L’importance de l’inclusivité pour une Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) réussie – Analyse

 


Une analyse de Christophe GOOSSENS, chargé de programme, référent thématique CVA (Chaine de Valeur Ajoutée), GIRE (Gestion Intégrée des Ressources en Eau), OP (Organisation des Producteurs), et en appui sur l’Insertion Socioéconomique, chez Eclosio.

Lire l’analyse en version PDF

Lire l’analyse en version word


Dans de nombreux pays du monde, les précipitations sont très variables, voire insuffisantes. Pourtant, la production alimentaire continue d’être presque exclusivement pluviale. Lorsqu’il n’y a qu’une seule saison de croissance, les agriculteurs·trices sont donc plus vulnérables aux précipitations irrégulières et aux sécheresses, ce qui se traduit par de faibles rendements et revenus. L’agriculture pluviale limite la production et la rentabilité des petits exploitant·es, en particulier dans le contexte du changement climatique ; elle est donc associée à une insécurité alimentaire plus élevée, à une alimentation de mauvaise qualité et à une forte variabilité saisonnière des régimes alimentaires. Dans nos pays de coopération, l’irrigation contribue à la résilience des producteurs·trices en préservant leur sécurité alimentaire et leur nutrition en période de sécheresse.

Actuellement, seulement 6% des terres arables en Afrique sont irriguées et, en moyenne, la superficie équipée pour l’irrigation n’a augmenté que de 1,5% entre 1990 et 20152. En Europe, l’agriculture irriguée est un facteur d’intensification, afin d’augmenter les rendements, pallier le manque d’eau de pluie, et permettre de sécuriser et maintenir les exploitations agricoles. Mais l’actualité récente des oppositions aux projets de méga-bassines en France a révélé l’importance d’un accès inclusif aux ressources en eau.

Au cours des quarante dernières années, l’utilisation des ressources en eau dans le monde a augmenté de près de 1 % par an et devrait continuer d’augmenter à un rythme similaire jusqu’en 2050, sous l’effet conjugué de la croissance démographique, du développement socio-économique, et de l’évolution des modes de consommation1. Compte tenu des effets du stress hydrique au niveau local et du changement climatique, les pénuries d’eau saisonnières seront multipliées dans les régions où cette ressource est actuellement abondante (comme l’Afrique centrale, l’Asie de l’Est et certaines régions de l’Amérique du Sud) et s’aggraveront dans les régions où l’eau est déjà rare (comme le Moyen-Orient et le Sahel en Afrique). En moyenne, 10 % de la population mondiale vit dans des pays où le stress hydrique atteint un niveau élevé ou critique.

Dans de nombreux pays, les précipitations sont très variables, voire insuffisantes. Pourtant, la production alimentaire continue d’être presque exclusivement pluviale. Lorsqu’il n’y a qu’une seule saison de croissance, les agriculteurs·trices sont donc plus vulnérables aux précipitations irrégulières et aux sécheresses, ce qui se traduit par de faibles rendements et revenus. L’agriculture pluviale limite la production et la rentabilité des petits exploitant·es, en particulier dans le contexte du changement climatique ; elle est donc associée à une insécurité alimentaire plus élevée, à une alimentation de mauvaise qualité et à une forte variabilité saisonnière des régimes alimentaires.

Dans nos pays de coopération, l’irrigation contribue à la résilience des producteurs·trices en préservant leur sécurité alimentaire et leur nutrition en période de sécheresse. Actuellement, seulement 6% des terres arables en Afrique sont irriguées et, en moyenne, la superficie équipée pour l’irrigation n’a augmenté que de 1,5% entre 1990 et 20152. En Europe, l’agriculture irriguée est un facteur d’intensification, afin d’augmenter les rendements, pallier le manque d’eau de pluie, et permettre de sécuriser et maintenir les exploitations agricoles. Mais l’actualité récente des oppositions aux projets de méga-bassines en France a révélé l’importance d’un accès inclusif aux ressources en eau.

Définition

L’irrigation est l’application artificielle d’eau sur des terres à des fins de production agricole, là où l’eau est soit indisponible, soit insuffisamment disponible. Pour assurer la bonne gestion de cette ressource, il existe une différence significative entre les enjeux selon les systèmes d’irrigation :

Les systèmes d’irrigation à petite échelle sont des initiatives d’irrigation menées par de petits exploitant·es qui possèdent et gèrent une parcelle de terrain individuelle ou font partie d’un système d’irrigation géré par la communauté. L’irrigation à petite échelle comprend donc une variété d’activités d’irrigation, allant des pompes à moteur et à pédale, et au détournement des eaux de surface jusqu’aux périmètres d’irrigation de plusieurs centaines d’hectares auxquels participent les petits exploitant·es en tant qu’utilisateurs·trices.

Les systèmes d’irrigation à grande échelle couvrent des superficies de 1 000 ha ou plus. Plus précisément, l’irrigation à grande échelle est définie comme tout système dans lequel il existe une organisation d’irrigation formelle, généralement parrainée par le gouvernement, responsable du développement et de la gestion des niveaux supérieurs du système de distribution et de la livraison de l’eau aux agriculteurs·trices.

L’irrigation dirigée par les agriculteurs·trices est un processus dans lequel les agriculteurs et agricultrices de petites parcelles pilotent la création, l’amélioration, ou l’expansion de l’agriculture irriguée, souvent en interaction avec des acteurs externes, notamment le gouvernement, le secteur privé ou des organisations non gouvernementales. Les initiatives menées par les agriculteurs·trices touchent tous les types d’irrigation existants en termes d’échelle, de technologies, de cultures et de modalités de gouvernance.

L’approche participative GIRE

La rareté de l’eau est le plus souvent due à une mauvaise gestion de la ressource, à la non-participation ou inclusion d’un ou l’autre de ces acteurs. La solution requiert une approche intégrée et participative qui se réfère à la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE). L’eau est un bien économique, environnemental, et social. Pour assurer une gestion coordonnée inclusive, quatre principes sont définis suite à la conférence internationale de Dublin en 19923 :

  • La gestion de l’eau douce doit se faire au niveau de bassin car l’eau douce est limitée ;
  • L’approche doit être participative pour une bonne exploitation de l’eau ;
  • Les femmes sont au coeur de l’approvisionnement, de la gestion et de la conservation ;
  • L’eau a une valeur économique donc doit être considérée comme un bien économique.

Les enjeux de la GIRE sont de trouver l’équilibre entre la subsistance sur l’utilisation et la protection ainsi que la conservation de la ressource. Aussi, les définitions ci-dessus ont toutes en commun une articulation multi-acteurs pour l’exploitation de l’eau. Elle incorpore des types d’acteurs différents, de tous les secteurs ; une gestion de l’eau par coordination entre ces acteurs est essentielle pour ne pas compromettre sa durabilité et celle des écosystèmes en général. Des interventions multi-acteurs doivent donc être articulées entre elles à de multiples niveaux, dans le cadre de politiques publiques de niveau macro.

Enjeux de la gestion inclusive des ressources en eau

Le partage des rôles et des fonctions des acteurs est un élément essentiel du schéma opérationnel de l’établissement d’un système de gestion de l’eau. L’importance est de réellement répondre aux besoins des irrigant·es. Il faut mettre l’irrigant·e au centre des préoccupations ; les impliquer dès le départ dans la conception des systèmes irrigués est essentiel que ce soit sur les systèmes à petite ou grande échelle. Analyser les intérêts et les moyens des irrigant·es, et décrypter les rapports de forces à l’œuvre sur le périmètre, le territoire ou la filière, sont nécessaires, afin de vérifier si les services d’irrigation en place ou à développer permettent vraiment de répondre aux intérêts des irrigant·es. Les fermes irriguées sont impactées par une multitude de facteurs : structures foncières et pratiques paysannes, fonctionnalité du périmètre, gouvernance du territoire et de la filière, évolutions des contextes socio-politiques et économiques, changements climatiques, etc. Trop souvent, l’irrigation encourage une spécialisation excessive des fermes autour d’un seul produit, alors que les irrigant·es sont pour la plupart des fermes familiales qui souhaitent maintenir un système de production diversifié plus résilient.

Les associations des usagers de l’eau (AUE) sont des organisations officielles grâce auxquelles les agriculteurs gèrent un système d’irrigation commun. Les AUE qui connaissent le plus de succès sont celles de petite taille, dans lesquelles les agriculteurs·trices adhèrent à des normes similaires et bénéficient du capital social d’autres institutions locales. D’autres ne parviennent pas à obtenir les résultats escomptés du fait d’une mauvaise définition des rôles et des responsabilités, d’un manque de participation des femmes, et de faiblesses des autorités administratives, entre autres. L’efficacité des AUE peut également se trouver limitée par des directives centrales qu’imposent, souvent sous forme de règlements obligatoires, les autorités.

De nombreux dispositifs favorisant les services des bassins versants contribuent à l’adaptation au changement climatique grâce au renforcement de la résilience, un rôle qui leur est de plus en plus reconnu. Les bénéfices conjoints générés par les approches écosystémiques démontrent clairement la pertinence des solutions fondées sur la nature. A ce propos, nous vous invitons à découvrir l’article de Di Maggio Lisa sur le Keyline design dans notre collection4.

Alors que les compagnies spécialisées dans les infrastructures hydrauliques ou la distribution d’eau cherchent surtout à réduire leurs coûts, les avantages fournis par une adaptation au changement climatique revêtent un intérêt particulier pour les communautés rurales. La protection de la biodiversité ainsi que la création d’emplois et de formations comptent parmi les autres bénéfices. De par leur diversité et leur portée, ces bénéfices suscitent un intérêt marqué de la part d’un large éventail de parties prenantes et de partenaires potentiels.

Conclusion

La stratégie d’intervention de l’État sur l’irrigation doit accepter et prendre en compte les compromis et synergies éventuels entre la poursuite d’une politique de sécurité alimentaire nationale et la prise en compte des besoins des exploitants familiaux pour des moyens de subsistance diversifiés et résilients.

La mise en place de mécanismes de dialogue multi-acteurs devraient permettre une mise en perspective des différentes logiques, et la négociation entre acteurs pour le choix des stratégies les mieux adaptées. Elle devrait permettre une meilleure intégration des cultures dans une perspective intégrée de développement du territoire et une réduction des conflits entres les usages multiples des systèmes d’irrigation.

L’irrigation doit devenir une priorité politique majeure et une priorité d’investissement à long terme. Le secteur privé a un rôle crucial à jouer dans la conception, le développement et la diffusion de technologies innovantes et intelligentes pour l’irrigation, mais cela doit se réaliser dans un cadre de dialogue avec les irrigants et en conformité avec des règlements environnementaux afin d’assurer la durabilité.

L’irrigation nécessite une action collective dans la plupart des circonstances. Des incitations à l’action collective doivent être fournies, ainsi que des politiques favorisant les mécanismes de résolution des conflits au niveau local.

 


Notes :

¹ Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2023, UNESCO

² Water-Wise – Smart Irrigation Strategies for Africa; Malabo Montpellier Panel Report 2018

3 Rapport de capitalisation ECLOSIO 2021 ‘Expériences sur l’eau et recommandations pour une communication et mobilisation efficiente’ par Elhadji Barry

4 Analyse de Lisa Di Maggio, pour Eclosio : https://www.eclosio.ong/publication/le-keyline-design-une-piste-a-creuser-analyse-deducation-permanente/

Fatme Fadel : quand stage et démarche interculturelle font des merveilles

Envolée trois mois au Sénégal, Fatme est revenue ravie et changée de son stage de fin d’étude. Son expérience de terrain au contact de la population locale lui a permis de sortir de sa zone de confort et de bousculer ses habitudes d’universitaire belge. Ayant fait son stage en partenariat avec Eclosio, nous avons eu la chance de recueillir son témoignage. Des retours précieux pour mieux comprendre le vécu singulier d’une étudiante en stage à l’étranger, qui a visiblement pris conscience du potentiel que peut avoir une démarche interculturelle dans un contexte professionnel multiculturel.

 

Un stage ancré dans la transition agroécologique

Devoir faire 60 kilomètres pour chercher des fertilisants biosourcés ? C’est peut-être du passé pour les producteur·trices de Ngueye Ngueye, commune sénégalaise du bassin arachidier (1). En effet, alors que les effets du dérèglement climatique occasionnent de plus en plus de dégâts dans le secteur agricole, une filière de production de biofertilisant est actuellement en développement grâce à un projet multipartite notamment mis en place grâce au suivi de Fatou Diouf, référente agroécologie pour Eclosio Sénégal, et aux interventions de Ludivine Lassois, anciennement chercheuse et professeure en agroécologie tropicale à Gembloux Agro-Bio Tech (2).

Dans le cadre de ses cours, Madame Lassois proposait à ses étudiant·es d’effectuer des stages internationaux. C’est ainsi que Fatme Fadel, étudiante en bioingénierie en option sciences agronomiques, a pu partir au Sénégal. A travers cet article, vous découvrirez entre les lignes quelques clés du succès de son expérience de stage, ayant pour sujet « Contribution à la mise en place, à la vulgarisation et à l’utilisation d’un inoculum à base de champignons mycorhiziens au sein de groupements de femmes au Sénégal ». La fertilisation par inoculation est une alternative agroécologique vue comme prometteuse pour pallier aux intrants de synthèse.

 

Synergie ARES - plante inoculées par un engrais produit avec un champignon mychorizien

 

Quelqu’un dit un jour : « On voyage pour changer, non de lieu, mais d’idées ». C’est visiblement dans cet état d’esprit que Fatme a réalisé son stage au sein de l’ONG Eclosio. Alors qu’elle avait déjà pu expérimenter la vie à l’étranger pendant pas moins de deux ans, notre étudiante n’était pas au bout de ses apprentissages. Derrière l’accomplissement de son stage de fin d’études se cachent des facteurs de réussite quelque peu insoupçonnés, des compétences humaines indispensables, des « savoir être » souvent négligés.

 

Une expérience en immersion chez l’habitant

Lorsque l’on travaille, il n’est pas risqué d’affirmer qu’il est important de se sentir bien tant dans la sphère professionnelle que privée. Dans le cas de Fatme, elle a su par sa fibre sociale se faire accepter dans le milieu dans lequel elle s’est retrouvée, de sorte à rendre sa vie sur place agréable et épanouissante. Entre autres, l’étudiante ne cache pas qu’avoir pu vivre chez l’habitant fut une réelle valeur ajoutée à son expérience. Elle nous explique :

Comment s’est passée ton expérience de stage au Sénégal ?

Je dois dire que mes attentes ont été acquises à 100%, même plus. Et ce, parce que l’équipe qui m’a encadrée était vraiment super chouette et qu’elle ne m’a jamais laissée tomber. Évidemment, j’ai dû être autonome sur le terrain, ça c’est normal. Mais en cas de problème, j’étais vraiment super vite aidée. Par exemple, j’ai eu tout simplement un problème avec l’accès à la serre – j’y travaillais pour mes expérimentations sur les cultures. Ceux qui étaient en charge des clés se posaient des questions sur moi : “C’est qui cette stagiaire ?”, “A-t-on le droit de laisser entrer?”, “Peut-elle toucher à ce qu’il y a à l’intérieur ?”… Face à ces situations, je téléphonais directement à ma maître de stage (Fatou Diouf) qui expliquait les choses à ses collègues. On fonctionnait par petits coups de téléphone pour des petits problèmes, comme des problèmes de communication car certaines personnes ne parlaient pas français, ou n’osaient pas me parler. Bref, un appel téléphonique et c’était réglé sur-le-champ.

Tu as créé un lien fort avec ta famille d’accueil, alors qu’elle ne parlait pas ta langue, raconte-nous…

Puisque j’étais en village sérère (c’est une langue là-bas qui est moins connue que le wolof) j’ai appris le sérère, même si j’ai aussi appris quelques mots en wolof. J’arrivais à communiquer avec des expressions comme : “Bonjour”, “Bon après-midi”, “Bonsoir”, ”J’ai faim”, “J’ai soif”, “Où est-ce qu’on va ?”, “Je vais travailler”, tout ça. Je l’ai appris parce que j’étais vraiment installée avec une famille sur place, une famille sénégalaise. Du fait que la maman ne parlait que le sérère, j’étais obligée de le parler pour vivre avec elle au quotidien. Surtout quand le papa n’était pas là.

« Le reste de la famille bah… ne savait pas grand-chose de ce que je faisais. (…) Je n’ai pas hésité à les prendre avec moi en serre pour les faire visiter, pour qu’ils puissent mieux comprendre, aussi. Parce qu’expliquer comme ça, en théorie, ça ne parle pas forcément. »

Au début, il n’y a que le papa qui comprenait ce que je faisais dans le cadre de mon stage car il était le trésorier de l’association partenaire. Des personnes lui avaient expliqué en amont de ma venue, évidemment, ce que j’allais faire plus ou moins. Mais le reste de la famille bah… ne savait pas grand-chose de ce que je faisais. Alors, on faisait des soirées où je leur racontais et je n’ai pas hésité à les prendre avec moi en serre pour les faire visiter, pour qu’ils puissent mieux comprendre, aussi. Parce qu’expliquer comme ça, en théorie, ça ne parle pas forcément. Finalement, la famille s’est dit “ben ça sert à quelque chose alors ce que tu fais, parce que tu ne viens pas juste faire un truc et puis partir”.

« Ils se demandaient si j’allais respecter les droits des gens, si j’aurais le droit de faire tout ce que je veux, si j’allais avoir plus de droits qu’eux… »

Les locaux avaient une appréhension avant ta venue, comment cela a pu devenir une expérience positive ?

Avant que je me présente ou qu’ils vivent avec moi, je pense que les personnes sur place (ma famille d’accueil comprise) avaient un peu d’appréhension… Parce qu’ils ne savaient pas très bien ce que je venais faire sur place… Ils se demandaient si j’allais respecter les droits des gens, si j’aurais le droit de faire tout ce que je veux, si j’allais avoir plus de droits qu’eux… Des trucs comme ça, quoi. Et finalement ils se rendent compte que, déjà, je vivais au sein d’une famille du village. Ça a fortement aidé parce qu’ils m’ont perçue comme ayant plus de modestie que certains, certains qu’ils pouvaient avoir en tête. Ils ont en tête l’image de quelqu’un qui vient d’un hôtel, qui ne connait rien du terrain et puis qui va venir avec ses grosses bottines avec l’attitude de “celui ou celle qui sait tout”, on va dire.

Du coup, je pense que j’ai laissé une trace chez ma famille plutôt agréable. Mais c’est parce que c’est ce qu’eux m’ont laissé aussi. Finalement, c’était vraiment devenu ma famille. J’avais un deuxième papa, une deuxième maman, des frères et sœurs là-bas… Avant que je quitte le village, ils m’ont dit et décrit ce que je leur ai apporté et pour eux, c’était vraiment que du bonheur, de l’amour, de la chaleur, des connaissances, vraiment. Je leur ai dit pareil. Finalement, on part de là le cœur lourd. Je suis restée là 3 mois, c’est comme si une partie de ma vie était là et que je me suis construit une famille. C’était vraiment ça… Ça m’a fait mal de repartir. Et ça montre que je me suis accrochée, qu’eux aussi se sont accrochés à moi et que, finalement, on construit quelque chose qu’on ne risque pas d’oublier rapidement.

 

Une attitude bénéfique d’un point de vue professionnel

Comme repris dans le premier extrait de l’interview, Fatme a réussi ce qu’elle a voulu entreprendre sur place. Néanmoins, son expérience n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Du fait notamment d’avoir été confrontée à des chocs culturels, malgré des expériences préalables en Afrique de l’Ouest. Elle a su les surmonter en adaptant son travail d’une part grâce à son attitude globale d’ouverture aux autres et, d’autre part, grâce au fait qu’elle ait logé en famille d’accueil. Lisez plutôt :

Tu as du revisiter « le quart d’heure académique » sur place, peux-tu nous en dire un peu plus ?

Sur place, avec les locaux, on va leur donner rendez-vous mais ils ne vont pas forcément venir. C’est quelque chose qui m’a énervée, pour être honnête. Le timing pour eux, ce n’est pas super important parce qu’ils n’ont pas d’horaire, en soi. S’ils doivent aller sur le champ cultiver, ils le font à l’heure qu’ils veulent, ou quand ils en ont l’opportunité. Dans mon expérience de terrain, parfois, je me rendais sur place et il n’y avait personne. Un retard d’une heure, c’est comme le quart d’heure académique chez nous. C’est une autre notion du temps. Pourtant, on avait convenu le jour d’avant qu’on serait là à telle heure. Ça arrivait que j’attende une heure avant que des personnes commencent à arriver. Elles ne voyaient pas de souci dans leur retard, ce n’était pas considéré comme un gros problème. Mais pour moi cela en était un énorme parce qu’un retard de timing décale tout mon programme. Toute une matinée peut partir, comme ça, ce qui se répercute sur les activités prévues l’après-midi, qu’on va devoir caser à un autre moment…

En fait, ce que j’ai fini par faire, c’est me demander pourquoi elles sont en retard à chaque fois à la même heure. Et bien, j’ai découvert, par exemple, qu’à 9 h, elles étaient encore avec les enfants car l’école commence plus tard que chez nous. Là-bas, les enfants peuvent commencer à 9h30, ce qui fait qu’à 9h, la maman est encore en train de faire le petit-déjeuner, de partir à l’école ou encore d’en revenir. Et puisque je travaillais avec des femmes, ben je devais attendre que tout le monde ait fini de s’occuper de son ménage. J’ai alors décidé de retarder l’heure du début du travail sur le terrain et, du coup, de planifier une partie de mon travail au matin avant 10h car, à tous les coups, tout le monde viendrait à 10h puisqu’il n’y avait plus rien à faire à la maison. C’était pareil pour le jour du marché. Le mardi, je savais qu’avant 12h, il n’y aurait personne. Mais ça, j’ai mis du temps à le savoir ! Je ne savais pas non plus pour la vente du bétail les mardis après-midi ! Bref, des trucs comme ça… Je pense que c’est plus une adaptation qu’on doit faire nous même, mais aussi il faut parfois être un peu plus exigeant. Moi, à un certain moment, j’ai mis une limite. Je leur ai dit : « vous devez être là à 10h pile parce que moi sinon je commence sans vous ou alors je pars ! ».

« Ce que j’ai fini par faire, c’est me demander pourquoi elles sont en retard à chaque fois à la même heure. Et bien, j’ai découvert, par exemple, qu’à 9 h, elles étaient encore avec les enfants car l’école commence plus tard que chez nous. (…) Et puisque je travaillais avec des femmes, ben je devais attendre que tout le monde ait fini de s’occuper de son ménage. »

Stage Fatme Fadel - femmes en apprentissage

Qu’est-ce qui t’a aidée à comprendre et dépasser tes chocs culturels ?

Moi, au début, je ne savais pas, mais j’ai pu comprendre au fur et à mesure que j’allais au marché avec ma famille d’accueil : “Ah c’est pour ça qu’untel n’est pas venu.”, “Ah, c’est pour ça qu’elles sont venues en retard !”, des trucs comme ça… Ça m’a permis, petit à petit, d’adapter mon horaire tout en essayant d’être exigeante sur l’heure. Donc je leur disais : “A 10h vous devrez être là. Est-ce que quelqu’un a quelque chose d’autre à faire à 10h ? Est-ce qu’il y a marché ? … Non. Est-ce que les enfants terminent plus tôt ce jour-là ? … Non.”. C’était un véritable travail de gestion – qui devait venir plutôt de ma part, parce qu’eux ne sont pas habitués à respecter des horaires « stricts » comme on en a. Je devais moi m’adapter : choisir et exiger l’heure de rendez-vous, préciser que si elles n’ont rien à faire, leur dire : “Vous venez ou sinon on ne le fait pas parce que je ne serais pas là. Vous ne pourrez pas faire le travail alors…”. Finalement, elles se sont senties un peu obligées de respecter l’heure. Et puis, elles se sont dit: “Bah on n’a rien à faire à cette heure-ci déjà, puis on lui a dit qu’on venait… et puis, si elle n’est pas là, on ne peut pas faire cette partie-là du travail alors qu’elle est plus importante”. Au final, j’ai essayé de leur faire comprendre l’importance que j’accorde au timing… Finalement, elles m’ont fait changer tout mon horaire hein, pour que je puisse m’adapter à leurs horaires (rire).

« J’ai pu comprendre au fur et à mesure que j’allais au marché avec ma famille d’accueil : “Ah c’est pour ça qu’untel n’est pas venu.”, “Ah, c’est pour ça qu’elles sont venues en retard !”, des trucs comme ça… Ça m’a permis, petit à petit, d’adapter mon horaire tout en essayant d’être exigeante sur l’heure. »

Tu devais former le groupement de femmes pour qu’elles fertilisent leurs parcelles maraichères avec un substrat inoculé. Ensuite tu devais récolter des données pour comparer les rendements effectifs des cultures sur des parcelles inoculées et non inoculées. As-tu trouvé des astuces pour croiser tes exigences académiques avec les coutumes de travail locales ?

Au début, j’avais décidé de fonctionner avec des grammes ou des litres (pour la dose d’engrais à appliquer sur les cultures). Ils m’ont alors dit qu’ils travaillaient avec une poignée de main. Mais je leur ai dit : ”Oui mais ta main et sa main ne sont pas pareilles. L’une est plus grande, l’autre plus petite… On aura donc une quantité qui variera fortement !”. Alors on a réfléchi et on m’a dit qu’au labo ils avaient utilisé des bouchons. J’ai donc essayé cette solution, comme ça on prend quelque chose qu’ils utilisent dans la vie de tous les jours et qu’ils n’ont pas à acheter. Les bouchons venaient de bidons qu’ils utilisaient tout le temps. Et puis, ça fonctionnait super bien.

 

Stage Fatme Fadel - Fatme en pleine prise de notes !

« Je leur ai dit : ”Oui mais ta main et sa main ne sont pas pareilles. L’une est plus grande, l’autre plus petite… On aura donc une quantité qui variera fortement !”. Alors on a réfléchi et on m’a dit qu’au labo ils avaient utilisé des bouchons. »

Stage Fatme Fadel - Pratique et théorie ensemble

 

Une transmission adaptée au contexte local

Dans le cadre de son stage, Fatme a eu l’opportunité de pouvoir diffuser les connaissances accumulées durant ses expérimentations aux personnes sur place, ce qui constitue finalement une belle plus-value à son travail. De tous les formats possibles et imaginables, elle a choisi la bande dessinée… Réalisée avec ses humbles compétences en illustration comme outil de vulgarisation scientifique. Curieux, n’est-ce pas? Découvrons le cheminement de pensée qui l’a amenée à choisir ce format, son contenu et ses particularités.

Tu devais vulgariser les compétences transmises aux locaux, pour la réplicabilité. Quel format as-tu choisi?

Pour aider les locaux à pouvoir refaire ce que j’ai fait avec l’équipe, on a réfléchi à un genre de fiche technique originale : une bande dessinée. Pourquoi ? Parce que j’ai fait plein de démonstrations et de séances d’information ou de sensibilisation, mais bon. C’est bien, mais des fois, ça ne reste pas car il manque ce côté “consigné, écrit quelque part”. Je me suis dit qu’une BD serait une bonne idée parce que c’est quelque chose qu’ils utilisent déjà sur place ! Certaines ONG jouent aussi là-dessus. J’ai aussi vu des locaux en train d’utiliser certaines BD. En plus, c’est un outil vraiment réutilisable. Au final, j’ai créé un genre de fiche technique à travers une histoire. Elle va être traduite en wolof donc ceux qui savent lire pourront la lire. Et pour ceux qui ne savent pas lire, bah il va falloir demander de l’aide à quelqu’un ou alors juste regarder les images.

Dis nous en plus sur le fond…

Que raconte cette BD ? On montre un agriculteur qui rencontre un gros problème, qui ne sait pas quoi faire car son champ ne donne plus autant qu’avant, alors qu’il n’a rien changé dans sa manière de faire. Petit à petit, des serres apparaissent dans son voisinage et on lui conseille d’aller demander des informations. L’agriculteur va se rendre au village et on va lui expliquer, petit à petit, étape par étape, ce qu’est un inoculum et comment on l’utilise. Dans la BD, on explique qu’il faut demander des informations au chef de l’association Jambaar qui va faire appel aux techniciens pour expliquer à Monsieur comment on fait sur le terrain directement. On voit alors exactement ce qu’on a fait réellement sur le terrain. On a vraiment une personne qui applique la quantité exacte qu’on a utilisée. Au fur et à mesure de la BD, on voit les résultats, on voit comment agir. On voit aussi l’agriculteur qui partage ce qu’il apprend dans son village. Je raconte par exemple qu’une personne plus âgée d’un autre village va accepter d’essayer l’inoculum. La BD montre qu’au final tout le monde est satisfait de cette solution technique, que les cultures ont donné beaucoup mieux qu’avant, et que l’agriculteur de départ n’a plus de soucis avec son champ. En gros, ces quelques pages permettent d’avoir une idée de notre travail, de ce qu’on fait et quels résultats ça peut donner. »

 

BD-vulgarisation technique inoculum

« J’ai montré cette BD aux techniciens avec qui je travaillais. (…) Ils m’ont répondu que oui, qu’ils reconnaissaient vraiment bien le style, que les personnages ressemblaient vraiment à des gens qu’on pourrait rencontrer dans la rue, qu’on pourrait voir ces vêtements chez eux, pareil pour les arbres ou les maisons… Ils font attention aux détails ! »

…et sur la forme

J’ai fait attention à ce que les personnages ressemblent aux sénégalais parce que quand je lis un livre ou que je regarde une fiche, j’aime me retrouver dedans, personnellement. Pour ce faire, puisque je n’avais pas l’habitude de dessiner ce genre de personnages, j’ai utilisé des livres d’école et des petites BD que l’on m’a donnés  pour pouvoir réutiliser les dessins et les adapter à ma BD. Et ce pour être sûre d’avoir un contenu adapté à la population. Ainsi, j’ai vraiment pu adapter les vêtements, la manière dont laquelle on dispose les éléments et les personnages, le genre de bulles qu’ils utilisent là-bas.

Finalement, j’ai montré cette BD aux techniciens avec qui je travaillais. Ils l’ont lue et l’ont aussi montrée à leur famille. Ils m’ont dit que les dessins que j’avais faits étaient supers, à tel point qu’ils se retrouvaient vraiment dedans. Je leur ai demandé si elle avait l’air d’avoir été faite au Sénégal et ils m’ont répondu que oui, qu’ils reconnaissaient vraiment bien le style, que les personnages ressemblaient vraiment à des gens qu’on pourrait rencontrer dans la rue, qu’on pourrait voir ces vêtements chez eux, pareil pour les arbres ou les maisons… Ils font attention aux détails ! Allez, je n’allais pas dessiner un cerisier dans ma BD ! Et ça, ça leur a plu. Ils ont également prêté beaucoup d’attention à comment j’ai expliqué le côté technique. Quant aux femmes, elles ont aussi aimé voir qu’elles se retrouvaient dedans, qu’on prenne en compte leur travail, qui était mis en valeur.

Que penses-tu avoir apporté à la population sur place pendant ton stage ? 

Je me dis que ce que j’ai apporté, c’est vraiment, on va dire, une image. Une image de ce que je représente, en gros – de Gembloux ou d’Eclosio, peu importe l’organisation avec laquelle on travaille. Parce qu’en soi, eux, ils vivent leur vie de tous les jours, ils n’ont pas le besoin qu’on vienne apporter quelque chose parce que pour eux c’est très bien comme c’est pour l’instant et qu’il n’y a rien à changer. C’est vraiment comme nous, hein. Quand on est en cours, c’est vraiment pour apprendre quelque chose qu’on pensait ne pas avoir besoin… Ou alors finalement qu’on n’aura peut-être jamais besoin. Mais on apprend quand même quelque chose de nouveau, qu’on va utiliser ou pas. Donc moi, en tant qu’étudiante, je vais venir avec ce que je sais et donc, je vais apporter ce que moi j’ai appris en cours, et je vais voir si ça s’applique. Finalement ce que eux vont m’apporter, c’est vraiment un apprentissage « alors non, ça ne s’applique pas 100% : il faut ajouter ça, il faut enlever ça… ». C’est vraiment moduler mes connaissances et les enrichir, évidemment, et finalement quand je repars de là, bah je vais laisser des informations, en reprendre, mais je vais surtout laisser une image de ce qu’une organisation est venue faire dans ce pays, apporter, quoi.

« En soi, eux, ils vivent leur vie de tous les jours, ils n’ont pas le besoin qu’on vienne apporter quelque chose parce que pour eux c’est très bien comme c’est pour l’instant et qu’il n’y a rien à changer. »

Pour moi en tant qu’ONG, on vient dans un pays étranger pour apprendre: pour qu’eux nous apportent quelque chose ou pour que nous on apporte quelque chose. Donc, pour qu’au final, on évolue tous ensemble. Et, puisqu’eux ne peuvent pas venir ici, bah nous on va là-bas. Sur place, ben l’échange se passe quoi. Finalement, je pense que c’est principalement ça le rôle d’une ONG : échanger les connaissances, le matériel, les fonds… Fin, plein de choses ! C’est la base, c’est échanger, apprendre, donner et recevoir, c’est ça.

 

Que retenir de son expérience ?

Fatmé a réussi son stage et présenté son travail de fin d’étude à Gembloux, très apprécié du Jury. Le témoignage de Fatme vous aura peut-être touché en ravivant des souvenirs d’expériences passées, en vous faisant voyager et découvrir d’autres manières de faire, ou encore en vous donnant envie d’en apprendre plus et d’expérimenter en contexte multiculturel.

Ce morceau de vie est une belle matière à penser pour réfléchir aux nombreux aspects que comportent un stage à l’étranger : Quel lieu de stage choisir ? Comment vivre sur place ? Comment la vie professionnelle des locaux s’imbrique-t-elle dans leur vie privée ? Quelles sont les priorités et les différences culturelles entre chacun·e? Autant de questions qui cherchent tant de réponses…

Il serait aussi intéressant de se renseigner pour voir si l’outil de vulgarisation scientifique que Fatme a réalisé est réellement utilisé, et si l’engrais produit est utilisé par les locaux, donnant ainsi un sens et une durabilité au projet réalisé par Eclosio et ses partenaires, notamment l’ULiège, projet qui est d’ailleurs renouvelé pour plusieurs années dans le cadre d’un projet de recherche développement (PRD).

A l’heure où le secteur de la coopération a déjà beaucoup évolué sur les questions de rapport de force entre organisations dites du « Nord » et dites du « Sud », entre « savoirs académiques » et « savoirs expérientiels », Fatme nous rappelle qu’il est possible d’outrepasser les difficultés d’un contexte multiculturel. Son récit nous invite à être à l’écoute de l’autre et ouverts au partage. Ces facteurs de réussite ont-ils été d’application dans votre cas ? Ou le seront-ils ?

Si tu es étudiant·e, n’hésite pas à prendre contact avec nous si tu te questionnes sur l’accompagnement que tu pourrais recevoir dans le cadre d’un stage à l’étranger (3). En sa qualité d’ONG universitaire, Eclosio offre des services qui pourraient t’intéresser (4) :

 

Sources

(1) La carte du lien cliquable provient du livre « Carbone des sols en Afrique » de la FAO (2020)

(2) Voir l’article suivant : https://www.lqj.uliege.be/cms/c_18145976/fr/en-pleine-terre

(3) Nous contacter : https://www.eclosio.ong/contact/

(4) Voir la page suivante : https://www.eclosio.ong/offre-de-services-pour-luliege/

Interview réalisée par Kévin Dupont à Gembloux en novembre 2022. Sélection des passages et rédaction par Jennifer Buxant avec l’appui de l’équipe d’Eclosio.

Enquête Connexion·s sur les pratiques interculturelles et digitales des jeunes

“Exploration des expériences interculturelles des jeunes : obstacles, motivation et rôle du numérique”

Vous vous demandiez quelle était la vision des jeunes nés à l’ère du numérique concernant l’interculturalité ?

Dans le cadre du projet Connexion·s, nous avons mené l’enquête :

Quels sont les obstacles auxquels les jeunes sont confrontés, leurs motivation, les bénéfices qu’ils·elles retirent de leurs expériences interculturelles, leur vision de l’interculturalité ainsi que le rôle du numérique dans la facilitation de ces expériences interculturelles ?

Une analyse multi-pays menée par 4 associations de différents pays :

Tunisian Forum, Eclosio Belgique, Coalition Sega, Engagé·e·s et Déterminé·e·s

Les approches Chaines de Valeur Ajoutée contributives aux transitions agroécologiques ? – Analyse

 


Une analyse de Christophe GOOSSENS, chargé de programme, référent thématique CVA (Chaine de Valeur Ajoutée), GIRE (Gestion Intégrée des Ressources en Eau), OP (Organisation des Producteurs), et en appui sur l’Insertion Socioéconomique, chez Eclosio.

Lire l’analyse en version PDF

Lire l’analyse en version word


L ’approche filière est souvent citée comme contradictoire et antinomique aux approches agroécologiques, principalement parce que la première vise un produit spécifique alors que l’agroécologie cible la diversité des productions pour ses services écosystémiques. Pourtant, des stratégies de développement de Chaine de Valeur Ajoutée ont démontré être un levier de contribution au rôle de l’agroécologie dans la réalisation de la sécurité alimentaire et à une nutrition adéquate et donc plus largement à la souveraineté alimentaire.

1. Définitions :

La définition traditionnelle francophone de ‘filière’ est « Une approche pour étudier les chaînes de produits ». Par le mot ‘filière’, on sous-entend l’expansion de la capacité productive qui augmente le volume vendu, et c’est donc le terme utilisé pour les chaines longues, souvent de produits d’exportation.

Les Chaines de Valeur Ajoutée (CVA) se définissent par contre comme une séquence des activités (fonctions) économiques relatives de la fourniture d’un input spécifique pour un produit particulier, de la production primaire, transformation, vente, et jusqu’à la vente finale du produit aux consommateurs. Elle sous-entend une mise à niveau des fonctions et activités, comme l’amélioration des relations commerciales, associations, et partenariats, de l’offre et de la demande de service, l’introduction des normes, et l’amélioration des politiques et du milieu d’affaires de la chaîne. Celle-ci est définie en tant que tel par l’approche ValueLinks (https://valuelinks.org/). Elle met l’accent sur la création de valeur ajoutée qui est la valeur ajoutée additionnelle par suite de la mise à niveau de la chaîne de valeur ajoutée, ayant comme objectif une meilleure rémunération des plus pauvres issus de l’agriculture familiale.

L’agroécologie est un concept qui donne une orientation, mais dont la définition demeure polysémique. Elle se réfère parfois aux seuls systèmes productifs (les pratiques agroécologiques), aux systèmes alimentaires, jusqu’à étendre son champ d’action à l’étude des rapports entre production alimentaire et société au sens large (Stassart et al., 2012). L’agroécologie n’est donc ni un créneau réservé aux petits exploitants, ni un label obtenu au vu de certaines pratiques. C’est une logique universelle qui consiste à repenser les systèmes agricoles de manière à maximiser la biodiversité et à stimuler les interactions entre différentes plantes et espèces. C’est une stratégie holistique qui se traduit en différents principes de l’agroécologie qui permettent de guider la transition vers des systèmes alimentaires plus sains et plus durables. Nous reprendrons ici les 13 principes de l’HLPE de la FAO1 qui sont repris dans la note stratégique Uni4Coop sur l’agroécologie et les systèmes alimentaires durables (Octobre 2020).

Eléments génériques des principales fonctions d'une CVA Analyse Chritophe Goossens

2. Approches CVA pour renforcer la transition agroécologique

L’amélioration de l’efficience des ressources : Les stratégies de mise à niveau de CVA peuvent comprendre la diminution de l’utilisation d’intrants externes importés, en transférant des fonctions de production d’intrants aux producteurs, en utilisant les ressources locales disponibles (Ex : recyclage de matières organiques des fermes issus des déchets pour produire un engrais type ‘Bokashi’ au Cambodge), et en utilisant des intrants reproductifs (ex : le développement de la CVA de semences paysannes au Cambodge). Économiquement, cela se justifie par l’introduction de la notion de marge brute au niveau de l’exploitation agricole.

Le renforcement de la résilience : Les stratégies de mise à niveau de CVA doivent prendre en compte les intérêts de l’agriculteur et de sa famille. Une approche filière oriente la mise à niveau selon les intérêts d’une filière prioritaire, ce qui est problématique si des rapports de forces défavorables aux groupes d’agriculteurs ciblés existent au sein de cette filière. On fragiliserait les fermes en les spécialisant sur une filière alors que les agriculteurs souhaitent maintenir des fermes plus diversifiées, notamment pour limiter les risques inhérents aux changements climatiques ou pour gagner une meilleure indépendance financière. Éviter cette fragilité se fera par des démarches d’analyse centrée sur l’agriculteur, en mettant au premier plan les approches agroécosystèmes (dans le but d’améliorer l’interaction écologique positive, la synergie, l’intégration et la complémentarité), les outils de diagnostics, les enquêtes de terrain et l’analyse des rapports de forces.

Stratégie de redistribution. Analyse Christophe Gossens

La dimension économique des approches CVA centre les actions sur la valorisation des productions agricoles des petits agriculteurs et des surplus des productions de l’agriculture familiale de subsistance. Cela permet de rémunérer les producteurs afin d’améliorer les conditions des productions en investissant par des pratiques agroécologiques sur l’amélioration des agroécosystèmes productifs dont la santé des sols et des animaux, investir dans l’irrigation, et contribuer à la biodiversité des agroécosystèmes et aux synergies et complémentarités qu’elles engendrent.

Garantir l’équité et la responsabilité sociale : Les approches CVA tel que mentionné par ValueLinks, ne considèrent pas la CVA seulement comme un concept économique. Les CVA constituent également des systèmes sociaux dans lesquels les gens interagissent en conformité avec les normes sociales données et selon leurs propres intérêts communs ou divergents. Dans la mesure où le développement de la chaîne exige une coordination améliorée entre les opérateurs de la chaîne, le comportement des acteurs doit également changer. Par conséquent, la mise à niveau de la CVA n’est pas simplement une question d’optimisation d’organisation et technique, mais aussi une question d’apprentissage et de relations sociales.

L’objectif ultime de la promotion de CVA est la croissance pro-pauvre. Le public cible étant généralement l’agriculture familiale, les stratégies de mise à niveau de CVA se centrent sur des actions créatrices de valeur ajoutée qui leur reviennent (équité). Ces stratégies comprennent

1/ la redistribution des fonctions de transformation aux organisations de producteurs (raccourcissement de la CVA pour rapprocher le producteur du consommateur (connectivité) afin qu’il bénéficie d’une rémunération juste),

2/ l’introduction d’innovations selon des processus de cocréation de savoirs afin d’améliorer la qualité du produit et d’obtenir une reconnaissance (introduction de normes) de la qualité agroécologique, ce qui peut mener à la création de nouveaux marchés, de marchés directs ;

3/ la pénétration de marchés par l’organisation des producteurs ce qui permet la participation des moins favorisés d’entre eux et leur représentation et les impliquer dans les prises de décisions sur les enjeux qui les concernent au sein de leur CVA.

3. Conclusion: approches CVA et agroécologiques complémentaires

Les approchent agroécologiques et CVA se rejoignent sur leur complémentarité et leur ambition de relier la durabilité environnementale et l’innovation sociale, la production et la consommation, les préoccupations mondiales et les dynamiques locales à travers le soutien à des solutions adaptées localement basées sur la participation et la mobilisation des connaissances locales.

Les filières longues ne permettent pas de systématiquement tirer les petits producteurs vers l’agriculture professionnelle. Dans une filière longue, les rapports de domination sont tels que la capture de la valeur ajoutée se réalise pour les opérateurs dominants ; il y a très peu d’influence possible pour assurer que la valeur ajoutée créée par un projet retourne en partie aux petits producteurs. Par contre, on y parvient en centrant les démarches sur les agriculteurs, en les organisant et leur permettant de participer à des ateliers d’opérateurs de CVA, en utilisant l’animation à base d’outils participatifs, qui reproduisent le point de vue de l’agriculteur, tout en assurant l’engagement de tous les opérateurs de CVA sur une même vision stratégique de mise à niveau, et en mobilisant de façon dynamique l’expérience, les savoirs et les normes locales.

 

 


Notes :

¹ HLPE Report #14 – Agroecological and other innovative approaches for sustainable agriculture and food systems that enhance food security and nutrition (fao.org)

Héloïse & JAGROS : clap de fin sur 6 années d’expérience !

Héloïse tourne la page de JAGROS… Et d’Eclosio!

C’est avec émotion que l’aventure JAGROS, mais aussi Eclosio, se clôture pour notre collègue Héloïse Blondeel, qui a pendant six belles années non seulement travaillé au sein de notre équipe d’éducation citoyenne mais également porté à bras le corps ce projet phare impliquant les diverses hautes écoles agronomiques wallonnes (HEPN, HEPL, heCH, HELHa, HE Condorcet) aux côtés des étudiant·es et du corps pédagogique, mais également des ONG partenaires Humundi (ex-SOS Faim) et Vétérinaires Sans Frontières (VSF).

Aujourd’hui envolée vers d’autres horizons professionnels, nous avons pris soin de recueillir son retour d’expérience avant la fin de son aventure chez Eclosio, de sorte à ne rien perdre de ses apprentissages et réflexions. Découvrez ici son témoignage, à l’issue de 6 années passées à sillonner la Wallonie pour soutenir la sensibilisation à la souveraineté alimentaire.

Nous lui sommes infiniment reconnaissant pour toute son énergie, son dévouement, sa passion et son amitié pendant 7 années dans notre équipe d’éducation citoyenne !

Souveraineté alimentaire : il s’agit du droit des populations et des pays de définir leurs propres politiques alimentaires et agricoles. Ces politiques doivent être écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées à chaque contexte spécifique et ne pas menacer la souveraineté alimentaire d’autres pays.

 

Jagros 2018 à Charleroi

Jagros 2018 à Charleroi – Introduction à la souveraineté alimentaire

 

Sens et motivation

Pourquoi ce projet avait-il du sens pour toi ?

Parce que j’ai pu voir avec mes années d’expérience ici qu’il y avait un changement de mentalité entre le moment où je suis arrivée chez ADG (avant une fusion vers Eclosio) et aujourd’hui, sur la connaissance de ce qu’est l’agroécologie, par exemple. Entre 2016 et 2020, j’ai vraiment vu une évolution dans les hautes écoles. Les jeunes étaient plus conscient·es du besoin général de retourner vers une agriculture plus durable.

Le projet JAGROS permettait justement de prolonger cette conscientisation, d’informer les jeunes mais aussi de donner des clés et renforcer ceux et celles qui se mobilisent, pour qu’ils et elles puissent mettre sur pied leurs propres projets. JAGROS leur offrait une opportunité via des « groupes relais », qu’ils/elles n’avaient pas forcément en-dehors de ces espaces-là. Et puis, comme ce n’était pas obligatoire et non évalué, ça permettait complètement le droit à l’erreur et l’engagement spontané, laissant le/la jeune y mettre la motivation et le temps qu’il a envie de donner au projet. Avant JAGROS, il n’y avait pas, à ma connaissance, vraiment d’endroits d’expérimentation et de gestion de projet en lien avec l’agriculture et l’alimentation [dans ces hautes écoles].

« Avant JAGROS, il n’y avait pas, à ma connaissance, vraiment d’endroits d’expérimentation et de gestion de projet en lien avec l’agriculture et l’alimentation. »

Quel a été le moteur de ton investissement ?

Le moteur pour moi, enfin, la motivation, c’était de se dire « chaque année, on va toucher à nouveau 450-500 nouveaux·elles étudiant·es sur cette question-là » et, grâce aux ateliers – c’est peut-être un peu prétentieux – « ils vont avoir envie de consommer différemment, de produire de manière raisonnée ». En plus de ça, il y a le fait de se dire que même si c’est un petit germe, une petite étincelle dans la tête d’un·e étudiant·e, que ça paraît minime, en fait 5 ans plus tard, ils et elles vont se rappeler de cette journée. Puisque c’est un format qu’il y a peu dans les cours à l’université ou en haute école, on s’en souvient plus tard. Avec du recul, si on se demande « qu’est-ce qui t’a marqué dans ton cursus ? » typiquement, ça peut être le genre de choses dont on se souvient, enfin je pense.

« Même si c’est un petit germe, une petite étincelle dans la tête d’un·e étudiant·e, que ça paraît minime, en fait 5 ans plus tard, ils et elles vont se rappeler de cette journée. »

Journée Jagros 2022 intervention de Hélène Capocci de Entraide et Fraternité - Photo Eclosio

Jagros 2022 à Gembloux – « Agricultures d’ici et d’ailleurs: interdépendances et défis communs »
Intervention de Hélène Capocci de Entraide et Fraternité

Aviez-vous beaucoup de demandes spontanées pour l’animation de jeux pédagogiques en-dehors des événements phares ?

Quelques-unes par année pour des classes entières. Ca ne parait pas énorme, mais il suffit par exemple que 2 classes fassent une demande pour qu’on ait déjà 60 étudiant·es touché·es. Pour une année, c’est déjà super. Et puis, ces ateliers sont renforcés par la journée JAGROS et les ciné débats [prévus dans le programme académique].

Vous voyez JAGROS plus comme un processus plutôt qu’une sensibilisation par activités « choc », en quelque sorte ?

Tout à fait, c’est un tout. D’ailleurs, c’est ça que l’on voulait : ne pas limiter JAGROS à une activité par an pour les premières années. Il y a vraiment tout un processus qui commence en première année : en septembre, on rencontre les étudiant·es et on les familiarise avec les ONG (qu’est-ce qu’une ONG ?) et le projet – quelles formations sont proposées, quelles rencontres avec des partenaires dits « du Sud » auront lieu, quel accompagnement en gestion de projet est mis à disposition.

« C’est ça que l’on voulait : ne pas limiter JAGROS à une activité par an pour les premières années. Il y a vraiment tout un processus… »

 

Moments marquants

Quels ont été tes temps forts avec JAGROS ?

Moi je dirais, les journées JAGROS. Je n’en ai pas une en particulier, mais le fait de se retrouver dans un auditoire avec 450 étudiant·es, plus leurs professeur·es, pour faire passer un message, et de voir qu’à la fin de la journée ils et elles ont appris des choses et sont content·es d’avoir été là et d’avoir appris des choses… Pour moi, c’était quelque chose de fort. C’était gai. Et aussi, je dirais simplement le partenariat avec Humundi (ex-SOS Faim) et VSF : je me suis toujours bien entendue avec les chargé·es de projet et on a vraiment appris les un·es des autres. Chaque ONG a ses forces. Le projet a bien fonctionné parce que chaque ONG amène sa pièce et sa particularité dans le projet JAGROS.

«  Chaque ONG a ses forces. Le projet a bien fonctionné parce que chaque ONG amène sa pièce et sa particularité dans le projet JAGROS. »

Jagros 2018
Jagros 2018

Jagros 2018 – technique participative d’animation du public

Peux-tu préciser un petit peu en quoi ?

Oui, par exemple, l’ONG Humundi est très forte en contenus… Les différentes personnes avec qui j’ai travaillé, 3 je pense, ont toujours été fortes pour l’organisation des débats, trouver les intervenant·es, par exemple, et poser les questions pertinentes. L’ONG VSF est forte au niveau de la thématique de l’élevage, parce que c’est quelque chose qu’Humundi et Eclosio ne portent pas beaucoup ou pas du tout. C’était vraiment une plus-value d’avoir cette thématique-là. Ils et elles étaient fort·es aussi pour tout ce qui est organisation logistique. Et pour Eclosio, je dirais que c’est plutôt l’aspect méthodologie des ateliers qui fait notre force. On a pu transformer des ateliers initialement plutôt ex-cathedra, plutôt classiques, – avec par exemple un témoignage et un·e producteur·ice qui vient raconter son expérience en question-réponse et avec des schémas, voilà, “intervention-questions-réponses” – qu’on a au fur et à mesure transformé en des vrais ateliers en intelligence collective, avec des méthodologies, des dispositifs pédagogiques qui favorisent la participation des étudiant·es et qui créent davantage de connexions aussi entre les étudiant·es des différentes hautes écoles avec les intervenants et les intervenantes.

 

Jagros 2022 : jeu de la ficelle sur les interdépendances

Jagros 2022 – Jeu de la ficelle sur les interdépendances dans le secteur de l’alimentation

Au niveau thématique, as-tu un moment qui te vient en mémoire qui t’a particulièrement touchée ?

Hm, y en a beaucoup. Et puis, maintenant ça date un peu mais… Moi, j’ai toujours beaucoup aimé entendre les témoignages – qui ne sont pas que des témoignages mais des expertises aussi, de partenaires de pays dits du Sud. Je me souviens qu’on a eu un intervenant, Deogratias Niyonkuru, qui venait de République démocratique du Congo, si je ne dis pas de bêtises, qui nous avait parlé de la dignité paysanne. J’avais trouvé son intervention super intéressante parce que ça offre un autre point de vue, qu’on n’a pas l’habitude d’entendre ici. Et j’ai beaucoup aimé aussi lorsqu’il y avait des partenaires, par exemple, même des collègues d’Eclosio de zone andine qui venaient en Belgique, avec lesquels on faisait un peu un tour des hautes écoles pendant le temps de midi ou même pendant une heure de cours, pour faire découvrir un peu le paysage de l’alimentation au Pérou, par exemple.

« J’aimais beaucoup parce que je voyais que c’est quelque chose que les étudiant·es ne reçoivent pas comme contenu dans leurs cours, en tout cas, ceux que j’ai pu voir. Et donc ça leur offrait un tout autre type de contenu et une perspective, une vision sur le monde qu’ils n’avaient pas forcément reçue auparavant. »

 

Jagros Huy low

Ciné-débat Jagros 2018 à la Haute école Charlemagne de Huy

 

Professeur·es, partenaires de terrain

Côté professeur·es, comment évoluait votre lien ?

Il y avait des professeur·es impliqué·es depuis le début de JAGROS, depuis 2011 donc, qui sont restés impliqué·es pendant 10 ans. On a fêté les 10 ans de JAGROS avec des professeur·es qui étaient là depuis le début ! Après, il y avait des changements de carrière, par exemple, donc il y a eu des professeur·es qui se sont rajouté·es au fur et à mesure, alors que d’autres quittaient. Il y avait quand même plus de nouveaux et de nouvelles professeur·es que de professeur·es qui ont quitté l’aventure.

Comment vivaient-ils/elles le projet ? As-tu vu une évolution ?

Ca a été difficile à voir parce qu’on n’est pas là dans leurs cours donc on ne voit pas comment ils et elles transmettent la matière. Et puis, quand on vient animer quelque chose, c’est souvent nous qui apportons le contenu. Le ou la professeur·e reste plus en retrait. Mais il y a des professeur·es qui ont dit qu’ils ou elles avaient au fur et à mesure des années mieux compris aussi ce que c’est la souveraineté alimentaire et on a fait quelques formations dans des hautes écoles pour des professeur·es, par exemple lors d’une journée pédagogique où on en a touché·es qui, de prime abord, ne seraient pas touché·es par cette thématique. Des professeur·es de français ou d’anglais dont ce n’est pas la spécialité, par exemple.

Si des professeur·es sont engagé·es, on imagine que le fait d’être accompagnés par des ONG doit être une source de motivation pour elles et eux?

Oui, oui, complètement. Parce que c’est revenu plusieurs fois lors des comités de pilotage dans chaque haute école – où il y avait des professeur·es et la direction parfois, que ça les motivait d’avoir des actions communes et de se dire que c’est pas juste leur haute école qui propose un programme à leurs étudiant·es, mais c’est l’ensemble des hautes écoles agronomiques.

« Et on voyait bien qu’il y a aussi des hautes écoles qui faisaient partie de l’aventure parce qu’il y avait les autres hautes écoles qui faisaient déjà partie de cette aventure, et qu’elles s’entraînaient un peu toutes vers le haut en se disant : « Ah ben, ensemble, on va organiser ça. ». »

Et puis bon, il y a les ONG qui soutenaient et qui organisaient beaucoup du coup, pour les hautes écoles, c’était tout bénefice d’être dans une dynamique commune plutôt que seules. Je ne suis vraiment pas sûre que le projet aurait eu autant d’impact s’il avait été unidirectionnel.

C’est donc la vision d’ensemble qui porte tous et toutes les acteurs/trices ?

Oui, et le fait de se rendre compte que « Bam, il y a 500 étudiant·es qui sont touché·es par la thématique cette année-là ! », ça donnait une vision de grandeur au projet, aussi.

 

Petits couacs

Quel est le plus gros obstacle, la plus grosse difficulté que tu aies rencontré pendant toutes ces années ?

L’implication des professeur·es, parfois. Avoir des professeur·es relais qui, malgré qu’ils ou elles aient un temps de travail sur JAGROS, ou une responsabilité dans le projet, donnent peu de réponse… Ou avec lesquel·les c’est difficile de collaborer quand on n’a pas de réponse… Du coup, ça ne fait pas avancer les projets. Et puis, c’est dur dans son travail d’avoir des choses en stand-by, de ne pas pouvoir avancer parce qu’on n’a pas de réponse.

Penses-tu que c’est fort lié à la surcharge des professeur·es dont on a parlé plus tôt ?

Certainement, aussi aux personnalités. Aux envies de s’impliquer plus ou moins grandes.

 

Petit frère

JAGROS a un petit frère : DJESA. Ce nouveau projet similaire vise à toucher les sections autres qu’agronomiques. Penses-tu que le projet est pertinent quand il sort du contexte agronomique ?

Ah, c’est tout à fait pertinent dans d’autres contextes, parce que la question de l’alimentation, ça touche tout le monde. Et la question du système alimentaire nous touche toutes et tous en tant que citoyen·nes, mais aussi dans un cadre professionnel, parce que les étudiant·es ce sont des futur·es professionnel·les.

 

« Quand on étudie les sciences économiques, par exemple, on pourrait être amené à travailler dans une institution qui a des liens avec le système alimentaire et donc c’est intéressant de pouvoir être un peu conscient·e de comment fonctionne ce monde-là (les industries et leur impact, le lobbying, les grandes institutions,…). »

DJESA : pièce Nourrir l'humanité c'est un métier - acte II

DJESA 2023 : pièce « Nourrir l’humanité c’est un métier – acte II » à Namur avec des étudiant·es ULiège et UNamur en sciences politiques

 

D’autres thématiques comme les inégalités dans le système alimentaire, ça c’est intéressant d’être au courant, peu importe le profil qu’on a, au final. Donc c’était tout à fait pertinent de sortir du cadre des études en agronomie et d’aller développer le projet dans d’autres types de cursus. Et c’est d’ailleurs très bien reçu dans les différentes universités où le projet DJESA est mené. On a eu des retours très positifs du coup pour des étudiant·es en sciences éco, en sciences vétérinaires, aussi, en bio-ingénieur à l’ULB. Et ceux et celles en sciences politiques de l’UNamur.

 

Mot de la fin (de la fin!) d’Héloïse

Veux-tu rajouter encore une petite chose ? Pour tes ancien·nes collègues qui vont continuer JAGROS ou les personnes qui vont rejoindre le projet ?

Bah que c’est un beau projet ! Un beau projet qui vaut vraiment la peine de continuer. Et ça, je le dis autant aux ONG qui continuent à mener le projet qu’aux hautes écoles parce que je trouve que ça vaut la peine que celles-ci – ou même d’autres établissements ou universités – mettent sur pied des dispositifs thématiques qui sortent un peu du cadre des cours, qui sont pour moi de l’éducation à la vie, de l’éducation citoyenne, mondiale et solidaire!

 

Team Jagros

Marie de Vétérinaires Sans Frontières, Héloïse d’Eclosio et Nicolas de Humundi

A nous de rajouter encore une petite chose: encore mille mercis Héloïse pour tout ton travail et ton care continuel dans l’équipe. Nous te souhaitons bon vent et émerveillement ailleurs !

 

Pssst, pour en savoir plus, c’est par ici :

Le Keyline design : une piste à creuser ! – Analyse

 


Une analyse de Lisa DI MAGGIO, Bioingénieur en Sciences et technologies de l’environnement.

Lire l’analyse en version PDF

Lire l’analyse en version word


Au cours des 20 dernières années, de nombreuses études ont été menées pour tenter de prédire les impacts du changement climatique sur les ressources en eau. Avec le dérèglement climatique, certaines régions du monde risquent d’être frappées par d’intenses vagues de chaleur à l’origine de périodes de sécheresse. Cependant ces dernières ne seront pas la seule conséquence de cette évolution. Le climat futur aura un effet certain sur l’intensité des précipitations extrêmes en Europe et augmentera leur fréquence.

Contexte

Cette réalité peut susciter des inquiétudes quant à notre emprise sur la situation. Cependant, il est crucial de comprendre que l’humain n’a jamais eu le contrôle absolu sur la nature. Il l’observe, l’imite, l’étudie, s’en inspire, il la dirige, au mieux, mais devrait aussi lui accorder l’espace nécessaire pour récolter ses bienfaits. Il est important pour tous les secteurs d’activité d’engager une réflexion sur l’amélioration de la gestion des eaux sur le bassin hydrographique. Le secteur agricole semble le plus prometteur, car il présente un potentiel considérable en matière de gestion de l’eau. Dans le cadre de mon mémoire, j’ai pu étudier le potentiel d’une agriculture résiliente et repensée afin de limiter l’impact de ces extrêmes hydrologiques. Ce mémoire s’est concentré sur un petit bassin versant de 1 km² situé dans la région de la Vesdre, plus précisément sur le plateau de Herve.

Je vais ici présenter les principales conclusions découlant de ce travail de recherche. Ce dernier représente un challenge étant donné qu’il existe à ce jour peu d’études quantifiant le potentiel de l’agriculture en ce qui concerne la lutte contre les inondations et les sécheresses. Il est pourtant impératif de comprendre le rôle pivot de ce secteur dans la gestion des flux d’eau.

L’aménagement du territoire

Les sols ont une place importante dans la régulation des flux hydrologiques. En effet, ils vont permettre d’infiltrer, de stocker, mais aussi de ralentir les flux d’eau grâce à la végétation. Leurs capacités sont influencées par l’aménagement du territoire, et dans le cas qui nous occupe, par les pratiques agricoles. De ce fait, l’imperméabilisation des sols due à une urbanisation croissante entraîne une perte de capacité d’infiltration, accentuant les vitesses d’écoulement. De la même manière, la simplification des pratiques agricoles a entraîné l’agrandissement des exploitations, en rallongeant les parcours sans obstacle naturel. Cette absence d’aspérité pour ralentir l’eau de ruissellement contribue également à accentuer les phénomènes de ruissellement.

Par ailleurs, la résilience des écosystèmes est un aspect crucial à considérer au vu des extrêmes climatiques. Celle-ci est définie comme « l’aptitude d’un système à surmonter une altération de son environnement ou de son fonctionnement ou à modifier son état pour garantir ou préserver les fonctionnalités du système » (Rondeux, 2022). En plaçant la production au cœur des choix des techniques culturales, les autres services que l’écosystème agricole peut soutenir sont négligés. Il s’en suit une gestion palliative des problèmes causés par une agriculture productiviste.

Il existe une bonne occasion d’adopter des systèmes agricoles plus autosuffisants et naturels, pouvant conduire à des gains significatifs autant sur le plan de la productivité, de l’efficacité que de la durabilité des agrosystèmes. Vis-à-vis des enjeux actuels, il est urgent de repenser certaines pratiques rurales afin de réduire la pression sur l’environnement. En fait, adopter une gestion du paysage plus proche du fonctionnement naturel des écosystèmes favorise l’adaptation naturelle et accroît la résilience.

Hydrologie régénérative

Représentation du principe du Keyline design, Ponce-Rodríguez, M. (2021). Analyse Lisa Di Maggio

Représentation du principe du Keyline design, Ponce-Rodríguez, M. (2021).

Certain·e·s agriculteur·trice·s ont compris l’importance de travailler avec la nature au lieu de la contrer. Ils n’ont pas attendu que la Science leur montre le chemin pour agir, souvent contraint·e·s par des conditions de terrains nécessitant une réaction rapide. Ils ont mis en place et développé des techniques innovantes d’aménagement du territoire. L’Hydrologie régénérative, bien que dans ses débuts, vise la régénération des cycles d’eau douce par des développements territoriaux respectueux des écosystèmes. Cette démarche rassemble toutes les connaissances, les initiatives et le savoir-faire accumulés jusqu’à présent. Elle s’articule autour de 4 objectifs principaux : ralentir, répartir, infiltrer et stocker les eaux de pluie et de ruissellement. Cela peut être facilement visualisé comme un budget qu’on doit optimiser et dont il est nécessaire d’augmenter, les entrées, les stocks et le nombre de zones de stockage, mais aussi de limiter les sorties.

La technique du Keyline design, ou ligne-clé en français, est l’un des précurseurs de l’Hydrologie régénérative. Cette méthode de conception agricole et paysagère est initiée à la moitié du 20e siècle par un Australien, P.A. Yeomans. La technique, bien que très peu documentée dans la littérature scientifique, est utilisée un peu partout dans le monde comme en Australie, aux États-Unis, en Inde, en Italie, en Espagne ou encore en France. Elle a pour objectif d’optimiser la gestion de l’eau à l’échelle d’une ferme en utilisant la topographie naturelle du terrain. Le terme Keyline vient des keypoint, ou point-clé, correspondant à des endroits de ralentissement des écoulements de surface sur un bassin versant. Les keylines sont des lignes parallèles aux courbes de niveau, sélectionnés dans le prolongement des keypoints. Au travers d’aménagements, elles permettent la redirection des eaux ruisselées vers des zones de crêtes, naturellement peu rechargées en eau. De manière générale, la méthode peut s’inspirer d’autres types aménagements pour limiter le ruissellement; appelés solutions fondées sur la nature. Dans le cadre de ce travail, des fossés ont été constitués surmontés d’une butée et d’une plantation d’arbres. Ce type d’aménagement est fréquemment rencontré dans le keyline design et permet de rediriger efficacement les eaux de ruissellement.

La construction du modèle

Représentation des lignes clés sélectionnées sur le bassin versant, Di Maggio L. (2023). Analyse Lisa Di Maggio

Représentation des lignes clés sélectionnées sur le bassin versant, Di Maggio L. (2023).

Pour parvenir à quantifier le potentiel du Keyline design, j’ai eu recours à une modélisation hydrologique. En effet, le temps de mise en place de ce type d’agriculture en condition réelle, avec tout le système d’acquisition de données, aurait été beaucoup trop long pour la durée de ce mémoire. La modélisation va permettre de construire plusieurs scénarios, pour pouvoir par la suite comparer les résultats avec et sans aménagement. L’implémentation des fossés-butées a été réalisée en modifiant simplement la topographie du terrain.  L’évaluation de l’efficacité passe par la comparaison sur les débits à la sortie du bassin versant (exutoire), la diminution de ruissellement sur le bassin versant, et les teneurs en eau dans le sol.

Les résultats montrent que l’aménagement en Keyline design réduit le ruissellement et les débits maximums en sortie de bassin versant. Les fossés ont permis une conduite efficace des eaux de ruissellement vers les zones de crête et une meilleure infiltration des eaux de surface. Ces aménagements ont également permis de favoriser une infiltration en profondeur et une capacité de subvenir aux besoins hydriques des plantes sur de plus longues périodes de sécheresse. Ce travail atteste qu’il y a bien un effet du Keyline sur les flux hydrologiques, cependant il est relativement faible.

Les pistes à creuser

Les résultats sont encourageants, cependant, il faudra à l’avenir passer par une quantification de leurs effets sur le terrain. Cela n’est pas chose facile, étant donné que c’est à l’échelle d’un bassin versant, cela passe par des propriétés privées, par des routes, par des champs ; il faut donc avoir l’accord de plusieurs parties. De plus, au-delà des effets face aux extrêmes hydrologiques, il serait intéressant de quantifier la performance multifonctionnelle des keylines. Des techniques de mesure en développement permettraient de quantifier par exemple, la santé des sols en Keyline pour évaluer la durabilité de cet agroécosystème ; ou encore les services écosystémiques de ce dispositif cultural. De plus, dans le cadre de ce mémoire, l’effet sur le long terme de ces aménagements n’est pas pris en compte. Les modèles hydrologiques utilisés ne sont pas conçus de façon évolutive. Pourtant, d’après les observations de terrains, l’effet des keylines serait d’autant plus bénéfique dans le temps. De surcroît, l’entretien concernant le curage des fossés ou le rehaussement des butées n’est pas budgétisé. Pourtant, une quantification de la charge d’entretien et du coût économique entraîné pourrait affiner l’étude du potentiel des keylines dans un contexte socio-économique.

En conclusion, les perspectives de recherche sont prometteuses et un nombre grandissant de scientifiques s’intéressent au sujet. Cependant, il n’y a pas de solution unique et il n’y a pas une alternative meilleure que les autres. Il existe autant de solutions que de contextes dans lesquels elles s’inscrivent. Le concept d’Hydrologie régénérative trouve son origine dans les pratiques d’acteur·trice·s liés directement aux terrains, comme en témoignent les expérimentations menées à travers le monde. Les connaissances transmises par ces acteur·trice·s, loin d’être opposées aux savoirs scientifiques, offrent un nouveau champ de connaissance issu d’une relation unique avec la nature (Idoux, 19997). Il s’agit d’avantage de compléter ces savoirs en favorisant des modalités de co-construction pour une meilleure compréhension et gestion du patrimoine naturel commun à toutes et tous.

À mes yeux, ce qui est le plus important à retenir du Keyline design se trouve dans ce rapport de l’humain à la nature, loin d’un contrôle de l’un sur l’autre. L’essentiel est de laisser une place suffisante à la nature pour s’adapter et être résiliente. En diminuant la pression sur celle-ci, on lui laisse la possibilité de se régénérer et de minimiser son impact sur notre société. L’impression de perte de contrôle, telle que celle ressentie lors des inondations, diminuera en conséquence. Il est important de construire cette réflexion en amont de tout projet concernant le territoire et d’impliquer dans le débat toutes parties prenantes; à savoir, les agriculteurs·trices, les propriétaires des terres, les scientifiques et les politiques. Nous devons garder à l’esprit que c’est à nous de faire preuve de créativité pour trouver des solutions durables et équilibrées, afin d’affronter les enjeux de demain.

 


Bibliographie

Di Maggio L. (2023). Quel est le potentiel de l’Hydrologie régénérative ? Modélisation sur un bassin versant agricole. Matheo.

IDOUX, A.M., BEAU, C., (1997). Savoirs paysans et savoirs scientifiques : à la recherche d’équilibre. Leçons tirées d’une centaine d’expériences liées à la vulgarisation agricole. Ed Charles Léopold Mayer. Fiches : 10, 11, 12, 17, 19, 20, 31, 43, 57, 63, 65, 66, 72, 89, 99.

Ponce-Rodríguez, M., Carrete-Carreón, F., Núñez-Fernández, G., Muñoz-Ramos, J., & Pérez-López, M.-E. (2021). Keyline in bean crop (Phaseolus vulgaris l.) for soil and water conservation. Sustainability (Switzerland), 13 (17). https://doi.org/10.3390/ su13179982

Rondeux, J. (2022). La résilience forestière, vocabulaire et concept. Les Infos de RND, (2ème Trimestre).

L’expérience de Manon, la mémorante belge qui nous accompagne dans l’Ancash (Pérou)

Manon, étudiante en master de Sciences de la Population et du Développement de l’Université Libre de Bruxelles s’est jointe à l’équipe d’Eclosio – Zone Andine le 4 septembre dernier.

Pendant les 3 prochains mois, dans le cadre du projet SAMA, Manon séjournera dans le district de La Merced à Aija (Ancash) et ira visiter des familles paysannes des communautés environnantes, en vivant avec eux et en écoutant leurs expériences, afin d’apprendre comment ils s’organisent pour gérer et utiliser l’eau.

Son travail aboutira à l’élaboration de sa thèse et contribuera à l’analyse des changements dans les structures organisationnelles et les rôles au sein des comités d’usagers de l’irrigation et des JAAS. Nous lui souhaitons bonne chance et beaucoup d’apprentissage pendant son séjour au Pérou.

« Depuis mon arrivée à La Merced, je me suis sentie très bien accueillie par la communauté locale, tout le monde est très gentil et hospitalier avec moi. Même si je ne suis ici que depuis deux semaines, je me sens presque chez moi. ☺️ Chaque jour est une nouvelle leçon, une découverte fascinante des traditions, du mode de vie, de la nourriture et de l’histoire de cette région. J’ai l’impression de vivre une immersion authentique dans la culture andine ! Je suis très excitée par toutes les expériences qui m’attendent dans les semaines à venir ! 🙌 », nous dit Manon.

Témoignage de Valentin sur son stage au Sénégal avec Eclosio et ULB-Coopération

Bonjour, je m’appelle Valentin Decamp, j’ai 33 ans. Je suis étudiant du master en sciences de l’éducation à finalité formation des adultes à l’Université de Liège. J’ai auparavant effectué un baccalauréat d’instituteur primaire. Je souhaitais poursuivre mes études afin d’en apprendre davantage sur la pédagogie et m’ouvrir de nouvelles portes pour par exemple travailler avec des adultes.

Ma mission principale était de concevoir et d’animer une formation sur la thématique du genre et sur l’indice A-WEAI, un indice qui calcule le niveau d’empowerment des femmes et des hommes dans le secteur de l’agriculture.

C’est donc dans le cadre mes études du master que j’ai saisi l’opportunité, lancée par Eclosio, d’effectuer un stage chez eux dont une partie à l’étranger au Sénégal. Ma mission principale était de concevoir et d’animer une formation sur la thématique du genre et sur l’indice A-WEAI, un indice qui calcule le niveau d’empowerment des femmes et des hommes dans le secteur de l’agriculture. Cette formation était à destination de membres sénégalais issus de deux ONG universitaires belges que sont Eclosio (ONG de l’université de Liège) et ULB-Coopération (ONG de l’université libre de Bruxelles), ainsi que de partenaires locaux. Celle-ci devait permettre à ces personnes de mieux s’approprier l’indice A-WEAI et de l’utiliser par la suite pour récolter des données.

Avant de revenir sur le déroulement de mon stage, je vais vous présenter brièvement cet indice Abbreviated Women’s Empowerment in Agriculture Index (A-WEAI). Celui-ci a été conçu notamment par l’International Food Policy Research Institute (IFRI) et testé dans différents pays par Feed the Future en 2011 et 2012. Cet indice est composé de cinq grands domaines d’empowerment : la production ; les revenus ; les ressources ; l’allocation du temps ; le leadership. Pour chacun de ces domaines, sauf pour les revenus où il y en a deux, un questionnaire a été conçu afin de récolter des données. Par exemple, pour le domaine de l’allocation du temps, les hommes et les femmes d’un même ménage décrivent une journée de 24h avec leurs activités respectives. Cela peut notamment permettre de comprendre la répartition de la charge de travail. Les objectifs poursuivis par l’utilisation de cet indice sont : de mesurer l’autonomisation, l’intervention et l’inclusion des femmes dans le secteur agricole ; d’évaluer l’autonomisation et la parité des sexes dans l’agriculture ; de recenser les principaux domaines dans lesquels l’autonomisation doit être renforcée ; de suivre les progrès réalisés dans le temps. En d’autres mots, les ONG qui souhaitent récolter des données avec cet indice pourraient, par la suite, mieux se rendre compte des différences entre les hommes et les femmes afin, si nécessaire, de repenser leurs actions dans le but de réduire certaines inégalités liées au genre.

Pour le domaine de l’allocation du temps, les hommes et les femmes d’un même ménage décrivent une journée de 24h avec leurs activités respectives. Cela peut notamment permettre de comprendre la répartition de la charge de travail.

Concrètement, ce stage a donc débuté en Belgique, en février et en mars 2023, à raison d’environ trois jours par semaine. J’ai travaillé un jour dans les bureaux d’Eclosio à Gembloux, un jour dans les bureaux d’ULB-Coopération à Bruxelles et un jour en télétravail. Cette première grande partie de mon stage en Belgique m’a permis, outre une recherche thématique concernant le genre et l’indice A-WEAI, de participer à des réunions et de découvrir le contexte organisationnel de ces ONG.

Je suis parti cinq semaines au Sénégal afin d’effectuer la deuxième grande partie de mon stage. C’est là que j’ai conçu de A à Z, puis animé, la formation « genre et indice A-WEAI ».

Départ pour le Sénégal - Stage Valentin Decamp

Par la suite, en avril et en mai, je suis parti cinq semaines au Sénégal afin d’effectuer la deuxième grande partie de mon stage. Durant celle-ci, j’ai eu l’opportunité de rencontrer les équipes locales au sein principalement des bureaux d’Eclosio dans la ville de Thiès. C’est là que j’ai conçu de A à Z, puis animé, la formation « genre et indice A-WEAI ». Cette formation fut d’une durée de quatre jours, le premier sur la thématique du genre et les trois autres sur l’indice A-WEAI. Il y avait une petite vingtaine de participants, ma maître de stage et moi-même. Nous avons passé ce temps ensemble afin de partager nos connaissances et expériences. Nous avons réalisé des jeux de rôles, des débats, nous sommes partis sur le terrain, nous avons rigolé, échangé, testé, nous nous sommes questionnés.

Ainsi, cette expérience de stage m’a, je pense, beaucoup apporté tant personnellement que professionnellement. Tout d’abord, personnellement, car elle m’a conforté dans l’idée d’effectuer le métier de formateur d’adultes. De plus, j’ai eu la chance de rencontrer de nombreuses personnes bienveillantes et intéressantes.

Formation pour adulte - Stage

Ce stage m’a permis de mieux percevoir la réalité de la profession de formateur d’adultes, ce qui peut quelquefois être assez éloigné des études universitaires où l’auditoire est un des espaces principaux dans lequel nous apprenons.

Enfin, j’ai été touché par la culture sénégalaise, par le sens de l’accueil, par une vision plus collective du vivre ensemble, qui je trouve peut nous faire défaut. Mais aussi, professionnellement, car ce stage m’a permis de mettre en pratique une partie de la théorie apprise durant mes cours de master. Également, de mieux percevoir la réalité de la profession de formateur d’adultes, ce qui peut quelquefois être assez éloigné des études universitaires où l’auditoire est un des espaces principaux dans lequel nous apprenons. Enfin, j’ai aussi pu mettre un pied dans le secteur de la coopération au développement, que je trouve riche, car au croisement de différentes disciplines et domaines.

Pour conclure, je suis en tout cas fier d’avoir pu proposer ce dispositif de formation et d’avoir je pense contribué humblement à l’utilisation de cet indice au sein de ces ONG. Je remercie les différentes personnes que j’ai rencontrées, que cela soit au Sénégal et en Belgique, elles m’ont permis de transformer ce stage en une magnifique expérience. Je garderai de très bons souvenirs de vous et des moments passés ensemble.

Valentin Decamp

Valentin Decamp - Stage Eclosio Sénégal

Suivez nos offres d’emploi et de stages via Linkedin ainsi que nos activités via facebook et instagram.

Découvrez aussi l’appel à Bourses de voyage 2024 de l’ARES (échéance : 13 novembre 2023).

Rions ! et Pensons ! L’engagement 2.0 – Analyse

 


Une analyse d’Alexia THOMAS, chargée de projets d’Education citoyenne Eclosio et socio-anthropologue en citoyenneté durable. 

Lire l’analyse en version PDF

Lire l’analyse en version word


Comment éveiller les consciences face à l’urgence climatique sans ajouter aux inquiétudes quotidiennes? Comment arriver à faire naitre une réflexion sur les enjeux actuels au plus grand nombre ? A ceux qui ne lisent plus les journaux, ne regardent plus les nouvelles, sont sur Spotify et n’écoutent plus la radio ? Comment dans ce monde où le nombre de personnes dépressives et anxieuses augmente de jour en jour1, garder le sourire ?

« Dans cette époque sinistre, la tâche qui nous [les humoristes] incombe de faire rire s’apparente plus à de la médecine d’urgence que du divertissement. » disait Blanche Gardin (humouriste) lors de son discours lors de la 31ième nuit des Molières en 2019.

Dans un article précédent, sur la question de l’anxiété climatique et le besoin d’une dose « saine » d’angoisse, nous nous étions demandé·es comment dédramatiser ce sentiment de culpabilité personnel lié aux diverses crises sociétales et plus précisément à la crise climatique. En effet, lors d’un échange fait en Tunisie en juillet 2023, sont ressorties beaucoup de réflexions autour de l’éco-anxiété et de l’incohérence de chacun·e quant à ses actions versus ses valeurs d’écologie et d’éthique pour un monde meilleur. Face aux préoccupations grandissantes quant à l’avenir, nous avions exploré différentes manières de voir les choses afin de décomplexer l’action climatique individuelle, et de respirer. Ces réflexions ont été le fruit d’un premier article2 et celui-ci prolonge le questionnement afin de réfléchir à la place de l’humour comme étant une solution potentielle à une diminution de la culpabilité individuelle et à l’éco-anxiété mais aussi afin de réfléchir à l’humour comme étant un moyen d’éveil, un lieu de conscientisation, d’apprentissage, de déclics et finalement : d’engagement.

Pour rappel, les moyens de trouver une dose « saine » d’anxiété et de dédramatiser l’angoisse grandissante chez les jeunes face à l’inaction climatique était qu’il est utile de se rappeler qu’il y a des notions d’échelle et d’ordre de grandeur à prendre en compte en termes d’empreinte carbone. Par exemple : prendre l’avion a un impact bien plus important que de manger de la viande plusieurs fois par semaine. Ainsi en calculant un peu ce qui est le plus polluant versus le moins, on peut se décomplexer de la tranche de saucisson mangée chez mamy à l’apéro du dimanche soir3.

D’autre part, on peut se délester d’une partie de notre culpabilité en regardant la part de responsabilité des politiques et des entreprises qui peuvent à eux seuls faire basculer les modalités de consommation et de vie des individus. « C’est important de ne pas s’hyper-responsabiliser, de n’endosser de responsabilités que ce sur quoi l’on peut agir. Il faut mettre de côté cette hubris d’impuissance pour se remobiliser ici et maintenant, à sa juste place, à son juste niveau. » 4 Il est important que la culpabilité ne soit pas principalement remise sur les épaules des individus, et ce, malgré ce que voudraient parfois faire croire les acteurs précités, premiers promoteurs de l’individualisation de la responsabilité d’action climatique.

Cet article quant à lui pose diverses questions : est-ce que les différents formats de l’humour promeuvent une dose « saine » d’anxiété nécessaire à l’action climatique de tous·tes (pas uniquement les individus) ? L’humour est-il inclusif et permet-il une réflexion de fond sur des enjeux sociétaux ? Quelles sont les limites à l’humour et quels sont les formats que prennent le « rire engagé » ? Dans cet article nous allons proposer une autre manière de se défaire du sentiment d’être coincé·es dans le piège du réchauffement climatique, héritage de l’activité humaine au nom du progrès de l’industrialisation, du capitalisme et perpétué encore et encore par un système de croissance continue dans un monde aux ressources finies … alors pourquoi ne pas en rire ? Le rire comme dernier rempart aux larmes ? Les jeux de mots fusent : « des larmes au rire, du rire aux armes », « trouble de l’humour », …on n’est pas seul·es à penser l’humour comme potentiel levier d’action ou en tout cas de réflexions engagées pour un monde meilleur. Pour nous aider à répondre aux questionnements posés, nous avons demandé à des jeunes étudiant·es leurs avis sur l’humour au moyen d’un micro-trottoir réalisé sur le campus de Liège le 7 septembre 2023.

L’humour, lieu d’apprentissage en légèreté

« Rire pour ne pas pleurer ! Le rire contre l’inaction climatique : c’est ce que proposent les internautes sur divers réseaux sociaux ces derniers temps. Face aux messages alarmistes sur l’environnement qui nous enferment dans une spirale de culpabilité, d’angoisse et de lassitude, le rire est devenu une nouvelle manière de s’informer sur notre planète. » Voilà un extrait d’un article de la RTBF5 (14 décembre 2022) qui note l’importance grandissante que prend le rire dans le discours autour des enjeux de société et plus spécifiquement autour des défis climatiques. L’humour que ce soit une bd, au théâtre, au cinéma, à la TV, sur les scènes de stand-up, sur YouTube, Instagram ou TikTok touche un public varié de jeunes et de moins jeunes issu·es de tous les milieux sociaux (les goûts varient mais tout le monde aime rire). On note dans ce passage également le lien qui est fait entre l’humour et les réseaux sociaux à l’heure actuelle. Nous avons interrogé des étudiant·es sur le campus de l’université de Liège en micro-trottoir : « Pour moi l’humour peut être un moyen d’engagement politique parce que sur les réseaux sociaux, il y a beaucoup de gens qui font de l’humour et qui ont beaucoup plus de visibilité puisqu’ils sont plus suivis et ça permet de faire passer différents messages à travers un support qui est à la base plus ludique et plus amusant à regarder qu’un simple discours pas très passionnant où tout le monde s’ennuie. »  Un autre jeune : « Je pense que l’humour c’est quelque chose qui nous touche en tant que jeune que ça pourrait faire passer des messages ou des leçons de vie et cetera. Par exemple, Jamel Debouze, il nous fait toujours passer des leçons bien avec ses sketchs. »

Effectivement de plus en plus d’humoristes se tournent vers les médias sociaux afin de se faire connaitre, remplir des salles, faire des vues et partager du contenu. « S’il [le stand-up] reflète bien notre époque, c’est parce que l’humour est un élément fondamental pour les millennials [la génération Y, soit les personnes nées entre 1980 et 2000]. Une étude de la chaîne Comedy Central montre que, plus que la musique, plus que le sport ou le style, l’humour est le premier moyen d’expression de soi, et c’est quelque chose de nouveau. On partage des liens de vidéos humoristiques car elles dévoilent qui on est. D’ailleurs, c’est intéressant de voir que l’humour s’adapte à ses moyens de diffusion. Cette étude, rapportée dans le New York Times, révèle aussi que l’humour absurde avait pris le dessus sur l’ironie, davantage associée à la génération précédente. »6 L’humour, qui existe depuis bien longtemps (si pas toujours, nous avons des preuves via les pièces de Diogène en Grèce antique, les fous du roi au Moyen-Age, …), présent sur les scènes de théâtres, à la radio, au cinéma, à la TV, s’est adaptés aux moyens contemporains. Ces moyens actuels lui servent de tremplins par leurs pouvoirs de diffusion et lui donne le vent en poupe surtout chez les jeunes qui sont sur les réseaux sociaux. Cela en fait également réceptacles de bons nombres de ce genre de messages. Messages qui peuvent être purement absurdes et ayant comme but unique de faire rire, ou alors encore qui, sous couvert d’une blague, font quand même passer une position, une opinion, une critique. Mais l’humour n’est pas réservé qu’aux jeunes « L’humour est une chose qui transcende la plupart des barrières. Il s’agit d’une unité commune, d’un concept compris par tous. (…) Y a-t-il des gens qui n’aiment pas rire ? » 7 L’humour rapproche et fait fit des différences d’âges, d’origines sociales, …

L’humour ça peut aussi amener un éclairage sur des sujets lourds avec fraicheur et légèreté.

Rire du patriarcat, du capitalisme, des inégalités, …  revient à les dénoncer et à vouloir faire bouger les mœurs. L’humour c’est « un ton qui permet de lutter contre l’éco-anxiété, mais aussi de participer à l’éveil des consciences. »8 « On est loin de faire juste une blague en faisant l’humour. On fait bien plus que ça quand on rit de Gilbert Rozon 9, par exemple. On fait bien plus que générer des rires quand on fait une blague sur les différences entre les hommes et les femmes » analyse Julie Dufort, professeure du cours Humour et société à l’École nationale de l’humour.10 On va donc au-delà des normes et on déconstruit. « Ainsi, Shifman et Lemish11 notent l’utilisation de l’humour dans un cadre postféministe qui s’oppose aux « inégalités genrées et à la stéréotypisation hégémonique » comme une expression de l’agentivité des femmes et de leur droit de critiquer les structures sociales. » 12 Et ça agirait sur le réel : « Les discours féministes sur la plateforme [Youtube] pourraient donc permettre de remettre en question les stéréotypes et les rôles traditionnels hiérarchisés attribués aux genres masculins et féminins, et ils pourraient avoir un impact sur les réalités et opportunités des femmes sur la plateforme et dans le monde réel. » 13

Des humouristes qui déconstruisent avec humour (par exemple le féminisme) ça fonctionne vraiment ? Exemple avec une blague qui fait rire et réfléchir avec un extrait d’un réel de Swann Périssé (humoriste engagée) : « L’autre jour j’étais dans le métro avec mon énorme sac à dos de voyage et mes rollers qui dépassaient. Je me suis rendue compte que je bousculais tout le monde. Je me suis dit « Tiens, je me rends pas compte de la place que je prends dans l’espace public ! » Et pendant un instant je me suis sentie comme un homme blanc non déconstruit ! Haha !

C’est donc ça que ça fait de ne pas prendre en compte les besoins des autres ? De faire comme si nous étions tous sur un pied d’égalité ? « C’est pas de ma faute, c’est la faute du sac à dos. » « Rholala c’est pas de ma faute si vous êtes pris les roues de mes rollers sur le visage ! Allez, Regardez un peu hein !  Mes rollers sont là, adaptez-vous à moi un peu ! » (…) » 14 . La vidéo est évidemment mieux que la retranscription mais vous avez l’esprit.

Quête d’identité

De plus en plus, les humouristes se branchent donc sur des sujets d’actualité afin de faire rire et créer une réflexion autour de sujets qui leurs tiennent à cœur tel que le féminisme, le racisme, l’écologie, les inégalités, l’éducation, … Ça en devient une marque de fabrique, une obligation ? Exemplification avec Blanche Gardin qui souligne cette tendance et qui est engagée dans de multiples causes. Voici un extrait de son spectacle « Bonne Nuit Blanche » -la vidéo15 est encore une fois évidemment mieux- “J’aimerais bien avoir une cause moi. Parce que je vois bien en plus la nouvelle génération les gens qui montent sur scène… Ils ont tous un truc à défendre : une identité, un truc. Et moi, j’ai rien, moi. Je, enfin, j’ai pas de spécificités. Je veux dire ; j’suis pas homo, j’suis pas trans, j’suis pas végan, j’suis pas poly amoureuse, j’suis pas obèse, j’suis pas noire, … Je suis même pas antisémite… J’suis rien du tout. (…) J’aimerais bien représenter un groupe. Je me dis que ça doit être bien de pouvoir dire « Nous c’est ça ! Nous c’est ça !… Et on souffre !! » Mais j’ai pas de… non.. Enfin si, oui, je représente un groupe… mais mon groupe est nul quoi. Mon groupe est désespérant quoi. Mon groupe je veux dire.. Les femmes blanches hétérosexuelles de 42 ans consommatrice d’anxiolytiques.. Bon ! C’est pas une identité. C’est un cercueil hein ! Je n’ai rien à vendre sur le terrain d’identité. » 16 Dans cet extrait, on lit bien l’importance grandissante des humouristes de défendre une cause, de représenter une identité et un combat. Elle parodie en faisant semblant qu’elle ne revendique rien, alors une partie de son spectacle revient à une association permettant la lutte au sans-abrisme et qu’elle est engagée dans la déconstruction des normes sociales en passant à la loupe et en questionnant la sexualité patriarcale, le viol, le mouvement #metoo, le célibat, l’écologie, la migration, … Elle utilise avec brio humour afin de soulever divers sujets de société ; « Je suis pas écolo. Ouais. Je suis pas écolo du tout. J’ai pas d’enfant moi, donc, pour moi la vie s’arrête à la mienne. Donc même si ça va un peu plus vite que prévu, j’aime pas le ski toute façon. (rires) (…) Non. J’aime pas le ski, parce que la dernière fois j’ai été au ski… seule. Est-ce qu’il y a quelque chose de plus triste au monde que d’aller au ski seul ? En dehors d’une maman érythréenne qui trouve plus son petit à l’arrière du zodiaque au milieu de la Méditerranée.. Je veux dire hein.. sur notre échelle de tristesse à nous. Je veux dire… c’est vrai, c’est chiant d’aller au ski seule. » 17 Son intonation et son humour noir permet de se rendre compte de l’absurdité de certaines situations qui méritent offuscation, prise de conscience et puis actions (ex : c’est un problème de riches de se préoccuper de ne plus pouvoir aller skier à cause du réchauffement climatique alors qu’on laisse mourir des gens dans la Méditerranée). Blanche Gardin a d’ailleurs refusé de prendre part au programme « LOL : Qui rit sort ! » d’Amazon en revendiquant justement que l’humour était engagé et que ce n’était pas en accord avec ses valeurs de participer. Vous trouverez une retranscription de son post qui explique son choix, drôle et éducatif en Annexe 1.

Humour noir : provocateur oui. Mais pas que…

Le type d’humour utilisé ici est dit « noir » définit par Wikipédia comme étant « L’humour noir est une forme d’humour qui souligne avec cruauté, amertume et parfois désespoir l’absurdité du monde, face à laquelle il constitue quelquefois une forme de défense. Faisant généralement appel à l’ironie et au sarcasme le plus violent, il doit être parfaitement maîtrisé pour ne pas être confondu avec de la simple grossièreté ou de la méchanceté gratuite.« , ce genre d’humour est particulièrement prisé car il permet justement de tourner au comique les situations dramatiques de ce monde. Il n’est pas sans risque car il peut être mal interprété mais qu’on l’apprécie ou pas, il permet une mise en avant des incohérences et de l’absurdité du monde. Il provoque quelque chose et au-delà de choquer, ce type d’humour vise à être générateur de réflexions.

Un des jeunes interrogés nous dit : « L’humour noir fait tout le temps réfléchir. L’humour noir ça traverse l’esprit et c’est un peu le concept que ça choque souvent. » Et à la question de savoir si l’on peut rire de tout, il nous répond « Moi je suis croyant et j’ai pas de problème à dire que j’ai pas envie qu’on rigole de ma religion. »

Humour et transgressions des codes

L’humour semble donc être le tremplin parfait pour aborder des questions de sociétés de par la liberté laissée aux stand-uppers à aborder tous les sujets qu’ils·elles souhaitent. « Liberté » car dans l’humour, ce dont on peut rire et ne pas rire reste sujet à controverses, cela dépend beaucoup du vécu de chacun. « Si les dirigeants ont toujours tenu l’humour à l’œil, c’est justement parce qu’il peut être utilisé pour pointer leurs incohérences et convaincre les gens. Car l’humour génère des émotions.» 18 Historiquement, la naissance du stand-up est née dans un entremêlement d’humour et de privation de liberté. « Parmi les pionniers de cet art oratoire profondément américain, on rencontre la figure d’un homme en costume cintré et aux yeux de félins : Lenny Bruce. Il émerge à la fin des années 50 (…). Marqué par le jazz, la Beat Generation, le sexe et la boucherie que fut la Seconde guerre mondiale, Bruce torpille dans ses sketchs la morale hypocrite, la ségrégation raciale, et un certain ordre du discours. La télévision, alors en plein essor, le fait connaître au niveau national, mais son style et ses propos percutent assez vite les codes établis de l’Amérique puritaine des jeunes années 60. À l’époque, le crime d’obscénité règne. Il condamne toute œuvre qui susciterait l’excitation sexuelle. Une guerre juridique empoisonne dès lors la vie de Lenny Bruce : arrestations en plein spectacle, rapports de police, séjours en prisons et procès interminables. » 19 Lenny Bruce lance donc une nouvelle modalité qui bouscule les normes, le stand up. Défini par Le Robert comme étant un : « Genre de spectacle, né à la fin du xixe siècle aux États-Unis, au cours duquel un humoriste s’adresse au public directement, sans accessoires ni personnages, d’une manière spontanée, quasi improvisée ; spectacle de ce genre. La vie quotidienne est l’un des thèmes de prédilection des stand-ups. » 20 Ainsi se présente sur scène quelqu’un qui partage avec humour, en tournant au ridicule ou à la (auto)dérision, des situations du quotidien en passant parfois par une critique de l’actualité. Ce qui n’est pas pour plaire à tous. En effet, à ces débuts il était fort controversé de rire de certaines choses. Ça l’est encore. Un autre jeune interrogé nous dit « On ne peut pas rire de religion, peu importe laquelle, qu’il faut respecter les croyances. »

Mais certains résistent et affirment que l’on peut rire de tout (Blanche Gardin, Ricky Gervais par exemple). Ce format d’humour qu’est le stand-up, a le vent en poupe dans les milieux francophones se développe à la vitesse VV’ car justement décloisonne l’humour de milieu tel que le théâtre, le cinéma dont l’accès n’est pas toujours démocratique. Le stand-up rend accessible l’humour à un plus grand public et ce encore davantage grâce aux moyens de communications modernes (radio, tv, internet, …). Au-delà du public plus vaste, les protagonistes changent également ainsi « la parole change de camps ». Le stand-up représente dès lors un lieu où la parole se donne de plus en plus à des personnes issues des marges à qui on ne donne pas forcément la parole ailleurs. « Longtemps dominé par la présence masculine blanche, le stand-up se veut aujourd’hui beaucoup plus inclusif, voire intersectionnel, cherchant ainsi à s’adresser à l’ensemble de la société. »21 « Nelly Quemener, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’Université de la Sorbonne de Paris, retrace dans son livre « Le Pouvoir de l’humour » les évolutions du rire dans les médias français de 1980 à nos jours. Avec l’émergence du stand-up comme scène d’affirmation par et pour les minorités ethniques et l’irruption d’humoriste-femme interrogeant les normes masculin/féminin, l’humour est devenu au cours des années 2000 une arme politique pour les subalternes et un moyen de lutte contre les hégémonies culturelles dominantes. »22 

En France, en Belgique, au Canada, nombreux·ses sont celles et ceux qui jouent avec l’humour afin de générer de la curiosité sur divers enjeux : @lejeuneengagé, @louannemanshow, Fanny Ruwet, Claudine Mercier, Paul Mirabel, Marina Rollman, Kyan Kojandhi, « et tout le monde s’en fout », Tahnee, Mahaut Drama, Lou Trotignon,…  Swann Périssé fait parler d’elle. Stand-uppeuse, youtubeuse, influenceuse, … féministe, écolo engagée, elle cherche à sensibiliser et influencer par son humour. Extrait d’un épisode du podcast du « clic d’Alix » avec Swann où elle parle de sa chaine « Vert chez vous » -chaine où elle parle d’écologie- : « J’aime bien avoir une chaîne tout public [d’humour ‘Swann Périssé’]. Ben comme ça on rigole tous ensemble et au fur et à mesure, vu que ça infuse tout ce que je fais l’écologie, ils [les auditeurs] se disent : « Ah bah elle me fait rire genre, je crois qu’elle est écolo ». Donc ils regardent et tout à coup ils trouvent ce 2e réseau (Vert chez vous) et y’en a plein qui se disent « Attends, je kiffe cette meuf ! Elle me fait taper des barres ! Ah, mais en plus elle est écolo ! Ah tiens c’est vrai qu’on peut avoir un composteur chez soi ! Ah il faut réduire l’avion pour être plus écolo ? Ah je peux manger du chocolat sans me sentir coupable mais il faut que je réduise la voiture » (histoire genre qu’ils aient des notions d’ordre de grandeur) et là je me dis que j’ai réussi ma vie quoi ! » On voit donc bien l’intention affichée de conscientiser par son humour à des enjeux qui lui tiennent à cœur afin de lier l’utile à l’agréable.

L’humour comme moyen de rire et comme moyen d’influence.  « Le stand-up intègre une dimension d’expérimentation, pour créer une émotion. Il peut être une forme d’art très transgressive, car très risquée et très incarnée. Ce qui est formidable, c’est qu’on sait tout de suite si cela marche ou pas, si le public rit ou pas. Il me semble aussi que ce genre est à la pointe des débats qui traversent l’Amérique et incarne les valeurs les plus avant-gardistes, en particulier sur les questions de race, de sexualité, de drogue… Et puis, il transforme la vie des gens, ce qui peut être l’un des critères de définition d’un art. »23  Ce moyen d’allier humour et activisme peut entrer dans la définition du néologisme d’ARTIVISME : Activisme s’appuyant sur des actions artistiques.24 Au final, l’humour est un art à part entière où, comme le dadaïsme25 qui joue avec la provocation, l’humour va également provoquer et tourner à la rigolade des situations absurdes du quotidien qui au final mérite une réflexion.

Les limites de l’humour

Mais attention car la ligne est fine afin d’être drôle. On se souvient du présentateur Tex qui s’est fait viré après avoir fait une blague26 «

de mauvais gout » sur les femmes battues. Il s’agit de comprendre qui fait la blague, dans quel contexte et avec quel « background ». Une jeune lors de notre micro-trottoir souligne ceci. « Je trouve qu’il faut par contre faire attention avec l’humour que dans certains cas, il y a certains types d’humour qui sont mal placés. Si on regarde en politique et qu’on voit ce que les partis de droite ou d’extrême droite et les choses qui sont dites sur un ton soi-disant humoristiques mais au final ça ne passe pas très bien parce que ça critique certaines personnes ou quoi. » Une autre complète : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. Je pense que tous les sujets peuvent être abordés avec humour. Après ça dépend la manière dont s’est fait. Il faut que ça soit humoristique, mais toujours avec un minimum de respect quand même. Il y a une jauge à avoir et c’est pas toujours facile. Mais voilà, en fonction du public aussi il y a des trucs à adapter. Ça dépend par qui s’est fait et dans quelle idée quoi, mais parfois ça peut être abusif et voilà, faut faire attention. »

L’humour est basé sur les traditions de nos sociétés et tord les coutumes pour créer une tension qui se relâchera par un rire grâce à l’inattendu.27 L’humour est dès lors très culturel et subjectif, et demande une connaissance des codes sociétaux. Chaque culture a ses propres codes et les codes de l’humour sont les mêmes : rire de ses codes là, pour aller au cœur des problèmes de sociétés. On n’a pas tous le même humour. Doit-il critiquer ou juste divertir ? Cette question a fait l’objet d’une chronique sur France Inter avec la directrice de France Inter (Laurence Bloch) et le directeur des programmes (Yann Chouquet). Mme Bloch dit ceci : « L’humour est la chose la moins bien partagée du monde. Ce qui vous fait rire ne fait pas forcément rire votre voisin parce que vous n’êtes pas à la même place. Il y a mille façons d’être drôle : il y a la poésie toujours très fraternelle de François Morel, le côté très « salle de garde » qui exaspère de Daniel Morin, le côté plus surréaliste de Chris Esquerre, et la caricature et la satire, les fous du roi que doivent être les humoristes. La limite que je mets c’est la loi et la jurisprudence. Les personnalités politiques et publiques ont besoin de leurs fous du roi. L’humoriste doit-il avoir une limite ? C’est la question de la liberté de pensée. Ce ne sont pas les sentiments et les ressentis mais la loi qui limite. » 28 Elle souligne que le fait « rire de quelque chose qui fait mal le rend moins douloureux » et qu’il faut avoir le courage de déplaire, la permission absolue d’être imprudent. Le glissement possible est quand la méchanceté remplace l’humour alors c’est le dérapage, mais le rire est le signe d’une société démocratique qui arrive à prendre du recul. Cet argument de l’humour comme signe d’un état démocratique est également repris dans la vidéo dédiée à l’humour de « Et tout le monde s’en fout »29 où ils mettent en avant l’autodérision comme moyen de prendre du recul et donc de prendre de meilleures décisions. Ils notent que l‘humour est un baromètre démocratique car l’interdiction de l’humour est une manière d’être totalitaire.

Illustration analyse Alexia Thomas

Conclusion

En conclusion, on peut voir que l’humour a sa place à part entière dans l’engagement pour des causes variées selon les enjeux/combats de chacun. L’humour est un moyen utile et même nécessaire, qui rassemble jeunes et moins jeunes grâce à des formats et des styles différents : du théâtre au podcasts, en passant par les réseaux sociaux, les films, les petites vidéos, le standup, l’improvisation, les sketchs, l’ironie, le comique de situation, la caricature, la satyre… … de plus en plus d’humouristes s’attèlent à faire rire toute en éclairant certains sujets de société. Ce doux alliage déride et donne un autre gout à la crise climatique, donne envie d’en savoir plus et parfois donne envie de passer à l’action. Sous couvert d’une blague peut-être que certains finiront par comprendre que certaines habitudes mettent en péril la vie des générations futures … encore faut-il trouver le phrasé. C’est tout un art.  « Au-delà du rire, des humoristes veulent aussi faire réfléchir »30 Et cet art est d’autant plus précieux qu’il permet de relativiser, de relâcher la pression que beaucoup ressentent quant à l’urgence climatique qui est anxiogène à juste titre. Le fait de pouvoir avoir un lieu de décompression, de rires, de critique satirique, de joie est de plus en plus comme le disait Blanche Gardin : une urgence médicale.

 


Notes :

¹ « La détresse augmente partout dans le monde, et ce n’est pas dû à la pandémie de Covid-19, relèvent des chercheurs. Entre 2009 et 2021, les signalements de stress, tristesse et inquiétude sont ainsi passés de 25 à 31%, soit une augmentation d’un quart, souligne Michael Daly, premier auteur de l’étude parue dans la revue PNAS et chercheur au département de psychologie de la Maynooth University (Irlande). » GAUBERT C., mars 2023, Sciences et Avenir, [en ligne :] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/la-sensation-de-detresse-augmente-partout-dans-le-monde-et-ce-n-est-pas-a-cause-du-covid-19_170325 , consulté le 2 septembre 2023.

2 THOMAS Alexia, Eco-LOCO ou la question de la cohérence : https://www.eclosio.ong/publication/etre-eco-loco-ou-la-question-de-la-coherence-analyse-deducation-permanente/

3 Cet article est à prendre avec humour, bien entendu. « Practice what you preach. », « Walk the talk » On n’est pas juste là à perpétuer les stéréotypes sur la société, on en rigole pour les déconstruire 😉

4 Alice Desbiolles, médecin de santé publique, épidémiologiste et autrice de L’éco-anxiété, vivre sereinement dans un monde abîmé (Fayard, 2020).

5 « Le rire, l’arme des réseaux sociaux contre le changement climatique », RTBF, 14 décembre 2022, [en ligne :] https://www.rtbf.be/article/le-rire-l-arme-des-reseaux-sociaux-contre-le-changement-climatique-11122938, consulté le 31 août 2023.

6 GOURDON J., « «Le stand-up peut être une forme d’art très transgressive», Libération, 21 avril 2015, [en ligne :] https://www.liberation.fr/cinema/2015/04/21/le-stand-up-peut-etre-une-forme-d-art-tres-transgressive_1256735/, consulté le 31 aout 2023.

7 TARVIN A., « The Skill of Humor », Juin 2017, [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=MdZAMSyn_As consulté le 12 septembre 2023.

8 OTTER M., « L’humour contre l’éco-anxiété : « rire de l’urgence, c’est avoir l’illusion de prendre le pouvoir sur le réel », Nouvel Obs, Avril 2023, [en ligne :] https://www.nouvelobs.com/ecologie/20230401.OBS71622/l-humour-contre-l-eco-anxiete-rire-de-l-urgence-c-est-avoir-l-illusion-de-prendre-le-pouvoir-sur-le-reel.html, consulté le 4 septembre 2023.

9 Fondateur du festival « Juste pour rire » au Québec.

10 FRAGASSO-MARQUIS V., « Au-delà du rire, des humoristes veulent aussi faire réfléchir », La Presse, Décembre 2017, [en ligne :] https://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/humour-et-varietes/201712/09/01-5146525-au-dela-du-rire-des-humoristes-veulent-aussi-faire-reflechir.php consulté le 12 septembre 2023.

11 Limor Shifman et Dafna Lemish, « “Mars and Venus” in Virtual Space: Post-Feminist Humor and the Internet», Critical Studies in Media Communication 28, no 3 (août 2011): 253 73, https://doi.org/10.1080/15295036.2010.522589.

12 Marée, Constance. Quelque part entre féminité traditionnelle et féminisme… Analyse des stéréotypes genrés au sein de la chaîne Youtube MadmoiZelle. Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Université catholique de Louvain, 2019. Prom. : De Cock, Barbara.

13 « (…) Les discours féministes sur la plateforme pourraient donc permettre de remettre en question les stéréotypes et les rôles traditionnels hiérarchisés attribués aux genres masculins et féminins, et ils pourraient avoir un impact sur les réalités et opportunités des femmes* sur la plateforme et dans le monde réel. Le discours politique féministe sur Youtube possède de ce fait une potentielle double portée : il connaît une possibilité d’impact sur les autres utilisateur·trice·s et sur leurs idées mais il peut également constituer les vidéastes féministes en tant que sujets, en tant qu’actrices de leur propre lutte, mettant en action leur pouvoir d’agentivité. La création de ces contenus féministes peut en effet représenter une forme d’agency pour les militant·e·s, de prise de parole et d’empowerment des femmes* en général au sein des espaces numériques encore sexistes, et influencer ainsi les destinataires des messages. » Marée, Constance. Quelque part entre féminité traditionnelle et féminisme… Analyse des stéréotypes genrés au sein de la chaîne Youtube MadmoiZelle. Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Université catholique de Louvain, 2019. Prom. : De Cock, Barbara.

14 PERISSE S., « Tu parles trop Judith », juin 2022, [en ligne :]  https://www.instagram.com/reel/CeVwvQqAi4C/  consulté le 12 septembre 2023.

15 Extrait de « Bonne Nuit Blanche », Blanche Gardin, 2019, [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=KN_QbEpibl8 consulté le 2 septembre 2023.

16 « Bonne Nuit Blanche » de Blanche Gardin spectacle de 2019.

17 Extrait de « Bonne Nuit Blanche », Blanche Gardin, 2019 [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=KN_QbEpibl8 consulté le 2 septembre 2023.

18 « Et tout le monde s’en fout #66 -L’humour-», décembre 2020, [en ligne :]  https://www.youtube.com/watch?v=9f3Mc25mg9k , consulté le 12 septembre 2023.

19 « Lenny Bruce (1925 – 1966), pionnier et martyr du stand-up », France Culture, 30 juillet 2023, [en ligne :] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/toute-une-vie/lenny-bruce-1925-1966-pionnier-et-martyr-du-stand-up-6046767 consulté le 31 août 2021.

20 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/stand-up#:~:text=D%C3%A9finition%20de%20stand%2Dup%20%E2%80%8B,improvis%C3%A9e%20%3B%20spectacle%20de%20ce%20genre

21 « Culture Urbaine » Théâtre National, [en ligne :] https://www.theatrenational.be/fr/group/3346-culture-urbaine , consulté le 31 août 2023.

22 « L’humour des minorités contre les hégémonies culturelles », Agir par la Culture, Printemps 2017,  [en ligne :] https://www.agirparlaculture.be/l-humour-des-minorites-contre-les-hegemonies-culturelles-entretien-avec-nelly-quemener/ consulté le 31 août 2023.

23 GOURDON J., « Interview de Miriam Katz : Le stand-up peut être une forme d’art très transgressive », Libération, Avril 2015, [en ligne :]
https://www.liberation.fr/cinema/2015/04/21/le-stand-up-peut-etre-une-forme-d-art-tres-transgressive_1256735/, consulté le 31 août 2023.

24 Dictionnaire https://langue-francaise.tv5monde.com/decouvrir/dictionnaire/a/artivisme , consulté le 31 août 2023.

25 « Le dadaïsme est un mouvement intellectuel et artistique qui apparut à New York et à Zurich (1916), se diffusa en Europe jusqu’en 1923 et exerça, par sa pratique subversive, une influence décisive sur les divers courants d’avant-garde. Dada, mouvement international d’artistes et d’écrivains, est né d’un intense dégoût envers la guerre qui signait à ses yeux la faillite des civilisations, de la culture et de la raison. Terroriste, provocateur, iconoclaste, refusant toute contrainte idéologique, morale ou artistique, il prône la confusion, la démoralisation, le doute absolu et dégage les vertus de la spontanéité, de la bonté, de la joie de vivre. » Larousse, [en ligne :] https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/mouvement_dada/115416 , consulté le 12 septembre 2023.

26 « Que dit on a une femme qui a un œil au beurre noir ? bah plus rien, on vient de lui expliquer. » avait donc dis Tex. Blague qui lui coutera son poste.

27 TARVIN A., « The Skill of Humor », Juin 2017, [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=MdZAMSyn_As , consulté le 12 septembre 2023.

28 « L’humour Inter : peut-on rire de tout ? », Le rendez-vous de la médiatrice, France Inter, 21 décembre 2018, [en ligne :] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-rendez-vous-de-la-mediatrice/l-humour-inter-peut-on-rire-de-tout-5067693 , consulté le 12 septembre 2023.

29 « Et tout le monde s’en fout #66- l’humour », décembre 2020, [en ligne :] https://www.youtube.com/watch?v=9f3Mc25mg9k , consulté le 12 septembre 2023.

30 FRAGASSO-MARQUIS V., « Au-delà du rire, des humoristes veulent aussi faire réfléchir », La Presse, Décembre 2017, [en ligne :] https://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/humour-et-varietes/201712/09/01-5146525-au-dela-du-rire-des-humoristes-veulent-aussi-faire-reflechir.php , consulté le 12 septembre 2023.

 


Annexe 1. Blanche Gardin refuse de participer à LOL Qui sort ! saison 4 et explique pourquoi (20 avril 2023):

« Très très cher Monsieur Bezos,

Je suis au regret de devoir refuser votre invitation à participer à la prochaine saison du jeu « LOL : Qui rit sort ! » diffusé sur votre plateforme d’Amazon. J’ai bien compris qu’il ne s’agissait que d’une seule journée de tournage, seulement voilà, ce jour-là, j’ai dentiste. Et, en tant que troisième fortune mondiale, vous le savez, il faut de bonnes dents bien longues pour réussir dans ce monde.

Il se trouve aussi que je serais gênée aux entournures (pour ne pas dire que ça me ferait carrément mal au cul) d’être payée 200 000 euros pour une journée de travail même si je perds à votre jeu, quand l’association caritative de mon choix remporterait, elle, 50 000 euros, c’est-à-dire 4 fois moins, et encore, seulement si je gagne.

Oui, ça me gêne de toucher, pour 8 heures de travail, cette somme affolante de la part d’une entreprise qui :

– Ne paye pas ses impôts en France et bénéficie même d’1 milliard d’euros de crédit d’impôts alors qu’elle fait 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

– Qui émet 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an (soit l’équivalent des émissions du Portugal) seulement avec ses data centers, sans parler des milliers de camions, d’avions…

– Qui utilise la main-d’œuvre des camps de concentration ouïghours.

– Qui détruit les emplois du petit commerce et toute la vie sociale qui va avec.

– Que les emplois qu’elle crée en détruisant d’autres sont des emplois éreintant dans des entrepôts déshumanisés, où on traite les employés comme des robots qu’on essore en leur mettant une pression folle avec des cadences infernales et qu’on empêche de se syndiquer…

Tout ça pour quoi ? Pour qu’on puisse commander des couches pas chères depuis notre canapé en se grattant les couilles. Oui, ça me gêne.

D’autre part, en tant qu’actrice et auteure de films, je caresse le rêve un peu fou que mes futurs projets puissent sortir dans une salle de cinéma. J’ai bien conscience que le niveau de dissonance cognitive est très élevé à notre époque, mais vous conviendrez que faire de la publicité pour votre plateforme (puisque c’est de cela qu’il s’agit je crois) reviendrait à me tirer une balle dans le pied. Je n’ai pas envie que dans dix ans plus personne n’aille au cinéma et qu’on soit tous en train de mater des séries sur le canap’ en se faisant livrer des burgers par des sans-papiers qui pédalent sous la pluie.

Si toutefois, me lisant, vous tombiez des nues, ou de l’espace (je connais pas votre emploi du temps ces jours-ci) en découvrant des choses dont vous n’étiez pas au courant et qui vous peinent, et que ça vous donne envie de repenser entièrement votre entreprise, alors peut-être que vous pourriez me réinviter ultérieurement. Et que je pourrais accepter. Lol. »

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques