribuer au bien communautaire. Certes, nous pouvons remplir notre part en tant que citoyen,  mais il est également nécessaire de transmettre notre savoir, de conscientiser le reste de l’humanité à adopter un comportement socio-écologiquement responsable. Certaines initiatives de sensibilisation (excursions dans la nature, séances d’information sur les enjeux de notre consommation, organisation de groupes d’achat direct aux producteurs, etc.) ont des impacts conséquents sur le long terme. Par ailleurs, l’éducation demeure l’ultime espoir d’assurer des générations qui seront concernées par le devenir de notre environnement et reste la clé d’un développement durable. Dans l’« Anthropocène », cette ère anthropocentrique où l’influence de l’homme est devenue omniprésente, l’enfant a besoin qu’on lui décrive sa place sur notre planète. Il faut lui rappeler que le monde physique dans lequel il vit inclût un environnement naturel habité par d’autres espèces non-humaines, et que la préservation de la stabilité de cet environnement est indispensable à sa propre survie.

Enfin, les pouvoirs publics devraient parallèlement promouvoir les circuits courts et orienter les investissements publics vers ces circuits. Ils doivent favoriser les labels respectueux de l’environnement, les rendre plus accessibles, et éviter d’ouvrir la porte aux marchés de consommation transatlantiques qui privilégient la production massive d’OGM, de produits qui ont été d’une quelconque manière abusivement modifiés ou empoisonnés par des pesticides et qui forcent nos petits producteurs à mettre la clé sous la porte.[2] Pour terminer, dans notre société moderne caractérisée par l’hyperconsommation et la digitalisation, la publicité ne fait qu’alimenter une ségrégation entre classes sociales et entre individus de différents genres ou croyances, mais aussi entre humanité et nature. En effet, nombreux sont les exemples de « greenwashing » — ou « écoblanchiment » en français —, ce procédé de marketing des entreprises destiné à se donner une image écologique responsable qui s’écarte de la réalité et qui pourtant semble nous rassurer, nous convaincre que l’environnement est en sécurité avec une marque ou même un programme politique certifié « écologique » ou « durable ». C’est pourquoi les pouvoirs publics, qui constituent un frein indispensable à l’écoblanchiment, à l’expansion d’idéologies capitalistes et consuméristes ainsi qu’à l’excès de modernisation et de digitalisation, doivent limiter la diffusion de publicités de toutes formes encourageant à une consommation immodérée et destructrice.

En conclusion, un apprentissage et un enseignement sur le passé, le présent et le futur doivent être favorisés. Nous devons en premier lieu prendre conscience des erreurs que nous avons commises dans le passé pour ne pas les perpétuer. L’écart entre l’humanité et la nature s’est bel et bien creusé et nous devons (re)connaître ce problème, ainsi que ses causes et conséquences, afin d’y remédier individuellement et collectivement. Ensuite, nous devons agir maintenant, dans le présent, changer nos habitudes de consommation, notre mode vie et transmettre une vision respectueuse de la nature aux générations futures pour garantir un avenir sain et durable pour notre planète et, conséquemment, pour l’humanité. Individus, organismes solidaires et autres pouvoirs publics doivent travailler ensemble pour (re)construire une société moderne écologiquement responsable et restaurer la représentation initiale de la nature en tant que nécessité symbolique et vitale.

 

Références citées

 

Bartram, William, Travels of William Bartram (New York: Dover Publications, 2003).

 

Carson, Rachel, Silent Spring (London: Penguin Classics, 2000).

 

Emerson, Ralph W., Self-Reliance and Other Essays (Mineola: Dover Publications, 1994).

 

Glotfelty, Cheryll and Fromm, Harold, The Ecocriticism Reader: Landmarks in Literary Ecology (Athens: University of Georgia Press, 1996).

 

Leopold, Aldo, A Sand County Almanac (New York: Ballantine Books, 1986).

 

Lombard, David, ‘Transcendentalism and Sublime (Post)Nature in American Literature: From Self-Discovery to Self-Destruction’ (Université de Liège, Master, 2016).

 

McKibben, Bill, The End of Nature (New York: Random House Trade Paperbacks, 2006).

 

McKibben, Bill, The Age of Missing Information (New York: Random House Trade Paperbacks, 2006).

 

Thoreau, Henry D., Walden and ‘Civil Disobedience’ (New York: Signet Classics, 2012).

 

 

[1] Il convient ici de souligner que beaucoup de personnes vivent encore de précieux moments de connexion avec la nature qui ne s’apparentent en rien à une recherche de trophées. Certaines activités d’extérieures comme les excursions dans la nature ou le jardinage sont des premiers pas vers un mode de vie en harmonie avec la nature. En effet, Leopold entend ici que c’est celui ou celle qui découvrira et apprendra à d’abord connaître son propre jardin avant de se prétendre pouvoir parcourir le monde entier qui se créera une passion durable pour la nature.

[2] Il est question ici du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), un accord qui est négocié entre la Commission européenne et le gouvernement étatsunien depuis juillet 2013 et qui viserait à annuler les droits de douane à l’exportation entre les États-Unis et l’Europe. Celui-ci infligerait, entre autres problèmes, une concurrence déloyale aux producteurs agricoles européens qui se retrouveraient en face de gigantesques exploitations américaines, ce qui nous contraindrait alors à consommer des aliments de moins bonne qualité et plus toxiques provenant d’une production américaine nettement moins régulée qu’en Europe.

L’économie circulaire et l’industrie de la mode

publié par UniverSud en Septembre 2017

Quelles actions pour enclencher la transition vers une économie alternative ?

Depuis plusieurs décennies déjà, les organismes de protection de l’environnement ont multiplié les avertissements concernant la dégradation de l’écologie terrestre. Cela n’a pas pour autant freiné l’élan des grandes industries qui continuent de produire encore et toujours plus. Comme conséquence de cette surproduction, une surexploitation des ressources naturelles qui, comme nous le savons tous, sont pour certaines limitées. C’est le cas de l’industrie de la mode, la deuxième plus polluante au monde. La rapidité des cycles et la surproduction sont les caractéristiques phares de cette industrie. Les tendances, qui se démodent en quelques mois, incitent les consommateurs à se débarrasser de leurs vêtements encore en bon état pour en acheter d’autres, créant des tonnes de déchets.

Ces industries surproduisent pour que les populations surconsomment, mais d’ici quelques années nous serons plus de 9 milliards d’êtres humains sur terre. Parmi ceux-ci, une classe moyenne émergente qui voudra à juste titre consommer de la même façon que les occidentaux. Alors, qu’adviendra-t-il de ces ressources limitées ? Nous n’en aurons tout simplement plus. La raréfaction de nos ressources a commencé et il est de notre devoir d’adopter des comportements qui permettront de les préserver, et ce, en vivant de manière plus respectueuse à l’égard de l’Homme et pour la nature.

Ce discours semblera familier car répété maintes et maintes fois. Cependant, il ne semble pas amener à l’action consciente d’une population pourtant concernée par cette urgence. Que faut-il faire pour insinuer un changement dans les esprits ? Plusieurs se sont mis à imaginer des modèles économiques alternatifs qui répondent à cette urgence. Parmi ces alternatives, nous pouvons citer des théories comme la décroissance, l’économie positive, ou encore l’économie circulaire. Ces options ont toutes en commun une distanciation avec l’économie actuelle et une prise en compte du bien-être général. Contrairement à l’économie classique, tous ces modèles intègrent les conséquences des actions aussi bien des citoyens-consommateurs que des entreprises productrices et consommatrices. On peut alors constater un changement de paradigme dans la relation à l’achat.

Dans cet article, nous nous focaliserons sur une économie alternative en particulier : l’économie circulaire. Pourquoi parler de cette économie et pas d’une autre ? Il me semble non seulement que les bases de cette économie se retrouvent déjà dans nos comportements, mais aussi qu’il s’agirait d’une première bonne étape dans la transition.

Qu’est-ce que l’économie circulaire ?

Le concept d’économie circulaire est assez nouveau, bien que les pratiques existent depuis longtemps. L’économie circulaire provient de plusieurs courants de pensée qui ont pour principe de prendre la nature comme exemple. Il s’agit donc de reproduire son fonctionnement cyclique pour éliminer toute notion de « déchet », et ne créer que de la matière secondaire, comme le feuille morte qui devient fertilisant en se décomposant. Vous l’aurez compris, la matière secondaire est ainsi le résultat de la matière première, récupérée et retravaillée pour servir à nouveau.

De nombreux processus peuvent se revendiquer de l’économie circulaire. Pour être plus précis, nous pouvons en citer sept : l’écologie industrielle, l’écoconception, l’économie de la fonctionnalité, le recyclage, la réutilisation, le réemploi et la réparation. Chacun de ces procédés présente, comme nous allons le voir, une spécificité qui vient se rattacher aux principes de base de la circularité. De nombreux exemples de la mode se sont déjà engagés dans cette voie, créant des possibilités de consommation plus durable.

L’écologie industrielle

L’écologie industrielle, comme son nom l’indique, concerne les industries. Que ce soit au niveau d’une seule structure ou d’un réseau, ceux qui la pratiquent organisent la logistique de leurs activités pour récupérer les déchets et les réinsérer dans le processus de production, créant ainsi une boucle de matière et d’énergie. Dans le cas d’un réseau d’entreprises, ces dernières vont se coordonner pour récupérer et envoyer la matière secondaire là où elle est la plus utile. Les exemples les plus parlants sont les parcs éco-industriels au sein desquels les « déchets » d’une entreprise deviennent les sources d’énergie ou de production d’une autre, et ainsi de suite.

L’écoconception

Lorsque nous parlons d’économie circulaire, nous pensons assez vite au recyclage. Cependant, ce dernier peut se montrer très coûteux et énergivore si le produit n’est pas pensé dans ce but. L’écoconception anticipe le recyclage. Il s’agit d’une approche préventive où les designers et les ingénieurs vont penser le produit en intégrant dès le départ la possibilité de récupérer la matière. Il existe plusieurs critères à prendre en compte lors de l’élaboration d’un produit destiné au recyclage : la durée de vie, les propriétés de recyclage de la matière, la fonctionnalité, l’assemblage (et le désassemblage), etc. Tous ces détails permettront aux entreprises d’économiser en temps, en argent et surtout en énergie. Prenons l’exemple de l’industrie de la mode, à l’heure actuelle, un vêtement peut contenir plusieurs matières différentes et être couvert d’accessoires, comme des perles ou des boutons, ce qui vient fortement compliquer le recyclage ! Imaginez devoir recycler des tonnes et des tonnes de vêtements… En considérant le temps et l’énergie nécessaires, il deviendrait important d’imaginer des produits faciles à désassembler, non ? L’écoconception pourrait répondre à ces difficultés en intégrant des possibilités de recyclage dès la création du vêtement.

L’économie de la fonctionnalité

Bien qu’elle puisse être étudiée séparément, l’économie de la fonctionnalité peut être rattachée à l’économie circulaire dès lors qu’elle cherche elle aussi à initier une nouvelle manière de consommer et à inverser ainsi la tendance à créer du déchet. Dans le cas présent, les entreprises ne proposent plus de vendre le produit mais l’usage de ce produit. La valeur symbolique de propriété est remplacée par la valeur fonctionnelle d’usage. De plus en plus d’entreprises émergent sur base de ce modèle. Dans le monde de la mode, Tale me ou Les ReBelles d’Anvers sont des sociétés belges qui fonctionnent sur le principe de la location de vêtements, permettant ainsi de faire face à l’important turnover des tendances modes et, par là, de lutter contre la constitution de déchets. Ainsi, au moyen de systèmes d’abonnements, vous pouvez choisir de nouvelles pièces chaque mois et renouveler sans cesse votre garde-robe !

Le recyclage

Le recyclage est le processus le plus évident quand nous parlons de circularité. Il fait depuis longtemps partie de nos mœurs mais reste pourtant sous-exploité. Le but est ici de réutiliser la matière première. Pour la récupérer, il faut trier les produits et les désassembler. Récemment, on a pu entendre parler de robes constituées entièrement de bouteilles plastiques recyclées. C’est un exemple probant des possibilités qu’amène le recyclage. Certaines marques et bureaux d’études engagés dans la démarche circulaire sont actuellement en train de mener des recherches permettant de trouver de nouvelles manières de créer un tissu à base de « déchets » (plastique, ancien vêtement, …) et de ressources substituts, telles que le bambou.

La réutilisation, la réparation et le réemploi

Ces pratiques sont à la portée de tous, chacun peut facilement s’y atteler. Bien qu’il y ait un manque de communication sur les possibilités de réparation, il existe une multitude d’options. En ce qui concerne le réemploi et la réparation, la différence entre ces deux termes est parfois floue ; le réemploi signifie que nous allons utiliser un objet selon sa fonction d’origine. Etant donné que la mode elle-même se répète, nous pourrions prendre une veste vieille de dix ans, la remettre un peu au goût du jour en la customisant, et ainsi la faire durer pourquoi pas encore dix ans ? La réutilisation, quant à elle, signifie que nous allons utiliser un objet pour une fonction différente, comme par exemple couper un vieux jeans pour en faire un sac. Encore une fois, ces façons de faire ne sont pas évidentes pour tous et tiennent surtout d’habitudes de consommation qu’il serait pourtant aisé d’adopter.

Toutes ces pratiques sont rassemblées autour de la notion d’économie circulaire car elles répondent à un ensemble de principes fédérateurs au sein de cette économie : la longévité, la qualité, la fonctionnalité, et l’absence de déchets. Plusieurs entreprises ont décidé d’intégrer ces principes dans leur production ; pour certains l’intégration est plus récente et pour d’autres elle est présente dans l’ADN du business. Si nous prenons l’exemple de l’industrie de la mode, nous pouvons tous les jours voir des représentations de cette économie : les magasins de seconde main, les bulles à vêtements, les collections écologiques dans les grandes chaines de magasins, ect. Un peu partout sur le marché, nous pouvons remarquer des tendances au changement. Les industriels sont conscients que pour durer, il faut s’adapter au contexte actuel dans lequel les matières premières se font de plus en plus rares, et ainsi de plus en plus chères.

Mud Jeans

 

Les sociétés qui décident de baser leur modèle sur l’alternative circulaire émergent un peu partout dans le monde et, bien que chacune soit différente, elles cherchent toutes à déconstruire le consumérisme classique pour retourner à une consommation responsable.

Un cas qui attire l’attention, car regroupe beaucoup des concepts vus plus haut, est celui de la société  Mud Jeans.

Economie de la fonctionnalité, réemploi, recyclage et écoconception sont présents au sein de leur modèle. En effet, les jeans préalablement conçus pour tenir sont loués puis réemployés ou recyclés une fois rendus à leur propriétaire c’est-à-dire la société elle-même.

Encore une fois, ce n’est qu’un exemple parmi d’autres d’entreprises qui, dès le départ ou petit à petit, tentent de produire de manière responsable et d’enclencher une nouvelle relation avec leurs clients, relation empreinte de réflexion et de responsabilité mutuelle.

L’économie circulaire, des économies tout court.

En plus de l’intérêt écologique qu’il présente, plusieurs études démontrent que le modèle circulaire apporte un avantage en matière de coût qui permet aux entreprises qui l’appliquent d’être compétitives. En effet, en pratiquant le recyclage, les entreprises peuvent faire des économies sur l’approvisionnement en puisant dans leur stock de matières secondaires, c’est-à-dire leurs déchets. C’est d’autant plus vrai pour les entreprises qui ont intégré dès le départ le recyclage dans leur logistique. Pour les autres, si les coûts d’investissements pour passer en économie circulaire peuvent être importants sur le court terme, l’intégration de cette nouvelle phase dans la structure de l’entreprise s’avère bénéfique sur le long terme.

Nous parlons des entreprises cependant ; ces dernières ne sont pas les seules à économiser de l’argent grâce à l’économie circulaire. En consommant autrement, les populations pourront aussi épargner. À l’heure actuelle, nous sommes nombreux à penser nous enrichir car nous pouvons acheter beaucoup de biens à petits prix. Pourtant, nous avons surtout tendance à nous appauvrir car ces produits sont jetés à peine utilisés et puis renouvelés encore et encore. La circularité promeut la longévité des produits d’une qualité telle qu’il ne sera pas nécessaire de les racheter sans arrêt.

À ce titre, il existe une grande différence entre l’économie classique actuelle et l’économie circulaire : le rôle du consommateur. L’économie classique considère le consommateur comme un être passif soumis sans arrêt à une multitude de publicités qui créent en lui de nouveaux « besoins ». Au sein de l’économie circulaire, il est question du « consom’acteur », un citoyen informé et conscient des conséquences de ses achats. Le « client » – terme qui introduit la notion de choix de l’achat- détient alors un rôle important dès lors qu’il devient un maillon de la chaîne de production : sa part du travail est de rapporter le produit en fin de vie afin qu’il soit recyclé, ou de faire preuve de créativité pour le réutiliser. Enfin, le citoyen est actif dans ses choix de consommation. Via un label par exemple, il sera responsabilisé car dûment informé sur la fabrication et l’origine de ce qu’il a acheté. Ce modèle alternatif, c’est aussi ça : la responsabilisation de chacun des acteurs impliqués dans le marché, un effort de la part de chacun et une coopération pour avancer vers une solution.

Une économie à développer…

Où en est-on concrètement ? Comment intégrer l’économie circulaire dans nos habitudes ?

Tout d’abord, au niveau des entreprises, la réussite de l’une peut engendrer du changement.  Comme bien souvent, les exemples de réussite sont le plus précieux des incitateurs pour le reste de l’industrie. Il est donc important que des entreprises engagées dans le processus partagent leur expérience afin de pouvoir démontrer ses avantages, de discuter des possibles barrières et tenter de les dépasser, et de donner envie aux citoyens qui souhaitent démarrer une entreprise de franchir le pas. Plus il y aura d’entreprises à l’ADN circulaire, plus cela fera pression sur le marché et deviendra une normalité. Il n’y a que la mise en pratique qui puisse permettre de voir les possibilités que renferme ce modèle. De plus, c’est en pratiquant que nous pouvons être innovants et avancer toujours plus loin et toujours plus vite. Ce point est aussi important car, comme pour beaucoup de nouveaux modèles, la recherche et l’innovation occupent une place centrale dans leur émergence et dans leur prospérité. Les acteurs engagés[1] de ce mouvement l’ont compris et beaucoup ont mis en place des bureaux de recherche et de promotion. De leurs actions, nous pouvons retenir plusieurs mots-clés qui aideront l’adoption de cette alternative : promotion, innovation, et partenariats.

Pour soutenir ces entreprises qui se lancent dans l’économie circulaire, nous pouvons décider d’adopter un comportement plus actif au sein du marché. Au lieu d’acheter la première chose que nous voyons, nous pouvons prendre le temps de nous informer sur les possibilités qui s’offrent à nous, de nous questionner sur notre action et sur l’action des entreprises. Nous pouvons prendre la décision de participer à notre économie en prenant en charge nos biens une fois arrivés en fin de vie. Nous pouvons prendre du recul sur notre consommation quotidienne pour nous rendre compte qu’il existe des consommations alternatives. S’informer est la première étape vers le changement. La volonté de changer est propre à chacun, il est important de faire ce choix en connaissance de cause.

Enfin, les lois peuvent impulser le changement au sein des marchés. Ainsi, les états pourraient prévoir des mesures qui encourageraient les comportements responsables de type circulaire (subsides, taxes, certifications, labellisation, recherche, innovation,ect.) que ce soit pour les entreprises ou pour les citoyens.

Au niveau mondial, une première bonne chose, me semble-t-il, est que, si nous regardons de plus près aux politiques provenant des quatre coins du monde, nous pouvons voir qu’il existe une compréhension commune des principes qui régissent l’économie circulaire. Sur chaque continent, il existe une politique d’économie circulaire, bien que chacune s’applique à des degrés divers selon le contexte national. Ce caractère international de l’économie circulaire est important car, comme nous le savons, les marchés se sont depuis longtemps globalisés. Les chaines de production sont donc internationales, ce qui conduit une entreprise à prendre en compte beaucoup de facteurs externes à son fonctionnement propre. Si une entreprise souhaite intégrer la circularité, cela engendre soit un alignement de la part des fournisseurs, soit l’intégration d’une structure circulaire dans les usines délocalisées. La présence d’une politique circulaire au sein de chaque pays permet ainsi une harmonisation de l’industrie engagée et facilite le changement. En Europe, plus précisément, nous remarquons une nouvelle tendance avec l’adoption de la stratégie EU 2020. Cette stratégie propose plusieurs mesures qui visent plus d’efficience en matière de gestion des ressources, et donc plus de recyclage.

En ce qui concerne la Belgique et l’industrie de la mode, bien que des initiatives tant citoyennes que gouvernementales émergent au sein de chaque région, l’exemple le plus accompli est celui de la ville d’Anvers, qui a lancé un appel à projet pour une économie circulaire appelée  Plan C. Cet appel a notamment donné lieu à Close the loop, un projet mené par le Flanders Fashion Institute, centré sur l’apport d’aide aux entreprises de mode qui souhaitent soit effectuer une transition, soit se construire sur les bases de l’économie circulaire.

Enfin ce sont nos mœurs qu’il faudrait également changer. Notre façon actuelle de consommer n’est pas naturelle, elle est née avec le capitalisme, et s’est banalisée, elle est devenue une partie intégrante de notre culture. Il faut dès lors multiplier les lieux d’éducation à une consommation alternative, à l’école bien entendu mais également en dehors : créer des ateliers de réparation d’objets, ou toute autre pratique nous évitant de jeter et de courir dans un magasin pour le remplacer lorsque quelque chose est cassé. À nous consommateurs de donner l’exemple. C’est la meilleure manière de conscientiser et de montrer qu’autre chose est non seulement possible mais en plus pas si compliqué.

L’économie actuelle nous envoie droit dans le mur. Bien que nous ne puissions récupérer les ressources épuisées jadis, nous pouvons encore faire en sorte de préserver les ressources actuelles. Pour cela, une coopération entre tous les acteurs est nécessaire en vue de faire émerger de nouveaux comportements plus responsables et plus respectueux.

 

 

Elora Majean

 

 

 

Pour les intéressés, voici quelques références :

 

Kate Goldsworthy : http://www.kategoldsworthy.co.uk/

Kate Fletcher : http://katefletcher.com/

Eco-age : http://eco-age.com

The True cost movie : https://truecostmovie.com/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des vaches pour la planète

 

publié par UniverSud en Septembre 2017

Dans un contexte de réchauffement climatique et d’épuisement des ressources, le secteur de l’élevage, et plus particulièrement celui des bovins, est mis à mal : pollution, compétition alimentaire, effets néfastes pour notre santé… Veaux, vaches et taureaux ont décidément bien mauvaise réputation.

La solution avancée par certains, qui consisterait à repenser l’agriculture sans productions animales, est non seulement simpliste, mais tout aussi dangereuse pour l’environnement que ne le sont les productions intensives. La présence des bovins dans nos paysages est capitale si nous voulons une agriculture durable.

LES MAUVAIS CHIFFRES

Inutile de nier l’évidence : oui, l’élevage bovin tel que nous le connaissons aujourd’hui est polluant et grand consommateur d’eau. Mais quelles données se cachent réellement derrière les chiffres?

Les bovins sont en grande partie responsables des 13% d’émission de Gaz à Effets de Serre (GES) dues à l’élevage. Le rapport de 2013 de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), Tackling climate change through livestock[1], montre que le coût environnemental le plus lourd revient à l’alimentation des animaux : les cultures de soja qui contribuent à la déforestation de la forêt amazonienne, l’utilisation massive d’engrais qui épuisent les sols, et le mauvais épandage des effluents (fumier, lisier) polluent les nappes phréatiques. Le bilan peut sembler sombre mais il contient en lui-même toutes les solutions. De plus en plus d’éleveurs recherchent déjà des alternatives au soja qui, outre son coût écologique, a un coût économique non négligeable. Quant à la gestion des effluents et à l’utilisation des engrais, les pollutions peuvent être réduites voire cessées en renouant le lien qui existe entre les productions végétales et animales. Concernant les rejets de méthane (que l’on désigne souvent par les « rots » des vaches), ils sont inhérents au processus de digestion des ruminants et donc difficiles à contrôler. Des études montrent qu’en augmentant la proportion d’aliments contenants peu de parois végétales (concentrés) aux dépens des fourrages ou encore en complémentant la ration avec du lin extrudé, c’est-à-dire du lin ayant subi un traitement thermomécanique permettant de le compresser, on peut diminuer la quantité de méthane dégagé lors de l’éructation. Il s’agit là de bonnes solutions, mais qui doivent être intégrées à l’ensemble du processus d’élevage. En effet, la distribution de concentrés se fait généralement aux dépends des surfaces enherbées et l’extrusion a un coût énergétique non négligeable. Il ne faut donc pas oublier que les chiffres ne sont que…des chiffres, et les défis environnementaux auxquels l’élevage fait face doivent être abordés dans le contexte d’un système intégré si l’on veut trouver des solutions durables.

L’exemple est encore plus flagrant avec l’empreinte eau. Si l’on reprend les chiffres du Water Footprint Network[2], il faut 15.415 litres d’eau pour produire un kilogramme de viande bovine et 1.020 litres pour produire un litre de lait. Mais à quoi est utilisée toute cette eau ? Pour 90%, il s’agit de la comptabilisation de l’eau de pluie présente dans le sol des terres cultivées et des prairies. Cette eau va être soit absorbée par les plantes, soit s’évaporer du sol et sera alors perdue en tant que ressource. En tenant compte de ce système de calcul, l’empreinte eau n’est donc pas un repère absolu pour définir un système durable. En effet, plus un élevage aura de prairies, plus son empreinte eau sera importante. Au contraire, un élevage où les vaches sont en claustration totale aura une empreinte eau plus faible.

Nous voyons que ces pollutions tiennent plus à notre façon de raisonner l’élevage qu’à la présence même des ruminants dans notre système agricole. Les bovins sont même indispensables à la mise en place d’une agriculture durable.

LA VIE EST UN CYCLE

La vache mange l’herbe, la digère, puis fertilise le sol par ses déjections, permettant ainsi à l’herbe de repousser. Même si la réalité est plus complexe, on peut retenir que ce cycle permet la circulation de l’azote, un élément nécessaire à la fertilité du sol. Sans déjections animales, on doit apporter cet élément d’une autre source, avec des engrais chimiques. Sur le long terme, ces engrais détruisent la flore et la faune des sols, augmentant le risque de désertification lorsque les terres ne sont plus cultivables. Il y a donc aberration à défendre une agriculture durable tout en cherchant à supprimer l’élevage, puisque c’est justement de la rupture du lien entre végétal et animal que sont nés la plupart des problèmes environnementaux que l’on connait.

L’élevage bovin a de plus la particularité de valoriser les prairies. En effet, sans les ruminants, pas de prairies. Ces terres seraient soit des friches soit des cultures, alors que les pâturages sont essentiels dans la lutte contre les émissions de GES et dans la préservation des sols. Les prairies permanentes, c’est-à-dire non labourées, constituent ce que l’on appelle des « puits de carbone », au même titre que les océans ou les forêts, ce qui veut dire qu’il y a plus de dioxyde de carbone atmosphérique capté par les plantes qu’il n’y en a de libéré. Ainsi, selon les élevages, le dioxyde de carbone capté par les prairies peut compenser de 5 à plus de 50% des émissions de méthane dues. Les sols de ces prairies sont également plus riches en biodiversité botanique et animale que les sols cultivés, ils sont préservés de l’érosion et permettent le réapprovisionnement des nappes phréatiques en eau pure.

L’enjeu consiste donc à retrouver un équilibre entre animaux et végétaux, les uns ne pouvant se développer sans les autres.

VACHES OU CEREALES : IL N’EST PAS NECESSAIRE DE CHOISIR

Une autre critique souvent entendue concerne la compétition alimentaire. Ce n’est pas un secret : une vache, ça mange. Et ça mange même beaucoup. Alors faut-il supprimer l’élevage pour que les céréales utilisées dans l’alimentation des animaux soient directement destinées à l’alimentation humaine ?

Depuis les années soixante, les productions mondiales de céréales n’ont fait qu’augmenter (à part ces dernières années, à cause du réchauffement climatique). Malgré cela, il n’y a jamais eu autant de personnes souffrant de la faim, dont la moitié d’entres elles sont des agriculteurs. D’un point de vue planétaire, les problèmes de sécurité alimentaire sont plus dus à une mauvaise répartition des richesses, au gaspillage et à la vulnérabilité des petits producteurs face aux aléas climatiques et géo-politiques plutôt qu’à un manque absolu de nourriture.

Il est d’ailleurs faux de croire que les vaches, même dans les élevages les plus intensifs, ne sont nourries qu’au maïs et au soja. Ces aliments sont utilisés uniquement pour complémenter en énergie et en protéines les animaux avec des besoins importants (comme les vaches en lactation). Même lorsqu’ils constituent une part importante de l’alimentation, plus de 60% de la ration reste des fourrages. En effet, comme nous l’avons dit un peu plus haut, les vaches mangent de l’herbe et c’est même là tout leur intérêt : grâce à leur processus digestif si particulier, elles sont capables de valoriser des aliments non consommables par l’être humain et de les transformer en protéines de haute qualité (entendons ici, lait et viande). C’est par exemple le cas des déchets de l’agro-industrie qui ne pourraient être valorisés autrement : drêches de brasserie, pulpes de betteraves après extraction du sucre, etc.

L’alimentation des bovins peut et doit être repensée pour diminuer son impact écologique, mais la compétition pour les ressources alimentaires n’est pas due à la présence des animaux mais aux inégalités entre les hommes.

LAIT ET VIANDE NE SONT PAS NEFASTES POUR LA SANTE

Dans le domaine de la santé, plusieurs types d’arguments sont avancés.

Basés sur des considérations anthropo-anatomo-physiologiques, les premiers types d’arguments rapportent que notre corps ne serait pas conçu pour digérer le lait ou la viande. Mettons-nous d’accord sur ce point : notre système digestif possède toutes les enzymes et les organes nous permettant, non seulement de digérer ces aliments, mais aussi de les assimiler. S’il est vrai que nous sommes les seuls mammifères à consommer encore du lait à l’âge adulte, c’est que le gène de l’enzyme nous permettant de le digérer, la lactase, a muté chez certaines populations humaines il y a de cela déjà plusieurs milliers d’années. Il est vrai cependant que certaines personnes sont dépourvues de cette enzyme, ou la voient diminuer avec l’âge, ce qui provoque de l’intolérance. De même, certains possèdent l’enzyme mais développent une réaction immunitaire excessive à l’encontre des produits laitiers, causant de l’allergie. Cependant, remet-on en cause la consommation des fruits à coques et leurs effets bénéfiques parce que l’on peut être allergique aux noix?

Concernant les risques pour notre santé, si certains cancérologues condamnent le lait pasteurisé aucun nutritionniste ne conseille pour autant d’arrêter toute consommation de produits laitiers. C’est le processus de pasteurisation qui est mis en cause, non le lait. Quant à la viande de bœuf, elle est source de cholestérol et il faut la considérer avec modération, comme tous les aliments. L’augmentation dans nos sociétés de maladies telles que les problèmes cardio-vasculaires ou l’obésité sont tout autant à mettre en relation avec notre consommation croissante de sucres et de graisses saturées présents dans la nourriture industrielle.

La question des antibiotiques et des hormones véhicule également beaucoup de craintes. Il faut savoir que les antibiotiques ne peuvent être utilisés qu’à des fins médicales et non pour stimuler la croissance des animaux, cette pratique étant interdite dans toute l’Union Européenne depuis 2006[3]. Leur usage est d’ailleurs strictement contrôlé par l’Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaine Alimentaire (AFSCA). Il faut aussi se rassurer sur le fait que les antibiotiques administrés à une vache malade ne se retrouvent pas dans nos assiettes. En effet, l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé a déterminé pour chaque produit utilisé en élevage « le temps à respecter entre la dernière administration du médicament à usage vétérinaire et la collecte des denrées alimentaires, ou la période durant laquelle le lait [et la viande] ne peuvent pas être utilisés pour la consommation humaine. A l’issue de ce temps d’attente, la teneur en substances actives provenant du médicament est suffisamment basse pour être considérée comme inoffensive ». On considère ainsi qu’une personne de 60 kg peut manger 500g de viande et boire 1.5L de lait tous les jours de sa vie sans apercevoir d’effets sur sa santé liés aux résidus d’antibiotiques. De quoi satisfaire les appétits les plus voraces. La transmission d’antibio-résistance de l’animal à l’homme est pourtant une grande source d’inquiétude, bien que les cas recensés restent extrêmement rares. Ces cas ont pour origine l’ingestion ou le contact direct avec une bactérie multi-résistante venant d’un élevage. Il est donc évidemment primordial de pratiquer l’usage raisonné des antibiotiques, mais de même que les résistances qui apparaissent chez les animaux proviennent de l’usage d’antibiotiques en médecine vétérinaire, les résistances qui apparaissent chez l’homme sont dues aux traitements utilisés en médecine humaine. En aucun cas nous ne développons de résistance antibiotique par l’ingestion de résidus de médicaments dans le lait ou la viande.

A propos des hormones, après les scandales des années 1980 pendant lesquelles des éleveurs, des vétérinaires et des pharmaciens ont fait leur beurre en utilisant ces substances pour accroitre artificiellement la croissance des bovins, la législation belge est devenue l’une des plus sévère sur le sujet et l’AFSCA procède à des contrôles fréquents. Pour l’heure, certaines hormones sont encore utilisées en production bovines, notamment pour le traitement des troubles de la reproduction, mais possèdent elles aussi un temps d’attente soumis à la législation européenne[4] pour protéger notre santé.

Avant de nous priver de lait ou de viande, il ne faut pas oublier que ces aliments nous apportent des nutriments essentiels que l’on retrouve difficilement ailleurs, comme la vitamine B12, indispensable au bon fonctionnement cellulaire, ou encore le calcium, la vitamine D, etc. Beaucoup de végétariens/végétaliens doivent se complémenter pour compenser leurs carences alimentaires. Nous devons rééquilibrer nos régimes et non les déséquilibrer en se privant de toute source de protéines animales.

ALORS, QUELLES SOLUTIONS ?

Finalement, entre ce qui est bon pour notre santé, bon pour la planète et bon pour notre porte-monnaie, on ne sait plus vraiment que choisir. Faut-il continuer à consommer de la viande et du lait, même s’ils sont issus de l’élevage conventionnel (sans label) ? Vaut-il mieux privilégier la production locale ou l’agriculture biologique ? Si de la viande « bio » est produite loin de chez nous et qu’il a fallu la transporter sur de longues distances, son impact environnemental est-il meilleur ou pire que celui d’une vache qui a pâturé « conventionnellement » dans la prairie voisine ?

En vérité, il n’existe pas de solution miracle. Acheter local permet de court-circuiter la grande distribution et a un impact social et environnemental positif, et si vous visitez quelques fermes autour de chez vous, je suis même sûre que vous vous rendrez compte qu’il n’est pas nécessaire d’être labélisé « Agriculture biologique » pour garantir de bonnes pratiques d’élevage. Cependant, pour celui qui ne connait pas d’éleveurs, le système de labels est un repère essentiel et celui d’« Agriculture biologique» garantie des pratiques respectueuses des animaux et de l’environnement. La question du coût ne doit pas non plus être négligée : la viande et les produits laitiers transformés coûtent chers, si on les achète à leur juste valeur. Les prix concurrentiels proposés par la grande distribution ne peuvent être maintenus que grâce à un élevage intensif.

Alors, que consommer pour se faire plaisir tout en restant en accord avec nos valeurs ? Je pense qu’il faut commencer par se pardonner d’être des humains faits de contradictions : on peut défendre l’élevage local mais acheter des bananes ou des avocats qui ont fait un sacré long voyage avant d’atterrir dans nos paniers. Il revient à chacun de faire ses choix, tant qu’ils sont éclairés, selon ses moyens et ses envies. Connaissons les opportunités et les limites de chaque mode de consommation pour garder le débat ouvert et éviter les jugements hâtifs.

Pour conclure, il est tout à fait compréhensible que certaines personnes refusent de consommer tous produits d’origine animale lorsque cela va à l’encontre de leur éthique personnelle, mais il ne faut pas tomber dans le piège des justifications scientifiques douteuses pour appuyer ce choix. L’élevage est nécessaire à une agriculture saine et durable.

Enfin, rappelons que l’élevage est un moyen de subsistance pour des milliers d’hommes et de femmes, voisins, amis, connaissances, travaillant dans un contexte difficile : pressions financières exercées par les grands groupes de l’agro-industrie et de la distribution, mondialisation et concurrence internationale, crises sanitaires, etc. Certains s’en sortent bien, mais d’autres y laissent des plumes. De nombreuses solutions adaptées aux problématiques individuelles existent déjà : circuits courts, autonomie fourragère, etc. A nous de soutenir ces initiatives en privilégiant leurs produits et non en les délaissant.

 

 Laure HAELEWYN

 

[1] http://www.fao.org/docrep/018/i3437e/i3437e00.htm

[2] http://waterfootprint.org/en/water-footprint/product-water-footprint/water-footprint-crop-and-animal-products/ et http://waterfootprint.org/en/water-footprint/what-is-water-footprint/

[3] Directive 96/22/CE modifiée par les Directives 2003/74/CE et 2008/97/CE

 

[4] Règlement (CE) n° 470/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2006 établissant des procédures communautaires pour la fixation des limites de résidus des substances pharmacologiquement actives dans les aliments d’origine animale et Règlement (UE) n° 37/2010 de la Commission du 22 décembre 2009 relatif aux substances pharmacologiquement actives et à leur classification en ce qui concerne les limites maximales de résidus dans les aliments d’origine animale

Connaissances, représentations, attitudes et engagements en matière de solidarité internationale des étudiants de l’Uliège

publié par UniverSud en Décembre 2017

UniverSud-Liège a pour objectif et mission de sensibiliser et de mobiliser la communauté universitaire de l’Université de Liège et plus particulièrement les étudiants autour de la solidarité internationale. Pour ce faire nous réalisons un double travail  de sensibilisation et de mobilisation. Cette double action se renforce: une compréhension fine et nuancée des enjeux mondiaux et de la coopération est le garant d’un engagement fort et durable pour la solidarité internationale, engagement qui passe notamment par la sensibilisation des paires aux thématiques Nord-Sud formant par-là un cercle vertueux.

Afin de mener à bien cette mission, il nous a semblé utile de faire le point sur les connaissances, les représentations, les attitudes et les comportements des étudiants: que connaissent-ils des enjeux Nord-Sud ? De la coopération au développement ? Comment se la représentent-ils ? Par quels canaux s’informent-ils ? Considèrent-ils qu’ils ont un rôle à jouer dans la coopération internationale ? Considèrent-ils que l’université est un acteur pertinent dans la lutte contre la pauvreté ? Est-ce qu’ils s’engagent ? Si oui, comment ? Quelles sont leurs motivations ? Nous voulions également savoir si ces différents éléments  sont influencés par leur niveau et leur domaine d’études, par leur sexe ou encore par le fait qu’ils soient étrangers.

Evaluer l’impact d’activités de sensibilisation, le degré de connaissance des problématiques, les conceptions, les positions ou encore l’engagement vis-à-vis de la solidarité internationale n’est pas chose aisée. Surtout auprès d’un public aussi large et diversifié que sont les un peu plus de vingt mille étudiants de l’Uliège. Si nous réalisons des évaluations continues pour chacune de nos activités, elles ne nous donnent qu’une information parcellaire et il faut le reconnaître assez biaisée : elles ne nous informent que sur les connaissances et l’engagement de nos participants a priori déjà sensibles aux thématiques que nous portons et souvent bienveillants vis-à-vis de nos activités.  Dès lors, une enquête de large ampleur, avec un échantillonnage représentatif de tous les étudiants de l’Uliège nous paraissait t utile pour faire le point sur ces questions, nous permettre d’identifier les leviers et les orientations à donner à notre action. Cela nous permettra de ne pas laisser de côté certaine frange de notre public alors que d’autres auraient accès à une offre surabondante, de mettre nos forces plutôt dans l’information ou plutôt dans la mobilisation en fonction des publics ou encore d’identifier les canaux d’information privilégiés par les étudiants etc.

Afin d’assurer la rigueur méthodologique et d’obtenir les résultats les plus riches et fiables possibles nous avons fait appel au Service de Socio-Anthropologie du développement de l’ULiège qui a réalisé pour nous cette enquête. Nous les remercions pour leur précieuse collaboration, en particulier Véronique Fettweis pour en avoir été la cheville ouvrière et Gautier Pirotte pour la supervision scientifique.

Enfin par sa représentativité, ce travail pourra également servir d’indicateur pour tout acteur travaillant à promouvoir la solidarité internationale auprès d’un public d’étudiants du supérieur. Pour ceux qui souhaiteraient réaliser le même type d’enquête auprès de son public, l’ensemble de la méthodologie ainsi que le questionnaire utilisé sont explicités dans l’enquête, nous espérons qu’ils pourront être utiles.

Téléchargez l’étude ici

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques