L’économie circulaire et l’industrie de la mode

L’économie circulaire et l’industrie de la mode
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publié par UniverSud en Septembre 2017

Quelles actions pour enclencher la transition vers une économie alternative ?

Depuis plusieurs décennies déjà, les organismes de protection de l’environnement ont multiplié les avertissements concernant la dégradation de l’écologie terrestre. Cela n’a pas pour autant freiné l’élan des grandes industries qui continuent de produire encore et toujours plus. Comme conséquence de cette surproduction, une surexploitation des ressources naturelles qui, comme nous le savons tous, sont pour certaines limitées. C’est le cas de l’industrie de la mode, la deuxième plus polluante au monde. La rapidité des cycles et la surproduction sont les caractéristiques phares de cette industrie. Les tendances, qui se démodent en quelques mois, incitent les consommateurs à se débarrasser de leurs vêtements encore en bon état pour en acheter d’autres, créant des tonnes de déchets.

Ces industries surproduisent pour que les populations surconsomment, mais d’ici quelques années nous serons plus de 9 milliards d’êtres humains sur terre. Parmi ceux-ci, une classe moyenne émergente qui voudra à juste titre consommer de la même façon que les occidentaux. Alors, qu’adviendra-t-il de ces ressources limitées ? Nous n’en aurons tout simplement plus. La raréfaction de nos ressources a commencé et il est de notre devoir d’adopter des comportements qui permettront de les préserver, et ce, en vivant de manière plus respectueuse à l’égard de l’Homme et pour la nature.

Ce discours semblera familier car répété maintes et maintes fois. Cependant, il ne semble pas amener à l’action consciente d’une population pourtant concernée par cette urgence. Que faut-il faire pour insinuer un changement dans les esprits ? Plusieurs se sont mis à imaginer des modèles économiques alternatifs qui répondent à cette urgence. Parmi ces alternatives, nous pouvons citer des théories comme la décroissance, l’économie positive, ou encore l’économie circulaire. Ces options ont toutes en commun une distanciation avec l’économie actuelle et une prise en compte du bien-être général. Contrairement à l’économie classique, tous ces modèles intègrent les conséquences des actions aussi bien des citoyens-consommateurs que des entreprises productrices et consommatrices. On peut alors constater un changement de paradigme dans la relation à l’achat.

Dans cet article, nous nous focaliserons sur une économie alternative en particulier : l’économie circulaire. Pourquoi parler de cette économie et pas d’une autre ? Il me semble non seulement que les bases de cette économie se retrouvent déjà dans nos comportements, mais aussi qu’il s’agirait d’une première bonne étape dans la transition.

Qu’est-ce que l’économie circulaire ?

Le concept d’économie circulaire est assez nouveau, bien que les pratiques existent depuis longtemps. L’économie circulaire provient de plusieurs courants de pensée qui ont pour principe de prendre la nature comme exemple. Il s’agit donc de reproduire son fonctionnement cyclique pour éliminer toute notion de « déchet », et ne créer que de la matière secondaire, comme le feuille morte qui devient fertilisant en se décomposant. Vous l’aurez compris, la matière secondaire est ainsi le résultat de la matière première, récupérée et retravaillée pour servir à nouveau.

De nombreux processus peuvent se revendiquer de l’économie circulaire. Pour être plus précis, nous pouvons en citer sept : l’écologie industrielle, l’écoconception, l’économie de la fonctionnalité, le recyclage, la réutilisation, le réemploi et la réparation. Chacun de ces procédés présente, comme nous allons le voir, une spécificité qui vient se rattacher aux principes de base de la circularité. De nombreux exemples de la mode se sont déjà engagés dans cette voie, créant des possibilités de consommation plus durable.

L’écologie industrielle

L’écologie industrielle, comme son nom l’indique, concerne les industries. Que ce soit au niveau d’une seule structure ou d’un réseau, ceux qui la pratiquent organisent la logistique de leurs activités pour récupérer les déchets et les réinsérer dans le processus de production, créant ainsi une boucle de matière et d’énergie. Dans le cas d’un réseau d’entreprises, ces dernières vont se coordonner pour récupérer et envoyer la matière secondaire là où elle est la plus utile. Les exemples les plus parlants sont les parcs éco-industriels au sein desquels les « déchets » d’une entreprise deviennent les sources d’énergie ou de production d’une autre, et ainsi de suite.

L’écoconception

Lorsque nous parlons d’économie circulaire, nous pensons assez vite au recyclage. Cependant, ce dernier peut se montrer très coûteux et énergivore si le produit n’est pas pensé dans ce but. L’écoconception anticipe le recyclage. Il s’agit d’une approche préventive où les designers et les ingénieurs vont penser le produit en intégrant dès le départ la possibilité de récupérer la matière. Il existe plusieurs critères à prendre en compte lors de l’élaboration d’un produit destiné au recyclage : la durée de vie, les propriétés de recyclage de la matière, la fonctionnalité, l’assemblage (et le désassemblage), etc. Tous ces détails permettront aux entreprises d’économiser en temps, en argent et surtout en énergie. Prenons l’exemple de l’industrie de la mode, à l’heure actuelle, un vêtement peut contenir plusieurs matières différentes et être couvert d’accessoires, comme des perles ou des boutons, ce qui vient fortement compliquer le recyclage ! Imaginez devoir recycler des tonnes et des tonnes de vêtements… En considérant le temps et l’énergie nécessaires, il deviendrait important d’imaginer des produits faciles à désassembler, non ? L’écoconception pourrait répondre à ces difficultés en intégrant des possibilités de recyclage dès la création du vêtement.

L’économie de la fonctionnalité

Bien qu’elle puisse être étudiée séparément, l’économie de la fonctionnalité peut être rattachée à l’économie circulaire dès lors qu’elle cherche elle aussi à initier une nouvelle manière de consommer et à inverser ainsi la tendance à créer du déchet. Dans le cas présent, les entreprises ne proposent plus de vendre le produit mais l’usage de ce produit. La valeur symbolique de propriété est remplacée par la valeur fonctionnelle d’usage. De plus en plus d’entreprises émergent sur base de ce modèle. Dans le monde de la mode, Tale me ou Les ReBelles d’Anvers sont des sociétés belges qui fonctionnent sur le principe de la location de vêtements, permettant ainsi de faire face à l’important turnover des tendances modes et, par là, de lutter contre la constitution de déchets. Ainsi, au moyen de systèmes d’abonnements, vous pouvez choisir de nouvelles pièces chaque mois et renouveler sans cesse votre garde-robe !

Le recyclage

Le recyclage est le processus le plus évident quand nous parlons de circularité. Il fait depuis longtemps partie de nos mœurs mais reste pourtant sous-exploité. Le but est ici de réutiliser la matière première. Pour la récupérer, il faut trier les produits et les désassembler. Récemment, on a pu entendre parler de robes constituées entièrement de bouteilles plastiques recyclées. C’est un exemple probant des possibilités qu’amène le recyclage. Certaines marques et bureaux d’études engagés dans la démarche circulaire sont actuellement en train de mener des recherches permettant de trouver de nouvelles manières de créer un tissu à base de « déchets » (plastique, ancien vêtement, …) et de ressources substituts, telles que le bambou.

La réutilisation, la réparation et le réemploi

Ces pratiques sont à la portée de tous, chacun peut facilement s’y atteler. Bien qu’il y ait un manque de communication sur les possibilités de réparation, il existe une multitude d’options. En ce qui concerne le réemploi et la réparation, la différence entre ces deux termes est parfois floue ; le réemploi signifie que nous allons utiliser un objet selon sa fonction d’origine. Etant donné que la mode elle-même se répète, nous pourrions prendre une veste vieille de dix ans, la remettre un peu au goût du jour en la customisant, et ainsi la faire durer pourquoi pas encore dix ans ? La réutilisation, quant à elle, signifie que nous allons utiliser un objet pour une fonction différente, comme par exemple couper un vieux jeans pour en faire un sac. Encore une fois, ces façons de faire ne sont pas évidentes pour tous et tiennent surtout d’habitudes de consommation qu’il serait pourtant aisé d’adopter.

Toutes ces pratiques sont rassemblées autour de la notion d’économie circulaire car elles répondent à un ensemble de principes fédérateurs au sein de cette économie : la longévité, la qualité, la fonctionnalité, et l’absence de déchets. Plusieurs entreprises ont décidé d’intégrer ces principes dans leur production ; pour certains l’intégration est plus récente et pour d’autres elle est présente dans l’ADN du business. Si nous prenons l’exemple de l’industrie de la mode, nous pouvons tous les jours voir des représentations de cette économie : les magasins de seconde main, les bulles à vêtements, les collections écologiques dans les grandes chaines de magasins, ect. Un peu partout sur le marché, nous pouvons remarquer des tendances au changement. Les industriels sont conscients que pour durer, il faut s’adapter au contexte actuel dans lequel les matières premières se font de plus en plus rares, et ainsi de plus en plus chères.

Mud Jeans

 

Les sociétés qui décident de baser leur modèle sur l’alternative circulaire émergent un peu partout dans le monde et, bien que chacune soit différente, elles cherchent toutes à déconstruire le consumérisme classique pour retourner à une consommation responsable.

Un cas qui attire l’attention, car regroupe beaucoup des concepts vus plus haut, est celui de la société  Mud Jeans.

Economie de la fonctionnalité, réemploi, recyclage et écoconception sont présents au sein de leur modèle. En effet, les jeans préalablement conçus pour tenir sont loués puis réemployés ou recyclés une fois rendus à leur propriétaire c’est-à-dire la société elle-même.

Encore une fois, ce n’est qu’un exemple parmi d’autres d’entreprises qui, dès le départ ou petit à petit, tentent de produire de manière responsable et d’enclencher une nouvelle relation avec leurs clients, relation empreinte de réflexion et de responsabilité mutuelle.

L’économie circulaire, des économies tout court.

En plus de l’intérêt écologique qu’il présente, plusieurs études démontrent que le modèle circulaire apporte un avantage en matière de coût qui permet aux entreprises qui l’appliquent d’être compétitives. En effet, en pratiquant le recyclage, les entreprises peuvent faire des économies sur l’approvisionnement en puisant dans leur stock de matières secondaires, c’est-à-dire leurs déchets. C’est d’autant plus vrai pour les entreprises qui ont intégré dès le départ le recyclage dans leur logistique. Pour les autres, si les coûts d’investissements pour passer en économie circulaire peuvent être importants sur le court terme, l’intégration de cette nouvelle phase dans la structure de l’entreprise s’avère bénéfique sur le long terme.

Nous parlons des entreprises cependant ; ces dernières ne sont pas les seules à économiser de l’argent grâce à l’économie circulaire. En consommant autrement, les populations pourront aussi épargner. À l’heure actuelle, nous sommes nombreux à penser nous enrichir car nous pouvons acheter beaucoup de biens à petits prix. Pourtant, nous avons surtout tendance à nous appauvrir car ces produits sont jetés à peine utilisés et puis renouvelés encore et encore. La circularité promeut la longévité des produits d’une qualité telle qu’il ne sera pas nécessaire de les racheter sans arrêt.

À ce titre, il existe une grande différence entre l’économie classique actuelle et l’économie circulaire : le rôle du consommateur. L’économie classique considère le consommateur comme un être passif soumis sans arrêt à une multitude de publicités qui créent en lui de nouveaux « besoins ». Au sein de l’économie circulaire, il est question du « consom’acteur », un citoyen informé et conscient des conséquences de ses achats. Le « client » – terme qui introduit la notion de choix de l’achat- détient alors un rôle important dès lors qu’il devient un maillon de la chaîne de production : sa part du travail est de rapporter le produit en fin de vie afin qu’il soit recyclé, ou de faire preuve de créativité pour le réutiliser. Enfin, le citoyen est actif dans ses choix de consommation. Via un label par exemple, il sera responsabilisé car dûment informé sur la fabrication et l’origine de ce qu’il a acheté. Ce modèle alternatif, c’est aussi ça : la responsabilisation de chacun des acteurs impliqués dans le marché, un effort de la part de chacun et une coopération pour avancer vers une solution.

Une économie à développer…

Où en est-on concrètement ? Comment intégrer l’économie circulaire dans nos habitudes ?

Tout d’abord, au niveau des entreprises, la réussite de l’une peut engendrer du changement.  Comme bien souvent, les exemples de réussite sont le plus précieux des incitateurs pour le reste de l’industrie. Il est donc important que des entreprises engagées dans le processus partagent leur expérience afin de pouvoir démontrer ses avantages, de discuter des possibles barrières et tenter de les dépasser, et de donner envie aux citoyens qui souhaitent démarrer une entreprise de franchir le pas. Plus il y aura d’entreprises à l’ADN circulaire, plus cela fera pression sur le marché et deviendra une normalité. Il n’y a que la mise en pratique qui puisse permettre de voir les possibilités que renferme ce modèle. De plus, c’est en pratiquant que nous pouvons être innovants et avancer toujours plus loin et toujours plus vite. Ce point est aussi important car, comme pour beaucoup de nouveaux modèles, la recherche et l’innovation occupent une place centrale dans leur émergence et dans leur prospérité. Les acteurs engagés[1] de ce mouvement l’ont compris et beaucoup ont mis en place des bureaux de recherche et de promotion. De leurs actions, nous pouvons retenir plusieurs mots-clés qui aideront l’adoption de cette alternative : promotion, innovation, et partenariats.

Pour soutenir ces entreprises qui se lancent dans l’économie circulaire, nous pouvons décider d’adopter un comportement plus actif au sein du marché. Au lieu d’acheter la première chose que nous voyons, nous pouvons prendre le temps de nous informer sur les possibilités qui s’offrent à nous, de nous questionner sur notre action et sur l’action des entreprises. Nous pouvons prendre la décision de participer à notre économie en prenant en charge nos biens une fois arrivés en fin de vie. Nous pouvons prendre du recul sur notre consommation quotidienne pour nous rendre compte qu’il existe des consommations alternatives. S’informer est la première étape vers le changement. La volonté de changer est propre à chacun, il est important de faire ce choix en connaissance de cause.

Enfin, les lois peuvent impulser le changement au sein des marchés. Ainsi, les états pourraient prévoir des mesures qui encourageraient les comportements responsables de type circulaire (subsides, taxes, certifications, labellisation, recherche, innovation,ect.) que ce soit pour les entreprises ou pour les citoyens.

Au niveau mondial, une première bonne chose, me semble-t-il, est que, si nous regardons de plus près aux politiques provenant des quatre coins du monde, nous pouvons voir qu’il existe une compréhension commune des principes qui régissent l’économie circulaire. Sur chaque continent, il existe une politique d’économie circulaire, bien que chacune s’applique à des degrés divers selon le contexte national. Ce caractère international de l’économie circulaire est important car, comme nous le savons, les marchés se sont depuis longtemps globalisés. Les chaines de production sont donc internationales, ce qui conduit une entreprise à prendre en compte beaucoup de facteurs externes à son fonctionnement propre. Si une entreprise souhaite intégrer la circularité, cela engendre soit un alignement de la part des fournisseurs, soit l’intégration d’une structure circulaire dans les usines délocalisées. La présence d’une politique circulaire au sein de chaque pays permet ainsi une harmonisation de l’industrie engagée et facilite le changement. En Europe, plus précisément, nous remarquons une nouvelle tendance avec l’adoption de la stratégie EU 2020. Cette stratégie propose plusieurs mesures qui visent plus d’efficience en matière de gestion des ressources, et donc plus de recyclage.

En ce qui concerne la Belgique et l’industrie de la mode, bien que des initiatives tant citoyennes que gouvernementales émergent au sein de chaque région, l’exemple le plus accompli est celui de la ville d’Anvers, qui a lancé un appel à projet pour une économie circulaire appelée  Plan C. Cet appel a notamment donné lieu à Close the loop, un projet mené par le Flanders Fashion Institute, centré sur l’apport d’aide aux entreprises de mode qui souhaitent soit effectuer une transition, soit se construire sur les bases de l’économie circulaire.

Enfin ce sont nos mœurs qu’il faudrait également changer. Notre façon actuelle de consommer n’est pas naturelle, elle est née avec le capitalisme, et s’est banalisée, elle est devenue une partie intégrante de notre culture. Il faut dès lors multiplier les lieux d’éducation à une consommation alternative, à l’école bien entendu mais également en dehors : créer des ateliers de réparation d’objets, ou toute autre pratique nous évitant de jeter et de courir dans un magasin pour le remplacer lorsque quelque chose est cassé. À nous consommateurs de donner l’exemple. C’est la meilleure manière de conscientiser et de montrer qu’autre chose est non seulement possible mais en plus pas si compliqué.

L’économie actuelle nous envoie droit dans le mur. Bien que nous ne puissions récupérer les ressources épuisées jadis, nous pouvons encore faire en sorte de préserver les ressources actuelles. Pour cela, une coopération entre tous les acteurs est nécessaire en vue de faire émerger de nouveaux comportements plus responsables et plus respectueux.

 

 

Elora Majean

 

 

 

Pour les intéressés, voici quelques références :

 

Kate Goldsworthy : http://www.kategoldsworthy.co.uk/

Kate Fletcher : http://katefletcher.com/

Eco-age : http://eco-age.com

The True cost movie : https://truecostmovie.com/