Les activités humaines : une menace pour les mammifères marins

Les activités humaines : une menace pour les mammifères marins
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publié par UniverSud en février 2019

D’après le rapport annuel du Réseau National d’Echouages français, 1 897 échouages de mammifères marins se sont produits au cours de l’année 2017 sur les côtes françaises (3 427 km), soit presque 300 de plus qu’en 2016. En Belgique, ce sont 216 mammifères marins qui se sont échoués au cours de l’année 2017 (pour 66 km de côtes) et 258 échouages en 2016.

La découverte d’une baleine morte ou agonisante sur une plage est souvent à l’origine de scandales médiatiques. Sont-ils justifiés ? Mais surtout, ces drames sont-ils bien expliqués auprès du grand public ? Les échouages de mammifères aquatiques – incluant principalement des espèces de baleines, de dauphins et de phoques – sont définis par la présence sur le rivage de l’un ou plusieurs de ces animaux morts ou vivants, mais, dans ce derniers cas, incapables de retourner à l’eau par leurs propres moyens. Il est alors nécessaire d’agir très vite afin de maximiser leurs chances de survie. Mais pourquoi ces animaux s’échouent-ils ? Lorsqu’un échouage massif se produit, avec des dizaines d’animaux retrouvés sur une plage, sait-on toujours l’expliquer ? Si la plupart du temps les autopsies et analyses complémentaires permettent de trouver la cause de la mort, il reste encore des cas que les scientifiques peinent à élucider. Parmi les causes connues, nombreuses sont d’origine anthropique. L’homme est donc en partie responsable de la mort de ces animaux.

L’homme et la baleine

L’existence de nombreuses références écrites démontre l’intérêt de l’homme pour les mammifères marins depuis plusieurs millénaires. Pour certaines populations, ils étaient une source d’alimentation et, de ce fait, une importance culturelle, perceptible à travers des légendes et des mythes, leur a été accordée. L’importance économique des mammifères aquatiques est principalement due à leur chasse qui a toujours existé mais qui a pris une dimension inquiétante ce dernier quart de siècle à cause de l’exploitation commerciale intensive de la viande, la graisse et, parfois, du pelage de ces animaux. L’amélioration des méthodes de chasse et des moyens techniques a considérablement favorisé l’amplification de ce phénomène, risquant ainsi l’extinction de nombreuses espèces telles que la baleine bleue (Balaenopteramusculus) et le rorqual boréal (Balaenopteraborealis).

Par ailleurs, ces dernières années, s’est répandu mondialement le tourisme baleinier, appelé également Whale-Watching en anglais. L’objectif étant l’observation de ces animaux dans leur milieu naturel, l’impact négatif est limité. Pourtant, selon certaines études, les animaux pourraient être dérangés et désorientés lors de leur migration. Il reste incontestable que le tourisme baleinier permet le développement économique des régions où il est pratiqué, ainsi que la sensibilisation du public à la protection et à la conservation de ces espèces menacées.

En dehors de l’impact socio-économique des mammifères aquatiques, ceux-ci ont une importance considérable pour la science. N’oublions pas que la pêche à des fins scientifiques est autorisée et qu’elle est régie par l’article VIII de la Convention internationale pour la règlementation de la chasse à la baleine (International Convention for the Regulation of Whaling, 1946). Les mammifères marins ont un rôle clé en tant qu’espèces sentinelles écologiques, permettant la surveillance de la pollution de l’environnement et de l’impact des activités humaines sur celui-ci.

L’activité humaine, responsable de la mort des baleines

La responsabilité de l’homme dans les échouages de mammifères aquatiques est engagée et il est important d’en être clairement informé. Contrairement à ce qui est véhiculé par certaines croyances, les échouages massifs ne sont pas des suicides collectifs. Ils ne sont pas non plus, comme le racontent certaines légendes, un sacrifice de la part des animaux pour offrir de la viande à manger aux populations côtières. Ces fausses idées résultent du manque d’information et, par conséquence, d’un manque de prise de conscience du public. Le principal risque de ces explications erronées est que nous ne nous sentions pas concernés par la mort de ces animaux, pensant n’avoir aucune responsabilité. L’étude des causes d’échouages de mammifères aquatiques a mis en relief la responsabilité des activités humaines dont les enjeux sont politiques, économiques ou encore culturels. On se retrouve alors face à des conflits d’intérêt réels.

Parmi ces causes de décès des baleines nous pouvons citer la chasse qui reste un véritable fléau. Les animaux sont tués ou parfois blessés puis retrouvés échoués par la suite. Le Japon s’est récemment retiré de la convention internationale réglementant la chasse à la baleine. Cependant, déjà avant cette décision regrettable, le pays poursuivait cette chasse sous couvert de fins scientifiques alors qu’il s’agissait en réalité de raisons culturelles et économiques. Le nombre de baleines tuées par le Japon au nom de la recherche est estimé à 600 par an. En 1950, avant que le pays signe le moratoire sur la chasse commerciale, 2000 individus étaient tués chaque année. Par ailleurs, les animaux peuvent être blessés ou tués suite à des collisions avec des bateaux ou se faisant prendre dans des hélices. Les captures accidentelles dans des filets de pêche ne sont pas rares. La pêche intensive, d’intérêt économique pour l’homme, est également à l’origine de l’effondrement de stocks de poissons servant de proies aux mammifères aquatiques.

Un autre problème majeur est la pollution acoustique des océans, générée par de nombreuses activités humaines d’intérêt politique et économique. Parmi celles-ci, on retrouve principalement les sonars militaires et les activités industrielles lors de prospections sismiques de pétrole ou de gaz. Ces nuisances sonores désorientent les animaux, provoquant parfois leur échouage sur les côtes. Elles peuvent aussi être à l’origine de frayeurs, les menant à cesser de suivre leurs « protocoles » habituels de plongée, provoquant ainsi des syndromes de décompression responsables de la mort. Des effets physiques plus directs peuvent également être observés sur les organes internes.

La présence de polluants issus d’activités humaines, citons les métaux lourds, les hydrocarbures ou encore les organochlorés, un type de pesticide, peuvent être responsables d’intoxications et d’immunodéficience chez les mammifères aquatiques. Si les symptômes causés par cette pollution peuvent parfois paraitre légers et passer inaperçus, il serait dangereux de l’occulter. Elle peut être, en effet, à l’origine d’une mortalité brutale et massive lors de marées noires. Il arrive également fréquemment que l’on retrouve, lors des autopsies, des morceaux de plastiques dans l’estomac des de ces mammifères échoués, voire des sacs plastiques entiers indéniablement à l’origine de la mort de l’animal.

Une prise de conscience nécessaire et un réveil politique

Les pouvoirs politiques, souhaitant traiter en priorité les conditions de vies humaines, peuvent faire preuve d’un certain manque d’intérêt pour la vie des mammifères aquatiques. Il se crée alors une opposition, contestable nous ne pouvons qu’en convenir, entre la préservation de l’animal et le bien-être de l’humain. Il est donc important d’insister dans ce contexte sur le concept « One Health » qui explique l’existence en réalité d’une seule santé, réunissant celle de l’environnement, des animaux et la santé publique, notions indissociables les unes des autres. L’environnement peut, en effet, avoir un impact sur notre santé, c’est le cas lors de pollution intense. Les animaux peuvent également nous transmettre des maladies qui, pour certaines, peuvent s’avérer mortelles. La brucellose, une maladie grave avec des symptômes neurologiques provoquée par une bactérie, en est la parfaite illustration. La transmission de maladies infectieuses peut se faire par contact direct avec l’animal ou par contact indirect, en consommant leur viande ou en étant en contact avec les sécrétions de l’animal (urines, selles, etc.). S’intéresser de près aux échouages des mammifères aquatiques ne s’oppose donc en aucun cas à la prise en considération de la santé humaine.

La mise en place de réseaux de surveillance des échouages de mammifères marins est essentielle. Il s’agit d’organisations pouvant être locales, nationales ou impliquant plusieurs pays, qui permettent d’apporter une réponse rapide et adaptée à ces situations. Ces réseaux apportent de nombreux avantages : éviter que les animaux morts soient en contact avec la population de façon non contrôlée alors que les risques pour la santé humaine existent (morsures, maladie, etc.) ; utiliser les éléments recueillis en tant que bio-indicateurs de la santé de l’environnement et en tirer des conclusions quant aux risques pour l’homme ; connaître la prévalence de maladies, éventuellement transmissibles à l’homme, portées par ces espèces ; améliorer les connaissances scientifiques sur ces animaux afin de contribuer aux mesures de conservation et de protection ; sauver les animaux vivants échoués lorsque c’est encore possible ; et enfin, élucider les causes de la mort de l’animal. Ils permettent également de recenser les échouages se produisant afin d’obtenir des données objectives. Il s’agit donc, entre autres, à travers les échouages de mettre l’accent sur la santé humaine en identifiant les risques pesant sur elle et ainsi limiter le fondement des arguments justifiant le désintérêt pour les échouages de mammifères aquatiques par la priorisation de la santé humaine. Il existe encore de nombreuses zones côtières où réseaux de surveillance des échouages sont absents, notamment en Afrique, où peu de données sont mises à disposition. Les vétérinaires, l’ensemble de la communauté scientifique, les États et les associations doivent travailler à la mise en place de tels réseaux là où ils manquent. Les dirigeants politiques doivent réfléchir à la réduction des conflits d’intérêts qui ne cessent de peser directement et indirectement sur la vie des mammifères aquatiques. Ils doivent également être attentifs au respect des conventions, signer celles qui ne le sont pas encore, développer celles qui peuvent l’être et en mettre en place de nouvelles si nécessaire. Outre les conventions internationales, le droit national et des dispositions légales ont également un rôle important à jouer dans la préservation de ces espèces animales.

Chacun de nous peut également agir pour protéger les mammifères aquatiques. Cela commence par une consommation raisonnée et respectueuse de l’environnement, en évitant l’utilisation de sacs plastiques, et par la gestion correcte des déchets ménagers. Chaque citoyen peut décider de s’investir dans des associations pour la défense de ces animaux et de leur environnement. Il est aussi possible d’être volontaire pour les réseaux de surveillance des échouages dans de nombreux pays : en signalant les échouages, en encourageant la communication et la sensibilisation auprès du grand public ou encore en aidant à gérer les échouages.

L’engouement médiatique provoqué par les échouages de mammifères aquatiques est incontestablement fondé. Il doit permettre de dénoncer les nombreuses conséquences néfastes des activités humaines sur la santé animale, environnementale et bien évidemment publique. Lorsqu’un sac plastique est retrouvé dans l’estomac d’une baleine on l’apprend en général en lisant les journaux. Malheureusement l’ensemble des phénomènes sous-jacents qui peuvent être à l’origine de la mort de l’animal et qui sont souvent des répercussions des activités de l’homme ne sont pas encore assez dénoncés, voire occultés. Nous avons tous la possibilité de changer les choses et il en va de notre responsabilité de citoyen de s’informer, d’informer et enfin, d’agir.

Sarah Wund