Les activités humaines : une menace pour les mammifères marins

publié par UniverSud en février 2019

D’après le rapport annuel du Réseau National d’Echouages français, 1 897 échouages de mammifères marins se sont produits au cours de l’année 2017 sur les côtes françaises (3 427 km), soit presque 300 de plus qu’en 2016. En Belgique, ce sont 216 mammifères marins qui se sont échoués au cours de l’année 2017 (pour 66 km de côtes) et 258 échouages en 2016.

La découverte d’une baleine morte ou agonisante sur une plage est souvent à l’origine de scandales médiatiques. Sont-ils justifiés ? Mais surtout, ces drames sont-ils bien expliqués auprès du grand public ? Les échouages de mammifères aquatiques – incluant principalement des espèces de baleines, de dauphins et de phoques – sont définis par la présence sur le rivage de l’un ou plusieurs de ces animaux morts ou vivants, mais, dans ce derniers cas, incapables de retourner à l’eau par leurs propres moyens. Il est alors nécessaire d’agir très vite afin de maximiser leurs chances de survie. Mais pourquoi ces animaux s’échouent-ils ? Lorsqu’un échouage massif se produit, avec des dizaines d’animaux retrouvés sur une plage, sait-on toujours l’expliquer ? Si la plupart du temps les autopsies et analyses complémentaires permettent de trouver la cause de la mort, il reste encore des cas que les scientifiques peinent à élucider. Parmi les causes connues, nombreuses sont d’origine anthropique. L’homme est donc en partie responsable de la mort de ces animaux.

L’homme et la baleine

L’existence de nombreuses références écrites démontre l’intérêt de l’homme pour les mammifères marins depuis plusieurs millénaires. Pour certaines populations, ils étaient une source d’alimentation et, de ce fait, une importance culturelle, perceptible à travers des légendes et des mythes, leur a été accordée. L’importance économique des mammifères aquatiques est principalement due à leur chasse qui a toujours existé mais qui a pris une dimension inquiétante ce dernier quart de siècle à cause de l’exploitation commerciale intensive de la viande, la graisse et, parfois, du pelage de ces animaux. L’amélioration des méthodes de chasse et des moyens techniques a considérablement favorisé l’amplification de ce phénomène, risquant ainsi l’extinction de nombreuses espèces telles que la baleine bleue (Balaenopteramusculus) et le rorqual boréal (Balaenopteraborealis).

Par ailleurs, ces dernières années, s’est répandu mondialement le tourisme baleinier, appelé également Whale-Watching en anglais. L’objectif étant l’observation de ces animaux dans leur milieu naturel, l’impact négatif est limité. Pourtant, selon certaines études, les animaux pourraient être dérangés et désorientés lors de leur migration. Il reste incontestable que le tourisme baleinier permet le développement économique des régions où il est pratiqué, ainsi que la sensibilisation du public à la protection et à la conservation de ces espèces menacées.

En dehors de l’impact socio-économique des mammifères aquatiques, ceux-ci ont une importance considérable pour la science. N’oublions pas que la pêche à des fins scientifiques est autorisée et qu’elle est régie par l’article VIII de la Convention internationale pour la règlementation de la chasse à la baleine (International Convention for the Regulation of Whaling, 1946). Les mammifères marins ont un rôle clé en tant qu’espèces sentinelles écologiques, permettant la surveillance de la pollution de l’environnement et de l’impact des activités humaines sur celui-ci.

L’activité humaine, responsable de la mort des baleines

La responsabilité de l’homme dans les échouages de mammifères aquatiques est engagée et il est important d’en être clairement informé. Contrairement à ce qui est véhiculé par certaines croyances, les échouages massifs ne sont pas des suicides collectifs. Ils ne sont pas non plus, comme le racontent certaines légendes, un sacrifice de la part des animaux pour offrir de la viande à manger aux populations côtières. Ces fausses idées résultent du manque d’information et, par conséquence, d’un manque de prise de conscience du public. Le principal risque de ces explications erronées est que nous ne nous sentions pas concernés par la mort de ces animaux, pensant n’avoir aucune responsabilité. L’étude des causes d’échouages de mammifères aquatiques a mis en relief la responsabilité des activités humaines dont les enjeux sont politiques, économiques ou encore culturels. On se retrouve alors face à des conflits d’intérêt réels.

Parmi ces causes de décès des baleines nous pouvons citer la chasse qui reste un véritable fléau. Les animaux sont tués ou parfois blessés puis retrouvés échoués par la suite. Le Japon s’est récemment retiré de la convention internationale réglementant la chasse à la baleine. Cependant, déjà avant cette décision regrettable, le pays poursuivait cette chasse sous couvert de fins scientifiques alors qu’il s’agissait en réalité de raisons culturelles et économiques. Le nombre de baleines tuées par le Japon au nom de la recherche est estimé à 600 par an. En 1950, avant que le pays signe le moratoire sur la chasse commerciale, 2000 individus étaient tués chaque année. Par ailleurs, les animaux peuvent être blessés ou tués suite à des collisions avec des bateaux ou se faisant prendre dans des hélices. Les captures accidentelles dans des filets de pêche ne sont pas rares. La pêche intensive, d’intérêt économique pour l’homme, est également à l’origine de l’effondrement de stocks de poissons servant de proies aux mammifères aquatiques.

Un autre problème majeur est la pollution acoustique des océans, générée par de nombreuses activités humaines d’intérêt politique et économique. Parmi celles-ci, on retrouve principalement les sonars militaires et les activités industrielles lors de prospections sismiques de pétrole ou de gaz. Ces nuisances sonores désorientent les animaux, provoquant parfois leur échouage sur les côtes. Elles peuvent aussi être à l’origine de frayeurs, les menant à cesser de suivre leurs « protocoles » habituels de plongée, provoquant ainsi des syndromes de décompression responsables de la mort. Des effets physiques plus directs peuvent également être observés sur les organes internes.

La présence de polluants issus d’activités humaines, citons les métaux lourds, les hydrocarbures ou encore les organochlorés, un type de pesticide, peuvent être responsables d’intoxications et d’immunodéficience chez les mammifères aquatiques. Si les symptômes causés par cette pollution peuvent parfois paraitre légers et passer inaperçus, il serait dangereux de l’occulter. Elle peut être, en effet, à l’origine d’une mortalité brutale et massive lors de marées noires. Il arrive également fréquemment que l’on retrouve, lors des autopsies, des morceaux de plastiques dans l’estomac des de ces mammifères échoués, voire des sacs plastiques entiers indéniablement à l’origine de la mort de l’animal.

Une prise de conscience nécessaire et un réveil politique

Les pouvoirs politiques, souhaitant traiter en priorité les conditions de vies humaines, peuvent faire preuve d’un certain manque d’intérêt pour la vie des mammifères aquatiques. Il se crée alors une opposition, contestable nous ne pouvons qu’en convenir, entre la préservation de l’animal et le bien-être de l’humain. Il est donc important d’insister dans ce contexte sur le concept « One Health » qui explique l’existence en réalité d’une seule santé, réunissant celle de l’environnement, des animaux et la santé publique, notions indissociables les unes des autres. L’environnement peut, en effet, avoir un impact sur notre santé, c’est le cas lors de pollution intense. Les animaux peuvent également nous transmettre des maladies qui, pour certaines, peuvent s’avérer mortelles. La brucellose, une maladie grave avec des symptômes neurologiques provoquée par une bactérie, en est la parfaite illustration. La transmission de maladies infectieuses peut se faire par contact direct avec l’animal ou par contact indirect, en consommant leur viande ou en étant en contact avec les sécrétions de l’animal (urines, selles, etc.). S’intéresser de près aux échouages des mammifères aquatiques ne s’oppose donc en aucun cas à la prise en considération de la santé humaine.

La mise en place de réseaux de surveillance des échouages de mammifères marins est essentielle. Il s’agit d’organisations pouvant être locales, nationales ou impliquant plusieurs pays, qui permettent d’apporter une réponse rapide et adaptée à ces situations. Ces réseaux apportent de nombreux avantages : éviter que les animaux morts soient en contact avec la population de façon non contrôlée alors que les risques pour la santé humaine existent (morsures, maladie, etc.) ; utiliser les éléments recueillis en tant que bio-indicateurs de la santé de l’environnement et en tirer des conclusions quant aux risques pour l’homme ; connaître la prévalence de maladies, éventuellement transmissibles à l’homme, portées par ces espèces ; améliorer les connaissances scientifiques sur ces animaux afin de contribuer aux mesures de conservation et de protection ; sauver les animaux vivants échoués lorsque c’est encore possible ; et enfin, élucider les causes de la mort de l’animal. Ils permettent également de recenser les échouages se produisant afin d’obtenir des données objectives. Il s’agit donc, entre autres, à travers les échouages de mettre l’accent sur la santé humaine en identifiant les risques pesant sur elle et ainsi limiter le fondement des arguments justifiant le désintérêt pour les échouages de mammifères aquatiques par la priorisation de la santé humaine. Il existe encore de nombreuses zones côtières où réseaux de surveillance des échouages sont absents, notamment en Afrique, où peu de données sont mises à disposition. Les vétérinaires, l’ensemble de la communauté scientifique, les États et les associations doivent travailler à la mise en place de tels réseaux là où ils manquent. Les dirigeants politiques doivent réfléchir à la réduction des conflits d’intérêts qui ne cessent de peser directement et indirectement sur la vie des mammifères aquatiques. Ils doivent également être attentifs au respect des conventions, signer celles qui ne le sont pas encore, développer celles qui peuvent l’être et en mettre en place de nouvelles si nécessaire. Outre les conventions internationales, le droit national et des dispositions légales ont également un rôle important à jouer dans la préservation de ces espèces animales.

Chacun de nous peut également agir pour protéger les mammifères aquatiques. Cela commence par une consommation raisonnée et respectueuse de l’environnement, en évitant l’utilisation de sacs plastiques, et par la gestion correcte des déchets ménagers. Chaque citoyen peut décider de s’investir dans des associations pour la défense de ces animaux et de leur environnement. Il est aussi possible d’être volontaire pour les réseaux de surveillance des échouages dans de nombreux pays : en signalant les échouages, en encourageant la communication et la sensibilisation auprès du grand public ou encore en aidant à gérer les échouages.

L’engouement médiatique provoqué par les échouages de mammifères aquatiques est incontestablement fondé. Il doit permettre de dénoncer les nombreuses conséquences néfastes des activités humaines sur la santé animale, environnementale et bien évidemment publique. Lorsqu’un sac plastique est retrouvé dans l’estomac d’une baleine on l’apprend en général en lisant les journaux. Malheureusement l’ensemble des phénomènes sous-jacents qui peuvent être à l’origine de la mort de l’animal et qui sont souvent des répercussions des activités de l’homme ne sont pas encore assez dénoncés, voire occultés. Nous avons tous la possibilité de changer les choses et il en va de notre responsabilité de citoyen de s’informer, d’informer et enfin, d’agir.

Sarah Wund

Bienvenus à l’Université. Quand étudier devient un luxe

Ce lundi 19 novembre 2018, le Premier Ministre français Edouard Philippe a annoncé une nouvelle stratégie pour attirer les étudiants internationaux dans l’enseignement supérieur français. En effet, les frais d’études pour les étudiants hors Union Européenne seront considérablement augmentés, il en résulte que ces étudiants devront payer dorénavant 2.770 euros en licence et 3.770 euros en master et doctorat[1].

Selon le gouvernement, cette initiative nommée « Bienvenue en France » vise à augmenter les moyens pour proposer un meilleur accueil aux personnes étrangères. Or, cette mesure cache une réalité toute autre ; celle d’une politique discriminatoire qui mettra en difficultés un grand nombre d’étudiants.

…Et en Belgique ?

L’actualité française rejoint la réalité belge. Il s’agit d’une réalité peu connue et pourtant, c’est une réelle entrave à l’équité. La question de l’inégalité du coût de l’enseignement supérieur entre étudiants européens et étudiants hors-UE se doit d’être remise sur la table.

 

Le minerval à payer afin de fréquenter une des Universités francophones en Belgique s’élève, sauf exceptions pour les ménages à revenus modestes, à 835 euros. Ceci ne concerne cependant que les étudiants issus d’un des pays de l’Union Européenne.

Les personnes ressortissantes d’un pays hors Union Européenne doivent quant à elles payer des frais d’inscription majorés.

Le 16 juin 2016, la Fédération Wallonie-Bruxelles a voté le décret « refinancement » de l’enseignement supérieur, qui prévoit que dorénavant l’ARES[2] est libre de demander jusqu’à 15 fois le minerval « normal » aux étudiants étrangers, soit jusqu’à 12.525 euros par an. Les frais d’inscription majorés ont notamment été fixés à 4.175 euros pour les non-ressortissants de l’UE, et ce, pour au moins une durée de 4 ans. Sont exemptés de payer ces frais majorés, en plus de certains cas exceptionnels, les ressortissants des pays les moins avancés, repris sur une liste officielle.

Notons qu’il ne s’agit pas uniquement d’une difficulté au sein des Universités, les Hautes Ecoles, elles aussi, pratiquent des frais d’inscription largement plus élevés pour les étudiants hors-UE.

En réponse à ce décret, des étudiants des différentes Universités ont rapidement commencé à se mobiliser sous le slogan « Non à la hausse du minerval des étudiants hors UE ! ». Dans ce contexte, des étudiants ont occupé l’Université libre de Bruxelles et l’Université Catholique de Louvain en avril 2017 afin de montrer leur désaccord avec ces mesures inégalitaires.

C’est ainsi que s’est mis en place le 2 mai 2017 une rencontre entre les recteurs des Universités, la délégation représentant les étudiants qui occupaient les bâtiments, des représentants du Ministère de l’Enseignement supérieur ainsi que des représentants de l’ARES. Cette rencontre a débouché sur des accords divers.

4175 euros ; cela correspond à 5 fois le prix que doivent payer les étudiants européens. Sachant que les étudiants qui doivent payer le coût « normal » de 835 euros se retrouvent déjà bien souvent en situation de précarité financière, cette inégalité devient encore plus frappante pour les étudiants étrangers.

D’autant plus que pour les personnes d’origine étrangère, des frais administratifs élevés s’ajoutent aux frais d’études. Cette réalité est décrite par un étudiant qui s’est trouvé dans cette situation dans son quotidien : « Ça ne s’arrête pas au minerval, on doit payer pour le renouvellement du séjour. On voit bien, les tarifs ont augmenté […]  Et après il faut vivre, il faut payer un loyer, c’est compliqué. ».

Sachant qu’un étudiant en Belgique a le droit de travailler pendant une durée maximale de 475 heures par an, il devient difficilement envisageable pour un étudiant hors UE, qui vit souvent isolé en Belgique, de pouvoir payer tout cela de façon autonome. C’est d’ailleurs ce que nous confirme l’étudiant interrogé : « Quand j’ai dû payer les 4.175 euros, je t’assure, ma famille a dû payer une partie, parce que c’était énorme je ne pouvais pas payer cela. »

Pourquoi majorer les frais d’inscription pour les non-ressortissants de l’UE ?

Trois arguments phares sont souvent avancés par les défenseurs de cette politique.

Un premier argument, qui a d’ailleurs été utilisé de la même manière en France par Edouard Philippe, consiste à dire que les étudiants concernés par cette majoration ont de toute façon les moyens pour payer un minerval plus conséquent. Cet argument, profondément simpliste, se base sur une vision stéréotypée des étudiants qui viennent faire leurs études en Europe. Certes, il ne s’agit certainement pas des personnes les plus pauvres de leur pays. Cependant, même si on suppose que ce ne sont que les personnes aisées du pays qui viennent, il est scientifiquement prouvé que la part de la population la plus riche dans les pays dits « du Sud » est en moyenne plus pauvre que la part de la population la plus pauvre dans les pays dits « du Nord ». Dans cette optique, cet argument perd entièrement sa valeur. Demander des frais d’inscription majorés mettra dans tous les cas en difficultés financières un grand nombre des étudiants concernés.

Le deuxième argument qui est souvent présenté par les défenseurs des frais majorés est l’argument financier, selon lequel les étudiants hors-UE ne devraient pas être à charge du gouvernement belge. Même en ignorant le fait que les étudiants étrangers européens ne devraient, selon cette logique, pas non plus être financés par la Belgique, cet argument rencontre bien d’autres paradoxes. Il ne faut pas perdre de vue que ces étudiants contribuent également à l’économie du pays car, en vivant en Belgique, ils consomment des biens et services et payent des taxes qui reviennent à l’Etat tout comme les étudiants d’origine belge.

Selon les statistiques de l’ARES, en 2015, 5,5 % des étudiants dans l’enseignement supérieur belge sont issus d’un pays hors UE. Il s’agit donc d’une part minime, qui devient encore moins significative si on retire de ces 5,5 % tous les étudiants venant d’un des PMA[3]. En gardant à l’esprit que l’enseignement supérieur a reçu, en 2016, presque 1,3 milliards d’euros de subsides[4] ; est-ce qu’il est vraiment nécessaire de réclamer des frais majorés au petit nombre d’étudiants hors-UE pour ne pas se mettre en difficultés financières ?

Finalement, un troisième argument consiste à dire que le fait de demander un droit d’inscription faible au niveau international reviendrait à créer un doute sur la qualité de l’enseignement. Cependant, cette vision largement élitiste de l’enseignement supérieur risque de renforcer un enseignement à deux vitesses, où seules les personnes les plus aisées, pourront se former comme elles le souhaitent.

Agir pour plus de solidarité

Il devient donc plus que visible que ces mesures, malheureusement peu connues au sein de la société civile, vont à l’encontre des discours d’ouverture et d’égalité des chances, prônés par les Universités et Hautes Ecoles.

C’est d’ailleurs sans doute un des rôles de l’Université de s’adapter à notre monde de plus en plus globalisé et de montrer aux étudiants l’immense richesse que nous apporte le partage des cultures.

Par conséquent, il importe de s’informer, de porter le débat dans l’espace public, et de montrer notre solidarité.

Finalement, c’est aussi aux décideurs politiques de prendre les mesures législatives nécessaires afin de créer un enseignement sans discrimination.

Pascale Felten, Volontaire Eclosio

Bibliographie :

 

[1] A titre de comparaison, un étudiant européen paiera 170 euros en licence et 243 euros en master.

[2] L’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES) est la fédération des établissements d’enseignement supérieur francophones de Belgique.

[3] Pays les Moins Avancés

[4] Chiffres issus du rapport « La fédération Wallonie Bruxelles en Chiffre 2016 »

Lire pour se souvenir. L’esclavage, un passé refoulé


Synopsis

L’esclavage a marqué le monde durant quatre siècles et laisse aujourd’hui encore des traces dans les perceptions et les rapports des descendants des maitres et des esclaves. Pourtant cette histoire est invisibilisée, les témoignages de ces esclaves, leurs points de vue sur cette période est pour ainsi dire inexistants. Emerge depuis les années 90 une nouvelle littérature faite de témoignages fictifs de la vie des esclaves qui réhabilitent aujourd’hui la mémoire des esclaves, leur histoire, leur humanité nous interpelant sur ce pan de notre histoire et nous tançant à lutter contre toutes les formes d’esclavages modernes.


Publié par UniverSud – Liège en novembre 2018

Imaginez… Le jour se lève. Vous vous levez et, le ventre presque vide, vous partez travailler dans les champs. Pas parce que vous êtes paysan, non. Parce que vous êtes esclave. Votre journée est rythmée par le soleil brûlant, la canne à sucre à découper, la morsure du fouet des contremaîtres. Par moment, un cri retentit. Sans doute encore un homme battu, une femme violée, un enfant frappé. À force, vous n’y faites plus attention. Ici, l’homme blanc est Dieu. Vous, vous êtes noir et condamné à l’enfer. Votre famille, si vous avez la chance de la connaître, vit comme vous. Au jour le jour. Encaissant les coups physiques et mentaux. Essayant de garder espoir. Car l’espoir se perd si vite quand on sait que la souffrance n’a pas de fin. Quand on sait que la liberté ne viendra jamais.

L’esclavage en quelques mots

Durant quatre siècles, l’esclavage, ce système social dans lequel des hommes et des femmes en possèdent et exploitent d’autres, était la norme dans les Caraïbes et en Amérique. Mis en place par les Européens tirant d’énormes richesses de l’exploitation humaine dans des îles lointaines, l’esclavage a concerné le monde entier. Alors que cette époque nous paraît lointaine, il est intéressant de se rappeler que l’esclavage n’a été aboli qu’en 1832 en Jamaïque −soit un an après la création de notre État Belge− et au Brésil en 1888. Les richesses générées par l’esclavage ont permis la fondation de villes telles que Liverpool par des marchands d’esclaves, ainsi que directement financé la Révolution Industrielle en Europe. La déportation massive d’Africains et d’Africaines a eu une telle ampleur qu’elle est aussi appelée l’Holocauste noir et est considérée comme la première déportation, exploitation et exécution massive arbitraire à grande échelle dans l’histoire.

Basé sur la déportation et l’exploitation d’hommes, femmes et enfants africains, l’esclavage a graduellement mené à la création d’une société à part entière basée sur le commerce triangulaire. Ce triangle imaginaire représente la trajectoire des navires commerciaux partant d’Europe chargés de babioles en destination de l’Afrique, où ils échangeaient leur cargaison contre des captifs et captives africains. Ceux-ci étaient acheminés jusqu’en Amérique et dans les Caraïbes, où ils produisaient des matières telles que le sucre et le coton, qui étaient enfin ramenées en Europe pour être vendues et créer des richesses.

Au fil du temps, les plantations possédant des esclaves sont devenues des microsociétés à part entière. Les enfants nés sur les plantations, n’ayant jamais connu d’autre réalité, naissaient, (sur)vivaient et mouraient dans la privation de liberté. Un ordre social strict se mit en place selon les tâches attribuées à chacun·e, ainsi que selon la couleur de peau. Dans cette hiérarchie, les plus avantagés étaient les blancs, qui, de par leur couleur, jouissaient automatiquement d’une liberté totale à tous niveaux. Venaient ensuite les métis, souvent les enfants illégitimes des maîtres de la plantation  et assignés aux tâches les moins pénibles. En bas de l’échelle, les noirs assument les éreintants travaux des champs dans des conditions sanitaires souvent déplorables. À la fin de l’esclavage, on dénombrait en Jamaïque 33 esclaves noirs ou métis pour un seul blanc.

L’homme blanc ou le pouvoir de l’édulcorant

Cependant, alors qu’ils étaient majoritaires, on ne sait que très peu de choses sur la vie de ces esclaves. L’histoire, en effet, n’a pas été écrite par eux, mais bien par leurs maîtres. Racontant leur point de vue d’hommes libres et blancs – les femmes n’ayant pour la plupart pas voix au chapitre−, les maîtres ne dévoilent qu’une vision tronquée de l’esclavage. Leur vision, fortement influencée par leurs intérêts politico-économiques, est généralement empreinte de racisme, de paternalisme et d’eurocentrisme. Cette vision partiale est en fait ce qui est parvenu jusqu’à nous et repose sur différents mensonges.

Tout d’abord, capturer et exploiter d’autres êtres humains à si grande échelle nécessite une justification. Dans le cas de l’esclavage, le concept de « race » a été avancé. Ne reposant sur aucune vérité biologique, la notion de race permettait aux  maîtres blancs de justifier l’esclavage des populations noires au nom d’une hiérarchie imaginaire. Bien qu’abolitionniste, le philosophe Condorcet lui-même considérait les Noirs comme étant « le chaînon manquant entre l’homme et le singe ». C’est donc dire que les esclavagistes avaient une vision bien peu humaine des populations noires.

Alors que les maîtres considéraient leurs esclaves comme étant à la limite de l’animalité, cela ne les empêchait pas pour autant de profiter sexuellement d’eux, au risque de se mettre en porte-à-faux avec leurs propres arguments. En effet, le corps des esclaves étant la propriété de leur maître, le consentement importait peu lorsqu’un propriétaire voulait jouir de son investissement. Les femmes, mais aussi les hommes esclaves étaient victimes de sévices et abus sexuels. Dans la société religieuse et « de bonnes mœurs » de l’époque esclavagiste, de tels agissements, bien que généralisés, étaient tus pour ne pas affecter la bonne réputation des planteurs. On n’en retrouve donc que peu de traces dans les sources historiques, où les réalités sont souvent décrites à mi-mots, comme c’est le cas dans journal de Lady Nugent qui décrit la « grande proximité » des maîtres avec leurs esclaves.

Une autre excuse souvent mentionnée pour justifier la violence faite aux esclaves était leurs manquements intellectuels. Tels des chevaux à dresser ou des lions à dompter, seule la menace physique pouvait rendre obéissante cette masse noire présumée stupide. Alors que, sans leurs esclaves, les maîtres auraient perdu toute leur richesse, ils ne se gênaient cependant pas pour créer des moyens de torture qui rivalisent aujourd’hui avec les pires films d’horreur : affamement, membres brûlés, ingestion de déjections… Dans une époque célèbre pour son puritanisme et ses bonnes mœurs, la face sombre de l’homme blanc s’exprime librement vis-à-vis de ses esclaves.

Un tabou moderne… et comment en briser les chaînes

L’esclavage a eu des conséquences désastreuses. Sur l’Afrique d’abord, puisque le continent s’est vu voler ses forces de travail, mais aussi sur le plan humain. Les sociétés caribéennes et étasuniennes peinent toujours à se relever du traumatisme des plantations. Le racisme, loin de reculer, progresse sans cesse- en témoignent les résultats des élections étasuniennes avec Donald Trump, et, tout récemment, brésiliennes avec Michel Temer, tous deux de droite. Pourtant, on parle peu de l’esclavage, voire pas du tout.

Alors que la Seconde Guerre mondiale est abordée dans une multitude de médias, l’esclavage et la colonisation qui lui succéda restent des sujets tabous dans la société européenne. Ceci peut s’expliquer par le fait que les Juifs, victimes de l’Holocauste du 20ème siècle, ont laissé derrière eux des écrits racontant leur peur, leur fuite, leur souffrance, leur désespoir. Qui, en effet, n’a jamais lu ou entendu parler du Journal d’Anne Franck ? Des esclaves, en revanche, il ne reste rien. « L’histoire est écrite par les vainqueurs » a dit Georges Orwell, et les esclaves, même après l’abolition, n’en n’étaient pas.

Comment, dès lors que les sources manquent, rendre vie aux milliers de personnes déportées, exploitées, torturées, violées et assassinées au nom du commerce de biens ? Comment rendre compte de ce qu’implique le fait de ne pas s’appartenir soi-même, de ne vivre que parce que son maître accepte de nous laisser vivre ? Comment restaurer l’humanité de ces personnes, trop longtemps considérées comme des animaux ? Pour rendre leur voix aux oublié·e·s de l’histoire et raviver le souvenir de l’esclavage, des auteurs et autrices noir-es issu-es des Caraïbes ont, dès les années 1990, commencé à écrire des autobiographies fictionnelles d’esclaves. Par la fiction, ils comblent les trous laissés par l’histoire et permettent aux lecteurs de découvrir les émotions, les sensations et les pensées de leurs ancêtres. En apportant un nouvel éclairage sur l’esclavage, ils contribuent à entretenir la mémoire des oublié·e·s. Pour le lecteur, se plonger dans une de ces œuvres permet un véritable voyage dans le temps dont on ressort plus empathique et plus conscient de notre histoire mondiale.


Idées de lectures:

  • « Une si longue histoire » d’Andrea Levy
  • « Cambridge » de Caryl Phillips
  • « La mémoire la plus longue » de Fred D’Aguiar
  • « Beloved » de Toni Morrison

La littérature, de par l’empathie qu’elle suscite, peut servir de base pour aborder l’esclavage. Dans un cadre scolaire, par exemple, la lecture d’une autobiographie fictionnelle permet de déconstruire les mythes et d’enseigner aux élèves l’esprit critique : même les livres d’histoire ne sont pas parfaits. Seuls l’art et la littérature peuvent rendre l’aspect humain des tragédies.

C’est d’ailleurs au niveau scolaire, entre autres dans le cadre des cours d’histoire, de français, de philosophie, que la thématique de l’esclavage peut être abordée en profondeur. En discuter permet aux jeunes de prendre conscience du passé compliqué et violent qui lie étroitement l’Europe, l’Afrique et les Amériques. Bien entendu, tous les professeurs ne se sentent pas toujours prêts ou aptes à discuter d’une problématique si délicate, particulièrement devant des publics fortement diversifiés. La création d’associations expertes en la matière, et auxquelles les enseignant·e·s pourraient faire appel en cas de difficultés à aborder le sujet constitue une alternative de loin préférable au silence.

Le silence n’a en effet plus sa place alors que le passé esclavagiste et colonial de notre continent européen est trop souvent oublié. Le système de l’esclavage, qui a façonné la face du monde durant quatre siècles, est à la base des relations complexes entre l’Europe et l’Afrique. Y penser, c’est reconnaître le passé, et empêcher que de telles horreurs se reproduisent. Car l’esclavage n’est pas terminé : le fait qu’il soit devenu illégal n’y change rien. Le joli euphémisme de « traite d’êtres humains » cache une réalité tout aussi horrible que celles des plantations sucrières. En se rappelant les crimes commis par les esclavagistes, agissons également pour que le travail des enfants, l’exploitation physique et sexuelle, la vente d’épouses à peine pubères, les conditions de vie misérables puissent, un jour, appartenir au passé.

Eve Legast

 

 

 

Témoignage de Luis, stagiaire au Cambodge

Par cet article, je souhaite faire part de mon expérience de stage, réalisé au Cambodge au sein d’Eclosio dans le cadre du programme UNI4COOP, à de futurs stagiaires désireux d’aller au-delà de la simple pratique d’application théorique académicienne.

C’est pour conclure la troisième année du Bachelier en coopération internationale que j’ai réalisé mon stage d’intégration professionnelle avec Eclosio. Mais bien avant le Bachelier, j’ai tout d’abord commencé par endosser les casquettes de graphiste de directeur artistique publicitaire et de webdesigner. Dans une lente et progressive « quête de sens » j’ai changé mes casquettes par de nouvelles. Cuisinier tout d’abord et producteur maraîcher bio ensuite. Ces dernières ont nourri un certain intérêt pour l’alimentation et l’agriculture mais m’ont surtout fait prendre conscience de l’état du secteur agricole et du quotidien de celles et ceux qui en sont les premiers protagonistes.

J’avais déjà des vues sur Eclosio pour réaliser mon stage car je m’étais intéressé à ses travaux et programmes dès les débuts du Bachelier. Mais pas uniquement. En effet, en plus de leur longue expertise, connaissances et savoirs, j’ai également choisi Eclosio car je me sentais partager un certain regard sur ce que doit être la coopération, ce regard porté sur la collaboration, sur le renforcement de capacités et sur l’exercice et le respect des droits civiques. Le moment venu, j’ai décidé de m’y porter candidat stagiaire.

Paysage du Cambodge - Luis

Photo de Luis, stagiaire au Cambodge

Les programmes de stage proposés dans divers autres pays semblaient correspondre à mes attentes, mais j’avais dès le début une préférence pour le programme Cambodge et l’intérêt de travailler en anglais afin d’améliorer ma pratique de cette langue. Donc, courriels, entretiens, discussions, blagues et cafés, c’était signé ! Maman, je pars au Cambodge !

Le Cambodge. Sans doute pour une certaine curiosité mystique. Une nostalgie esthétique de la période coloniale ou bien une idée de bout du monde perçu dans cette contrée tropicale atteignable par-delà les montagnes et la jungle qu’à dos d’éléphant ou encore à chercher à révéler la spiritualité profonde de mon moi intérieur. En d’autres mots, partir à la rencontre d’une autre culture et vivre une expérience humaine.

Professionnellement, sans rentrer dans les détails de mes tâches quotidiennes, je simplifierais en disant que ce stage n’a pas révélé de grande découverte en moi. Mise à part quelques éléments théoriques vus en cours que j’ai pu mettre en pratique comme par exemple les enquêtes ou la recherche d’informations, pour le reste c’était du déjà-vu. Cela est bien entendu dû au fait de mon expérience professionnelle passée.

D’un point de vue relationnel, avec le staff local, mise à part quelques points comme par exemple une façon très cadrée / structurée de travailler, cela ne m’a pas semblé bien différent de ce que je connaissais déjà. Par contre ils sont très ponctuels sur l’heure du déjeuner. Midi c’est midi et ils ne se contentent pas (heureusement d’ailleurs) d’un simple sandwich insipide à la farce d’usine. On parle ici d’un vrai repas avec du riz, des fourmis rouge bien croustillantes accompagnés de quelques larves ou bien d’escalopes de serpent !

Cela étant dit, il est très agréable de travailler avec les cambodgiens et cambodgiennes car on ne ressent ni stress ni pression. Cela ne veut pas dire qu’ils n’en ont pas mais leur façon d’être et d’agir ne va laisser transparaître que très peu ce genre de sentiments.

Luis stagiaire au Cambodge

Photo de Luis, stagiaire au Cambodge

Les relations hors cadre de travail, là par contre c’est autre chose. C’est une belle découverte et je pourrais écrire quelques pages sur tous les ressentis et bons moments passés en compagnie des cambodgien·ne·s. J’ai aussi dû prendre sur moi plusieurs situations assez invraisemblables mais avec une grande bouffée de respiration et beaucoup de relativisme, les nuages sombres se sont vite résorbés. Mais je ne peux parler des relations avec les cambodgiens si je ne parle pas de cette rencontre avec Sovandet.

Sovandet, membre du staff local, est le garçon qui m’a accompagné tout le long du stage et même en dehors. Je peux dire que j’ai un ami sur ce que ce mot à de plus noble. Il est le Cambodge à lui tout seul et je ne peux éviter d’exprimer le bonheur d’écrire qu’il me manque. Mon ami me manque.

Arrivé en fin de stage et de retour en Belgique, je ne peux que conclure sur une grande satisfaction de cette expérience professionnelle, culturelle et humaine. Je ne cache pas que le retour fût pour moi un moment fort difficile à passer. J’ai remis en question le travail effectué et mon moral était au plus bas. Je me suis senti tellement proche des cambodgiens culturellement parlant avec ma culture sud-américaine que le choc des cultures s’est produit à mon retour en Belgique et non l’inverse.

Photo d'un plat de riz au Cambodge

Photo de Luis, stagiaire au Cambodge

Mais cette expérience m’a clairement rassuré sur mon choix d’être un futur acteur de la coopération au développement et qui plus est un acteur de terrain et pas (trop) de bureau. Elle m’a également poussé à vouloir en apprendre toujours plus, ce qui fait qu’actuellement je suis en Master 1 des sciences de la population et du développement à l’Université Libre de Bruxelles.

Enfin pour terminer, si je peux me permettre quelques conseils à de futurs stagiaires je dirais de bien vous couvrir de répulsif d’insectes surtout au niveau des coudes, poignets, genoux, chevilles et les pieds en général. Malgré la chaleur je me suis retrouvé à devoir porter des chaussettes pour me protéger des piqûres ! Il y a beaucoup de moustique à Phnom Pen et moins dans les campagnes. Porter des vêtements longs en lin ou coton. Enfin je conseille de goûter aux pâtisseries locales dont une femme passe presque tous les matins devant le bureau avec sa chariote. Sinon je conseille surtout de garder éveillés vos cinq sens en permanence pour apprécier la richesse de ce pays et de sa population.

Luis, Stagiaire au Cambodge (2018).

Ancash, ses montagnes et ses petits rongeurs. Témoignage d’une étudiante au Pérou.

  • Le début de l’aventure péruvienne

Je suis étudiante vétérinaire en dernière année. J’ai toujours eu une attirance pour l’Amérique latine et au cours des mois de juillet et août 2018, j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour partir au Pérou pour un projet en association avec Diaconia et Eclosio. Ma mission, et je l’ai acceptée, était d’effectuer un inventaire des pathologies dont souffrent les cobayes et en particulier de résoudre le problème de lymphadénite cervicale que présente de plus en plus ces rongeurs dans la région montagneuse d’Ancash. Mon objectif était de leur proposer des méthodes de prophylaxie afin de diminuer les maladies.

Après 16 heures d’avion, me voilà, enthousiaste à l’idée de rencontrer mon premier éleveur de cobayes : je prends donc le metropolitano (le bus local) et rejoins tôt dans la matinée Luis Gomero, un pionnier en la matière, située au nord de Lima.

Je me rends vite compte que son élevage est bien aménagé comparé à ceux que je vais visiter dans les montagnes d’Ancash. C’était enrichissant d’avoir cette personne passionnée par son élevage et répondant à toutes mes interrogations sur cette espèce que je ne connaissais visiblement que trop peu dans son habitat péruvien, loin de l’animal de compagnie de chez nous.

 

 

  • L’accueil chaleureux des éleveurs

Le reste de mon séjour, je l’ai passé dans les montagnes, en alternant avec le village de La Merced, la ville de Huaraz, et tous les villages en périphérie. Lors de ma première journée à La Merced, j’étais entourée des deux ingénieurs agronomes de Diaconia Wili et Christian avec lesquels j’ai travaillé quotidiennement pendant tout mon séjour (avec leurs beaux chapeaux sur la photo), Eric Capoen, conseiller en agroécologie et gestion de savoirs du programme régional zone andine de l’asbl Eclosio au Pérou (mon maître de stage), et un couple d’éleveurs. Je garde un excellent souvenir de cette première rencontre avec ces « campesinos », qui m’ont expliqué et montré comment ils vivaient et comment ils s’occupaient de leurs bêtes (cobayes, lapins, cochons, poules, moutons) comme s’ils parlaient à leur fille. C’est ce jour-là que j’ai aussi réalisé que je répondais à un besoin réel des éleveurs, ils attendaient beaucoup de moi.

La suite de mon travail s’est déroulé dans la même atmosphère chaleureuse que les premiers jours. Je sentais que les éleveurs avaient envie d’avoir mon opinion sur la gestion de leurs animaux et étrangement je n’avais pas du tout cette sensation d’être la petite étudiante belge qui vient leur apprendre ce qu’ils savent depuis des générations, mais bien une vétérinaire en devenir qui les conseille et qui avance avec eux.

S’en est suivi des réunions au sommet (c’est le cas de le dire !) où Willi m’emmenait discuter avec les éleveurs et où lui leur parlait de leur agriculture. En effet, l’élevage de cobayes ne représentent, pour les ¾ des personnes rencontrées, qu’une infime partie de leur revenu qui provient essentiellement de la pomme de terre. Chaque visite se terminait par un bon repas où j’ai pu évidemment goûter le « cuy frito » et ça ne m’a pas déplu !

 

  • Partage de connaissances

Dernière réunion avant mon départ, je présente les résultats de mon travail, j’expose aux promoteurs et promotrices d’Ancash les différentes maladies dont souffrent leurs cobayes et comment les éviter, en insistant sur la lymphadénite cervicale, pathologie qu’ils n’avaient pas connue auparavant. S’en est suivie une longue discussion entre eux et avec moi pour décider de ce qu’ils pourraient mettre en place pour éviter ses maladies. J’ai beaucoup insisté sur la prévention avec des méthodes prophylactiques de « base » comme se laver les mains avant de manipuler et entre les manipulations d’animaux, isoler les animaux malades et les traiter (ou les tuer si le traitement est trop cher) etc…Encore une fois ils m’ont montré leur fabuleuse hospitalité en m’écoutant puis en partageant leurs idées tous ensembles autour d’un verre de quinoa (un breuvage nouveau pour moi).

Tout ce séjour a été marqué par la chaleur humaine des péruviens, j’appréhendais de partir seule, isolée à 4000 mètres d’altitude avec des personnes dont je connais trop peu la culture…et pourtant je n’ai qu’une hâte c’est d’y retourner ! J’ai été parfaitement intégrée à leur quotidien, je n’étais pas une touriste mais bien une personne avec laquelle ils ont partagé tellement de choses (et je ne parle pas que des conversations « boulots »). Il suffit de se poser le soir autour d’une infusion pour se rendre compte de tout ce qu’on peut apprendre des autres.

Merci à l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES) de la fédération Wallonie-Bruxelles de m’avoir donnée cette bourse sans laquelle je n’aurai pu partir et bien évidemment merci de tout cœur à Eclosio de m’avoir choisi pour vivre cette belle expérience.

 

 

 

  • Pourquoi partir ?

Je recommande vivement de partir, à tous celles et ceux qui désirent apprendre d’une autre culture, ceux qui veulent vivre une expérience unique, ceux qui sont curieux de voir ce qu’il se fait en matière de développement durable dans un pays totalement différent du nôtre. N’ayez pas peur de vous lancer, nous sommes encadrés du début à la fin et cela vaut vraiment le détour !

Mathilde D.

Légendes :

  • Photo n°1 : exploitation de Luis Gomero, élevage de cobayes en cage surélevées, en périphérie de Lima
  • Photo 2 et 3 : La Merced, première journée en visite d’exploitation, ici avec Elena et son mari Glicerio (au centre), les ingénieurs Wili Valverde et Christian Florencio qui m’ont encadré au quotidien, et Eric Capoen mon maître de stage.
  • Photo 4 : Réunion au pied des montagnes entre les producteurs de pomme-de-terre et Willi Valverde, l’ingénieur agronome de l’association Diaconia qui supervise les projets d’agroécologie dans la région d’Ancash.
  • Photo 5 : Dans le cadre de la recherche-action, j’expose mes résultats aux promoteurs et promotrices d’Ancash afin qu’ils puissent mettre en place des mesures de prophylaxie convenables.
  • Photo n°6: La dueña Maxima m’initiant aux tenues des péruviennes, moment complice dans ma terre d’accueil

Témoignage de stage : À la découverte de la Teranga sénégalaise

 

 

Février 2018, me voilà posant le pied sur le territoire Sénégalais pour 4 mois. Au programme : découverte d’un nouveau continent, d’une nouvelle culture et d’une nouvelle façon de voir le monde. Mais avant tout, immersion au sein de la population locale afin de mener mes enquêtes pour mon mémoire. En un mot : une expérience hors du commun, hors des sentiers battus et du confort qu’on connait.

 

 

Sujet d'étude - quantité de bois utilisé par les ménages quotidiennement pour la cuissonPour me présenter brièvement, je suis étudiante en dernière année d’un master en agronomie spécialisation environnement à la Haute École Charlemagne de Huy. Dans le cadre de mon mémoire de fin d’études, je souhaitais acquérir une expérience à l’étranger. Adhérant tout de suite à la vision d’Eclosio et des actions que l’organisme mène dans une logique de gestion durable des ressources naturelles et de développement économique générateur d’autonomie et de solidarité, je me suis naturellement orientée vers eux pour réaliser mon mémoire. Je me suis ainsi retrouvée au Sénégal pour mener une étude sur les besoins en bois des populations de la Réserve de Biosphère du Delta du Saloum et de la capacité des plantations d’Eucalyptus camaldulensis à y répondre.

 

 

 

 

À la découverte d’une autre culture

Ce stage au Sénégal m’a permis d’aborder une autre culture avec une vision différente de ce que mon éducation occidentale ne m’avait jamais enseigné. Cela ne s’apparentait ni à des vacances ni à une détente et la dure réalité du terrain me rattrapait parfois. Il faut être préparé à affronter quotidiennement la chaleur, la vision de la pauvreté, les insectes, la barrière de la langue, etc.  Pendant tout mon séjour, mes repas furent constitués presque exclusivement de riz et de poissons. Je m’y suis vite habituée, mais ce serait mentir de dire que parfois je ne rêvais pas d’un bon steak frites ou d’un petit bout de fromage. Les moustiques m’ont également accompagné tout au long de mon séjour, curieux de voir à quoi ressemblait la vie d’une Belge au Sénégal. Mais outre cela, je retiens surtout l’hospitalité des Sénégalaises et Sénégalais. Avec Évelyne, une autre stagiaire d’Eclosio, nous avons été chanceuses d’être accueillies dans une famille sénégalaise où nous étions considérées comme des membres à part entière.  Cela m’a permis de voir de plus près la vie d’une famille nombreuse, de percevoir l’importance de la religion et surtout d’apprendre ce qu’est la « Teranga sénégalaise ». Après le terrain et de longs trajets en moto ou en pirogue, les moments de détente avec un verre d’Attaya (thé en sénégalais) à la main étaient toujours appréciés à leur juste valeur.

Immersion totale dans la culture sénégalaise avec notre famille d'accueil, les Mbaye

Un enrichissement professionnel

Travailler au sein de l’ONG Eclosio m’a également permis d’avoir un sentiment nouveau de satisfaction lorsqu’on partage avec les villageois·e·s et qu’ils vous font part de leur gratitude. Cette vision nouvelle permet d’avoir une image différente du monde et une ouverture d’esprit plus large. Ce stage m’a également permis de voir la complexité des choses, à ne pas s’arrêter aux difficultés rencontrées et d’approfondir les sujets d’études et d’expérimentations. Le stage a été caractérisé par une grande autonomie et des prises de décisions, d’initiatives. Ce contexte aura permis de m’affirmer dans mes choix, de me poser les bonnes questions « du pourquoi je fais cela » et de me remettre en question quant aux choix et à la mise en œuvre de mon stage.

Plantations d'Eucalyptus dans lesquelles des mesures étaient effectuéesÉtant constamment en contact avec les populations locales, j’ai du également faire preuve d’une bonne communication. Établir un questionnaire et le remplir nécessite de savoir pourquoi on fait cela, quelles sont les bonnes questions à poser au bon interlocuteur et interlocutrices et ce que cela peut apporter aux deux parties. Afin de concevoir la méthode, il est essentiel de préparer le terrain et d’avertir de son arrivée. J’ai donc appris qu’il est coutume d’aller voir le chef de village pour lui expliquer le projet, lui faire comprendre l’intérêt pour les villageois·e·s du respect de la nature et des études menées dans ce sens et obtenir son autorisation pour interroger « ses villageois·e·s ». Le respect du protocole est très important et seul garant de succès. Il convient ensuite de diffuser le même message auprès des villageois·e·s qui ont également le droit de connaître les raisons de notre intrusion, le bien-fondé de la recherche et le bénéfice qu’ils peuvent en tirer. J’ai donc développé un système de communication respectueux des populations locales, capable de les convaincre de la pertinence de notre point de vue et ainsi légitimer notre intervention.

Par ailleurs, la récolte de données dans des conditions précaires nécessite une rigueur absolue dont les résultats ne peuvent être interprétés qu’en les corrélant à d’autres facteurs qui influencent les réponses obtenues.

Le stage réalisé au sein d’Eclosio m’a finalement permis de percevoir le fonctionnement d’une ONG dans le monde de la coopération, avec ses acteurs, ses contraintes, ses forces et ses faiblesses, son côté décourageant, mais aussi et surtout l’espoir qu’il peut susciter. Impliqué à la base même du fonctionnement de l’ONG et du travail de terrain, j’ai réalisé la réalité du monde qui nous entoure et l’immensité du travail qui attend notre génération et celles qui nous suivront.

J’ai en effet découvert la satisfaction que l’on peut ressentir en coopérant avec les populations défavorisées et en travaillant pour le bien de la nature et de l’environnement, les deux facteurs étant bien sûr étroitement liés.

Futur stagiaire ? Voici quelques conseils…

Si tout comme moi, vous êtes tentés par l’expérience d’un stage à l’étranger, Eclosio est une ONG qui vous permet réellement d’être immergé dans le contexte local des pays d’interventions. C’est une expérience incroyable. Cependant, pour en profiter pleinement, il faut oser sortir de sa bulle de confort pour aller vers l’inconnu. C’est la meilleure méthode pour se découvrir pleinement ainsi que la culture locale. Soyez également prêts à travailler en autonomie et préparez bien votre travail avant votre départ afin de rentabiliser au maximum votre temps là-bas. Vous verrez, le temps passe plus vite que ce qu’on pourrait croire.

Sandrine Van den Bossche – Stagiaire chez Eclosio (2018)

Photo 1 – Sujet d’étude – quantité de bois utilisé par les ménages quotidiennement pour la cuission

Photo 2 – Immersion totale dans les cultures sénégalaises avec notre famille d’accueil, les Mbaye

Photo 3 – Plantations d’Eucalyptus dans lesquelles des mesures étaient effectuées.

L’agroécologie, l’alternative aux besoins alimentaires mondiaux ?


Synopsis

La destruction de l’environnement et la malnutrition qui concerne encore plus d’un milliard de personnes amènent à interroger le modèle agricole industriel qui domine depuis les années 50. Et si l’agroécologie pouvait nourrir la planète tout en répondant aux défis environnementaux ? Pour y répondre nous avons invité Marc Dufumier, agro-économiste, professeur émérite à l’Agroparistech et spécialiste des systèmes agraires et de leur évolution.


Publié par UniverSud – Liège en décembre 2018

Retour sur une conférence de Marc Dufumier

Les climatoseptiques ne nous contrediront pas : l’été 2018 a été marqué par deux canicules particulièrement inquiétantes dans toute l’Europe. Les experts sont unanimes, les phénomènes météorologiques extrêmes vont se multiplier dans les années à venir : pluies extrêmes, sécheresses, tempêtes tropicales, etc. Le changement climatique est pointé du doigt comme responsable, nous considérons qu’il n’en est que le symptôme. En effet, c’est bien notre modèle de développement et plus particulièrement nos modes de production et de consommation des denrées alimentaires qui épuisent les ressources naturelles de la planète et font s’accumuler des tonnes de déchets. Pourtant considéré comme très rentable sur le plan économique, ce modèle, très peu soucieux des inégalités écologiques et sociales, nous impose un prix fort à payer : la planète meurt et nous aussi.

Mais comment mieux consommer ? Comment enrayer un phénomène aussi global que le changement climatique ? Comment relever les défis environnementaux, énergétiques et alimentaires d’aujourd’hui ? Nous prenons le pari de croire que l’agroécologie est l’alternative à ces défis. Nous avons donc invité Marc Dufumier, agro-économiste, professeur émérite à l’Agroparistech et spécialiste des systèmes agraires et de leur évolution, il nous a présenté les enjeux de cette science lors d’une conférence.[1]

Une partie du monde se nourrit mal, l’autre ne peut pas se nourrir

Pour Marc Dufumier, la cause profonde des désastres climatiques est la manière de cultiver : « les pesticides – le glyphosate notamment – et les perturbateurs endocriniens qu’ils contiennent amènent de nombreuses maladies ». Il évoque également l’usage de toxines dans le poulet, les antibiotiques dans la viande, les hormones dans le lait, etc. Une grande partie de la planète se nourrit donc mal.

L’autre partie du monde ne peut pas se nourrir. Pourtant, d’après Marc Dufumier, ce n’est certainement pas à cause d’une insuffisance alimentaire dans le monde, au contraire : « pour nourrir un habitant correctement, il faut produire de l’ordre de 200 kilos de céréales par an par habitant et aujourd’hui, la production mondiale est de l’ordre de 350 kg de céréales ». Malheureusement, les 150 kilos excédentaires ne servent pas à nourrir le reste du monde : « ils sont gaspillés, la nourriture est jetée avant la date de péremption, les grandes surfaces font usage de chlore pour éliminer les invendus, la nourriture est destinée à l’alimentation animale, sans doute en nombre excessif, on utilise la nourriture pour en faire du carburant, etc. ».

Si le monde a faim, c’est principalement le fruit de l’inégalité de revenus à l’échelle mondiale : « certaines populations ne parviennent même pas à acheter leur propre production ». En effet, les équipements ultras perfectionnés en Europe permettent de produire en très grande quantité des céréales comme le blé. On pourrait penser qu’en exportant l’excédent de blé à des populations qui ont des difficultés à se nourrir permettrait de faire reculer la fin dans le monde, mais c’est le contraire. L’agro-économiste l’explique : « exporter l’excédent de blé dans ces conditions-là vient concurrencer, sur un même marché mondial, le travail de gens qui sont équipés de leurs mains. Le prix des produits est équivalent alors que le matériel pour produire les équipements est différent (mains versus grosse machine) ». Cette situation contribue à l’exode rural : les paysan·ne·s ne parviennent plus à se nourrir en cultivant, rejoignent dès lors les grandes villes, déjà surpeuplées où ils peinent à trouver un emploi.

L’agroécologie, l’alternative aux défis alimentaires mondiaux ?

Notre modèle de développement basé sur la croissance à tout prix, est très rentable sur le plan économique, est également trop peu centré sur des inégalités écologiques et sociales. Tout comme Marc Dufumier, nous pensons que l’agroécologie est l’alternative à l’agriculture intensive.

« L’agroécologie est l’une des alternatives qui s’est développée à l’origine dans les pays du Sud pour répondre à ce besoin de recentrer l’agriculture autour de l’humain et de la nature. Elle a fait l’objet de différentes études et rapports scientifiques, qui l’envisagent comme une alternative crédible et durable au problème de l’insécurité alimentaire et aux multiples défis environnementaux, sociaux, économiques et démographiques. Elle propose des solutions concrètes face aux changements climatiques et contribue à la préservation des ressources naturelles indispensables à une production agricole durable. Elle favorise le maintien d’un tissu social car elle crée de l’emploi et des opportunités économiques dans des régions fortement touchées par l’exode rural et la pauvreté. Enfin, elle répond aux défis de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition qui sévissent dans les zones rurales car elle favorise une production diversifiée et saine, prioritairement destinée à la consommation locale »[2].

Avant d’arriver à correctement et durablement nourrir la population mondiale, l’agroécologie nous impose un changement de vie profond, en changeant notre manière de cultiver et de nous nourrir. Marc Dufumier nous propose quelques pistes d’actions concrètes :

En tant qu’agriculteur :

  • En cultivant localement et donc en renonçant à des subventions destinées à des produits bas de gamme qui contribuent à ruiner la paysannerie du Sud ;
  • En privilégiant la qualité à la quantité : cultiver des produits de meilleures qualité et bios et diminuer le rendement, permet d’accroitre la valeur ajoutée et de créer de l’emploi. En effet, les produits labellisés pour leur « bonne » qualité  bio comme « Nature et Progrès », « Biodynamie », « Demeter » sont vendus plus chers et dans des circuits plus courts, ces deux caractéristiques augmentent la part et le volume de la valeur ajoutée allant au producteur. De plus, puisqu’ils n’utilisent ni herbicide ni pesticide, ces systèmes sont plus demandeurs en main d’œuvre (surtout en maraîchage).

En tant que politicien·ne, en prenant des décisions politiques, notamment à l’échelle de l’Union européenne, à travers la politique agricole commune :

  • En stoppant les aides proportionnelles liées à la surface cultivée et en rémunérant correctement les agriculteurs et agricultrices afin de leur assurer des conditions de travail décentes ;
  • En instaurant des droits de douane sur les excédents alimentaires que nous produisons ici et que nous exportons là-bas. Ou plus radicalement, en stoppant l’exportation des excédents agricoles, phénomène qui ruine certain·e·s agriculteur·trice·s du Sud ;
  • En choisissant la nourriture labélisée comme seule alternative pour bénéficier d’une alimentation sans pesticides et sans perturbateurs endocriniens dans nos aliments, sans glyphosate dans l’eau du robinet, etc. ;
  • En provoquant un changement radical sur l’idée qu’il faut accroitre à tout prix notre production et, pour cela, remplacer les hommes et les femmes par des machines ;
  • En résistant aux influences des multinationales telles que Monsanto, Danone, Bayer etc.

Si tous ces efforts étaient mis en place, selon Marc Dufumier, les impacts au Sud seraient également positifs : « Les peuples du Sud, à l’abri de ces droits de douane, pourraient commencer à épargner pour pouvoir s’équiper. Il y aurait moins de mouvements migratoires, moins d’exode rural, les paysans là-bas pourraient travailler dignement dans leur pays et pourraient répondre par eux-mêmes aux besoins alimentaires de leur peuple sans avoir à dépendre de nos céréales ».

Aux pistes d’actions proposées par Marc Dufumier, nous voulions ajouter des pistes d’actions qui nous concernent tous et toutes en tant que consommateurs et consommatrices. Une alimentation à la fois locale, durable, responsable et saine est possible. Pourtant, seul·e, dans un supermarché, il peut être très difficile de s’y retrouver : comment opérer des choix éthiques, écologiques et économiques sur chaque aliment dans des quotidiens souvent déjà surchargés ?

Des alternatives en Belgique existent comme les achats en circuit court, les commerces spécialisés comme efarmz, les groupes d’achat en commun (GAC). Mais elles ont aussi certaines limites et freins comme le prix des aliments ou la gamme limitée de produits. C’est pour cette raison que de nombreuses coopératives voient le jour en Belgique. La Beescoop à Bruxelles en est un exemple. Cette coopérative permet notamment l’accès à l’alimentation durable à un maximum de personnes ; encourage une économie locale en créant des partenariats sur le long terme avec des producteurs de la région ; crée un espace convivial permettant de renforcer la cohésion sociale ; mettre en place une politique du prix juste : un prix le plus accessible possible pour les consommateurs tout en rémunérant correctement le travail du producteur ; propose une politique de transparence de l’information sur les produits et sur le fonctionnement du supermarché.

L’agroécologie, alternative aux défis énergétiques mondiaux ?

L’usage des énergies fossiles joue encore un rôle essentiel dans le changement climatique. Pourtant, en plus d’être polluantes, ces ressources sont de moins en moins disponibles. Mais vivre sans pétrole semble encore être inimaginable en 2018. De plus en plus de productions agricoles ne sont pas destinées à nourrir des humains, mais bien à produire des carburants. Pour Marc Dufumier, le problème réside également dans l’énergie dépensée pour produire les engrais de synthèse et les produits phytosanitaires (soins à donner aux végétaux).

C’est à ce défi que l’agroécologie répond également : l’utilisation intensive des ressources que la nature produit par exemple l’énergie du soleil, l’azote, ou encore le carbone. En plus d’êtres gratuites, ces ressources sont produites en quantité illimitée dans la nature et se renouvellent en permanence.

Par exemple, en ce qui concerne l’énergie solaire, Marc Dufumier nous explique qu’il faut optimiser la capacité de la plante à produire de l’alimentation par le fait qu’elle intercepte les rayons solaires, que nous ne sommes pas en mesure de valoriser directement.

Conclusion

Les constats climatiques sont inéluctables. Les changements se doivent d’être radicaux et collectifs. L’agroécologie permet de contribuer à relever ces défis aussi bien sur le plan agronomique, social, écologique, économique que nutritionnel. Elle permettrait, pour Marc Dufumier, « de nourrir le monde entier sans dommage pour les générations futures et sans dommages pour la planète ».

Mais elle nécessite avant tout de remettre en question notre notion actuelle de progrès basé sur l’efficacité et la rentabilité. Aujourd’hui, le progrès, c’est de tout mettre en place pour qu’un jour chaque personne puisse se nourrir et vivre dignement, tout en respectant les limites de la nature, sans laquelle, nous ne serions rien.

Claire Brouwez

[1] En novembre 2017, à Liège et à Gembloux. Cette conférence était organisée par « Ile de Paix », en collaboration avec Gembloux Agro-Bio Tech – ULiège, Universud, ADG et la Coopération belge au développement.

[2]L’agroécologie : reconnecter l’homme à son écosystème, ADG, novembre 2016, disponible sur www.ong-adg.be/docs/publications/adg-agroy-cologie-vf-ld.pdf

Quelle protection sociale pour le travailleur du numérique ?


Synopsis 

La généralisation du numérique a fait apparaitre de nouvelles formes d’organisation du travail, notamment l’économie de plateforme. Cette « uberisation » en s’insérant dans un vide juridique  accélère et renforce la précarisation des travailleurs. Comment faire entrer le droit du travail dans le XXIieme siècle en maintenant une protection des travailleurs ?


Publié par UniverSud – Liège en décembre 2018

L’économie numérique a fait naître de nouvelles formes de production et d’emploi, dont l’économie de plateformes. À celle-ci est associé le terme crowdworking (de crowd, la foule, et work, le travail), qui consiste à externaliser le travail vers une foule d’individus – la communauté en ligne – plutôt qu’auprès des travailleurs ou des fournisseurs traditionnels[1].Les travaux proposés sur les plateformes sont variés : petits travaux ménagers ou de bricolage, transport de personnes ou de repas, baby-sitting, réalisation de logos, traductions, classement de fichiers, etc. Les prestataires, qui, la plupart du temps, sont considérés par la plateforme comme des indépendants, sont payés à la tâche. La langue française propose, pour désigner le crowdworking, l’expression « cybertâcheronnage » ou « tâcheronnage numérique », qui renvoie à l’image de l’artisan ou de l’ouvrier qui effectue des travaux payés à la tâche, qui n’offre que sa main d’œuvre, qui exécute, avec application, des tâches sans prestige[2].

Ce modèle économique présente divers atouts pour les entreprises et pour les travailleurs, notamment en terme de flexibilité, mais il est aussi la source de nouvelles formes de travail précaire. Les bouleversements apportés par le phénomène d’ « ubérisation »– externalisation, triangulation des rapports de travail, flexibilisation accrue permettant d’offrir aux entreprises « la main d’œuvre juste à temps »[3] en éliminant le coût du temps improductif, etc. – apparaissent peut-être moins comme une mutation que comme une exacerbation, favorisée par le numérique, d’une tendance constatée depuis plusieurs décennies : la précarisation du travail, d’une part, par le jeu des formes d’emploi atypiques caractérisées par l’intermittence et qui s’inscrivent dans un schéma triangulaire (modèle « de l’emploi bref ») et, d’autre part, par l’augmentation de l’activité indépendante aux dépens de l’emploi salarié (modèle de « l’emploi sans employeur »)[4].

Le droit social, l’une des plus grandes réalisations du XXe siècle

Le droit social est, sur le plan juridique, l’une des plus grandes réalisations du XXe siècle. À quelques exceptions près, l’essentiel du droit du travail du XXe siècle a d’abord été élaboré en Europe de l’Ouest en réaction, tant aux excès de la révolution industrielle, qu’à l’abus des droits reconnus par le droit civil du XIXe siècle.

Le droit civil, né de la révolution française, est façonné sur la base des principes de liberté et d’égalité des citoyens. Ceux-ci sont libres, donc ils peuvent conclure des contrats. Ils sont égaux, donc ils négocient sur un pied d’égalité juridique avec leurs partenaires (il n’y a plus de privilège comme dans l’Ancien Régime). L’égalité juridique peut conduire à des situations inacceptables lorsque les parties n’ont pas une capacité de négociation comparable : le travailleur, le consommateur, le locataire, etc., ne sont pas en situation de négocier d’égal à égal avec leur partenaire contractuel, qui est en position de force pour dicter les conditions du contrat. Le droit civil et la révolution industrielle vont se conjuguer pour faire progressivement glisser les travailleurs vers un état de misère matérielle et morale : salaires dérisoires ; journée de travail de treize, quatorze voire seize heures ;occupation de jeunes enfants ; sécurité et hygiène déplorables ; accidents nombreux aux conséquences mal ou pas réparées ; etc.

Le droit du travail est né de la volonté de porter remède à cette situation misérable, en limitant la liberté des parties au contrat de travail de choisir leurs conditions contractuelles. Il s’est ensuite développé, surtout après la première guerre mondiale, au gré du rapport de force entre le patronat et les salariés. Il est à la recherche d’un équilibre entre les réclamations des salariés en termes de justice sociale et les contraintes économiques des employeurs.

Ce droit est né avec la civilisation de l’usine : la société industrielle et sa production de masse, une concentration des travailleurs en un même lieu, l’usine. La protection du droit du travail est offerte aux travailleurs subordonnés, c’est-à-dire qui obéissent à un patron. Ce critère est très important : c’est lui qui déclenche l’application de tout le système protecteur élaboré par la loi (limitation de la durée quotidienne et hebdomadaire de travail, congé de maternité, congés payés, sécurité sociale des salariés), protection qui est refusée au travailleur indépendant. Celui-ci négocie à égalité avec ses partenaires contractuels les conditions auxquelles il accomplit ses prestations et finance lui-même une couverture sociale plus modeste que celle du salarié.Il bénéficie d’une protection moindre pour des raisons tenant à l’histoire de la naissance du droit social. L’indépendant subit parfois de fortes contraintes économiques de la part de ses commanditaires – par exemple le franchisé, ou le petit sous-traitant d’une grosse entreprise, qui n’a qu’elle comme cliente. Or, le critère qui déclenche la protection du droit du travail n’est pas le déséquilibre économique d’une relation mais, comme on l’a dit, l’obligation d’obéir.

Le travailleur de plateforme est-il un salarié, un indépendant ou un travailleur d’un troisième type ?

Dans un certain nombre d’hypothèses, le statut d’indépendant des prestataires de plateforme correspond à la réalité (par exemple, ceux qui offrent des services ponctuels de jardinage ou bricolage ne peuvent guère être considérés comme des salariés de la plateforme). Dans d’autres cas, le point de vue de la plateforme est plus discutable parce que le contrôle exercé par elle sur les prestataires est plus serré de sorte que la détermination de l’existence ou de l’absence d’un lien de subordination juridique pose plus de difficultés. C’est singulièrement le cas des chauffeurs Uber et des coursiers de Deliveroo, dont les actions en vue de la reconnaissance d’un statut de salarié sont régulièrement relayées par la presse. Pourtant, jusqu’ici, à de très rares exceptions près, la justice des différents pays concernés n’a pas reconnu le statut de salariés à ces travailleurs.

La difficulté provient, notamment, du fait que le modèle industriel qui a inspiré le droit du travail est dépassé par la révolution numérique. Grâce aux outils numériques de communication, bon nombre de travailleurs d’aujourd’hui bénéficient d’une autonomie inimaginable il y a une vingtaine d’années. Mais cette autonomie, en retour, risque de les « pousser en dehors du droit du travail »[5], parce qu’elle rend difficile l’identification du lien de subordination, qui est la condition pour bénéficier de la protection du droit du travail. On assiste à un brouillage des frontières traditionnelles entre le travail et les loisirs et entre le salariat et l’indépendance.

Alors qu’à partir de la fin du XIXè siècle, le droit du travail s’est érigé contre les conditions sanitaires déplorables et les journées de travail inhumainement longues, menaçant la santé et la vie des salariés, aujourd’hui c’est la liberté que confèrent la technologie et une souplesse assumée dans l’organisation du travail qui menace la condition des travailleurs : la dépendance économique et la précarité, mais aussi l’isolement, peu propice à l’organisation de la défense des intérêts professionnels.

L’économie numérique fait redouter à tout le moins la substitution au travail salarié d’une forme de travail indépendant intermittent, échappant à la protection procurée par le droit du travail ; par un effet de domino, c’est la fragilisation de la sécurité sociale qui préoccupe. Si le travailleur du XXIème siècle est constamment confronté à la nécessité, pour assurer sa subsistance, de conclure une multitude de contrats en vue de la réalisation de diverses micro-tâches faiblement rémunérées, l’objectif de sécurisation de l’emploi, poursuivi par le droit du travail, et celui de redistribution des richesses par le truchement de la sécurité sociale s’évanouiront rapidement.

Pistes de solution pour un nouveau modèle de droit du travail ?

L’émergence de la culture de la liberté, amplifiée par le numérique, la dilution de la subordination des travailleurs dotés d’une autonomie toujours plus grande ainsi que la situation de faiblesse économique de nombreux travailleurs qui se trouvent dans une zone grise entre l’indépendance et le salariat, zone qui s’est développée bien avant l’économie numérique, font converger de nombreuses réflexions, de part et d’autre de l’Atlantique, sur l’avenir du droit du travail.

Faut-il modifier le critère d’application du droit du travail, troquer la subordination contre la dépendance économique ? Cette idée, très ancienne, est régulièrement débattue mais ne prospère pas, en raison de sa difficile mise en application.

Faut-il plutôt sortir de la dichotomie salariat/indépendance par la création d’une catégorie intermédiaire de travailleurs, ni indépendants ni subordonnés, qui absorberait toutes les personnes accomplissant leur travail avec un fort degré d’autonomie (les crowdworkers mais aussi les franchisés, les sous-traitants, les concessionnaires de vente, les agents commerciaux, etc.) ? Aussi séduisante que puisse paraître la mise en place d’un troisième statut, cette solution présente plus d’inconvénients que d’avantages, si l’on suit l’expérience des pays qui l’ont mise en place (Espagne, Italie, Royaume-Uni, Allemagne, Canada, notamment). En effet, le risque de classer les travailleurs sous un statut inapproprié, de contourner les règles en principe applicables au profit de règles moins coûteuses socialement n’est pas épargné. En outre, en instaurant un statut juridique intermédiaire tout en étant moins protecteur, on risque de susciter un déplacement du salariat vers ce nouveau statut, effet opposé à celui recherché par le législateur.Enfin, il est parfois relevé que la création d’un statut qui serait propre aux travailleurs des plateformes numériques « sonne comme un aveu d’échec : l’échec des politiques de l’emploi à améliorer la formation de jeunes et faire reculer le niveau du chômage des travailleurs les moins qualifiés »[6].

Le législateur belge doit donc réfléchir à une autre manière d’apporter une protection sociale aux travailleurs du numérique. Le défi est important, la réalisation s’avère complexe du point de vue juridique[7]. Faire entrer le droit du travail dans le XXIè siècle, c’est réfléchir à un cadre juridique ajusté à la société contemporaine pour en accompagner l’évolution. C’est aussi tirer les leçons de l’histoire et éviter de reproduire les conséquences désastreuses que, au XIXè siècle, une totale dérégulation a engendrées. La solution à ces questions dépend non du juriste mais du politique ; il lui faut combiner le souci de ne pas tuer le dynamisme des entreprises innovantes et la préoccupation de ne pas laisser une partie des travailleurs sans protection, sans un minimum de garanties de conditions de travail décentes – que ce soit en termes de santé et sécurité au travail, de stabilité d’emploi, de rémunération décente, etc. Assurément, il y a, pour répondre aux défis lancés par la transition numérique aux conditions de travail et à l’organisation du travail, de la place pour un projet politique ambitieux.

Fabienne Kéfer,

Professeur de droit du travail à l’Université de Liège

 

[1] C. Degryse, Les impacts sociaux de la digitalisation de l’économie, E.T.U.I., 2016, p. 38 (disponible surhttp://www.etui.org/fr/Publications2/Working-Papers/Les-impacts-sociaux-de-la-digitalisation-de-l-economie).

[2]http://www.cnrtl.fr/definition/t%C3%A2cheron.

[3]V. De Stefano, « The Rise of the “Just-in-Time Workforce”: On-Demand Work, Crowdwork, and Labor Protection in the “Gig-Economy” », Comparative Labor Law & Policy Journal, 2016, vol. 37, n° 3.

[4] Y. Kravaritou, « Les nouvelles formes d’embauche et la précarité de l’emploi », R.I.D.C, vol. 42, n° 1, 1990, pp. 129 et s.

[5] P. Lokiec, Il faut sauver le droit du travail !, Paris, Odile Jacobs, 2015, p. 30.

[6] L. Gratton, « Ubérisation de l’économie et droit social », Les conséquences juridiques de l’ubérisation de l’économie, Paris, IRJS Editions, 2017, p. 113.

[7] Pour des pistes de solutions, cons. F. Kéfer, Q. Cordier et A. Farcy, « Quel statut juridique pour les travailleurs des plateformes numériques ? », in F. Hendrickx et V. Flohimont (éd.), La quatrième révolution industrielle et le droit social, Bruges, la Charte, à paraitre, 2019.

Si même Nicolas Hulot a échoué, que puis-je faire ?


Synopsis 

Alors que les scientifiques tirent la sirène d’alarme depuis plusieurs années sur les changements climatiques et que les mouvements sociaux s’intensifient pour réclamer une réponse politique, les pouvoirs publics peinent à se mettre en mouvement ? Pourquoi ? la cause est-elle dans  l’organisation de notre démocratie ? Si oui, comment la repenser ?


Publié par UniverSud – Liège en aout 2018

Le changement climatique est bien présent. Ses effets et les modifications qu’il entraîne sur les écosystèmes et la société humaine (sécheresses, déplacements de populations, …) se font sentir. La cause principale de ces transformations est clairement liée à nos activités, qu’elles soient individuelles ou collectives. Cela fait quelques années que des alarmes ont été tirées mais rien n’y  fait. Nous n’avons pas modifié notre modèle économique. Nous avons tenté de l’adapter mais cela ne change pas grand-chose ; les quantités de carbone rejetées dans l’atmosphère ne décroissent pas et la pollution ne diminue pas. Il est grand temps d’inventer et d’agir.

Nous, les étudiants du master en agroécologie, pensons que les processus pour prendre des décisions politiques liées à l’écologique sont trop lents par rapports aux enjeux climatiques. Ces processus fonctionnent sur les principes de la démocratie : chacun peut s’exprimer et c’est le consensus qui fera advenir la volonté générale. Mais, vu les projections des scientifiques sur l’état possible de la planète si nous ne changeons pas rapidement et radicalement nos façons de produire et de consommer, il est légitime de se poser la question de savoir si la démocratie est le logiciel politique adéquat pour répondre à ces transformations. Ou encore, quelle forme la démocratie doit-elle revêtir pour s’adapter elle-même à ces changements ? Faut-il opérer ces transformations dans l’urgence ? Comment se positionner en tant que citoyen face à l’urgence climatique ? C’est pour répondre à ces questions que nous avons organisé une conférence en avril 2018 sur le thème : « Enjeux environnementaux et démocratie : comment répondre à l’urgence ? ». Son objectif était de permettre aux citoyens de se rendre compte de l’importance du débat sur les modes de gouvernance dans la situation d’urgence actuelle, ainsi que de leur permettre de se positionner.

La conférence s’est organisée sur base de l’intervention et de la mise en débat de 4 intervenants, à savoir :

  1. Olivier de Schutter. Il est l’ancien rapporteur spécial pour l’ONU pour les questions de l’alimentation. Il est l’auteur d’un rapport essentiel qui met en avant une alternative à l’agriculture conventionnelle : l’agroécologie[1]. Pour lui, le système actuel ne peut perdurer dans sa façon de fonctionner. Il milite et agit activement pour un changement de paradigme socio-économique en se basant sur les mouvements de la transition, l’agroécologie et les nouvelles formes de gouvernance.
  2. Agnès Sinaï. Elle est directrice de l’institut Momentum qui est le premier centre de recherche interdisciplinaire sur la collapsologie[2]. Elle a coordonné l’écriture de plusieurs ouvrages dont Economie de la décroissance – Politiques de l’Anthropocène, avec différents scientifiques et politologues comme Yves Cochet, Pierre Bihouix, François Roddier, …
  3. Céline Parotte. Elle est docteure et chercheuse en sciences politiques et sociales. Elle s’est spécialisée dans les systèmes de gouvernance et de gestion de certains types de déchets dangereux comme les résidus hautement radioactifs.
  4. Patrick Steyaert. Il est professeur à l’Université de Liège et ingénieur de recherche à l’INRA. Ses travaux portent sur les processus d’accompagnement et de changement sociaux dans le domaine de l’action publique, en ce qui concerne la gestion durable des ressources naturelles.

La conférence a confirmé qu’il s’agit d’un débat important mais qu’il est nécessaire d’y apporter un regard sociologique. C’est-à-dire qu’il est indispensable de regarder qui sont les personnes derrière les discours, quel type de discours et de rhétorique est employé et pour quel(s) objectif(s), qu’ils soient avoué(s) ou caché(s). Seuls les faits sont neutres. C’est la façon dont les hommes vont les utiliser et les faire parler qui va influencer leur direction. Prenons l’exemple d’informations liées aux dérèglements climatiques et voyons comment elles sont récupérées et interprétées par différents groupes sociaux. Chaque groupe les interprète et propose ses solutions en fonction de son agenda. Le discours catastrophiste est donc utilisé par certains pour faire passer des idées et des façons d’agir. Le changement climatique peut aussi être exploité pour justifier une accélération des progrès technologiques, car certains groupes peuvent penser que la technologie est capable de régler tous les problèmes. Pour d’autres encore, les mêmes faits peuvent être employés pour justifier des changements de régime politique et de doctrine économique. La conférence a donc mis en lumière le fait que le citoyen se doit d’être critique vis-à-vis de l’information qu’on lui donne car celle-ci peut être délivrée par des personnes qui ont des intentions politiques.

Cela ne doit pas empêcher le citoyen de prendre ses propres décisions. Mais il semble important – dans ce monde rempli d’intérêts et de « fake news » – que le citoyen développe son sens critique. Les scientifiques nous apportent des informations factuelles qui ne peuvent être remises en question dès lors que la façon dont cette information a été collectée et vérifiée a été pensée pour être juste et vraie. Ainsi, la validité d’une information scientifique suppose à la fois un protocole scientifique clair et répétable, la reconnaissance des travaux par la communauté scientifique et le fait que l’utilisation des informations dans d’autres domaines amène de nouveaux résultats concordants. Par exemple, le fait que la Terre est ronde est un fait scientifique indiscutable car les expériences pour le prouver sont connues et peuvent être reproduites ; la communauté scientifique reconnaît la pertinence de ces expériences et leurs résultats ; enfin, l’utilisation de l’information selon laquelle la Terre est ronde dans d’autres secteurs d’activité (aérospatial, aéronautique, communication, …) a toujours corroboré la théorie scientifique. Si elle répond à ces critères, le citoyen doit accepter une information scientifique.

En ce qui concerne le réchauffement climatique et l’urgence de prendre des décisions, il est difficile de nier que cela est un fait scientifique vu les critères présentés ci-dessus. Par exemple, il est démontré que l’industrie éjecte de grandes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, notamment le dioxyde de carbone (CO2) ; ce dernier provoque une augmentation des températures du globe ; par ailleurs, on observe une accélération de la fonte des icebergs provoquée par un réchauffement ; cette fonte aura des répercussions sur les niveaux des mers, les courants marins, les masses d’air chaud et froid et leur mouvement ; et par conséquent, sur l’ensemble de nos activités. Ces faits sont basés sur des recherches scientifiques dont la véracité ne doit plus faire débat.

Comment s’en sortir dans ces conditions ? Comment doivent s’analyser les décisions que la société prend ? Il est nécessaire de penser le monde selon de nouvelles valeurs. Il s’agit de compléter les valeurs sociétales actuelles – liberté, égalité, collectivité – par des concepts comme la résilience[3] et la durabilité. Ceux-ci devraient s’intégrer dans les débats démocratiques et dans les prises de décisions. Par exemple, quand un responsable politique doit résoudre un problème, il devrait se poser la question de savoir si la solution envisagée est résiliente et durable. Ces concepts devraient bien-sûr faire l’objet d’un débat démocratique. Ce sont les citoyens, collectivement, pour la communauté, qui devraient définir ensemble ce qu’ils entendent par résilience et durabilité. Toute décision serait alors analysée selon ces critères.

En outre, la conférence a bien démontré que nous n’étions pas prêts à sacrifier la démocratie sur l’autel de l’écologie. Le monde de demain est incertain mais cela n’est pas une raison suffisante pour se perdre dans des « dictatures vertes » ou des « éco-fascismes ». Mais la démocratie doit peut-être se réinventer, se relocaliser, se ralentir. Il est paradoxal de parler de ralentir dans des temps d’urgence, mais faut-il traiter l’urgence dans l’urgence ? Est-ce qu’une décision prise rapidement, dans un état de stress, est la réponse la plus adéquate à une solution compliquée ? Notre société moderne va très vite. L’information est omniprésente et se réinvente à chaque instant. Des décisions prises à Tokyo ont des répercussions dans l’instantané à New-York ou à Londres. Sommes-nous adaptés et prêts à suivre un tel rythme ? Peut-être pas. La démocratie doit se réapproprier son propre temps. Le temps de la décision collective humaine. Il s’agit d’un chantier intéressant pour tout politologue de penser la forme de la démocratie de demain, dans un monde transformé et dont l’évolution est incertaine. En fait, la seule chose qui est certaine, c’est que le monde sera incertain.

En conclusion, la conférence a soulevé beaucoup de questions et peu de réponses. Mais nous espérons qu’elle permettra aux citoyens  intéressés de s’engager dans ce chantier collectif et/ou de prendre des décisions avec un plus grand sentiment de responsabilité et de choix. L’éducation doit être le vecteur de ces adaptations de la société. C’est par ce biais qu’il est possible d’apprendre le sens critique, la responsabilité, l’importance de notions comme la résilience ou la durabilité. Avant de prendre une décision en raison et en émotion, il est bien de se renseigner (vérifier l’exactitude des faits, s’intéresser aux personnes et aux discours employés, …) et c’est aussi pour cela que ce type de conférence est important. Il n’y a pas de solution « clef-sur-porte », mais nous devons la créer ensemble, chacun à son niveau. C’est ça aussi la politique et la reprise en main de son destin.

Vincent Dauby

Master en agroécologie

 

[1]L’agroécologie est un ensemble de pratiques agricoles qui se veulent respectueuses de l’environnement. Elle se base sur des unités de production plus petites, ancrées dans leur territoire. Elle rejette l’utilisation de produits chimiques de synthèse dans ses processus de production. Elle se base sur une meilleure connaissance de l’écologie de la ferme pour produire efficacement. Par ailleurs, l’agroécologie est un mouvement social qui pose la question du système alimentaire global et promeut plus de respect des populations locales, des paysans, une économie locale basée sur des circuits-courts. L’agroécologie est également un domaine de recherche scientifique qui utilise les connaissances actuelles en écologie, en climatologie, en biologie, en agronomie pour produire en limitant les impacts négatifs pour l’environnement et les hommes. L’agroécologie scientifique étudie également les processus sociaux qui sont mis en place pour réussir cette transition agronomique et économique.

[2]La collapsologie est un domaine de recherche transdisciplinaire qui s’intéresse aux causes et aux raisons des effondrements des civilisations humaines, et utilise ses connaissances acquises pour projeter un regard critique sur les sociétés contemporaines.

[3] On entend la résilience comme la faculté d’un système à maintenir ses fonctions et processus après avoir subi des perturbations ou des chocs.

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques