Espace vert et implication citoyenne

Espace vert et implication citoyenne
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publié par UniverSud en Septembre 2016

Les vertus attribuées aux espaces verts urbains sont multiples. Sur le plan environnemental, on peut évoquer la promotion de la biodiversité ou une action positive sur la régulation du climat local et sur le cycle de l’eau. En outre, le végétal contribue largement à la qualité du paysage urbain. Les espaces verts, même dans leurs plus simples expressions, répondent également à des besoins sociaux. Promenade, jeu, rencontre ou flânerie et manifestions drainant un large public offrent un cadre à différentes formes de vie sociale, des plus intimes aux plus collectives.

L’espace vert contribue ainsi fortement à la qualité de vie en ville. Il est d’ailleurs très souvent plébiscité dans les projets urbains ou défendus par les habitants lorsqu’il est menacé. Il représente un véritable enjeu citoyen. En ce sens, il peut devenir outil de cohésion et d’émancipation sociale.

Nous allons tenter de montrer dans cet article comment l’espace vert, au-delà des besoins sociaux auxquels il répond, peut offrir l’opportunité à l’usager de devenir acteur de la fabrique urbaine.

A travers des exemples, nous explorerons trois modes d’implication des citoyens dans la conception et la gestion des espaces verts.

Quand les citoyens sont invités à participer à la conception

A côté des formes de participation habituelles (enquêtes publiques, réunions d’information, etc.),  se développent des démarches plus dynamiques et inclusives, tendant vers la co-construction mais touchant aussi des publics plus  fragilisés sur le plan socio-économique et culturel.

Programmation participative d’un ensemble d’espaces verts à Ixelles

Photos : Ixelles_Sceptre_1 et Ixelles_Sceptre_2

Crédit photographique : Collectif ipé

Dans le cadre d’un Contrat de quartier[1], la Commune d’Ixelles a programmé la création ou le réaménagement d’un ensemble d’espaces verts. Ces opérations n’ayant pu être discutées avec les habitants dans le cadre du projet de rénovation urbaine, faute de temps, le pouvoir communal a mandaté un bureau d’étude pour affiner la programmation avec la population. L’enjeu était de mobiliser le public en touchant aussi des citoyens qui, habituellement, ne s’impliquent pas spontanément dans ce type de démarches. Dans cette perspective, le bureau d’étude a mis sur pied différents actions dans l’espace public, des « balades-diagnostic », divers groupes de travail, etc.

La participation des habitants a favorisé l’émergence d’un projet bien ancré dans la réalité du quartier. Ainsi, par exemple, le manque de liaisons piétonnes entre le haut et le bas du quartier a été relevé par la population, ce qui a mené à la création d’un « parc système » mettant en lien les différents espaces verts par les talus de chemin de fer.

Dans ce premier modèle d’implication citoyenne, la demande émane donc des pouvoirs publics qui, avec ou sans le soutien d’un bureau d’étude, organisent le processus participatif dans un cadre défini. Cette démarche est potentiellement porteuse de plus-value directes, évaluables à relativement court terme, dans la mesure où elle favorise la conception d’espaces en adéquation avec les besoins des habitants et dès lors mieux appropriés par ceux-ci. Mais au-delà, la participation des habitants à la conception de leur cadre de vie leur donne l’opportunité d’exercer leur citoyenneté, ce qui est source d’émancipation.

Toutefois, ce type de processus a ses limites. En effet, il ne naît pas nécessairement d’un besoin ressenti  par la population, ce qui contraint parfois à déployer beaucoup d’énergie pour mobiliser un public qui ne se sent pas d’emblée concerné. Par ailleurs, le cadre (budget, temporalités, lieu d’intervention, etc.) est prédéterminé, limitant ainsi la marge de manœuvre des citoyens.

Diagramme_1

Quand les projets citoyens sont suscités et soutenus par les pouvoirs publics

A côté des processus plus classiques, il existe des politiques urbaines qui créent un cadre pour soutenir des projets d’initiative citoyenne. Le contexte est alors favorable à une meilleure appropriation et une implication dans la durée. La Région de Bruxelles-Capitale organise plusieurs appels à projet dans cet esprit.

Appels à projet en Région de Bruxelles-Capitale

Photos : Appel_a_projets_1  et Appel_a_projets_2 (au choix)

Depuis plusieurs années, la Région de Bruxelles-Capitale lance annuellement des appels à projets citoyens, aujourd’hui regroupés sous l’appellation « Inspirons le quartier »[2]. Ceux-ci visent ou permettent des actions de verdurisation de la ville : création de potagers ou de vergers, plantations dans l’espace public, aménagement de petits espaces verts de quartier, etc.  Les groupes d’habitants bénéficient d’un subside mais aussi d’un accompagnement et d’une expertise technique pour mettre en œuvre leurs idées. Le bénéfice de ces projets se veut environnemental mais aussi social ; l’initiative doit être collective et devient ainsi lieu d’interactions.

 

Les projets développés dans ce cadre sont souvent modestes mais lorsqu’ils se multiplient dans l’espace et dans le temps, leurs impacts dépassent clairement le contexte local : ils deviennent une réalité à l’échelle de la ville. De plus, ces appels à projets soutiennent la mise en réseau des projets, donnant ainsi aux citoyens l’occasion d’établir des synergies, de collaborer et d’imaginer de nouveaux projets.

Ce mode d’implication des citoyens a l’avantage de favoriser une participation par l’action (jardiner par exemple) ce qui permet d’inclure un public moins à l’aise dans la prise de parole en public inhérente à la plupart des processus participatifs. Par ailleurs, ce type d’approche met à profit la créativité de la population ; le citoyen est partenaire de la fabrique de la ville. Toutefois, cet atout a des revers… La limite entre valorisation et récupération est parfois floue. Les pouvoirs publics peuvent être tentés de se décharger de leurs propres responsabilités en délégant aux citoyens une partie de leurs prérogatives. Enfin, la définition de critères par les pouvoirs publics, si elle a l’avantage de faire coïncider les initiatives citoyennes avec des objectifs plus larges, exclut des initiatives pourtant parfois porteuses d’innovation ou certains citoyens qui n’ont pas les codes pour rentrer dans de telles démarches.

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Quand l’initiative est citoyenne et suscite l’émergence  de nouveaux cadres de référence

Dans certains projets, ce sont les citoyens qui sont à l’initiative et agissent en dehors de tout cadre, dans un contexte plus ou moins polémique. Ils obligent ainsi les pouvoirs publics à se positionner,  à bouger, à innover et contribuent de ce fait à la création de nouveaux modèles. L’implication citoyenne est alors importante  puisque les habitants et acteurs locaux eux-mêmes sont les moteurs du projet.

If you eat you’re in [3] : les Incredible edible à Todmorden   

Photos : IET_1 et IET_2

Crédit photographique : IET community team

Incredible Edible est une action communautaire qui consiste à mettre gratuitement à disposition de la population des légumes, fruits et herbes aromatiques cultivés par des citoyens bénévoles dans des petits potagers disséminés dans la ville et accessibles à tous. Cette démarche a été initiée à Todmorden en Angleterre par des citoyens souhaitant se reconnecter aux autres et à la terre autour du thème extrêmement fédérateur de l’alimentation.

Au début, les bénévoles ont planté des légumes un peu partout dans la ville, sans autorisation. Le nombre de personnes impliquées dans le projet n’a cessé d’augmenter. Progressivement, une collaboration est née avec des organismes publics qui ont mis à disposition leurs terres. De nombreuses institutions ont rejoint le mouvement citoyen : école, police, hôpital, société de chemin de fer… Aujourd’hui, cette dynamique a aussi généré des projets créateurs d’emplois. Les Incredible Edible ont en outre fait des émules dans le monde entier.

Le mode d’implication des citoyens est riche, tant au niveau de la conception que de l’implication dans la gestion et l’animation des espaces verts. Il nécessite cependant un changement de posture radical et une prise de risque dans le chef des pouvoirs publics.  Aussi stimulant qu’il paraît, ce type de projet n’est pas exempt de risque… La prise de pouvoir et la confiscation du processus par une frange de la population est par exemple une menace réelle.

Diagramme_3

Quel rôle pour les pouvoirs publics ?

Les espaces verts et le végétal sont fortement mobilisateurs. L’espace vert peut ainsi devenir un espace de création, que ce soit par la participation à la conception ou au travers d’initiatives qui surgissent en dehors de tout cadre. Il devient alors un lieu d’exercice de la citoyenneté et du droit à la ville. Si les espaces verts répondent à un besoin social, ils sont aussi vecteurs de cohésion et d’émancipation. Pour profiter de ces bénéfices, les politiques urbaines doivent pouvoir considérer et intégrer dans leurs modes opératoires ces différents types d’implication citoyenne.

Sophie Dawance

Urbaniste et architecte.

Sophie Dawance est auteur de projet au sein du Collectif ipé et enseigne l’urbanisme à la Faculté d’architecture de l’Université de Liège.

[1] Programme de rénovation urbaine en Région de Bruxelles-Capitale

[2] http://www.environnement.brussels/thematiques/ville-durable/mon-quartier/inspirons-le-quartier-le-nouvel-appel-projets-citoyens-qui

[3]«  Si tu manges, tu en fais partie », slogan des Incredible Edible à Todmorden