Migration et droits sociaux- interview de J-M Lafleur


Synopsis

On pense souvent que les migrants viennent en Belgique pour profiter des droits offerts par l’Etat providence. De cette lecture résulte une tendance à limiter les droits des personnes migrantes dans une volonté de réduire les migrations. Est-ce là la bonne approche? Ce n’est en tout les cas pas la plus humaine. Entretien avec Jean-Michel La Fleur pour mieux comprendre les droits des migrants et les conséquences sur leur destinée.


Publié par UniverSud-Liège en janvier 2019

Directeur adjoint du Centre d’Etudes de l’Ethnicité et des Migrations de l’Université de Liège et Chercheur qualifié du FRS-FNRS, Jean-Michel Lafleur est aussi maitre de conférences à la Faculté de Sciences Sociales de l’Université de Liège où il donne différents cours sur les migrations. Il a accepté de répondre à nos questions concernant la migration, les sans-papiers, et les droits sociaux qui y sont liés.

Eclosio : La première chose que j’aimerais vous demander, c’est de définir ce qu’est un « migrant ». Un cliché répandu est celui de la famille syrienne traversant la mer pour venir vers des pays plus sûrs. Qu’en est-il réellement ?

JML : Il y a différentes façons de définir le concept d’immigration. Effectivement, les concepts de migrant, d’immigré, d’émigré, de réfugié, de demandeur d’asile peuvent parfois être utilisés de façon interchangeable alors qu’ils recouvrent des réalités différentes. Quand on parle d’un immigré en Belgique, on parle d’une personne qui est née à l’étranger et qui a traversé une frontière pour arriver en Belgique. Il faut faire attention au fait que, dans les chiffres sur l’immigration en Belgique, toutes les personnes qui arrivent sur le territoire ne sont pas nécessairement des étrangers. Par exemple, il y a des enfants qui naissent de parents belges vivant à l’étranger, qui, un jour, décident de venir vivre en Belgique et se retrouvent catégorisés comme des immigrés mais sont biens des citoyens belges. A l’inverse, quand on parle d’étrangers, on a l’impression que tous les étrangers sont nés dans un autre pays, alors qu’il y a aussi des enfants nés sur le territoire belge de parents étrangers et qui, en dépit du fait qu’ils soient nés en Belgique, ne sont pas Belges. Le concept de demandeur d’asile, quant à lui, se focalise sur une très petite portion de la population migrante et comprend les gens quittant leur pays pour chercher une protection en Belgique.

Eclosio : Qu’en est-il des migrants illégaux ?

JML : Parmi les chercheurs, beaucoup d’entre nous n’utilisons pas le concept de « migration illégale » car ce vocabulaire est souvent instrumentalisé par des partis populistes ou d’extrême droite pour justifier des traitements d’exception à l’égard de populations dans des situations précaires. Il faut souligner que des populations sans-papiers, sans statut, ne le sont pas spécialement toujours durant leur parcours migratoire. On peut très bien arriver en Belgique avec des papiers, et puis, à la fin des études ou à la perte de son emploi, devenir sans-papiers. Le terme « sans-papiers » dénote donc d’un statut administratif à un moment particulier du parcours migratoire, alors que le concept d’illégalité tend à uniformiser le statut d’une personne pour délégitimer sa présence.

Eclosio : Quels droits sociaux conserve-t-on quand on est sans papiers ?

JML : Quand on est sans papiers dans l’Union européenne, toute une série de droits liés à la résidence ou à la nationalité sont inaccessibles. On ne peut pas avoir de contrat de travail en bonne et due forme et, par conséquent, l’accès à des droits associés au travail, comme l’assurance chômage ou des prestations de soin, est soit impossible, soit très compliqué. Il y a cependant des droits minimaux garantis comme l’aide médicale urgente, même si elle reste sujette à l’interprétation des prestataires de soin, ou comme l’accès à l’éducation. Beaucoup d’enfants de sans-papiers sont scolarisés, ce qui crée des drames lorsqu’ils sont forcés de quitter le territoire.

Eclosio : Prenons un exemple précis : l’hiver approche, et les sans-papiers n’ayant pas d’abris sont plus susceptibles de tomber malades. Comment peut-on être pris en charge lorsqu’on souffre d’une grippe ou d’une pneumonie ?

JML : L’aide médicale urgente s’adresse aux personnes qui sont vraiment en situation de danger. Cela ne veut pas dire que, quand on n’a pas de papiers, on n’a pas de solution pour résoudre des problèmes de santé. Ce sera juste beaucoup plus compliqué et souvent plus couteux. On peut demander à un médecin de nous soigner sans remboursement de la mutualité, puisqu’on n’est pas affilié, ou avoir recours à d’autres stratégies. Des associations comme Médecins du Monde ou la Croix-Rouge se spécialisent dans les soins aux personnes en situation de grande précarité, dont les sans-papiers. On peut aussi faire appel à des mécanismes de solidarité communautaire : dans une communauté immigrée, des prêts d’argent et autres formes de solidarité permettent à ceux qui en ont besoin d’accéder aux soins de santé.

Eclosio : En parlant du monde associatif, le Hub Humanitaire situé Gare du Nord permet aux sans-papiers de contacter leur famille à l’étranger, de passer des visites médicales, etc. Dans quelles mesures ces associations de citoyens venant en aide à d’autres citoyens ne remplissent-elles pas un rôle qui devrait être joué par l’Etat ?

JML : Depuis 2015 et ce que certains nomment « la crise migratoire », les autorités belges ont une approche très restrictive de l’accueil des personnes venant chercher une protection en Belgique ou transitant par le territoire. Si les personnes viennent chercher l’asile en Belgique, elles peuvent déposer une demande et sont prises en charge par des structures comme les centres d’accueil etc. Se lance alors une procédure d’asile, durant laquelle les personnes sont logées, ont accès à un médecin et parfois même à des cours basiques de langue. Mais le gouvernement fédéral estime que les personnes ne rentrant pas de demande d’asile n’ont grosso modo droit à rien.

Eclosio : Comme les personnes transitant par la Belgique pour rejoindre d’autres pays ?

JML : Il y a en effet des personnes pour qui la Belgique n’est qu’un point de passage et qui ne souhaitent donc pas déposer de demande d’asile, mais aussi des personnes hésitant, par manque d’information ou par crainte, à déposer une demande d’asile en Belgique. Ce sont par exemple des personnes dont les empreintes digitales ont été prises dans d’autres pays de l’UE et qui risqueraient donc d’être renvoyées vers ces pays lorsqu’on examine leur demande d’asile. Il y a aussi des personnes craignant que leur demande ne soit pas traitée positivement ou d’autres qui sont incertaines que la Belgique soit la dernière étape de leur parcours migratoire. En ce qui concerne ces personnes au statut intermédiaire, le gouvernement fédéral a décidé d’être aveugle et rejette toute responsabilité à leur égard. Il se contente de faire respecter l’ordre en procédant à des arrestations de personnes sans titre de séjour.

Faire comme si cette population n’existait pas n’est pourtant pas une approche souhaitable. Du point de vue humanitaire, ces populations peuvent se trouver dans des situations très précaires et ont besoin de vrais services. N’est-ce pas trop demander au secteur associatif et à la société civile de subvenir aux besoins de ces populations alors que leur nombre n’est pas gigantesque et que l’Etat aurait les moyens de prendre en charge ? La Belgique ignore également cette population car elle craint que, en lui donnant des services et des droits, cela provoque un « appel d’air ». Aujourd’hui, dans les recherches existantes sur les migrations, cet appel d’air n’a jamais été avéré. Rien ne prouve que donner accès à un médecin à une personne arrivant en Belgique inciterait plus de monde à migrer vers la Belgique. Les décisions migratoires sont bien plus complexes que l’accès à des prestations sociales ou à des soins de santé. Même si le système de santé performant et la qualité des écoles belges peuvent influencer un déplacement vers la Belgique plutôt que vers un autre pays, la qualité des services offerts par l’Etat providence ne peut à elle seule justifier la décision migratoire. Une vision assez stigmatisante de la migration se développe car on laisse penser qu’elle ne serait guidée que par un souhait de profiter du système social, alors que ce n’est pas le cas.

Eclosio : Pour rebondir sur ce cliché, les migrants représentent-il vraiment un coût pour la société belge ?

JML : Cette idée que les immigrés représentent une charge pour les finances publiques belges est assez largement répandue : dans les enquêtes d’opinion, environ la moitié de la population belge est de cet avis. Souvent, cette opinion n’est pas basée sur des croyances xénophobes ou racistes mais sur des arguments à priori de bon sens. Par exemple, les immigrés ont en moyenne plus d’enfants que les personnes non-immigrées, et ont donc automatiquement tendance à recevoir plus d’allocations familiales. De même, les immigrés sont plus durement touchés par le chômage, et donc représentent proportionnellement un budget plus élevé dans les dépenses de chômage. Cependant, ce type de raisonnement a différentes failles : utiliser uniquement le chômage et les allocations familiales pour faire un argument général sur le poids des immigrés pour la sécurité sociale, c’est oublier la plus grosse dépense sociale : les pensions. Les migrants ont tendance à être plus jeunes, et vont plus fortement contribuer au financement des pensions. En conclusion, les études menées par différentes organisations internationales telles l’OCDE ou l’Union européenne soulignent toute la difficulté de mesurer l’impact fiscal de l’immigration mais concluent néanmoins que celui-ci est soit nul, soit positif.

Eclosio : Que penser des citoyens belges poursuivis pour avoir hébergé des migrants en hiver? Où se situe-t-on entre la non-assistance à personne en danger et la traite d’êtres humains dont ils sont accusés ?

JML : Il y a une claire tendance à criminaliser l’accueil. Bien sûr, des pratiques de traite existent en Belgique et il faut les condamner fermement, mais il faut aussi utiliser la nuance. Quand on frappe aveuglément et qu’on laisse sous-entendre que les plateformes citoyennes sont liées à des trafics d’êtres humains, je crois qu’il s’agit aussi de tentatives d’intimidation et d’instrumentalisation de la part de certains politiques qui veulent décourager la société civile de s’impliquer dans le dossier migratoire. Certains élus défendant une approche restrictive de l’immigration  souhaitent décourager l’accueil citoyen. En effet, lorsque les belges sont en contact avec les migrants, une série de clichés sur lesquels ils fondent leurs politiques restrictives commencent à tomber. Le contact direct, par le biais de l’accueil, fait s’effondrer ces clichés. Pour défendre une politique migratoire restrictive, la tentation est donc grande de criminaliser l’accueil.

Eclosio : Votre projet de recherche porte sur les droits sociaux des migrants, pouvez-vous nous en dire plus?

JML : Grâce à un financement du conseil européen de la recherche (ERC), nous constituons une base de données pour évaluer les critères d’accès à une série de prestations sociales(chômage, santé, allocations familiales, revenu d’insertion et pension) à destination des immigrés dans toute l’UE dans le but de repérer les pays où l’accès à la protection est plus aisée. Nous menons également un travail de terrain dans des grandes villes européennes avec des communautés immigrées pour voir si, au-delà du droit formel, l’accès est effectivement possible.

Entretien réalisé par Eve Legast
Volontaire Eclosio

Plus d’infos : http://labos.ulg.ac.be/socialprotection/

Produits bios dans les supermarchés, publicité mensongère ?


Synopsis

Les produits issu de l’agriculture biologique fleurissent dans les rayons des supermarchés répondant à une demande de consommateurs attentifs à leur santé et soucieux de l’environnement. Qu’y a t il derrière ces labels? Sont-ils à la hauteur de nos exigences? Mise au point pour une alimentation réellement saine et durable.


Publié par UniverSud-Liège avril 2019

Le début du 21ème siècle a été marqué par de nombreux scandales agro-alimentaire : épidémie de gastro-entérites dans toute l’Europe due à la bactérie Escherichia Coli en mai 2011, présence de viande chevaline dans des steaks hachés « pur bœuf » en janvier 2013, scandale des œufs contaminés au fipronil en 2017, préparations de viande avariée à destination du Kosovo et falsification d’étiquettes sur les produits congelés chez Véviba en mars 2018 en sont quelques exemples. Ces événements ont poussé les consommateurs à une plus grande vigilance envers ce qu’ils achètent. D’autre part, la prise de conscience des effets néfastes sur la santé et l’environnement de l’utilisation massive d’intrants chimiques dans l’agriculture, ont pour conséquence un intérêt accru pour les produits biologiques. BioWallonie note une progression de 6% des dépenses pour les aliments frais et boissons bio en Belgique pour l’année 2017, avec une part de marché de 3,4% en 2017, c’est plus du double du chiffre annoncé en 2008.

Les origines du bio

Les changements dans les pratiques agricoles du début du 20ème siècle, notamment avec l’arrivée des engrais chimiques et le début de l’agriculture industrielle, a fait émerger dès les années 1930 dans de nombreux pays d’Europe, en réaction, un attrait pour un système de production plus respectueux envers la terre et les producteurs. Nous pouvons citer par exemple l’allemand Rudolf Steiner et le Cours aux agriculteurs, qui enseigne un mode de production basé sur l’agriculture biodynamique, ou encore les travaux du Suisse, Rusch, gynécologue de formation qui relie la dégénération de la flore bactérienne des muqueuses au problème de la qualité de l’alimentation.  Lien qui l’amènera à développer l’agriculture biologique aux côtés de Hans Müller, qui de son côté se battait pour l’indépendance économique des petits paysans.

Parmi les principes de l’agriculture biologique, il y a bien sûr l’absence de produits chimiques et d’organisme génétiquement modifiés (OGM) dans la production, mais aussi le respect du sol en maintenant la diversité et les équilibres naturels.

Plus qu’un “manger sain”, c’est aussi une consommation responsable qui est revendiquée.

On verra ainsi des cahiers de charge bio être créés dans différents pays par des organismes privés pour permettre aux consommateurs d’identifier les produits bios et d’assurer leur qualité en réglementant leur production.

Le label bio européen

En 1992,  l’Union Européenne crée le règlement de l’agriculture biologique « définissant les principes, objectifs et règles générales applicables à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques »[1].

Le règlement européen actuel prévoit de réorienter le développement de l’agriculture biologique, afin de l’axer sur des systèmes de culture durables comprenant ;

  • Des produits diversifiés et de qualité ;
  • Une protection de l’environnement renforcée ;
  • Une attention accrue portée à la biodiversité ;
  • La confiance des consommateurs ;
  • La protection des intérêts des consommateurs.

Le label européen garantit des produits sans OGM, ni pesticides. Le respect de l’environnement et la fertilité des sols y sont aussi encouragés. Les animaux d’élevages sont nourris avec des aliments écologiques, l’insémination artificielle est interdite. Cela dit, on ne trouve pas d’interdiction de certains exhausteurs de goûts, de colorants ou de produits de croissance et parmi les additifs autorisés dans les produits biologiques, 7 d’entre eux[2] sont considérés comme dangereux pour la santé selon « Le nouveau guide des additifs »[3]

Le 26 avril 2017, le Parlement européen a voté un règlement plus permissif en ce qui concerne l’alimentation bio pour faciliter le transport international. Autrefois, lorsque des produits bios étaient transportés, des mesures minutieuses étaient prises pour éviter qu’ils soient contaminés par des traces de pesticides ou autres. Avec cette nouvelle règlementation, les produits ayant été contaminés par des pesticides lors de leur voyage ne seront plus systématiquement retirés du marché. Le fait qu’un tiers de la consommation bio en Europe vient de l’importation de produits étrangers augmente donc le risque de nous retrouver avec des pesticides dans nos assiettes.

Le fait que le seuil de tolérance devienne plus laxiste au niveau européen démontre une volonté de favoriser le commerce international, en important directement les produits biologiques en provenance de pays tiers. Nous risquons de voir apparaître des produits ayant subis un contrôle moins important au niveau du taux de pesticide pour réduire les coûts de production et être plus compétitif au niveau du marché.

A noter que de nombreux pays hors UE possèdent des accords mettant leurs certifications bios nationales au même niveau que celles en vigueur en UE. Les systèmes de production locaux peuvent être différents et certains pesticides non autorisés en Europe peuvent être utilisés dans ces pays sur des produits bios qui se retrouvent ensuite dans nos magasins.

La Wallonie a toutefois mis en place un contrôle plus intensif sur ces taux afin de certifier le zéro pesticide. L’association « Nature & progrès » prône pour un alignement du seuil de tolérance européen sur celui de la Wallonie car les enjeux d’une telle décision impacteront d’une manière importante l’évolution du secteur.

L’apparition de bio dans les supermarchés

Avec l’attrait grandissant que ces produits ont sur les consommateurs, il n’a pas fallu attendre longtemps avant de voir apparaître des rayons de produits bios dans nos supermarchés. Aujourd’hui, 56% des produits biologiques achetés par les consommateurs proviennent des grandes surfaces. La différence avec les magasins spécialisés se fait surtout au niveau du prix, qui est parfois jusqu’à deux fois moins chers dans les supermarchés. S’ils respectent la réglementation européenne en matière de produits biologiques, le modèle de production reste dans la lignée des autres produits : la culture intensive, l’importation massive provenant de pays hors UE, et pour des coûts inférieurs à tout ce qu’on peut trouver dans nos pays.

Parmi les produits bios trouvables en supermarché, on y retrouve aussi des produits hors saison. Ces produits sont importés de zones comme la ville d’Almeria, en Espagne, où 40.000 hectares d’exploitations agricoles sont recouverts par des serres en plastique (dont plus ou moins 700 hectares consacrés au bio) qui sont constamment chauffées ce qui cause une dépense énergétique immense. Les produits qui y sont cultivés parcourront ensuite des milliers de kilomètres pour être vendus. On peut également y trouver environ 4000 travailleurs agricoles pour la plupart sans papiers logés dans des endroits précaire et payés entre 4 et 5 euros de l’heure pour travailler dans ces serres bios[4].

Au final, le bio de supermarché respecte les exigences en matière d’absence de pesticides et OGM mais paraît bien loin de l’esprit dans lequel le bio s’est développé, qui prônait une consommation responsable envers l’environnement et un respect des producteurs. Du point de vue des produits ajoutés, bien qu’ils soient bien moins nombreux que dans les produits classiques, la réglementation actuelle ne permet pas de nous garantir une alimentation aussi saine que l’on veut nous le vendre. En ajoutant les conditions de travail difficiles des agriculteurs, hérités des modes de productions classiques de la grande distribution, et l’importation d’environ 30% de produits consommés en Belgique, on est loin des produits frais achetés chez les petits producteurs locaux à un prix juste.

Quelles alternatives ?

                En politique

Au niveau politique, la réglementation européenne semble bien insuffisante pour nous assurer des produits réellement biologiques, respectueux de l’environnement et des producteurs.

Malgré tout, des labels alternatifs s’engagent à plus de responsabilités, par exemple le label Biogarantie® s’engage à faire des efforts en termes de durabilité écologique, sociale ou économique en appliquant notamment une rémunération équitable pour les producteurs, une minimisation du transport, des emballages et des déchets et un circuit le plus court possible[5].

En 2017, de nouvelles réglementations ont été décidées au niveau européen pour l’horizon 2021, comprenant un contrôle physique plus strict sur les modes de production, une interdiction de l’usage des serres et des mesures de prévention contre la contamination des terrains réservés au bio par des pesticides venant des cultures traditionnelles proches. Cependant, les mesures exactes de ces réglementations devront être prises au niveau national et peuvent changer en termes d’efficacité.

Pour ces raisons la Belgique s’est abstenue de voter pour ces nouvelles règlementations, en raison d’un manque de clarté ce qui irait à l’encontre d’une harmonisation des pratiques  européennes selon Isabelle Jaumotte, conseillère de la Fédération Wallonne de l’Agriculture.

Dans les supermarchés

Pour encourager les supermarchés à fournir des produits ayant des labels bio et équitables réellement écologiques et solidaires ou à se tourner vers des labels alternatifs, nous tourner vers ces produits afin de créer une demande. Nous pouvons également faire porter notre voix au sein des différentes associations de consommateurs, comme Test-achat ou le Centre Européen des Consommateurs (CEC) Belgique.

Pour nous assurer une production plus respectueuse envers l’environnement et les producteurs des produits que nous consommons, nous pouvons aussi porter une attention sur les produits que nous achetons, en privilégiant les aliments de saison et provenant des producteurs à proximité.

Des applications mobiles permettent notamment de tracer la provenance des produits que l’on retrouve en supermarché, ainsi que celle de leurs composants ! (ex: Open Food Fact).

Actuellement en perte de bénéfices à cause d’une fréquentation de moins en moins grande des supermarchés[6], le défi que les grandes enseignes comme Carrefour ont à relever pour regagner une attractivité et suivre les consommateurs dans une démarché éthique doit se traduire par des engagements forts, en proposant des produits équitables envers les producteurs locaux et issus d’un mode de production durable.

En favorisant les produits locaux, issus d’un mode de production équitable et durable il y a de forte chance que les supermarchés s’adaptent à la demande. Aux consommateurs à rester vigilant à ce qu’il ne s’agisse pas seulement d’une façon de dorer leur image mais d’une réelle démarche de soutient à une agriculture locale respectueuse de l’environnement et rémunératrice pour les producteurs.

Pour développer les engagements que pourraient prendre les supermarchés afin d’aller dans le sens d’une production et consommation durable, ils pourraient par exemple se tourner vers des labels plus exigeants, proposer de la vente en vrac et limiter un maximum les emballages plastiques.

Encore un pas plus loin

Ces pratiques sont courantes dans les coopératives alimentaires[7], qui sont des alternatives aux grandes enseignes pour les consommateurs. La ligne directrice de ces coopératives n’est pas le profit, mais plutôt de s’orienter vers une forme de production à la fois équitable et respectueuse de l’environnement.

les “Petits Producteurs”[8] est une coopérative alimentaire qui se rapproche plus de l’esprit original du bio. La force des coopératives se situe notamment dans la proximité avec les consommateurs, qui sont parfois eux-mêmes des actionnaires et employés de ces magasins. 

« La coopérative Les Petits Producteurs se fonde sur un principe de soutien véritable aux agriculteurs, éleveurs et transformateurs :

  •  Par une politique d’achat en direct, de non négociation des prix et de paiement rapide des producteurs;
  • Via l’implication dans la conception des plans de culture/de production des partenaires et la communication des besoins du magasin une année à l’avance;
  • En permettant, dans la mesure du possible, d’écouler les surplus et en offrant des prix de soutien en cas de difficultés dans les cultures. »[9]

Enfin, pourquoi ne pas développer une certaine indépendance de ces systèmes de distribution en cultivant soi-même ?

La permaculture, par exemple, science et art de l’aménagement des écosystèmes humains, permet de cultiver soi-même ses propres produits en reproduisant des écosystèmes naturels et ça, aussi bien dans un potager, une ferme, que dans nos appartements ! Un peu de recherche peut vite amener à des sites, blogs et autres vidéos didactiques permettant de devenir chaque jour un peu plus responsable et indépendant.

Le partage de parcelle de terrain gagne également en intérêt depuis quelques temps. Pour un propriétaire d’une parcelle de terrain, il lui est possible de permettre à d’autres personnes de venir cultiver sur ses terres. En établissant un cadre qui permettra aux deux parties de tirer avantage de cette entraide, ces parcelles deviennent plus qu’un simple potager, en devenant des lieux d’échanges sociaux, et de valeurs communes sur le partage et l’entraide.

Il existe aussi notamment des systèmes de potagers collectifs, permettant de soi-même produire ses fruits et légumes dans des espaces aménagés depuis 2010 (voir : www.asblrcr.be/potager-collectif). Un autre exemple est celui de « Peas and love » espace dans la région de Woluwe-Saint-Lambert à Bruxelles, permettant de louer une petite parcelle de terre pour un coût réduit, où des “community farmer” viennent cultiver des fruits et légumes pour vous, et que vous pouvez récolter toute l’année.

Finalement, la situation actuelle du bio dans les supermarchés est clairement discutable, le label bio européen ne nous assure qu’une absence de pesticides et d’ogm, bien qu’une contamination des produits durant le transport est encore possible, ce qui est bien loin d’être suffisant. Les consommateurs doivent encore être vigilants envers les produits bios trouvables en magasin pour s’assurer une consommation responsable. Si la situation n’évolue pas dans le bon sens dans les supermarchés et pour le label bio européen, les coopératives resteront une alternative bien plus intéressante.

Patrick Janssen
Stagiaire Ecolsio

[1]  Législation de l’UE sur la production biologique: présentation, source : ec.europa.eu

[2]  Dioxyde de soufre, métabisulfite de potassium, nitrate de sodium, nitrate de potassium, phosphore monocalcique, carraghénanes et hydroxypropylméthylcellulose. Anne-Laure Denans, Le nouveau guide des additifs. Éditions Thierry Souccar, 2017

[3] Denant, Anne-Laure. (2017). Le nouveaux guide des additifs. Edition Thierry souccar

[4] Source : Labels bio : sont-ils vraiment fiables ? – Tout compte fait. France 2

[5] Pour plus d’informations sur de nombreux labels bios qui existent, vous pourrez les retrouver en ligne à l’adresse suivante : www.natpro.be/alimentation/leslabels/index.html.

[6] Source : Le chiffre d’affaires en baisse pour Carrefour Belgique. La Meuse 2019

[7] Voir article dans la revue Cultivons le futur ! du mois d’Avril 2018

[8] Voir site de la coopérative : https://lespetitsproducteurs.be/

[9] Repris de : www.lespetitsproducteurs.be/cooperative/

Le label, outil contrasté du commerce équitable

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Le label est un outil supposé garantir au consommateur un commerce plus équitable pour les producteurs du Sud. A y regarder de plus prêt on remarque cependant que, de plus en plus, l’outil, réapproprié par le système de commerce classique, dérive vers un simple argument marketing, alors que les logiques de ce commerce, non équitable, reprennent le dessus. Une invitation à rester attentif à ce qui se cache derrière les labels.

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Publié par UniverSud-Liège avril 2019

La prise de conscience des dysfonctionnements du commerce international et son impact sur les petits producteurs à fait émerger, un commerce parallèle : le commerce équitable. Ce commerce a pour objectif de garantir aux producteurs du Sud un revenu décent.

Une étude réalisée chez les jeunes de 22 à 29 ans, selon Quieniart A., Jacques J. et Jauzion-Graverolle C. (2007), montre que la consommation éthique et équitable est une forme d’engagement politique. : il importe à ces consommateurs que leurs actions concordent avec leur discours, leurs achats sont l’expression de leurs opinions.

Au fil du développement du commerce équitable, sont apparus les labels, logos permettant aux consommateurs d’être informés que le produit possède les caractéristiques éthiques relatives à sa production ou à sa composition. Ce logo fait référence à un cahier des charges préétabli sur des critères économiques, sociaux, de gouvernance, d’autonomie des producteurs, environnementaux, de sensibilisation et d’éducation. Pour la filière labellisée,  le fonctionnement est le suivant : des entreprises s’engagent à respecter des termes de référence précis (conditions de travail, paiement d’un prix juste), et à s’approvisionner auprès de producteurs du Sud agréés par l’organisme de labellisation, pour pouvoir apposer sur leurs produits le logo du label. Ce logo a évidemment un cout, celui du contrôle qui permet la certification. Le produit labellisé peut ensuite être vendu dans tous les points de vente. On qualifie ces organisations de « réformatrices », elles adoptent de plus en plus les stratégies de gestion et de marketing des entreprises présentes sur le marché conventionnel. En Belgique, le label Fairtrade, anciennement Max Havelaar, fonctionne selon ce schéma.

 

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  Commerce équitable, un bref historique

La critique des inégalités liées au commerce international est le point de départ de la lutte pour un commerce plus juste. En effet, nées en 1944 les institutions des Bretton Woods (Banque mondiale, Fonds monétaires internationales et organisation mondiale du commerce) qui ont le leadership sur les questions de relations économiques internationales, ne pourvoient pas une égalité entre les pays dits développés et les pays dits en voie de développement. Les pays les plus riches ont nettement plus de poids dans les décisions liées au commerce. Les rapports de force au sein de ces institutions ont pour conséquences que les pays riches influencent les règles à leur avantage quant aux taxes, droits de douanes ainsi que sur le cours des prix des matières premières à l’importation. Les droits de douanes à l’entrée des pays Nord sont très élevés pour les produits transformés, par exemple, 1,5 % pour les fèves de cacao et minimum 16 % pour la poudre de cacao. En effet, la transformation donne de la valeur ajoutée au produit et créer de l’emploi, c’est pour cette raison que les pays Nord veulent que la transformation se fasse chez eux pour protéger leurs entreprises.

En 1964, les populations du Sud via le « Trade not aid », ont pour revendications vis-à-vis des institutions des Bretton Woods, d’obtenir des avantages commerciaux sans avoir à fournir de contrepartie : des droits de douanes moins élevés ainsi que la mise en place de stabilisation des cours des matières premières. Ses revendications n’ont pas eu de suite favorable dans le sens où ces pays, enchainés par leurs dettes, sont obligés de se soumettre aux mesures imposées par le Fond Monétaire International.  Voici un aperçu de ce qui est imposé par ces mesures : l’obligation d’aller vers le commerce mondiale plutôt que la protection du marché local cela notamment par l’abaissement des droits de douanes, l’interdiction de protéger leur marché par des réglementations, la mise en place de transports tournée vers l’exportation etc.

Par ailleurs certaines populations du Nord montreront leur désaccord avec le commerce international, notamment via le mouvement altermondialiste qui nait en réaction au néolibéralisme[2]. Selon Massiah G (2006), ce mouvement est assez diversifié dans les courants de pensées et les démarches qui le composent ; il est caractérisé par la résistance aux logiques dominantes (commerciales, politiques,…), la recherche d’alternatives, qui alimentent le débat démocratique citoyen qui caractérise ce mouvement. Dans l’idéologie de ce mouvement, le néolibéralisme est lourd de conséquences notamment dans l’évolution des inégalités Nord-Sud et la mise en sursis de l’environnement mondial, etc. Aussi, pour eux, le commerce équitable est une alternative possible au commerce international. Nous l’aurons compris le mouvement altermondialiste est pour une autre mondialisation.

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Les limites du label

Certains militants du mouvement et certains chercheurs craignent toutefois que le commerce équitable via les labels, devienne un pur produit de marketing qui augmente les exigences envers les producteurs du Sud. On en viendrait presque  à s’inquiéter de cette production grandissante.

En effet, malgré la bonne volonté des consommateurs dans leur initiative d’achat de produits équitables, ils ne se rendent pas compte qu’en demandant un produit dont la production répond à un cahier des charges précis, supérieur aux produits du système conventionnel, ils engendrent une augmentation des exigences envers les producteurs du Sud. Pour pouvoir répondre à ces exigences, les producteurs sont obligés de se réunir sous forme de coopératives. Ces coopératives pouvant se permettre d’être dans la filière labellisée, n’intègrent pas toujours les petits producteurs marginalisés. On reste alors, malgré tout, dans une logique de consommation conventionnelle, non éthique.

Par ailleurs, le fait que les entreprises de commerce traditionnel trouvent un intérêt à faire du commerce équitable, notamment pour s’inscrire dans une logique de responsabilité sociétale, risque de n’être qu’une démarche de façade, une stratégie marketing pour appâter le consommateur responsable. Au vue de l’intérêt croissant des consommateurs pour les produits du commerce équitable, les entreprises qui souhaitent redorer leur blason et en même temps améliorer leur rentabilité, proposent des produits labellises, une niche qu’il faut saisir afin de ne pas perdre de part de marché…

 D’un autre côté, cette ouverture du commerce conventionnel vers les produits équitables permet qu’ils ne soient plus uniquement destinés à un cercle fermé de consommateurs, mais accessibles à un plus grand nombre de consommateurs touchés et sensibilisés.

Ce n’est pas tout, Gendron, Lapointe, Champion, Belem et Turcotte (2006) se basant sur les travaux de Lipovestky (2002), De Bartha (1990), Hoffman,  se rejoignent sur l’idée qu’au-delà du fait de faire bonne figure auprès des consommateurs et de les attirer grâce à un discours sur l’éthique et la responsabilité sociale, cela leur confère également une bonne relation avec la société civile et les autorités publiques. In fine lorsqu’il y a lieu de mener des négociations sur la valeur des produits sur les marchés internationaux, les entreprises de commerce conventionnel s’assurent d’avoir davantage de pouvoir notamment dans la manipulation de ces prix, en faisant pression pour que ceux-ci soient diminués, ce qui est en contradiction avec l’idée du paiement d’un prix juste aux producteurs du Sud. Peut-on s’étonner que les entreprises restent fidèles à leur objectif premier, le profit ? Dans ce cas le commerce équitable, perd son sens. Le coté militant de ce mouvement se retrouvent, au service du commerce traditionnel.

Cela dit, il faut bien garder en tête que le label est un outil qui est utilisé par différents acteurs pour répondre à leurs objectifs. Des objectifs différents en fonction de l’acteur – commerces conventionnels, producteurs Sud. Le label n’est donc pas bon ou mauvais en soi, mais dépend de la logique qui lui est investie. C’est dans ce sens que l’explique un responsable politique chez Oxfam que nous avons rencontré. Premièrement il nous explique que pour l’ONG « une certification ou un système de certification, un label c’est toujours un moyen et jamais une fin en soi». Le label Fairtrade est un partenaire privilégié même si effectivement Oxfam et Fairtrade Belgium n’utilisent pas toujours les mêmes stratégies. Le fait que Fairtrade ait des projets sociaux est tout à fait en accord avec les valeurs d’Oxfam. A contrario, il affirme que le but de Fairtrade est d’augmenter les parts de marché des produits équitables ce qui n’est pas le cas d’Oxfam. Le partenariat permet à Oxfam de faire pression afin que toutes les conditions Fairtrade soient effectivement respectées par le label notamment celle d’un prix juste qui n’est pas toujours en accord avec le fait de vendre plus.  Les consommateurs ne faisant pas toujours la différence entre les produits Oxfam et ceux labellisés Fairtrade. Oxfam adopte un rôle de vigilance et exige de Fairtrade d’être plus stricte sur les règles qui régissent le commerce équitable

A l’instar d’Oxfam, il ne faut pas se contenter du logo mais se renseigner sur la philosophie et les stratégies utilisées par les labels auxquels on fait confiance. Il y en a effectivement de plus en plus, et ils n’observent pas tous la même rigueur quant à leurs règles et exigences. L’idée de transparence n’est plus très claire, retracer de  A à Z le parcours des produits issus du commerce équitable labéllisé devient très compliqué.

Quelles sont les alternatives possibles ?

Les réponses peuvent être proches de nous, les circuits courts prennent de plus en plus d’ampleur, via les achats directs à des producteurs locaux. Dans ce cas, on ne parle plus de commerce équitable Nord-Sud mais plutôt de commerce équitable Nord-Nord.

En ce qui concerne le commerce international, les circuits courts existent également. Non en termes de distance mais en termes de réduction des intermédiaires, on parle alors de filière intégrée. Celle-ci constitue le mode d’organisation historique du commerce équitable, dans lequel tous les acteurs du producteur aux distributeurs sont spécialisés dans le commerce équitable. On identifie les organisations présentes dans cette filière comme des « révolutionnaires » qui refusent d’adopter les méthodes de gestion des entreprises issues du marché conventionnel car c’est justement ce qu’elles critiquent. Le système de garantie d’équité est principalement basé sur la reconnaissance mutuelle, la confiance et le respect des engagements. C’est le cas par exemple d’Oxfam qui commercialise les produits de ses partenaires, ou encore de Café Chorti, coopérative qui regroupe tous les acteurs de la chaine du café[1].

Vous voilà donc quelque peu informés de la situation. Il ne tient qu’à nous de rester alertes quant aux  pratiques positives mais également aux dérives des initiatives dans le secteur du commerce équitable.

Aurélia Bessemans
Stagiaire Eclosio

Bibliographie :

  • MASSIAH Gustave, 2006, « Le mouvement altermondialiste et le mouvement historique de la décolonisation », Revue du MAUSS, n°28, pp. 383-390.
  • Emilie DUROCHAT et al, 2015, «  Guide international des labels de commerce équitable »,  [URL : http://www.socioeco.org/bdf_fiche-outil-77_fr.html , pp 1-125, consulté le 11 mars 2019].
  • Perspective monde, 2016, « Néolibéralisme » [URL : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1609, consulté le 11 mars 2019].
  • THIERY Patricia et PERRIN Christelle, 2005, “Recouvrement de champs d’activité entre ONG et entreprises: partenariat ou concurrence?”, Entreprises et histoire, N° 39, pp. 77-90
  • QUIÉNIART Anne, JACQUES Julie, JAUZION-GRAVEROLLE Catherine, 2007, « Consommer autrement : une forme d’engagement politique chez les jeunes », Les pratiques sociales, vol.20, n°1, pp.181-195.
  • GENDRON Corinne, LAPOINTE Alain, CHAMPION Emmanuelle, BELEM Gisèle et TURCOTTE Marie-France, 2006, « Le consumérisme politique : Une innovation régulatoire à l’ère de la mondialisation », Revue Interventions économiques, N° 33, [URL : http://interventionseconomiques.revues.org/790, consulté le 20 novembre 2017].
  • DUROCHAT Emilie, STOLL Julie, FROIS Samuel, SELVARADJ Sivaranjani, LINDGREN Kerstin, GEFFNER Dana, CARIMENTRAND Aurélie, PERNIN Jean-Louis, DUFEU Ivan, MALANDAIN Eugénie et SMITH Alastair, 2015, « Guide international des labels de commerce équitable », Bondues, pp. 1-125.
  • Signaléthique, « les filières du commerce équitable et leurs systèmes de garantie », [URL : http://www.signalethique.fr/index.php?page=395 consulté le 25 juillet 2018].
  • FADM, 2015 [URL : https://www.artisansdumonde.org/ressources/espace-multimedia/fiches-en-savoir-plus/les-intermediaires-du-commerce-equitable], consulté le 10 mars 2019.

[1] https://www.eclosio.ong/publication/au-dela-du-commerce-equitable/

[2]  Le néolibéralisme peut être simplement vu comme une doctrine politique et économique de droite réfutant l’intervention de l’Etat dans les questions commerciales. Ce que prône le néolibéralisme, c’est la libre circulation des biens, libre compétitions des acteurs de l’économie qui sont animés par la recherche de profit. Perspective monde, 2016, « Néolibéralisme » [URL : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1609, consulté le 11 mars 2019].

Pour que nos transitions ne deviennent pas dérisoires

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Synopsis

Partout des hommes et des femmes prennent des initiatives pour changer en profondeur un modèle de société qui nous mène à notre perte. Le mouvement de transition est en marche. Ce modèle de société est cependant puisement ancré dans notre culture, il détermine notre fonctionnement. Comment dès lors éviter que les initiatives reproduisent le système existant? qu’elles soient simplement le même autrement? Quels défis doivent relever les initiatives pour remplir pleinement leur potentiel transformateur? Analyse. [1]

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Publié par UniverSud-Liège avril 2019

La situation est grave. La planète est malade. Nous sommes allés trop loin. Depuis trop longtemps. Nos dirigeants ne prennent pas la mesure des enjeux, ils discutent de la position des transatlantiques sur le pont alors que le navire coule[2]. Le besoin de changer radicalement se donne à entendre partout. Jusque dans les écoles et dans la bouche des lycéens. Chacun met désormais son gilet jaune. Et donne de la voix.

Mais il n’y a pas que la parole ni la révolte, il y a aussi l’action : partout des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, prennent des initiatives. Courageuses. Parfois audacieuses. Ils montrent que d’autres voies sont possibles, que nous ne sommes pas condamnés à consommer sans cesse toujours pour accumuler et s’encombrer toujours plus. Sur cette base, dans de nombreux pays, un vaste mouvement de la transition s’est déclenché. Un mouvement créatif. Généreux et entreprenant. Il touche des domaines très divers : produire et consommer autrement, par exemple en privilégiant les circuits courts, se chauffer autrement, se déplacer autrement, se soigner autrement, cultiver autrement, vendre et acheter autrement, manger autrement et autre chose… Mais aussi vivre autrement et autre chose, et donc travailler autrement, sans s’épuiser ni exploiter ni terroriser, habiter autrement, avec d’autres et pas seulement à leur côté, éduquer autrement, sans abrutir ni généraliser la sélection des plus forts. Vivre autrement jusqu’à ressentir autrement, jusqu’à se sentir autre et autrement dans son corps. Mais pas seul. Donc aussi partager autrement.

Partager autrement. Sans doute est-ce là que se joue une des clefs de l’avenir. Après un demi siècle de compétition généralisée, de jouvence individualiste, chacun réalise petit à petit que les efforts de plusieurs générations pour créer du commun et des communs ont été laminés de sorte que chacun se trouve face à l’immense charge d’assumer seul son salut. Se débrouiller seul face à la complexité. Seul. Même si nous sommes encore largement enfermés dans l’imaginaire de concurrence, chacun, chacune commence à comprendre, parfois confusément, que seul, personne ne s’en sort. D’où la face solidaire et participative des efforts de transition : renouveau des coopératives, entreprises partagées, habitats groupés, financement participatif (crowfunding), monnaies locales … et de multiples autres initiatives de vie commune, de travail partagé, de ressources en commun. On partage les moyens, les espaces, le temps, les opportunités, les plaisirs … On coopère. On s’entraide. Mais pas seulement : on prend aussi soin des autres, des choses et du vivant. Les plantes, les terres, les animaux, les mers. Tout ce qui vit et donc fait vivre.

Transition totale

La transition, si on le voit ainsi, est totale. Elle n’est pas seulement l’affaire de nouvelles technologies, ou de nouvelles économies, ou de résiliences avec le climat. Elle est aussi l’affaire de vivre ensemble, vivre vraiment ensemble, c’est-à-dire pas seulement les uns aux côtés des autres, mais les avec les autres, par les autres, pour les autres autant que pour soi. Après avoir vécu trop longtemps dans des sociétés du « prendre » ou plus exactement du « prendre pour soi tout seul et tant pis pour les autres après moi », les mouvements de la transition proclament que le moment est venu de rentrer dans l’ère du « rendre et du donner » et de bâtir des sociétés du « offrir et du recevoir ». Car la transition n’a de futur que dans les équilibres : je prends mais je rends aussitôt, je donne mais je reçois aussi.

Une telle transition – technologique, sociale, économique – ne peut croître que si elle est aussi politique. La transition est nécessairement politique. C’est-à-dire si elle prend soin aussi des institutions sans lesquels les individus entrent vite en guerre les uns contre les autres. Cela veut dire clairement décider autrement, déléguer autrement, responsabiliser et prendre des responsabilités autrement, planifier autrement, réguler et instituer autrement, faire des lois et les gérer autrement, sanctionner autrement. Localement mais aussi nationalement et internationalement. Cela veut dire repenser l’Etat et son fonctionnement. Radicalement sans doute. En commençant par l’émanciper de la sphère financière dont il est devenu aujourd’hui une sorte d’appendice. Repenser l’Etat et les relations entre les Etats. Repenser les institutions. A l’échelle internationale. Car partager ne se limite pas à son voisinage. Partager et recréer du commun doit se réaliser à toutes les échelles, de son jardin jusqu’à la planète. Avec 7 milliards et bientôt 8 milliards d’hommes et de femmes. Pas de transition sans transition politique. Sans le pouvoir autrement. Sans la construction de nouvelles institutions et de nouveaux liens entre individus et institutions. N’est-ce pas ce que tant de mouvements sociaux dans le monde laisse entendre, depuis les « indignez-vous » et les « Occupy Wall Street » jusqu’aux gilets jaunes ?

Autrement ? Oui, mais quoi autrement ? Comment autrement ? Pour quoi et vers quoi autrement ? Et ce « autrement », d’où viendra-t-il ? C’est là que les efforts de la transition gagnent en pertinence. Ils donnent à voir des réponses qui ne tombent pas du ciel mais qui sortent des mains, de la tête et du cœur d’hommes et de femmes ordinaires qui expérimentent, parfois en prenant des risques, notamment le risque de se tromper. Ils « essaient voient ». Est-ce que ça marche ? Non, on essaie autre chose. Oui ? Comment faire mieux alors ? Pour que ça serve à plus d’autres ? Les autres, ils ont fait comment ? Et ça nous donne quelles idées ?

Voilà en deux mots ce que drainent les mouvements de la transition. L’enthousiasme en plus. Voilà donc ce qui doit nous réjouir. Et nous donner de l’espoir. Car, s’ils sont encore modestes aujourd’hui, demain ils peuvent se généraliser.

 Le risque du « même autrement »

Donc tout va bien ? Non ! Car les mouvements de la transition, quelle que soit leur ampleur, quelle que soit leur réussite, quelle que soit la mobilisation, quelles que soient leur générosité et leur ambition, sont tous menacés, collectivement et individuellement, par un même mal : la dérision. La possibilité que tous ces efforts nourrissent des alternatives dérisoires. C’est-à-dire, pour le dire simplement, qu’ils courent tous le risque de contribuer à perpétuer, sinon même fortifier, sous d’autres formes, avec d’autres mots, avec d’autres visages, en convoquant de nouveaux personnages, le système économique, social et politique qui a généré toutes les impasses contemporaines. Les alternatives sont dérisoires lorsqu’à leur insu, malgré elles, elles construisent implicitement un surcroît de puissance au bénéfice de ce qu’elles combattent explicitement.

La grande question n’est donc pas seulement de promouvoir du tout autre chose, d’en démontrer l’efficacité, de le répandre, c’est également de s’assurer que cette « autre chose » n’est pas simplement du « même autrement ». Fait-on vraiment rupture avec ce qu’on déclare combattre et remplacer ? On va répéter cette question cruciale d’une façon différente et plus directe : dans quelle mesure nos efforts de transition ne  régénèrent-ils pas – en le vivifiant – le capitalisme qui depuis plus de 2 siècles fabriquent l’impasse dans laquelle nous sommes désormais enfermés ? Nos efforts s’attaquent-ils à ce qui est au cœur du capitalisme, à ce qui fait sa force depuis toujours ? Aujourd’hui, rien dans les mouvements de la transition ne permet de l’affirmer avec certitude.

Comment protéger la transition de la dérision ? En veillant à ce que ses alternatives fassent systématiquement et efficacement « couple triple ». C’est-à-dire : (1) qu’elles s’attaquent aux maux qui font souffrir (la pauvreté, l’insécurité, le dérèglement climatique, la guerre, la solitude, le repli sur soi, la  malbouffe …), bref à ce qui corrode le bien être commun, (2) qu’elles s’attaquent spécifiquement et efficacement aux mécanismes qui fabriquent et généralisent ces maux et (3) qu’elles proposent en les expérimentant des alternatives sociétales. Aujourd’hui la première et la troisième condition sont tant bien que mal prises en charge par les mouvements de la transition. Mais pas la seconde. Pas rigoureusement. Pas systématiquement. Pas délibérément.

Six défis

Répétons la question clef : comment aider nos alternatives à s’attaquer à ce qui est vraiment au cœur du capitalisme ? En s’attaquant à quoi ? On va le dire en quelques mots. De manière positive. En parlant des défis à relever.

Premier défi, la raison spéculative. Comment s’émanciper de cette rationalité des petits calculs qui poussent à toujours vouloir gagner plus, encore et encore, en faisant le moins possible ? Gagner aux dépens des efforts et de la peine d’autres ailleurs. Quelques-uns gagnent ici tandis que beaucoup sinon presque tous perdent là-bas. Loin de son regard et de son nez. Il n’existe pas, nulle part aujourd’hui, de création de richesses ici sans création de pauvretés ou de misères là-bas. Comment nos alternatives contribuent à  désamorcer ce mécanisme ? Comment elles nous en émancipent ? Même un peu ?

Deuxième défi, la propriété. Le capitalisme, notamment dans sa version néolibérale contemporaine, repose entièrement sur la possibilité à tout moment, en tout lieu, à tout propos, de prendre pour soi à titre exclusif, privatif et déprivatif, ce qui appartient à tous et chacun, ce qui est le plus souvent le fruit du travail de tous et chacun. Attention, le défi n’est pas d’éradiquer la propriété privée pour basculer dans un communisme primitif (on a déjà vécu ce scénario) mais plutôt de systématiser une simple question : ici, pour cela, quelle sorte de propriété voulons-nous et quelle fonction voulons-nous faire jouer à cette forme de propriété-là pour cette chose-là ? Car il existe plusieurs sortes de propriété : privée, collective, communautaire, commune,… Selon ce qu’on veut, selon la nature du bien, quelle fonction attendons-nous que le régime de propriété choisi joue ? En quoi cette forme de propriété génère-t-elle du bien commun ? En quoi prévient-elle la fabrication des misères ? Comment les alternatives de la transition alimentent-elles la créativité et l’expérimentation en matière de propriété ?

Troisième défi, l’argent et les patrimoines. Il reprend par la bande les deux premiers défis. Comment s’émanciper de l’argent ? Ou, pour le dire de manière différente, au cas où on pense que l’argent serait malgré tout nécessaire à une bonne vie collective, comment alors faire de l’argent un moyen qui ne devienne pas sa propre fin, c’est-à-dire faire que l’argent ne serve pas des fins d’accumulation déprivative ? Comment en faire un bien commun qui répand le bien commun et le bien vivre ensemble ? Dans le même élan, comment éviter que les richesses s’accumulent chez quelques-uns et qu’elles se transmettent de générations en générations aux mêmes privilégiés ? Comment nos alternatives contribuent-elles à relever ce double défi ?

Quatrième défi, la beauté. Comment nos alternatives peuvent-elles répandre la beauté chez tous et chacun en même temps que la beauté de tous et chacun ? Oui, bien sûr, la beauté, ça se discute. Mais peu importe car, par contre, la laideur et l’horreur, tous et chacun peuvent la reconnaître. Rendre belle la vie exige de rendre beaux les cadres de vie.

Cinquième défi, l’altérité et l’interculturalité. Cessons de nous rêver les mêmes partout. Libérons-nous des universalismes. Rendons à chaque peuple ou chaque groupe la dignité d’expérimenter ce qui lui importe. Mais, et c’est le point clef : tout en restant solidairement liés les uns aux autres ! Les autres et l’Autre comme ressources pour soi, et vice versa. Mais dans le dialogue. Et dans la controverse. Comment nos alternatives valorisent-elles – et nous aident à faire bon usage de – l’altérité ? Comment rendent-elles mutuellement fructueuses la rencontre et la collaboration des différents ?

Sixième défi, être à la fois individuel et collectif. Comment articuler les initiatives sur les comportements de chacun et chacune avec un travail sur les institutions ? Ce défi traverse toute initiative. Mais il comporte une exigence : reconstruire la confiance. A trois niveaux : dans le comportement des autres, dans les institutions et … en soi. C’est donc un triple défi[3].

Ces six défis donnent un contenu concret au mot « autrement » que véhiculent partout les mouvements de la transition. En particulier, les deux derniers qui invitent à remplacer la culture de la compétition par celle de la coopération. Coopération des humains entre eux. Coopération à travers leurs institutions politiques. Mais aussi des humains avec les autres « êtres » autour d’eux, vivants, contemporains ou à venir. Et ainsi aspirer à une prévenance généralisée.

Philippe De Leener
Enseignant à l’Université Catholique de Louvain (UCL / CriDIS / IACCHOS)
Président d’Inter-Mondes Belgique
Co-président de la fédération d’entreprise d’économie sociale et solidaire SAW-B

[1]– Cet article s’appuie sur notre ouvrage paru en 2018 auquel nous renvoyons le lecteur (De Leener, P. & Totté, M. (2018). Transitions économiques. En finir avec les alternatives dérisoires. Vulaines-Sur Seine (France) : Editions du Croquant.

[2]– J’emprunte cette belle métaphore à Alain Tihon dans une chronique récente de la revue « Pour ».

[3]– Ce sixième défi – crucial –  m’a été suggéré par Marc Totté (coordinateur d’Inter-Mondes Belgique)

Le mouvement de la Transition : jusqu’où l’inclusion ?

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Synopsis

En réponse aux multiples crises que connait aujourd’hui notre monde, le mouvement de la transition cherche à construire une société plus résiliente, plus juste et plus écologique en mettant en place une série d’initiatives qui réinventent l’économie et reconstruisent le lien social. A y regarder de plus prêt, les profils des personnes impliquées dans ces projets sont fort similaires. Ne risque-t-on pas dès lors de reproduire les inégalités sociales au lieu de les supprimer? Sans place pour les personnes défavorisées dans ces initiatives ne risque-ton pas de renforcer leur marginalisation? Une réflexion qui invite à rester attentifs à ce que tous puissent prendre le train de la transition

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Publié par UniverSud-Liège Avril 2019

Depuis quelques années fleurissent aux quatre coins de la Belgique des initiatives citoyennes. Répondant au nom d’initiatives de Transition, celles-ci transforment nos campagnes et nos quartiers en cherchant à redonner du sens à l’échelle locale dans un monde de plus en plus anxiogène. Face aux enjeux posés par l’accélération des changements climatiques et de leurs impacts ainsi que par l’épuisement des ressources naturelles, ces initiatives prennent le pari de cultiver aujourd’hui le monde de demain par des actes quotidiens visant à construire des communautés résilientes, inclusives et conviviales à même de (sur)vivre à un éventuel effondrement de notre société basée sur la consommation de masse.
Il y aurait bien plus à dire à propos de ce mouvement. Certes. Mais l’objectif de ce texte n’est pas d’être exhaustif. Ici, je me concentrerai plutôt sur un point précis : la manière dont ces initiatives modifient l’espace public. Plus précisément, il s’agit d’interroger l’étanchéité de la frontière entre la mixité sociale et conviviale souhaitée par les transitionnaires et une certaine forme de gentrification[1]. La « convivialisation » voulue par les transitionnaires est-elle réellement vécue comme conviviale par celles et ceux étrangers au mouvement ? – Est-elle même tout simplement vécue ? – Quels risques pourraient se dissimuler derrière la réalisation de ces initiatives ? « L’enfer est pavé de bonnes intentions » dit la maxime, mais faut-il pour autant lui donner raison ?

Que fait une initiative de Transition ?

Avant toute chose, il importe de savoir de quoi on parle. Au cœur des initiatives de transition se trouve le souhait de réinventer l’économie et notre rapport à elle, de se la réapproprier et de la relocaliser. Soit, de la réencastrer dans la communauté et, par extension, dans le social. Concrètement, les initiatives s’ancrent dans des pratiques telles que des GAC[2], des SEL[3] ; lancent des cafés citoyens, des repair-cafés ; mettent en place des monnaies locales, des potagers partagés, des activités de maraîchage urbain, etc. En tant que citoyens, les transitionnaires agissent sur leur rôle de consommateurs en se transformant en « consom’acteurs ». À travers cet aspect de consommation critique, pointant du doigt l’impact de nos choix de consommation sur nos écosystèmes, les transitionnaires œuvrent à tisser et à renforcer une nouvelle économie, locale et au service de la société, par opposition à une société au service d’une économie globalisée. Au-delà de l’aspect économique, c’est la recherche de la convivialité qui se trouve au cœur du mouvement. Ainsi, les transitionnaires organisent également des évènements festifs et culturels où les habitants d’un même quartier et d’ailleurs peuvent se retrouver et se rencontrer. L’objectif est de remplacer le côtoiement anonyme par une convivialité communautaire.

C’est qui une initiative de Transition ?

Qui dit communauté dit individus ; dit également sentiment d’appartenance. Pour savoir quel public touche le mouvement des villes en Transition, quoi de mieux que de se pencher sur qui l’anime ? En posant le regard sur les initiateurs et initiatrices de ce mouvement, un tableau relativement homogène apparaît rapidement. On retrouve principalement des individus issus de la classe moyenne, disposant d’un bon niveau d’instruction, appartenant à des catégories socio-professionnelles aisées et portant en leur cœur des sensibilités écologistes. Bref, sans trop de surprises, le transitionnaire est rarement quelqu’un en situation de précarité et est plus souvent cadre qu’ouvrier.

Vers quelle économie, vers quel monde ?

Une question doit être alors posée : malgré cette volonté de créer un monde plus juste et plus durable demain, n’y a-t-il pas également un risque de transférer des responsabilités ? En laissant certains citoyens prendre la responsabilités d’actions et de pratiques transformant l’espace public, ne risque-t-on pas d’encourager à la fois une certaine forfaiture des pouvoirs publics et une appropriation de l’espace public par une minorité favorisée ? Ce faisant, ne risque-t-on pas de laisser les plus vulnérables de notre société sur le carreau ? Tandis que la chasse aux aides sociales se poursuit ; que les coupes se répandent dans les budgets publics (éducation, santé, transports en commun, etc.) ; que les privatisations se multiplient, notre planète se dérègle et, face aux impacts, les plus vulnérables sont les plus démunis. Les réalités sociales d’un tel contexte sont nombreuses, je me contenterai de n’en citer qu’une seule, mais non des moindres : selon une étude de l’IWEPS[4] publiée en 2013, un Wallon sur cinq risquait de sombrer dans la pauvreté – une situation qui ne va malheureusement pas en s’améliorant.

Prenons-nous au jeu d’une expérience de pensée l’espace de quelques instants. Nous vivons actuellement un contexte où les mesures d’austérité affaiblissent de plus en plus les solidarités institutionnelles alors que le retrait de l’État de la vie publique s’accélère. Dans le même temps, des initiatives citoyennes favorisent l’émergence de nouvelles formes de solidarité communautaires. N’y-a-t-il pas un risque d’invisibilisation des formes de solidarités institutionnalisées ? Dans le cas des GAC ou des SEL, tout le monde n’a pas le temps et l’argent que pour y participer. Les gains en termes d’alimentation saine et de convivialité risquent dès lors d’avoir du mal à se matérialiser de manière inclusive à travers les seules solidarités communautaires. Allons plus loin. Si les pratiques des initiatives de Transition devaient continuer à se développer sans réussir à inclure – ou tout du moins à dialoguer avec – les individus issus de classes sociales moins favorisées[5], n’encourrions-nous pas le risque de faire de ces initiatives une caution écologique pour les responsables économiques et politiques ? Les inégalités sociales ne seront pas plus supportables sous un vernis vert. Le risque de construire le monde de demain sur un modèle segmenté, sclérosé de ségrégations sociales reste réel.

Partager et débattre nos utopies, une nécessité démocratique

Loin de moi l’idée de soutenir que les transitionnaires n’ont cure des inégalités sociales. Il s’agit ici de souligner que concevoir la Transition comme un objectif partagé par tous équivaut peut-être à rêver pour les autres. Cela équivaut également peut-être à louper l’opportunité de rencontrer d’autres manières d’envisager un futur durable.

Trop souvent, les personnes vulnérables à la pauvreté se retrouvent enfermées dans un rôle de « victimes » passives, voire coupables, de leur situation. Se limiter à cette vision pourrait également nous conduire à les ignorer ou à nous enfermer dans un rôle de « sauveurs ». Nous n’aurions alors pas besoin de construire avec les autres, nous pourrions nous contenter de construire pour eux, ou, tout du moins, de leur indiquer la « bonne marche à suivre ». Mais il me semble que nous ne pouvons plus nous permettre ce luxe.
La transition écologique doit se penser et s’articuler dès aujourd’hui. Nous sommes tous dans le même bateau face aux enjeux de ce siècle. Si nous voulons que demain soit démocratique et vivable, nous devons veiller à ce que tout le monde monte à bord, sur un même pied d’égalité. Il est dès lors urgent d’aller vers ceux qu’on ne côtoie pas au quotidien. Il est urgent de percer ces bulles dans lesquelles nous et d’autres vivons séparés mais ensemble, dans l’anonymat de notre société si pressée et pourtant sur le point de trébucher. Nous ne pouvons nous contenter d’énoncer des espaces comme ouverts et inclusifs. Si nous n’allons pas vers les autres ils ne seront ouverts qu’à nous. Il est urgent de rompre cet anonymat pour que nous puissions puiser tant dans les pratiques écologiques des classes populaires que dans celles des classes plus embourgeoisées. On doit pouvoir puiser tant dans la consommation critique des uns que dans la débrouille des autres.

À travers cette optique, nous pourrions peut-être tous devenir des transitionnaires. Je le dis timidement mais convaincu, aller vers celles et ceux ne partageant pas nos quotidiens mais partageant notre société et les écouter, dialoguer, s’engueuler, se réconcilier avec eux peut être le début d’une voie pour libérer la démocratie des urnes et nous réapproprier notre société afin de mieux transformer celle-ci.

Que faire ?

Loin de moi l’idée – et la capacité – d’écrire un manuel montrant par A+B comment réaliser une transition écologique inclusive. Toutefois, voici quelques pistes de réflexion que je vous partage.

Sortons de nos bulles de confort et rencontrons-y des inconnus. Changeons le monde autour d’un verre. Débattons. Si vous en avez les moyens, tentez de consommer moins et mieux. Si vous êtes dans une initiative de Transition, allez à la rencontre des personnes qui habitent dans les quartiers moins « verts » ; montez un groupe de travail ; mettez-vous en contact avec les organisations et institutions qui travaillent avec les plus vulnérables d’entre nous.

Et surtout : politisons-nous. Il ne s’agit pas forcément de nous mettre sous les drapeaux d’un parti. Il s’agit avant toute chose de revendiquer nos droits, de rappeler à nos élus qu’ils nous sont redevables et qu’ils se doivent de porter nos choix de société pour aujourd’hui et demain.

Scott Fontaine

Pour poursuivre la réflexion :

Luc BOLTANSKI & Ève CHIAPELLO (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard.

Boaventura DE SOUSA SANTOS (2006), The Rise of the Global Left: The World Social Forum and Beyond, Zed Books Ltd.

Paul ARIÈS (2015), Les modes de vie populaires au secours de la planète, Savoir/Agir 33(3): 13-21.

Philippe DE LEENER & Marc TOTTÉ (2017), Transitions économiques – En finir avec les alternatives dérisoires, Éd. du Croquant.

[1] La gentrification est un processus où des individus issus de classes socio-économiques plus aisées s’installent progressivement dans des quartiers habités au départ par des individus moins nantis. Progressivement les commerces et services changent, les prix grimpent, etc. et le quartier devient moins, voire plus du tout, accessible aux anciens habitants.

[2] Les Groupes d’Achats Communs (GAC) visent à regrouper des consommateurs pour acheter directement – c’est-à-dire sans passer par des intermédiaires – des produits alimentaires à des producteurs locaux, permettant à ce dernier de pouvoir plus facilement écouler sa production.

[3] Les Services d’Échanges Locaux (SEL) sont constitués par des individus organisés en réseau d’échange de services et/ou de produits.

[4] Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique.

[5] Bien que mes recherches m’ont permis d’observer chez les acteurs de la Transition une conscience des frontières sociologiques du mouvement, des pistes de sortie peinent à émerger. Ceci est peut-être dû à la jeunesse du mouvement en Wallonie (moins de 10 ans tandis que son essor n’a vraiment pris que depuis 2012-2013).

Témoignage d’un stage au Cambodge : La joie de vivre au quotidien

Arthur R. est parti en stage au Cambodge, il nous fait part de son expérience. Plus qu’une expérience, une façon de voir les choses différemment !

Je m’appelle Arthur R., je suis récemment diplômé d’un master en bio-industries à la Haute École Charlemagne à Huy.

J’ai choisi de réaliser mon stage de fin d’études au Cambodge avec Eclosio, une ONG qui supporte la souveraineté alimentaire dans les pays en voie de développement.

Mon projet s’est porté sur le développement d’une nouvelle alimentation destinée à la volaille de race locale. Le but était de remplacer l’alimentation industrielle fortement utilisée par les productrices et producteurs locaux par une alimentation plus naturelle et durable ayant une productivité similaire.

Mon projet s’est porté sur le développement d’une nouvelle alimentation destinée à la volaille de race locale. Le but était de remplacer l’alimentation industrielle fortement utilisée par les productrices et producteurs locaux par une alimentation plus naturelle et durable ayant une productivité similaire. C’était un challenge de taille puisqu’il s’agissait également de trouver un emplacement pour effectuer l’expérimentation, de communiquer avec les personnes sur place, de s’adapter à leur culture, etc.

Comment un ingénieur industriel peut-il travailler sur un projet de coopération dans un pays dit « du Sud » ?

Entre mes humanités et mes études supérieures, je suis parti 1 an à l’étranger pour apprendre les langues. Durant cette année, ce que j’ai le plus aimé c’est la découverte d’un autre pays, d’une culture différente et d’une façon de vivre différente. Depuis cette expérience, le voyage a toujours été une de mes priorités. C’est pourquoi, pour finaliser mes études, j’ai préféré vivre une expérience à l’étranger.

Oui, mais où ?

Avant ce stage, j’ai eu l’occasion de voyager en Asie du Sud-Est et notamment au Cambodge. Je suis revenu de ce voyage avec plein de bons souvenirs. J’ai été particulièrement touché par  l’accueil et la joie de vivre qu’il y avait dans ce pays (alors que 31% de la population se situe encore sous le seuil de la pauvreté). Raison pour laquelle, quand j’ai eu l’occasion de partir pour faire mon stage de fin d’études, je me suis directement tourné vers le Cambodge.

Après plusieurs semaines de recherche, une amie m’a parlé d’une ONG (Eclosio) qui organise des projets dans les pays « du Sud ». En me renseignant sur leurs activités, j’ai vite partagé la vision d’Eclosio qui porte sur la souveraineté alimentaire via notamment l’agroécologie. Le projet proposé par Eclosio était un projet autonome avec un suivi hebdomadaire par l‘équipe locale au Cambodge.

Un projet qui nécessite beaucoup de travail et d’engagement

Au début, je ne pensais pas être à la hauteur pour mener un tel projet en autonomie dans un pays étranger, surtout que l’alimentation animale n’était pas ma première spécialité. Me préparer avant mon départ était donc essentiel ! J’ai donc pris contact avec plusieurs spécialistes dans le domaine de l’alimentation animale dont le Dr. Nassim Moula, professeur à l’Université de Liège.

Au début, je ne pensais pas être à la hauteur pour mener un tel projet en autonomie dans un pays étranger, surtout que l’alimentation animale n’était pas ma première spécialité.

Pour mener à bien un tel projet, j’ai essayé de planifier mon voyage (au maximum) à l’avance. Avant de partir, je connaissais donc les informations importantes à collecter, les analyses sur la nouvelle alimentation à réaliser, le nombre d’échantillons sur lequel mon expérimentation allait se porter, etc.

Un contact régulier avec mon maître de stage Sothet Chhay (Manager program d’Eclosio au Cambodge) était également nécessaire pour récolter le maximum d’informations afin de préparer au mieux cette expérience.

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Une expérience inoubliable

Je suis arrivé au Cambodge une semaine avant le commencement du stage afin de m’acclimater et de récupérer du décalage horaire. Quitter un pays à 3°C et arriver quelques heures plus tard dans un autre pays avec 30°C et 5 heures de décalage n’a pas été chose facile. J’ai su rapidement m’adapter à la culture locale puisque j’y étais déjà allé 2 ans auparavant. Heureusement, car le fonctionnement de la monnaie locale et des moyens de transport cambodgien est assez compliqué.

La semaine suivante s’est consacrée à la rencontrer avec l’équipe d’Eclosio sur place, les fermiers locaux avec lesquels j’allais travailler et la présentation du projet.

J’ai réalisé ce stage en collaboration avec un étudiant cambodgien, Mr Menghuy, qui terminait également ses études. Travailler avec lui m’a beaucoup aidé sur le plan linguistique, culturel et sur la manière d’aborder un problème.

Eclosio_Arthur_Stage_CambodgeJ’ai réalisé ce stage en collaboration avec un étudiant cambodgien, Mr Menghuy, qui terminait également ses études. Travailler avec lui m’a beaucoup aidé sur le plan linguistique, culturel et sur la manière d’aborder un problème. Je me souviens par exemple de la fois où il a fallu trouver une solution rapide pour renforcer les clôtures, car les poulets divaguaient d’un échantillon à un autre. Il m’a montré une technique de chez eux et 2 heures après, le problème était résolu.

Néanmoins, le choc culturel a également ses mauvais côtés. Il y avait parfois des divergences d’opinions qui rendaient le travail plus compliqué. Nous avons alors fait  preuve de flexibilité et d’ouverture d’esprit pour remédier à ce problème.

Un accueil de qualité

Le Cambodge est un pays sûr et où il y fait bon vivre. L’accueil, une de mes motivations à partir dans ce pays, était exceptionnel. Mon projet a eu lieu dans la Province de Takeo à 70 km au sud de Phnom Penh. Durant la semaine, je me restaurais chaque midi dans un petit restaurant familial au bord d’une route commerciale. Alors que la famille ne parle pas anglais, j’ai été convié après 1 mois à une de leur réunion familiale pour me remercier de manger chez eux. Leur nourriture était excellente et leur générosité était sans égal. J’étais assis à leur table plus comme un invité, mais bien comme un ami. C’est un de mes meilleurs souvenirs.

J’étais chez eux presque tous les jours et je ne me suis jamais senti étranger. Encore une fois, une qualité d’accueil impressionnante.

Une autre famille qui m’a accueilli généreusement, c’est celle d’un fermier local, Mr Thy, qui a accepté que je réalise mon expérimentation dans sa ferme. Il était ouvert d’esprit sur la manière de réaliser le projet et il n’hésitait pas à m’aider quand il me voyait en difficulté. Il ne parlait pas anglais et pourtant on se comprenait même si les dialogues n’étaient pas très élaborés. J’étais chez eux presque tous les jours et je ne me suis jamais senti étranger. Encore une fois, une qualité d’accueil impressionnante.

Pour moi, à côté de la richesse personnelle de ce stage, c’est ce genre de rencontre qui a rendu ce voyage si attractif et inoubliable.

Que dire du plus !

Faire un stage dans une industrie, ce n’est pas compliqué. Mais réaliser un stage en autonomie en anglais dans un pays étranger, avec un vrai but dans l’espoir d’aider un peu le quotidien des productrices et producteurs locaux, ça, c’est un challenge.

Comme je l’ai dit, ce genre de projet demande beaucoup de travail, d’engagement, une faculté d’adaptation, de la patience, du courage… mais en fin de compte, au moment de quitter ce pays, on a qu’une seule envie, y retourner.

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Quelques conseils…

Avant de partir

Si je devais donner quelques conseils aux futurs stagiaires, je vous conseillerais de préparer le voyage correctement : renseignez-vous sur le logement, la monnaie locale, les moyens de transport et leurs prix, les vaccins, passeport, moustiquaire, etc.

Préparez-vous aussi  rigoureusement pour le projet : documentez-vous sur le sujet, prenez contact avec l’équipe Eclosio, réalisez une table des matières, préparez une liste de questions qui vous aideraient à mener ce projet à bien, etc.

Pendant le stage

Pendant le stage, gardez un contact régulier à propos du déroulement du projet avec l’équipe Eclosio locale et en Belgique. Lors de l’expérimentation, n’hésitez pas à demander si les personnes concernées ont bien compris l’idée que vous vouliez véhiculer.

Je vous conseille également de prendre le maximum de numéros liés au personnel d’Eclosio sur place dès le début de stage. Tous les cambodgien·ne·s ne parlent pas spécialement l’anglais, et pour toutes questions ou négociations, il est préférable de laisser son homologue cambodgien·ne  pour discuter.

Sur le plan pratique, il est utile de conserver un numéro de taxi local pour assurer les déplacements hebdomadaires entre Phnom Penh et Takeo. Je vous conseillerais le taxi au bus partagé car il est moins cher, plus confortable et plus rapide surtout qu’il est également possible de négocier l’endroit de prise en charge avec le taxi.

Au final

Cette expérience a été un succès total tant dans le cadre de mes études que sur l’aspect personnel. J’y retiens des souvenirs mémorables et qu’une seule envie : y retourner.

J’espère avoir aidé Eclosio à trouver une piste pour le développement d’une nouvelle alimentation destinée à la volaille afin de contribuer à une légère amélioration du niveau de vie de ces habitant·e·s.

J’ai trouvé que l’encadrement d’Eclosio était très bon et qu’ils s’investissent beaucoup pour les étudiant·e·s. Je tiens à remercier cette ONG de m’avoir permis de vivre cette expérience.

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Figure 1 : Préparation de l’alimentation pour les poussins de 0 à 6 semaines avec Menghuy et Him Nob (Arthur Rossolino, 2018)

Figure 2 : Finition et transport des sacs d’alimentation pour la volaille de 6 à 10 semaines avec Menghuy (Arthur Rossolino, 2018)

Figure 3 : Découpage des feuilles de Chaya pour la nouvelle alimentation de la volaille de 6 à 10 semaines (Menghuy, 2018)

Bokashi, cet or vert aux mains des familles paysannes

Aude P. est partie 5 mois au Cambodge pour réaliser son stage de fin d’études. Une fois de retour, elle nous partage son témoignage.

Mon intérêt était déjà porté sur le maraîchage, le circuit court, la coopération internationale et l’agroécologie. Mais, tous ces centres d’intérêts ont bien sûr un point commun : améliorer la souveraineté alimentaire de la population. C’est exactement ce qu’Eclosio proposait dans ce stage au Cambodge.

Poursuivant des études en agronomie avec un master en développement international, j’ai réalisé mon stage et mon travail de fin d’étude au Cambodge. Avant de participer à ce stage, mon intérêt était déjà porté sur le maraîchage, le circuit court, la coopération internationale et l’agroécologie. Mais, tous ces centres d’intérêts ont bien sûr un point commun : améliorer la souveraineté alimentaire de la population. C’est exactement ce qu’Eclosio proposait dans ce stage au Cambodge : travailler à améliorer cette souveraineté alimentaire par le biais d’une étude sur l’optimisation d’un fertilisant naturel appelé bokashi, une sorte de « compost » mature en trois semaines et amélioré par l’ajout de micro-organismes qui aident à la décomposition des composants utilisés.

Ce projet a été initié par une association paysanne khmer appelée « Udom Sorya » qui désirait plus d’autonomie dans leur production vivrière. Celle-ci coordonne toutes les étapes, de la production à la commercialisation aux alentours. Quand la production s’agrandira, la coopérative pourra alors répondre à la demande des 506 potentiels client·e·s.

De plus, la vie du sol m’a toujours intriguée, cela représente pour moi un domaine nouveau et peu connu par la majorité. Les fourmis dans les jambes me démangeaient, l’envie de partir m’habitait depuis longtemps. Ce stage en Asie du Sud-Est était donc une occasion parfaite.

Eclosio représentait pour moi une ONG de confiance grâce à leur transparence et leur désir d’agir localement dans le secteur de l’agriculture et notamment par leur soutien à la production de « bokashi » à Takéo.

La vie du sol m’a toujours intriguée, cela représente pour moi un domaine nouveau et peu connu par la majorité. Les fourmis dans les jambes me démangeaient, l’envie de partir m’habitait depuis longtemps. Ce stage en Asie du Sud-Est était donc une occasion parfaite.

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Agir dignement et travailler méticuleusement

Lors de mon stage, j’ai eu la chance de travailler en binôme avec Oudom, étudiant cambodgien de l’Institut Technique du Cambodge à Phnom Penh. Oudom a réalisé les analyses chimiques du bokashi pendant que je réalisais le travail d’expérimentation sur le terrain à Takéo. Le développement d’une méthodologie qui correspondait à toutes les attentes a été fastidieuse cependant nous y sommes arrivés en amenant des idées novatrices et motivées au projet. Sur le terrain, je travaillais soit avec des agricultrices et agriculteurs de la coopérative, soit en autonomie. Lorsqu’il était prévu de produire et retourner le bokashi, je pouvais compter sur leur aide sans souci malgré la barrière de la langue. Ce dernier aspect compliquait la coordination et la gestion de l’équipe mais cela a toujours été un plaisir de collaborer avec des personnes très investies et joyeuses.

Durant mon séjour, j’ai eu l’occasion de vivre dans la famille de Mr Kong Meourn. Son accueil était totalement exceptionnel. Pendant ces cinq mois, j’ai eu l’impression d’être considérée comme une de leur fille. Loger chez l’habitant m’a permis d’être proche de mon endroit de travail. En effet, une serre avait été créée expressément chez eux pour accueillir l’expérimentation sur le bokashi, serre qui sera bien entendu très utile par la suite.

À quoi ressemblait mon stage en dehors de mon expérimentation ?

Mes principales activités ont été de travailler au bureau à Phnom Penh, visiter des fermes agroécologiques, participer aux différentes conférences qui me permettait de rencontrer différents acteurs dans les associations partenaires et de discuter de leur métier, recevoir de l’aide technique et d’apprendre davantage sur l’agriculture au Cambodge.

Une des personnes qui m’a le plus marqué et touché est ma maître de stage, IM Sothy, une femme très active et drôle. Elle désire partager sa culture et son mode de vie, ce qui était une aubaine pour moi. Sa joie de vivre et son désir d’avancer était contagieux, elle est animée d’une intelligence et d’une bienveillance envers son entourage.

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Atmosphère chaude, vibrante et joyeuse

À mon arrivée, dès que les portes de l’avion se sont ouvertes, une atmosphère vibrante et joyeuse m’a enivrée. À Takéo, l’atmosphère est plus détendue : les enfants crient « Hellloooo » à l’autre bout du champ lorsqu’ils aperçoivent ton vélo et se précipitent à la fin des cours pour te rejoindre, la dame de la petite échoppe à qui tu achètes des boissons t’appelle de la main pour t’offrir une friandise, car elle trouve que tu travailles trop.

La langue n’était pas simple à apprendre, j’ai donc développé une nouvelle compétence grâce au khmer : me faire comprendre grâce à la gestuelle plus que par le langage.  Les échanges par traduction « Google » occasionnaient aussi des quiproquos hilarants.

Le cœur sur la main, la main sur le sol et le sol dans la tête

Je trouve que cette phrase résume parfaitement mon ressenti sur la courte période que j’ai passé au Cambodge dans la province de Takéo.

Cette première expérience dans un autre continent m’a permis de sortir de ma zone de confort. Je dirais que l’approche culturelle, la richesse des échanges, la connaissance du monde des ONG et l’introspection représentent les valeurs clés de mon stage.

Après un stage comme celui-ci, vous saurez que le travail ne se compte pas en heure, mais en nombre de litres de sueur qui perlera de votre front.

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Après un stage comme celui-ci, vous saurez que le travail ne se compte pas en heure, mais en nombre de litres de sueur qui perlera de votre front. Ce que j’ai apprécié le plus lors de cette expérience était de me sentir utile et de participer à ce mouvement agroécologique qui contribue à la souveraineté alimentaire des familles paysannes. À l’approche de la fin de mon stage, j’ai même eu la chance de participer à l’initiation du projet suivant lors d’échanges avec des étudiant·e·s venu·e·s réfléchir et travailler sur la mécanisation du bokashi.

Si je devais donner des conseils…

Je dirais de ne pas hésiter à faire de nombreux feedbacks avec l’équipe d’Eclosio au Cambodge, même s’il vous semble que leur programme est bien chargé, ils restent très disponibles. Il en est de même pour l’équipe belge d’Eclosio. Cela permettra de débloquer certaines situations.

Ciblez votre thématique de recherche et préparez votre voyage et votre étude le plus possible.

Dépassez-vous dans votre domaine, car certaines opportunités s’offrent à vous et il est possible que vous ne les trouviez nulle part ailleurs.

Je voudrais également remercier Eclosio pour m’avoir permis de participer à ce stage.

Dépassez-vous dans votre domaine, car certaines opportunités s’offrent à vous et il est possible que vous ne les trouviez nulle part ailleurs.


Figure 1 : Transplantation des laitues avec l’aide de Mme You LUN, présidente de la « Peri-urban agriculture cooperative » et Monsieur SAO, chef du village de Taso et membre de la coopérative « Oudom Sorya », Takéo (Meourn, 2018)

Figure 2 : Production du bokashi avec l’aide de membres de la coopérative « Oudom Sorya », Takéo (Collet , 2018)

Figure 3 : Equipe d’Eclosio au Cambodge composé de (en commençant par la gauche) : Mme Sothy IM, ma maître de stage, Mr Sothet CHHAY, coordinateur de projet et Mr Sokha NHEM, expert comptable. Mr Arthur ROSSOLINO était également stagiaire et menait une expérimentation sur l’alimentation de la volaille à Takéo. (Him, 2018)

Figure 4 : Préparation des composants, balle de riz brûlé, avec Oudom, mon binôme cambodgien, Takéo (Collet, 2018)

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques