Voix Solidaires (UniverSud) #07 – Poubelles : mines modernes

Des métaux précieux dans les déchets électroniques aux matières biodégradables dans les déchets ménagers, nos poubelles regorgent de richesses qui, grâce à l’innovation technique, sont de plus en plus exploitées. Le déchet recyclé redevient « matière première »et prend de cette manière le tournant du développement durable. Pourtant, ces richesses potentielles soulèvent de nouveaux enjeux entre le Nord et le Sud : si le phénomène « Afrique poubelle de l’Europe » a été, à juste titre, dénoncé, les métaux précieux présents dans les déchets électriques et électroniques changent la donne. On constate alors une inversion du sens du flux : les GSM cassés et autres déchets précieux sont envoyés par conteneurs de l’Afrique vers l’Europe. Un phénomène qui risque de créer une nouvelle forme de captation des richesses du Sud par le Nord. Pour que le développement durable soit aussi solidaire, il faudra que le Nord partage ses secrets d’alchimiste.

Voix Solidaires (UniverSud) #09 – Femmes & Hommes, à égalité?

Si, depuis quelques décennies, la place des femmes a sensiblement évolué dans notre société, celles-ci sont encore loin d’être à l’égal des hommes. Dans le dossier de ce Voix Solidaires nous faisons le point sur ce qu’est une approche genrée, nous analysons les différences dans les trajectoires de carrière des femmes et des hommes à l’Université, enfin, nous explorons, à travers les parcours de migrantes sud-américaines et les projets de lutte contre la malnutrition, comment une approche qui tient compte des positions spécifiques des deux sexes peut être un levier pour résorber les inégalités entre eux mais également entre le Nord-Sud.

Voix Solidaires (UniverSud) #08 – L’économie pour tous

Dans ce numéro, vous découvrirez l’histoire de ces travailleurs qui pilotent ensemble leur entreprise, de ces communautés qui créent des caisses de solidarité pour que les personnes malades puissent se soigner, des entrepreneurs qui créent des chaines commerciales pour que notre consommation d’ici ne soit pas mortifère pour ceux de là-bas. Ce ne sont que quelques exemples. Tous, nous avons entendu parler et participons à des projets qui nous permettent de reprendre le contrôle sur nos activités de production, d’échange et de consommation, les rendant davantage en cohérence avec nos aspirations à un monde plus juste et construisant l’économie telle qu’elle devrait toujours être : sociale et solidaire.

Voix Solidaires (UniverSud) #10 – Justice migratoire

Politiques des fermetures des frontières et rejet de l’Autre ne sont pas une fatalité. Une société fondée sur des valeurs d’accueil, d’hospitalité qui met la dignité humaine au centre des politiques publiques est possible.

Espace vert et implication citoyenne

publié par UniverSud en Septembre 2016

Les vertus attribuées aux espaces verts urbains sont multiples. Sur le plan environnemental, on peut évoquer la promotion de la biodiversité ou une action positive sur la régulation du climat local et sur le cycle de l’eau. En outre, le végétal contribue largement à la qualité du paysage urbain. Les espaces verts, même dans leurs plus simples expressions, répondent également à des besoins sociaux. Promenade, jeu, rencontre ou flânerie et manifestions drainant un large public offrent un cadre à différentes formes de vie sociale, des plus intimes aux plus collectives.

L’espace vert contribue ainsi fortement à la qualité de vie en ville. Il est d’ailleurs très souvent plébiscité dans les projets urbains ou défendus par les habitants lorsqu’il est menacé. Il représente un véritable enjeu citoyen. En ce sens, il peut devenir outil de cohésion et d’émancipation sociale.

Nous allons tenter de montrer dans cet article comment l’espace vert, au-delà des besoins sociaux auxquels il répond, peut offrir l’opportunité à l’usager de devenir acteur de la fabrique urbaine.

A travers des exemples, nous explorerons trois modes d’implication des citoyens dans la conception et la gestion des espaces verts.

Quand les citoyens sont invités à participer à la conception

A côté des formes de participation habituelles (enquêtes publiques, réunions d’information, etc.),  se développent des démarches plus dynamiques et inclusives, tendant vers la co-construction mais touchant aussi des publics plus  fragilisés sur le plan socio-économique et culturel.

Programmation participative d’un ensemble d’espaces verts à Ixelles

Photos : Ixelles_Sceptre_1 et Ixelles_Sceptre_2

Crédit photographique : Collectif ipé

Dans le cadre d’un Contrat de quartier[1], la Commune d’Ixelles a programmé la création ou le réaménagement d’un ensemble d’espaces verts. Ces opérations n’ayant pu être discutées avec les habitants dans le cadre du projet de rénovation urbaine, faute de temps, le pouvoir communal a mandaté un bureau d’étude pour affiner la programmation avec la population. L’enjeu était de mobiliser le public en touchant aussi des citoyens qui, habituellement, ne s’impliquent pas spontanément dans ce type de démarches. Dans cette perspective, le bureau d’étude a mis sur pied différents actions dans l’espace public, des « balades-diagnostic », divers groupes de travail, etc.

La participation des habitants a favorisé l’émergence d’un projet bien ancré dans la réalité du quartier. Ainsi, par exemple, le manque de liaisons piétonnes entre le haut et le bas du quartier a été relevé par la population, ce qui a mené à la création d’un « parc système » mettant en lien les différents espaces verts par les talus de chemin de fer.

Dans ce premier modèle d’implication citoyenne, la demande émane donc des pouvoirs publics qui, avec ou sans le soutien d’un bureau d’étude, organisent le processus participatif dans un cadre défini. Cette démarche est potentiellement porteuse de plus-value directes, évaluables à relativement court terme, dans la mesure où elle favorise la conception d’espaces en adéquation avec les besoins des habitants et dès lors mieux appropriés par ceux-ci. Mais au-delà, la participation des habitants à la conception de leur cadre de vie leur donne l’opportunité d’exercer leur citoyenneté, ce qui est source d’émancipation.

Toutefois, ce type de processus a ses limites. En effet, il ne naît pas nécessairement d’un besoin ressenti  par la population, ce qui contraint parfois à déployer beaucoup d’énergie pour mobiliser un public qui ne se sent pas d’emblée concerné. Par ailleurs, le cadre (budget, temporalités, lieu d’intervention, etc.) est prédéterminé, limitant ainsi la marge de manœuvre des citoyens.

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Quand les projets citoyens sont suscités et soutenus par les pouvoirs publics

A côté des processus plus classiques, il existe des politiques urbaines qui créent un cadre pour soutenir des projets d’initiative citoyenne. Le contexte est alors favorable à une meilleure appropriation et une implication dans la durée. La Région de Bruxelles-Capitale organise plusieurs appels à projet dans cet esprit.

Appels à projet en Région de Bruxelles-Capitale

Photos : Appel_a_projets_1  et Appel_a_projets_2 (au choix)

Depuis plusieurs années, la Région de Bruxelles-Capitale lance annuellement des appels à projets citoyens, aujourd’hui regroupés sous l’appellation « Inspirons le quartier »[2]. Ceux-ci visent ou permettent des actions de verdurisation de la ville : création de potagers ou de vergers, plantations dans l’espace public, aménagement de petits espaces verts de quartier, etc.  Les groupes d’habitants bénéficient d’un subside mais aussi d’un accompagnement et d’une expertise technique pour mettre en œuvre leurs idées. Le bénéfice de ces projets se veut environnemental mais aussi social ; l’initiative doit être collective et devient ainsi lieu d’interactions.

 

Les projets développés dans ce cadre sont souvent modestes mais lorsqu’ils se multiplient dans l’espace et dans le temps, leurs impacts dépassent clairement le contexte local : ils deviennent une réalité à l’échelle de la ville. De plus, ces appels à projets soutiennent la mise en réseau des projets, donnant ainsi aux citoyens l’occasion d’établir des synergies, de collaborer et d’imaginer de nouveaux projets.

Ce mode d’implication des citoyens a l’avantage de favoriser une participation par l’action (jardiner par exemple) ce qui permet d’inclure un public moins à l’aise dans la prise de parole en public inhérente à la plupart des processus participatifs. Par ailleurs, ce type d’approche met à profit la créativité de la population ; le citoyen est partenaire de la fabrique de la ville. Toutefois, cet atout a des revers… La limite entre valorisation et récupération est parfois floue. Les pouvoirs publics peuvent être tentés de se décharger de leurs propres responsabilités en délégant aux citoyens une partie de leurs prérogatives. Enfin, la définition de critères par les pouvoirs publics, si elle a l’avantage de faire coïncider les initiatives citoyennes avec des objectifs plus larges, exclut des initiatives pourtant parfois porteuses d’innovation ou certains citoyens qui n’ont pas les codes pour rentrer dans de telles démarches.

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Quand l’initiative est citoyenne et suscite l’émergence  de nouveaux cadres de référence

Dans certains projets, ce sont les citoyens qui sont à l’initiative et agissent en dehors de tout cadre, dans un contexte plus ou moins polémique. Ils obligent ainsi les pouvoirs publics à se positionner,  à bouger, à innover et contribuent de ce fait à la création de nouveaux modèles. L’implication citoyenne est alors importante  puisque les habitants et acteurs locaux eux-mêmes sont les moteurs du projet.

If you eat you’re in [3] : les Incredible edible à Todmorden   

Photos : IET_1 et IET_2

Crédit photographique : IET community team

Incredible Edible est une action communautaire qui consiste à mettre gratuitement à disposition de la population des légumes, fruits et herbes aromatiques cultivés par des citoyens bénévoles dans des petits potagers disséminés dans la ville et accessibles à tous. Cette démarche a été initiée à Todmorden en Angleterre par des citoyens souhaitant se reconnecter aux autres et à la terre autour du thème extrêmement fédérateur de l’alimentation.

Au début, les bénévoles ont planté des légumes un peu partout dans la ville, sans autorisation. Le nombre de personnes impliquées dans le projet n’a cessé d’augmenter. Progressivement, une collaboration est née avec des organismes publics qui ont mis à disposition leurs terres. De nombreuses institutions ont rejoint le mouvement citoyen : école, police, hôpital, société de chemin de fer… Aujourd’hui, cette dynamique a aussi généré des projets créateurs d’emplois. Les Incredible Edible ont en outre fait des émules dans le monde entier.

Le mode d’implication des citoyens est riche, tant au niveau de la conception que de l’implication dans la gestion et l’animation des espaces verts. Il nécessite cependant un changement de posture radical et une prise de risque dans le chef des pouvoirs publics.  Aussi stimulant qu’il paraît, ce type de projet n’est pas exempt de risque… La prise de pouvoir et la confiscation du processus par une frange de la population est par exemple une menace réelle.

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Quel rôle pour les pouvoirs publics ?

Les espaces verts et le végétal sont fortement mobilisateurs. L’espace vert peut ainsi devenir un espace de création, que ce soit par la participation à la conception ou au travers d’initiatives qui surgissent en dehors de tout cadre. Il devient alors un lieu d’exercice de la citoyenneté et du droit à la ville. Si les espaces verts répondent à un besoin social, ils sont aussi vecteurs de cohésion et d’émancipation. Pour profiter de ces bénéfices, les politiques urbaines doivent pouvoir considérer et intégrer dans leurs modes opératoires ces différents types d’implication citoyenne.

Sophie Dawance

Urbaniste et architecte.

Sophie Dawance est auteur de projet au sein du Collectif ipé et enseigne l’urbanisme à la Faculté d’architecture de l’Université de Liège.

[1] Programme de rénovation urbaine en Région de Bruxelles-Capitale

[2] http://www.environnement.brussels/thematiques/ville-durable/mon-quartier/inspirons-le-quartier-le-nouvel-appel-projets-citoyens-qui

[3]«  Si tu manges, tu en fais partie », slogan des Incredible Edible à Todmorden

La Ceinture Aliment-Terre Liégeoise ou la dynamisation des circuits locaux

publié par UniverSud en Novembre 2016

Nous aurions pu, dans cet article, vous parler de ces 400 exploitations agricoles qui disparaissent en moyenne en Wallonie chaque année[1]. Nous aurions pu vous faire remarquer que malgré un marché de l’alimentation conséquent  ­—chaque citoyen, ou presque, prend trois repas par jour— les producteurs peinent à gagner leur vie. Pire constat encore, parmi le milliard de personnes souffrant de la faim dans le monde, 750 millions sont des personnes qui travaillent la terre[2]. Nous aurions également pu vous rappeler, si besoin en était, que les fruits et légumes nécessaires à une alimentation équilibrée sont tellement arrosés de pesticides et d’engrais chimiques qu’ils en deviennent risqués pour notre santé et pour l’environnement. Nous aurions tout aussi bien pu vous narrer la concurrence brutale entre les petits agriculteurs et les giga-exploitations, la difficulté d’acquérir des terres pour les fermiers qui souhaitent se lancer, les jardiniers criminalisés sitôt qu’ils utilisent des semences non-brevetées. Nous aurions pu vous expliquer que 75% du commerce international des céréales est entre les mains de cinq grandes entreprises qui contrôlent toute la chaine des semences à la distribution[3], et l’extrême dépendance des systèmes alimentaires à des transnationales qui, loin d’avoir pour objectif de nourrir la planète, cherchent avant tout le profit. Nous aurions pu attirer votre attention sur le fait qu’il est plus facile d’acheter une pomme de Nouvelle-Zélande que du village d’à côté. La liste des aberrations de nos systèmes alimentaires serait longue, certains allant jusqu’à diagnostiquer ces derniers comme au bord de l’effondrement[4]. Ces constats sont certes nécessaires mais nous ne nous y attarderons pas. Ce sont bel et bien les solutions que nous voulons mettre en lumière ici, en nous tournant résolument vers les systèmes alimentaires alternatifs en construction dont un exemple local est celui promut par la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise.

Les jalons de l’utopie

La Ceinture Aliment-Terre Liégeoise commence par un rêve : celui de parvenir à fournir 50% de la demande alimentaire liégeoise avec des aliments produits localement dans les meilleures conditions écologiques et sociales à l’horizon de 25-30 ans. Il s’agit d’un saut quantitatif et qualitatif : les parts de marché pour de tels produits doivent être aujourd’hui inférieures à 5%. La demande pour des produits locaux de qualité différenciée ou bio est bien là, preuve en est le développement important des systèmes de paniers de légumes et autres Groupes d’Achat Commun. De manière générale : le « local », le « bio » et le « de saison » deviennent de bons arguments de vente. La demande potentielle est finalement supérieure à l’offre, et même si de plus en plus d’initiatives de production et de distribution prometteuses voient le jour, il reste de nombreux obstacles à lever.

Afin de réfléchir à ces obstacles et de se munir d’un plan d’action, une grande réunion fut organisée en automne 2013. L’évènement a réuni près de 180 des protagonistes des systèmes alimentaires liégeois, du producteur au consommateur en passant par des distributeurs et des représentants des pouvoirs publics, avec une question clé : comment transforme-t-on les systèmes alimentaires pour arriver à l’objectif d’une consommation la plus locale possible, produite dans de bonnes conditions à l’horizon des 25-30 ans. Sur base d’un forum ouvert, méthodologie de création d’intelligence collective participative et dynamique à l’appui, les différents acteurs ont déterminé les chantiers concrets pour arriver à cet objectif : quel accès à la terre ? Aux semences ? Comment assurer la logistique de distribution sans que celle-ci capte une partie trop importante de la marge ? Comment financer les nouveaux projets ? Quelle sensibilisation du grand public ? Quel est le prix « juste » : accessible pour les consommateurs et viable pour les producteurs ? Pour chaque chantier, des sous-groupes se sont mis à la recherche de pistes d’action. Ils ont identifié les difficultés, les obstacles, les freins, mais aussi les ressources et les opportunités, ainsi que les premières étapes de ces entreprises. En sont sortis des groupes de travail chargés de creuser chaque question.

Principes et intention de la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise

  • Favoriser l’accès de tous à une nourriture de qualité, produite dans des conditions écologiquement et socialement décentes.
  • Renforcer la souveraineté alimentaire des populations, ici comme ailleurs.
  • Soutenir le développement de modèles d’agriculture, d’élevage et de transformations alimentaires moins dépendants des ressources non-renouvelables et plus respectueux des écosystèmes et de la santé humaine.
  • Se réapproprier collectivement les enjeux de la filière alimentaire et construire des alternatives crédibles contribuant à récupérer la marge économique captée par les acteurs de la grande distribution via ses centrales d’achat, afin de rendre un véritable pouvoir économique aux producteurs et aux consommateurs. Pour ce faire, privilégier les acteurs de la distribution qui n’ont pas la maximisation du profit pour principale finalité –d’où notre référence à l’économie sociale et au circuit court.
  • Contribuer à la redynamisation de l’économie liégeoise et à la création de nombreux emplois autour de projets qui consacrent la primauté du travail sur le capital, en matière de production, de distribution et de transformation alimentaire –ce dernier type d’activité, générateur d’une forte valeur ajoutée, étant particulièrement sous-développé en Wallonie.
  • Créer une alliance ville-campagne sur le mode : la campagne nourrit la ville, la ville soutient l’agriculture locale, notamment paysanne et/ou agro-écologique, par ses choix de consommation, d’épargne et d’investissement.
  • Favoriser la rencontre entre les acteurs professionnels de la chaîne alimentaire et les consommateurs, ainsi que la reconnaissance de leurs intérêts réciproques. À partir de là, définir ensemble ce qu’est la qualité de l’alimentation dans toutes ses dimensions (organoleptique, gustative, sanitaire, écologique, sociale), accepter collectivement d’en payer le prix, et répartir ce prix de manière juste.
  • Construire un réseau d’acteurs et des synergies sur un mode de coordination décentralisé.
  • Faire le choix de l’ouverture : nous sommes désireux de travailler/réfléchir avec tous ceux qui partagent globalement les principes et objectifs énoncés ici, qu’ils soient labellisés bio ou pas, qu’ils se réclament de l’économie sociale ou pas, etc.

Avec le temps, ces groupes de travail ont voulu dépasser le simple stade de la réflexion et passer à l’action. L’énergie présente au sein de la ceinture alimentaire s’est alors concentrée sur la réalisation de projets concrets massivement incarnés dans des coopératives.

La coopérative, un vecteur vers l’utopie

Au fil des réflexions, le modèle coopératif est apparu comme le mieux à même d’impulser le modèle alternatif désiré. En effet, la coopérative permet de concentrer à la fois des compétences et de l’énergie en réunissant des individus autour d’un projet. Elle permet également de faire appel à l’épargne citoyenne pour rassembler le capital nécessaire pour le financement. Par ailleurs, une coopérative sous-entend une certaine gouvernance proche des principes démocratiques et inscrite dans des statuts afin de s’organiser. Ce n’est pas un bateau à la dérive mais une organisation avec des objectifs, un plan d’affaire, des règles de fonctionnement et surtout une finalité sociale : de souveraineté alimentaire, par exemple, ou le soutient à l’agriculture porteuse de sens.

Pour toutes ces raisons, sans que cela ait été forcément prévu, les premières initiatives développées au départ de la dynamique ceinture alimentaire sont des coopératives à finalité sociale. Les Compagnons de la Terre est le premier des projets, le plus emblématique, le plus avancé, directement issu de la Ceinture Aliment-Terre. Les meilleures idées des groupes de réflexion ont été capitalisées et injectées dans cette coopérative qui englobe quasiment l’ensemble de la filière : maréchage, culture céréalière, élevage, arboriculture fruitière, transformation. Pendant un an, le projet a été porté uniquement par des coopérateurs bénévoles, qui ont cultivé un demi hectare et commercialisé une quarantaine de paniers par semaine. En 2016, Les Compagnons ont pu engager trois employés et espèrent créer 20 emplois d’ici 2020. Les perspectives sont bonnes : la coopérative a obtenu de la Région Wallonne un financement pour développer des infrastructures qui leur permettra de faire de la fromagerie, de la charcuterie, de la meunerie et de la boulangerie sur le site de production en pays de Herve. En ce qui concerne la gouvernance, lors de l’assemblée générale, aucun actionnaire n’a un pouvoir de vote supérieur à 5% des votes présents représentés. Cela signifie que si un actionnaire achetait 99% des parts des Compagnons de la Terre, il n’aurait que 5 % des voix à l’AG. Le pouvoir de vote de chaque coopérateur est ainsi plafonné, ce qui permet de se rapprocher d’un principe démocratique.

D’autres projets émergent dans la dynamique de la ceinture aliment’terre : la brasserie coopérative liégeoise, la coopérative Rayon9, qui fait du transport urbain en vélo, et Cycle en Terre qui produit des semences locales de variétés biologiques. Dans les mois qui viennent, d’autres coopératives à finalité sociale devraient voir le jour : Fungi Up, qui fait pousser des champignons sur du marc de café récupéré dans l’horeca liégeois. Le Cynorhodon, quant à lui, impulse la création d’une coopérative dont l’objectif sera la transformation de fruits et légumes. On peut également citer la Coopérative ardente qui a rejoint la dynamique de la Ceinture Aliment-Terre et qui distribue des produits locaux, de qualité différenciée et/ou, éthiques avec une volonté de rémunération équitable pour les producteurs.

Dynamiser les circuits courts

La création de projets d’alimentation en circuit court sur le modèle coopératif est une lame de fond. On perçoit bien les perspectives de redéploiement économique que le phénomène laisse présager ainsi que le caractère vertueux de cette tendance : développement d’une agriculture durable et d’emploi, meilleures gouvernances des circuits, diminution de la dépendance et de la vulnérabilité face aux circuits agro-alimentaires planétaires.

Le rôle de la Ceinture Aliment-Terre est de créer du lien entre ce foisonnement d’initiatives, de leur offrir une certaine visibilité, de mettre en relation les projets naissants et l’écosystème déjà en place et enfin, de permettre de faire des économies d’échelle. L’objectif étant de créer un réseau dynamique entre partenaires partageant les mêmes valeurs. Si, pour l’instant, ce réseau a plutôt fonctionné sur l’interconnaissance, les promoteurs de la ceinture alimentaire réfléchissent à se munir d’une charte et à développer un système d’adhésion pour élargir le mouvement.

Cette multiplication d’initiatives qui fonctionnent bien, qui génèrent de l’adhésion, qui arrivent à produire de l’alimentation de bonne qualité en étant de plus en plus viables sur le plan économique et qui ont un potentiel de reproductibilité, nous laissent penser que l’objectif des 50% de l’alimentation produite localement dans de bonnes conditions écologiques et sociales est une utopie réaliste.

Et moi dans tout ca ?

En tant que citoyen, il existe bien sûr la possibilité d’orienter nos achats vers les aliments locaux produits dans de bonnes conditions. Pour cela les lieux d’achats ne manquent pas : vente à la ferme, paniers de légumes, groupes d’achat, vente dans les commerces de proximité et les marchés dont le marché court-circuit, certains restaurants servent également des produits issus de l’agriculture locale[5]. Pour ceux déjà engagés dans ce genre de circuit, partager son expérience peut donner envie à d’autres d’en faire de même.  Par ailleurs, en tant qu’étudiant, pourquoi ne pas interpeller les autorités de l’Ulg pour que les repas servis dans les cafétérias de l’université soient composés le plus possible d’aliments locaux produits dans de bonnes conditions écologiques et sociales. Enfin, une bonne connaissance des problématiques liées à la production locale d’alimentation peuvent être précieuses pour renforcer les dynamiques et fournir d’excellents sujets de fin d’études.

 

Christian Jonet

Coordinateur de la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise

Claire Wiliquet

Permanente chez UniverSud

 

[1] Direction générale opérationnelle de l’Agriculture, des ressources naturelles et de l’Environnement, Département de l’Etude du Milieu naturel et agricole, Direction de l’Analyse économique agricole, L’agriculture wallonne en chiffres, 2016. : http://www.reseau-pwdr.be/sites/default/files/Complet_FR_2016.pdf

[2]Retour sur la conférence d’Olivier De Schutter ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation et Jean-Jacques Grodent responsable du service information et plaidoyer d’SOS-Faim : Wiliquet C. Le monde a faim. Constats et Solutions,  Centre Avec, juillet 2012. http://www.centreavec.be/site/le-monde-faim-constats-et-solutions

[3] ibid

[4] C’est le cas par exemple de Pablo Sevigne et Raphaël Stevens dans Comment tout peut s’effondrer, Seuil, 2015

[5] Vous trouverez des bonnes adresses pour vous fournir en produits locaux dans le guide solidaire  (adresse sur le site)

Voix Solidaires (UniverSud) #06 – Villes Vertes

Le dossier du numéro, consacré aux villes vertes, nous rappelle que la nature reconquière nos villes. Ainsi, Haissam Jijakli nous parle d’agriculture urbaine, Bénédicte Maccatory et Guy Massart reviennent sur le projet Liège Souffle Vert, Sophie Dawance fait le lien entre espace vert et cohésion sociale et Christian Jonet nous raconte l’aventure de la Ceinture aliment-terre liégeoise. Nous profitons également de l’occasion pour revenir sur les projets qui animent UniverSud-Liège : le projet d’installation d’eau à gestion autonome en RDC, La FABRIC qui, pendant deux semaines cet été, a réuni des étudiants belges, français et marocains autour de l’éducation à la citoyenneté, ou encore cette belle rencontre du Groupe Université Solidaires (GUS) avec des migrants du centre de Ans, dans le but de porter leur parole au festival Esperanzah.

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques