Fatme Fadel : quand stage et démarche interculturelle font des merveilles

Envolée trois mois au Sénégal, Fatme est revenue ravie et changée de son stage de fin d’étude. Son expérience de terrain au contact de la population locale lui a permis de sortir de sa zone de confort et de bousculer ses habitudes d’universitaire belge. Ayant fait son stage en partenariat avec Eclosio, nous avons eu la chance de recueillir son témoignage. Des retours précieux pour mieux comprendre le vécu singulier d’une étudiante en stage à l’étranger, qui a visiblement pris conscience du potentiel que peut avoir une démarche interculturelle dans un contexte professionnel multiculturel.

Fatme Fadel : quand stage et démarche interculturelle font des merveilles
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Un stage ancré dans la transition agroécologique

Devoir faire 60 kilomètres pour chercher des fertilisants biosourcés ? C’est peut-être du passé pour les producteur·trices de Ngueye Ngueye, commune sénégalaise du bassin arachidier (1). En effet, alors que les effets du dérèglement climatique occasionnent de plus en plus de dégâts dans le secteur agricole, une filière de production de biofertilisant est actuellement en développement grâce à un projet multipartite notamment mis en place grâce au suivi de Fatou Diouf, référente agroécologie pour Eclosio Sénégal, et aux interventions de Ludivine Lassois, anciennement chercheuse et professeure en agroécologie tropicale à Gembloux Agro-Bio Tech (2).

Dans le cadre de ses cours, Madame Lassois proposait à ses étudiant·es d’effectuer des stages internationaux. C’est ainsi que Fatme Fadel, étudiante en bioingénierie en option sciences agronomiques, a pu partir au Sénégal. A travers cet article, vous découvrirez entre les lignes quelques clés du succès de son expérience de stage, ayant pour sujet « Contribution à la mise en place, à la vulgarisation et à l’utilisation d’un inoculum à base de champignons mycorhiziens au sein de groupements de femmes au Sénégal ». La fertilisation par inoculation est une alternative agroécologique vue comme prometteuse pour pallier aux intrants de synthèse.

 

Synergie ARES - plante inoculées par un engrais produit avec un champignon mychorizien

 

Quelqu’un dit un jour : « On voyage pour changer, non de lieu, mais d’idées ». C’est visiblement dans cet état d’esprit que Fatme a réalisé son stage au sein de l’ONG Eclosio. Alors qu’elle avait déjà pu expérimenter la vie à l’étranger pendant pas moins de deux ans, notre étudiante n’était pas au bout de ses apprentissages. Derrière l’accomplissement de son stage de fin d’études se cachent des facteurs de réussite quelque peu insoupçonnés, des compétences humaines indispensables, des « savoir être » souvent négligés.

 

Une expérience en immersion chez l’habitant

Lorsque l’on travaille, il n’est pas risqué d’affirmer qu’il est important de se sentir bien tant dans la sphère professionnelle que privée. Dans le cas de Fatme, elle a su par sa fibre sociale se faire accepter dans le milieu dans lequel elle s’est retrouvée, de sorte à rendre sa vie sur place agréable et épanouissante. Entre autres, l’étudiante ne cache pas qu’avoir pu vivre chez l’habitant fut une réelle valeur ajoutée à son expérience. Elle nous explique :

Comment s’est passée ton expérience de stage au Sénégal ?

Je dois dire que mes attentes ont été acquises à 100%, même plus. Et ce, parce que l’équipe qui m’a encadrée était vraiment super chouette et qu’elle ne m’a jamais laissée tomber. Évidemment, j’ai dû être autonome sur le terrain, ça c’est normal. Mais en cas de problème, j’étais vraiment super vite aidée. Par exemple, j’ai eu tout simplement un problème avec l’accès à la serre – j’y travaillais pour mes expérimentations sur les cultures. Ceux qui étaient en charge des clés se posaient des questions sur moi : “C’est qui cette stagiaire ?”, “A-t-on le droit de laisser entrer?”, “Peut-elle toucher à ce qu’il y a à l’intérieur ?”… Face à ces situations, je téléphonais directement à ma maître de stage (Fatou Diouf) qui expliquait les choses à ses collègues. On fonctionnait par petits coups de téléphone pour des petits problèmes, comme des problèmes de communication car certaines personnes ne parlaient pas français, ou n’osaient pas me parler. Bref, un appel téléphonique et c’était réglé sur-le-champ.

Tu as créé un lien fort avec ta famille d’accueil, alors qu’elle ne parlait pas ta langue, raconte-nous…

Puisque j’étais en village sérère (c’est une langue là-bas qui est moins connue que le wolof) j’ai appris le sérère, même si j’ai aussi appris quelques mots en wolof. J’arrivais à communiquer avec des expressions comme : “Bonjour”, “Bon après-midi”, “Bonsoir”, ”J’ai faim”, “J’ai soif”, “Où est-ce qu’on va ?”, “Je vais travailler”, tout ça. Je l’ai appris parce que j’étais vraiment installée avec une famille sur place, une famille sénégalaise. Du fait que la maman ne parlait que le sérère, j’étais obligée de le parler pour vivre avec elle au quotidien. Surtout quand le papa n’était pas là.

« Le reste de la famille bah… ne savait pas grand-chose de ce que je faisais. (…) Je n’ai pas hésité à les prendre avec moi en serre pour les faire visiter, pour qu’ils puissent mieux comprendre, aussi. Parce qu’expliquer comme ça, en théorie, ça ne parle pas forcément. »

Au début, il n’y a que le papa qui comprenait ce que je faisais dans le cadre de mon stage car il était le trésorier de l’association partenaire. Des personnes lui avaient expliqué en amont de ma venue, évidemment, ce que j’allais faire plus ou moins. Mais le reste de la famille bah… ne savait pas grand-chose de ce que je faisais. Alors, on faisait des soirées où je leur racontais et je n’ai pas hésité à les prendre avec moi en serre pour les faire visiter, pour qu’ils puissent mieux comprendre, aussi. Parce qu’expliquer comme ça, en théorie, ça ne parle pas forcément. Finalement, la famille s’est dit “ben ça sert à quelque chose alors ce que tu fais, parce que tu ne viens pas juste faire un truc et puis partir”.

« Ils se demandaient si j’allais respecter les droits des gens, si j’aurais le droit de faire tout ce que je veux, si j’allais avoir plus de droits qu’eux… »

Les locaux avaient une appréhension avant ta venue, comment cela a pu devenir une expérience positive ?

Avant que je me présente ou qu’ils vivent avec moi, je pense que les personnes sur place (ma famille d’accueil comprise) avaient un peu d’appréhension… Parce qu’ils ne savaient pas très bien ce que je venais faire sur place… Ils se demandaient si j’allais respecter les droits des gens, si j’aurais le droit de faire tout ce que je veux, si j’allais avoir plus de droits qu’eux… Des trucs comme ça, quoi. Et finalement ils se rendent compte que, déjà, je vivais au sein d’une famille du village. Ça a fortement aidé parce qu’ils m’ont perçue comme ayant plus de modestie que certains, certains qu’ils pouvaient avoir en tête. Ils ont en tête l’image de quelqu’un qui vient d’un hôtel, qui ne connait rien du terrain et puis qui va venir avec ses grosses bottines avec l’attitude de “celui ou celle qui sait tout”, on va dire.

Du coup, je pense que j’ai laissé une trace chez ma famille plutôt agréable. Mais c’est parce que c’est ce qu’eux m’ont laissé aussi. Finalement, c’était vraiment devenu ma famille. J’avais un deuxième papa, une deuxième maman, des frères et sœurs là-bas… Avant que je quitte le village, ils m’ont dit et décrit ce que je leur ai apporté et pour eux, c’était vraiment que du bonheur, de l’amour, de la chaleur, des connaissances, vraiment. Je leur ai dit pareil. Finalement, on part de là le cœur lourd. Je suis restée là 3 mois, c’est comme si une partie de ma vie était là et que je me suis construit une famille. C’était vraiment ça… Ça m’a fait mal de repartir. Et ça montre que je me suis accrochée, qu’eux aussi se sont accrochés à moi et que, finalement, on construit quelque chose qu’on ne risque pas d’oublier rapidement.

 

Une attitude bénéfique d’un point de vue professionnel

Comme repris dans le premier extrait de l’interview, Fatme a réussi ce qu’elle a voulu entreprendre sur place. Néanmoins, son expérience n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Du fait notamment d’avoir été confrontée à des chocs culturels, malgré des expériences préalables en Afrique de l’Ouest. Elle a su les surmonter en adaptant son travail d’une part grâce à son attitude globale d’ouverture aux autres et, d’autre part, grâce au fait qu’elle ait logé en famille d’accueil. Lisez plutôt :

Tu as du revisiter « le quart d’heure académique » sur place, peux-tu nous en dire un peu plus ?

Sur place, avec les locaux, on va leur donner rendez-vous mais ils ne vont pas forcément venir. C’est quelque chose qui m’a énervée, pour être honnête. Le timing pour eux, ce n’est pas super important parce qu’ils n’ont pas d’horaire, en soi. S’ils doivent aller sur le champ cultiver, ils le font à l’heure qu’ils veulent, ou quand ils en ont l’opportunité. Dans mon expérience de terrain, parfois, je me rendais sur place et il n’y avait personne. Un retard d’une heure, c’est comme le quart d’heure académique chez nous. C’est une autre notion du temps. Pourtant, on avait convenu le jour d’avant qu’on serait là à telle heure. Ça arrivait que j’attende une heure avant que des personnes commencent à arriver. Elles ne voyaient pas de souci dans leur retard, ce n’était pas considéré comme un gros problème. Mais pour moi cela en était un énorme parce qu’un retard de timing décale tout mon programme. Toute une matinée peut partir, comme ça, ce qui se répercute sur les activités prévues l’après-midi, qu’on va devoir caser à un autre moment…

En fait, ce que j’ai fini par faire, c’est me demander pourquoi elles sont en retard à chaque fois à la même heure. Et bien, j’ai découvert, par exemple, qu’à 9 h, elles étaient encore avec les enfants car l’école commence plus tard que chez nous. Là-bas, les enfants peuvent commencer à 9h30, ce qui fait qu’à 9h, la maman est encore en train de faire le petit-déjeuner, de partir à l’école ou encore d’en revenir. Et puisque je travaillais avec des femmes, ben je devais attendre que tout le monde ait fini de s’occuper de son ménage. J’ai alors décidé de retarder l’heure du début du travail sur le terrain et, du coup, de planifier une partie de mon travail au matin avant 10h car, à tous les coups, tout le monde viendrait à 10h puisqu’il n’y avait plus rien à faire à la maison. C’était pareil pour le jour du marché. Le mardi, je savais qu’avant 12h, il n’y aurait personne. Mais ça, j’ai mis du temps à le savoir ! Je ne savais pas non plus pour la vente du bétail les mardis après-midi ! Bref, des trucs comme ça… Je pense que c’est plus une adaptation qu’on doit faire nous même, mais aussi il faut parfois être un peu plus exigeant. Moi, à un certain moment, j’ai mis une limite. Je leur ai dit : « vous devez être là à 10h pile parce que moi sinon je commence sans vous ou alors je pars ! ».

« Ce que j’ai fini par faire, c’est me demander pourquoi elles sont en retard à chaque fois à la même heure. Et bien, j’ai découvert, par exemple, qu’à 9 h, elles étaient encore avec les enfants car l’école commence plus tard que chez nous. (…) Et puisque je travaillais avec des femmes, ben je devais attendre que tout le monde ait fini de s’occuper de son ménage. »

Stage Fatme Fadel - femmes en apprentissage

Qu’est-ce qui t’a aidée à comprendre et dépasser tes chocs culturels ?

Moi, au début, je ne savais pas, mais j’ai pu comprendre au fur et à mesure que j’allais au marché avec ma famille d’accueil : “Ah c’est pour ça qu’untel n’est pas venu.”, “Ah, c’est pour ça qu’elles sont venues en retard !”, des trucs comme ça… Ça m’a permis, petit à petit, d’adapter mon horaire tout en essayant d’être exigeante sur l’heure. Donc je leur disais : “A 10h vous devrez être là. Est-ce que quelqu’un a quelque chose d’autre à faire à 10h ? Est-ce qu’il y a marché ? … Non. Est-ce que les enfants terminent plus tôt ce jour-là ? … Non.”. C’était un véritable travail de gestion – qui devait venir plutôt de ma part, parce qu’eux ne sont pas habitués à respecter des horaires « stricts » comme on en a. Je devais moi m’adapter : choisir et exiger l’heure de rendez-vous, préciser que si elles n’ont rien à faire, leur dire : “Vous venez ou sinon on ne le fait pas parce que je ne serais pas là. Vous ne pourrez pas faire le travail alors…”. Finalement, elles se sont senties un peu obligées de respecter l’heure. Et puis, elles se sont dit: “Bah on n’a rien à faire à cette heure-ci déjà, puis on lui a dit qu’on venait… et puis, si elle n’est pas là, on ne peut pas faire cette partie-là du travail alors qu’elle est plus importante”. Au final, j’ai essayé de leur faire comprendre l’importance que j’accorde au timing… Finalement, elles m’ont fait changer tout mon horaire hein, pour que je puisse m’adapter à leurs horaires (rire).

« J’ai pu comprendre au fur et à mesure que j’allais au marché avec ma famille d’accueil : “Ah c’est pour ça qu’untel n’est pas venu.”, “Ah, c’est pour ça qu’elles sont venues en retard !”, des trucs comme ça… Ça m’a permis, petit à petit, d’adapter mon horaire tout en essayant d’être exigeante sur l’heure. »

Tu devais former le groupement de femmes pour qu’elles fertilisent leurs parcelles maraichères avec un substrat inoculé. Ensuite tu devais récolter des données pour comparer les rendements effectifs des cultures sur des parcelles inoculées et non inoculées. As-tu trouvé des astuces pour croiser tes exigences académiques avec les coutumes de travail locales ?

Au début, j’avais décidé de fonctionner avec des grammes ou des litres (pour la dose d’engrais à appliquer sur les cultures). Ils m’ont alors dit qu’ils travaillaient avec une poignée de main. Mais je leur ai dit : ”Oui mais ta main et sa main ne sont pas pareilles. L’une est plus grande, l’autre plus petite… On aura donc une quantité qui variera fortement !”. Alors on a réfléchi et on m’a dit qu’au labo ils avaient utilisé des bouchons. J’ai donc essayé cette solution, comme ça on prend quelque chose qu’ils utilisent dans la vie de tous les jours et qu’ils n’ont pas à acheter. Les bouchons venaient de bidons qu’ils utilisaient tout le temps. Et puis, ça fonctionnait super bien.

 

Stage Fatme Fadel - Fatme en pleine prise de notes !

« Je leur ai dit : ”Oui mais ta main et sa main ne sont pas pareilles. L’une est plus grande, l’autre plus petite… On aura donc une quantité qui variera fortement !”. Alors on a réfléchi et on m’a dit qu’au labo ils avaient utilisé des bouchons. »

Stage Fatme Fadel - Pratique et théorie ensemble

 

Une transmission adaptée au contexte local

Dans le cadre de son stage, Fatme a eu l’opportunité de pouvoir diffuser les connaissances accumulées durant ses expérimentations aux personnes sur place, ce qui constitue finalement une belle plus-value à son travail. De tous les formats possibles et imaginables, elle a choisi la bande dessinée… Réalisée avec ses humbles compétences en illustration comme outil de vulgarisation scientifique. Curieux, n’est-ce pas? Découvrons le cheminement de pensée qui l’a amenée à choisir ce format, son contenu et ses particularités.

Tu devais vulgariser les compétences transmises aux locaux, pour la réplicabilité. Quel format as-tu choisi?

Pour aider les locaux à pouvoir refaire ce que j’ai fait avec l’équipe, on a réfléchi à un genre de fiche technique originale : une bande dessinée. Pourquoi ? Parce que j’ai fait plein de démonstrations et de séances d’information ou de sensibilisation, mais bon. C’est bien, mais des fois, ça ne reste pas car il manque ce côté “consigné, écrit quelque part”. Je me suis dit qu’une BD serait une bonne idée parce que c’est quelque chose qu’ils utilisent déjà sur place ! Certaines ONG jouent aussi là-dessus. J’ai aussi vu des locaux en train d’utiliser certaines BD. En plus, c’est un outil vraiment réutilisable. Au final, j’ai créé un genre de fiche technique à travers une histoire. Elle va être traduite en wolof donc ceux qui savent lire pourront la lire. Et pour ceux qui ne savent pas lire, bah il va falloir demander de l’aide à quelqu’un ou alors juste regarder les images.

Dis nous en plus sur le fond…

Que raconte cette BD ? On montre un agriculteur qui rencontre un gros problème, qui ne sait pas quoi faire car son champ ne donne plus autant qu’avant, alors qu’il n’a rien changé dans sa manière de faire. Petit à petit, des serres apparaissent dans son voisinage et on lui conseille d’aller demander des informations. L’agriculteur va se rendre au village et on va lui expliquer, petit à petit, étape par étape, ce qu’est un inoculum et comment on l’utilise. Dans la BD, on explique qu’il faut demander des informations au chef de l’association Jambaar qui va faire appel aux techniciens pour expliquer à Monsieur comment on fait sur le terrain directement. On voit alors exactement ce qu’on a fait réellement sur le terrain. On a vraiment une personne qui applique la quantité exacte qu’on a utilisée. Au fur et à mesure de la BD, on voit les résultats, on voit comment agir. On voit aussi l’agriculteur qui partage ce qu’il apprend dans son village. Je raconte par exemple qu’une personne plus âgée d’un autre village va accepter d’essayer l’inoculum. La BD montre qu’au final tout le monde est satisfait de cette solution technique, que les cultures ont donné beaucoup mieux qu’avant, et que l’agriculteur de départ n’a plus de soucis avec son champ. En gros, ces quelques pages permettent d’avoir une idée de notre travail, de ce qu’on fait et quels résultats ça peut donner. »

 

BD-vulgarisation technique inoculum

« J’ai montré cette BD aux techniciens avec qui je travaillais. (…) Ils m’ont répondu que oui, qu’ils reconnaissaient vraiment bien le style, que les personnages ressemblaient vraiment à des gens qu’on pourrait rencontrer dans la rue, qu’on pourrait voir ces vêtements chez eux, pareil pour les arbres ou les maisons… Ils font attention aux détails ! »

…et sur la forme

J’ai fait attention à ce que les personnages ressemblent aux sénégalais parce que quand je lis un livre ou que je regarde une fiche, j’aime me retrouver dedans, personnellement. Pour ce faire, puisque je n’avais pas l’habitude de dessiner ce genre de personnages, j’ai utilisé des livres d’école et des petites BD que l’on m’a donnés  pour pouvoir réutiliser les dessins et les adapter à ma BD. Et ce pour être sûre d’avoir un contenu adapté à la population. Ainsi, j’ai vraiment pu adapter les vêtements, la manière dont laquelle on dispose les éléments et les personnages, le genre de bulles qu’ils utilisent là-bas.

Finalement, j’ai montré cette BD aux techniciens avec qui je travaillais. Ils l’ont lue et l’ont aussi montrée à leur famille. Ils m’ont dit que les dessins que j’avais faits étaient supers, à tel point qu’ils se retrouvaient vraiment dedans. Je leur ai demandé si elle avait l’air d’avoir été faite au Sénégal et ils m’ont répondu que oui, qu’ils reconnaissaient vraiment bien le style, que les personnages ressemblaient vraiment à des gens qu’on pourrait rencontrer dans la rue, qu’on pourrait voir ces vêtements chez eux, pareil pour les arbres ou les maisons… Ils font attention aux détails ! Allez, je n’allais pas dessiner un cerisier dans ma BD ! Et ça, ça leur a plu. Ils ont également prêté beaucoup d’attention à comment j’ai expliqué le côté technique. Quant aux femmes, elles ont aussi aimé voir qu’elles se retrouvaient dedans, qu’on prenne en compte leur travail, qui était mis en valeur.

Que penses-tu avoir apporté à la population sur place pendant ton stage ? 

Je me dis que ce que j’ai apporté, c’est vraiment, on va dire, une image. Une image de ce que je représente, en gros – de Gembloux ou d’Eclosio, peu importe l’organisation avec laquelle on travaille. Parce qu’en soi, eux, ils vivent leur vie de tous les jours, ils n’ont pas le besoin qu’on vienne apporter quelque chose parce que pour eux c’est très bien comme c’est pour l’instant et qu’il n’y a rien à changer. C’est vraiment comme nous, hein. Quand on est en cours, c’est vraiment pour apprendre quelque chose qu’on pensait ne pas avoir besoin… Ou alors finalement qu’on n’aura peut-être jamais besoin. Mais on apprend quand même quelque chose de nouveau, qu’on va utiliser ou pas. Donc moi, en tant qu’étudiante, je vais venir avec ce que je sais et donc, je vais apporter ce que moi j’ai appris en cours, et je vais voir si ça s’applique. Finalement ce que eux vont m’apporter, c’est vraiment un apprentissage « alors non, ça ne s’applique pas 100% : il faut ajouter ça, il faut enlever ça… ». C’est vraiment moduler mes connaissances et les enrichir, évidemment, et finalement quand je repars de là, bah je vais laisser des informations, en reprendre, mais je vais surtout laisser une image de ce qu’une organisation est venue faire dans ce pays, apporter, quoi.

« En soi, eux, ils vivent leur vie de tous les jours, ils n’ont pas le besoin qu’on vienne apporter quelque chose parce que pour eux c’est très bien comme c’est pour l’instant et qu’il n’y a rien à changer. »

Pour moi en tant qu’ONG, on vient dans un pays étranger pour apprendre: pour qu’eux nous apportent quelque chose ou pour que nous on apporte quelque chose. Donc, pour qu’au final, on évolue tous ensemble. Et, puisqu’eux ne peuvent pas venir ici, bah nous on va là-bas. Sur place, ben l’échange se passe quoi. Finalement, je pense que c’est principalement ça le rôle d’une ONG : échanger les connaissances, le matériel, les fonds… Fin, plein de choses ! C’est la base, c’est échanger, apprendre, donner et recevoir, c’est ça.

 

Que retenir de son expérience ?

Fatmé a réussi son stage et présenté son travail de fin d’étude à Gembloux, très apprécié du Jury. Le témoignage de Fatme vous aura peut-être touché en ravivant des souvenirs d’expériences passées, en vous faisant voyager et découvrir d’autres manières de faire, ou encore en vous donnant envie d’en apprendre plus et d’expérimenter en contexte multiculturel.

Ce morceau de vie est une belle matière à penser pour réfléchir aux nombreux aspects que comportent un stage à l’étranger : Quel lieu de stage choisir ? Comment vivre sur place ? Comment la vie professionnelle des locaux s’imbrique-t-elle dans leur vie privée ? Quelles sont les priorités et les différences culturelles entre chacun·e? Autant de questions qui cherchent tant de réponses…

Il serait aussi intéressant de se renseigner pour voir si l’outil de vulgarisation scientifique que Fatme a réalisé est réellement utilisé, et si l’engrais produit est utilisé par les locaux, donnant ainsi un sens et une durabilité au projet réalisé par Eclosio et ses partenaires, notamment l’ULiège, projet qui est d’ailleurs renouvelé pour plusieurs années dans le cadre d’un projet de recherche développement (PRD).

A l’heure où le secteur de la coopération a déjà beaucoup évolué sur les questions de rapport de force entre organisations dites du « Nord » et dites du « Sud », entre « savoirs académiques » et « savoirs expérientiels », Fatme nous rappelle qu’il est possible d’outrepasser les difficultés d’un contexte multiculturel. Son récit nous invite à être à l’écoute de l’autre et ouverts au partage. Ces facteurs de réussite ont-ils été d’application dans votre cas ? Ou le seront-ils ?

Si tu es étudiant·e, n’hésite pas à prendre contact avec nous si tu te questionnes sur l’accompagnement que tu pourrais recevoir dans le cadre d’un stage à l’étranger (3). En sa qualité d’ONG universitaire, Eclosio offre des services qui pourraient t’intéresser (4) :

 

Sources

(1) La carte du lien cliquable provient du livre « Carbone des sols en Afrique » de la FAO (2020)

(2) Voir l’article suivant : https://www.lqj.uliege.be/cms/c_18145976/fr/en-pleine-terre

(3) Nous contacter : https://www.eclosio.ong/contact/

(4) Voir la page suivante : https://www.eclosio.ong/offre-de-services-pour-luliege/

Interview réalisée par Kévin Dupont à Gembloux en novembre 2022. Sélection des passages et rédaction par Jennifer Buxant avec l’appui de l’équipe d’Eclosio.