Pour que nos transitions ne deviennent pas dérisoires

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Synopsis

Partout des hommes et des femmes prennent des initiatives pour changer en profondeur un modèle de société qui nous mène à notre perte. Le mouvement de transition est en marche. Ce modèle de société est cependant puisement ancré dans notre culture, il détermine notre fonctionnement. Comment dès lors éviter que les initiatives reproduisent le système existant? qu’elles soient simplement le même autrement? Quels défis doivent relever les initiatives pour remplir pleinement leur potentiel transformateur? Analyse. [1]

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Publié par UniverSud-Liège avril 2019

La situation est grave. La planète est malade. Nous sommes allés trop loin. Depuis trop longtemps. Nos dirigeants ne prennent pas la mesure des enjeux, ils discutent de la position des transatlantiques sur le pont alors que le navire coule[2]. Le besoin de changer radicalement se donne à entendre partout. Jusque dans les écoles et dans la bouche des lycéens. Chacun met désormais son gilet jaune. Et donne de la voix.

Mais il n’y a pas que la parole ni la révolte, il y a aussi l’action : partout des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, prennent des initiatives. Courageuses. Parfois audacieuses. Ils montrent que d’autres voies sont possibles, que nous ne sommes pas condamnés à consommer sans cesse toujours pour accumuler et s’encombrer toujours plus. Sur cette base, dans de nombreux pays, un vaste mouvement de la transition s’est déclenché. Un mouvement créatif. Généreux et entreprenant. Il touche des domaines très divers : produire et consommer autrement, par exemple en privilégiant les circuits courts, se chauffer autrement, se déplacer autrement, se soigner autrement, cultiver autrement, vendre et acheter autrement, manger autrement et autre chose… Mais aussi vivre autrement et autre chose, et donc travailler autrement, sans s’épuiser ni exploiter ni terroriser, habiter autrement, avec d’autres et pas seulement à leur côté, éduquer autrement, sans abrutir ni généraliser la sélection des plus forts. Vivre autrement jusqu’à ressentir autrement, jusqu’à se sentir autre et autrement dans son corps. Mais pas seul. Donc aussi partager autrement.

Partager autrement. Sans doute est-ce là que se joue une des clefs de l’avenir. Après un demi siècle de compétition généralisée, de jouvence individualiste, chacun réalise petit à petit que les efforts de plusieurs générations pour créer du commun et des communs ont été laminés de sorte que chacun se trouve face à l’immense charge d’assumer seul son salut. Se débrouiller seul face à la complexité. Seul. Même si nous sommes encore largement enfermés dans l’imaginaire de concurrence, chacun, chacune commence à comprendre, parfois confusément, que seul, personne ne s’en sort. D’où la face solidaire et participative des efforts de transition : renouveau des coopératives, entreprises partagées, habitats groupés, financement participatif (crowfunding), monnaies locales … et de multiples autres initiatives de vie commune, de travail partagé, de ressources en commun. On partage les moyens, les espaces, le temps, les opportunités, les plaisirs … On coopère. On s’entraide. Mais pas seulement : on prend aussi soin des autres, des choses et du vivant. Les plantes, les terres, les animaux, les mers. Tout ce qui vit et donc fait vivre.

Transition totale

La transition, si on le voit ainsi, est totale. Elle n’est pas seulement l’affaire de nouvelles technologies, ou de nouvelles économies, ou de résiliences avec le climat. Elle est aussi l’affaire de vivre ensemble, vivre vraiment ensemble, c’est-à-dire pas seulement les uns aux côtés des autres, mais les avec les autres, par les autres, pour les autres autant que pour soi. Après avoir vécu trop longtemps dans des sociétés du « prendre » ou plus exactement du « prendre pour soi tout seul et tant pis pour les autres après moi », les mouvements de la transition proclament que le moment est venu de rentrer dans l’ère du « rendre et du donner » et de bâtir des sociétés du « offrir et du recevoir ». Car la transition n’a de futur que dans les équilibres : je prends mais je rends aussitôt, je donne mais je reçois aussi.

Une telle transition – technologique, sociale, économique – ne peut croître que si elle est aussi politique. La transition est nécessairement politique. C’est-à-dire si elle prend soin aussi des institutions sans lesquels les individus entrent vite en guerre les uns contre les autres. Cela veut dire clairement décider autrement, déléguer autrement, responsabiliser et prendre des responsabilités autrement, planifier autrement, réguler et instituer autrement, faire des lois et les gérer autrement, sanctionner autrement. Localement mais aussi nationalement et internationalement. Cela veut dire repenser l’Etat et son fonctionnement. Radicalement sans doute. En commençant par l’émanciper de la sphère financière dont il est devenu aujourd’hui une sorte d’appendice. Repenser l’Etat et les relations entre les Etats. Repenser les institutions. A l’échelle internationale. Car partager ne se limite pas à son voisinage. Partager et recréer du commun doit se réaliser à toutes les échelles, de son jardin jusqu’à la planète. Avec 7 milliards et bientôt 8 milliards d’hommes et de femmes. Pas de transition sans transition politique. Sans le pouvoir autrement. Sans la construction de nouvelles institutions et de nouveaux liens entre individus et institutions. N’est-ce pas ce que tant de mouvements sociaux dans le monde laisse entendre, depuis les « indignez-vous » et les « Occupy Wall Street » jusqu’aux gilets jaunes ?

Autrement ? Oui, mais quoi autrement ? Comment autrement ? Pour quoi et vers quoi autrement ? Et ce « autrement », d’où viendra-t-il ? C’est là que les efforts de la transition gagnent en pertinence. Ils donnent à voir des réponses qui ne tombent pas du ciel mais qui sortent des mains, de la tête et du cœur d’hommes et de femmes ordinaires qui expérimentent, parfois en prenant des risques, notamment le risque de se tromper. Ils « essaient voient ». Est-ce que ça marche ? Non, on essaie autre chose. Oui ? Comment faire mieux alors ? Pour que ça serve à plus d’autres ? Les autres, ils ont fait comment ? Et ça nous donne quelles idées ?

Voilà en deux mots ce que drainent les mouvements de la transition. L’enthousiasme en plus. Voilà donc ce qui doit nous réjouir. Et nous donner de l’espoir. Car, s’ils sont encore modestes aujourd’hui, demain ils peuvent se généraliser.

 Le risque du « même autrement »

Donc tout va bien ? Non ! Car les mouvements de la transition, quelle que soit leur ampleur, quelle que soit leur réussite, quelle que soit la mobilisation, quelles que soient leur générosité et leur ambition, sont tous menacés, collectivement et individuellement, par un même mal : la dérision. La possibilité que tous ces efforts nourrissent des alternatives dérisoires. C’est-à-dire, pour le dire simplement, qu’ils courent tous le risque de contribuer à perpétuer, sinon même fortifier, sous d’autres formes, avec d’autres mots, avec d’autres visages, en convoquant de nouveaux personnages, le système économique, social et politique qui a généré toutes les impasses contemporaines. Les alternatives sont dérisoires lorsqu’à leur insu, malgré elles, elles construisent implicitement un surcroît de puissance au bénéfice de ce qu’elles combattent explicitement.

La grande question n’est donc pas seulement de promouvoir du tout autre chose, d’en démontrer l’efficacité, de le répandre, c’est également de s’assurer que cette « autre chose » n’est pas simplement du « même autrement ». Fait-on vraiment rupture avec ce qu’on déclare combattre et remplacer ? On va répéter cette question cruciale d’une façon différente et plus directe : dans quelle mesure nos efforts de transition ne  régénèrent-ils pas – en le vivifiant – le capitalisme qui depuis plus de 2 siècles fabriquent l’impasse dans laquelle nous sommes désormais enfermés ? Nos efforts s’attaquent-ils à ce qui est au cœur du capitalisme, à ce qui fait sa force depuis toujours ? Aujourd’hui, rien dans les mouvements de la transition ne permet de l’affirmer avec certitude.

Comment protéger la transition de la dérision ? En veillant à ce que ses alternatives fassent systématiquement et efficacement « couple triple ». C’est-à-dire : (1) qu’elles s’attaquent aux maux qui font souffrir (la pauvreté, l’insécurité, le dérèglement climatique, la guerre, la solitude, le repli sur soi, la  malbouffe …), bref à ce qui corrode le bien être commun, (2) qu’elles s’attaquent spécifiquement et efficacement aux mécanismes qui fabriquent et généralisent ces maux et (3) qu’elles proposent en les expérimentant des alternatives sociétales. Aujourd’hui la première et la troisième condition sont tant bien que mal prises en charge par les mouvements de la transition. Mais pas la seconde. Pas rigoureusement. Pas systématiquement. Pas délibérément.

Six défis

Répétons la question clef : comment aider nos alternatives à s’attaquer à ce qui est vraiment au cœur du capitalisme ? En s’attaquant à quoi ? On va le dire en quelques mots. De manière positive. En parlant des défis à relever.

Premier défi, la raison spéculative. Comment s’émanciper de cette rationalité des petits calculs qui poussent à toujours vouloir gagner plus, encore et encore, en faisant le moins possible ? Gagner aux dépens des efforts et de la peine d’autres ailleurs. Quelques-uns gagnent ici tandis que beaucoup sinon presque tous perdent là-bas. Loin de son regard et de son nez. Il n’existe pas, nulle part aujourd’hui, de création de richesses ici sans création de pauvretés ou de misères là-bas. Comment nos alternatives contribuent à  désamorcer ce mécanisme ? Comment elles nous en émancipent ? Même un peu ?

Deuxième défi, la propriété. Le capitalisme, notamment dans sa version néolibérale contemporaine, repose entièrement sur la possibilité à tout moment, en tout lieu, à tout propos, de prendre pour soi à titre exclusif, privatif et déprivatif, ce qui appartient à tous et chacun, ce qui est le plus souvent le fruit du travail de tous et chacun. Attention, le défi n’est pas d’éradiquer la propriété privée pour basculer dans un communisme primitif (on a déjà vécu ce scénario) mais plutôt de systématiser une simple question : ici, pour cela, quelle sorte de propriété voulons-nous et quelle fonction voulons-nous faire jouer à cette forme de propriété-là pour cette chose-là ? Car il existe plusieurs sortes de propriété : privée, collective, communautaire, commune,… Selon ce qu’on veut, selon la nature du bien, quelle fonction attendons-nous que le régime de propriété choisi joue ? En quoi cette forme de propriété génère-t-elle du bien commun ? En quoi prévient-elle la fabrication des misères ? Comment les alternatives de la transition alimentent-elles la créativité et l’expérimentation en matière de propriété ?

Troisième défi, l’argent et les patrimoines. Il reprend par la bande les deux premiers défis. Comment s’émanciper de l’argent ? Ou, pour le dire de manière différente, au cas où on pense que l’argent serait malgré tout nécessaire à une bonne vie collective, comment alors faire de l’argent un moyen qui ne devienne pas sa propre fin, c’est-à-dire faire que l’argent ne serve pas des fins d’accumulation déprivative ? Comment en faire un bien commun qui répand le bien commun et le bien vivre ensemble ? Dans le même élan, comment éviter que les richesses s’accumulent chez quelques-uns et qu’elles se transmettent de générations en générations aux mêmes privilégiés ? Comment nos alternatives contribuent-elles à relever ce double défi ?

Quatrième défi, la beauté. Comment nos alternatives peuvent-elles répandre la beauté chez tous et chacun en même temps que la beauté de tous et chacun ? Oui, bien sûr, la beauté, ça se discute. Mais peu importe car, par contre, la laideur et l’horreur, tous et chacun peuvent la reconnaître. Rendre belle la vie exige de rendre beaux les cadres de vie.

Cinquième défi, l’altérité et l’interculturalité. Cessons de nous rêver les mêmes partout. Libérons-nous des universalismes. Rendons à chaque peuple ou chaque groupe la dignité d’expérimenter ce qui lui importe. Mais, et c’est le point clef : tout en restant solidairement liés les uns aux autres ! Les autres et l’Autre comme ressources pour soi, et vice versa. Mais dans le dialogue. Et dans la controverse. Comment nos alternatives valorisent-elles – et nous aident à faire bon usage de – l’altérité ? Comment rendent-elles mutuellement fructueuses la rencontre et la collaboration des différents ?

Sixième défi, être à la fois individuel et collectif. Comment articuler les initiatives sur les comportements de chacun et chacune avec un travail sur les institutions ? Ce défi traverse toute initiative. Mais il comporte une exigence : reconstruire la confiance. A trois niveaux : dans le comportement des autres, dans les institutions et … en soi. C’est donc un triple défi[3].

Ces six défis donnent un contenu concret au mot « autrement » que véhiculent partout les mouvements de la transition. En particulier, les deux derniers qui invitent à remplacer la culture de la compétition par celle de la coopération. Coopération des humains entre eux. Coopération à travers leurs institutions politiques. Mais aussi des humains avec les autres « êtres » autour d’eux, vivants, contemporains ou à venir. Et ainsi aspirer à une prévenance généralisée.

Philippe De Leener
Enseignant à l’Université Catholique de Louvain (UCL / CriDIS / IACCHOS)
Président d’Inter-Mondes Belgique
Co-président de la fédération d’entreprise d’économie sociale et solidaire SAW-B

[1]– Cet article s’appuie sur notre ouvrage paru en 2018 auquel nous renvoyons le lecteur (De Leener, P. & Totté, M. (2018). Transitions économiques. En finir avec les alternatives dérisoires. Vulaines-Sur Seine (France) : Editions du Croquant.

[2]– J’emprunte cette belle métaphore à Alain Tihon dans une chronique récente de la revue « Pour ».

[3]– Ce sixième défi – crucial –  m’a été suggéré par Marc Totté (coordinateur d’Inter-Mondes Belgique)

Le mouvement de la Transition : jusqu’où l’inclusion ?

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Synopsis

En réponse aux multiples crises que connait aujourd’hui notre monde, le mouvement de la transition cherche à construire une société plus résiliente, plus juste et plus écologique en mettant en place une série d’initiatives qui réinventent l’économie et reconstruisent le lien social. A y regarder de plus prêt, les profils des personnes impliquées dans ces projets sont fort similaires. Ne risque-t-on pas dès lors de reproduire les inégalités sociales au lieu de les supprimer? Sans place pour les personnes défavorisées dans ces initiatives ne risque-ton pas de renforcer leur marginalisation? Une réflexion qui invite à rester attentifs à ce que tous puissent prendre le train de la transition

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Publié par UniverSud-Liège Avril 2019

Depuis quelques années fleurissent aux quatre coins de la Belgique des initiatives citoyennes. Répondant au nom d’initiatives de Transition, celles-ci transforment nos campagnes et nos quartiers en cherchant à redonner du sens à l’échelle locale dans un monde de plus en plus anxiogène. Face aux enjeux posés par l’accélération des changements climatiques et de leurs impacts ainsi que par l’épuisement des ressources naturelles, ces initiatives prennent le pari de cultiver aujourd’hui le monde de demain par des actes quotidiens visant à construire des communautés résilientes, inclusives et conviviales à même de (sur)vivre à un éventuel effondrement de notre société basée sur la consommation de masse.
Il y aurait bien plus à dire à propos de ce mouvement. Certes. Mais l’objectif de ce texte n’est pas d’être exhaustif. Ici, je me concentrerai plutôt sur un point précis : la manière dont ces initiatives modifient l’espace public. Plus précisément, il s’agit d’interroger l’étanchéité de la frontière entre la mixité sociale et conviviale souhaitée par les transitionnaires et une certaine forme de gentrification[1]. La « convivialisation » voulue par les transitionnaires est-elle réellement vécue comme conviviale par celles et ceux étrangers au mouvement ? – Est-elle même tout simplement vécue ? – Quels risques pourraient se dissimuler derrière la réalisation de ces initiatives ? « L’enfer est pavé de bonnes intentions » dit la maxime, mais faut-il pour autant lui donner raison ?

Que fait une initiative de Transition ?

Avant toute chose, il importe de savoir de quoi on parle. Au cœur des initiatives de transition se trouve le souhait de réinventer l’économie et notre rapport à elle, de se la réapproprier et de la relocaliser. Soit, de la réencastrer dans la communauté et, par extension, dans le social. Concrètement, les initiatives s’ancrent dans des pratiques telles que des GAC[2], des SEL[3] ; lancent des cafés citoyens, des repair-cafés ; mettent en place des monnaies locales, des potagers partagés, des activités de maraîchage urbain, etc. En tant que citoyens, les transitionnaires agissent sur leur rôle de consommateurs en se transformant en « consom’acteurs ». À travers cet aspect de consommation critique, pointant du doigt l’impact de nos choix de consommation sur nos écosystèmes, les transitionnaires œuvrent à tisser et à renforcer une nouvelle économie, locale et au service de la société, par opposition à une société au service d’une économie globalisée. Au-delà de l’aspect économique, c’est la recherche de la convivialité qui se trouve au cœur du mouvement. Ainsi, les transitionnaires organisent également des évènements festifs et culturels où les habitants d’un même quartier et d’ailleurs peuvent se retrouver et se rencontrer. L’objectif est de remplacer le côtoiement anonyme par une convivialité communautaire.

C’est qui une initiative de Transition ?

Qui dit communauté dit individus ; dit également sentiment d’appartenance. Pour savoir quel public touche le mouvement des villes en Transition, quoi de mieux que de se pencher sur qui l’anime ? En posant le regard sur les initiateurs et initiatrices de ce mouvement, un tableau relativement homogène apparaît rapidement. On retrouve principalement des individus issus de la classe moyenne, disposant d’un bon niveau d’instruction, appartenant à des catégories socio-professionnelles aisées et portant en leur cœur des sensibilités écologistes. Bref, sans trop de surprises, le transitionnaire est rarement quelqu’un en situation de précarité et est plus souvent cadre qu’ouvrier.

Vers quelle économie, vers quel monde ?

Une question doit être alors posée : malgré cette volonté de créer un monde plus juste et plus durable demain, n’y a-t-il pas également un risque de transférer des responsabilités ? En laissant certains citoyens prendre la responsabilités d’actions et de pratiques transformant l’espace public, ne risque-t-on pas d’encourager à la fois une certaine forfaiture des pouvoirs publics et une appropriation de l’espace public par une minorité favorisée ? Ce faisant, ne risque-t-on pas de laisser les plus vulnérables de notre société sur le carreau ? Tandis que la chasse aux aides sociales se poursuit ; que les coupes se répandent dans les budgets publics (éducation, santé, transports en commun, etc.) ; que les privatisations se multiplient, notre planète se dérègle et, face aux impacts, les plus vulnérables sont les plus démunis. Les réalités sociales d’un tel contexte sont nombreuses, je me contenterai de n’en citer qu’une seule, mais non des moindres : selon une étude de l’IWEPS[4] publiée en 2013, un Wallon sur cinq risquait de sombrer dans la pauvreté – une situation qui ne va malheureusement pas en s’améliorant.

Prenons-nous au jeu d’une expérience de pensée l’espace de quelques instants. Nous vivons actuellement un contexte où les mesures d’austérité affaiblissent de plus en plus les solidarités institutionnelles alors que le retrait de l’État de la vie publique s’accélère. Dans le même temps, des initiatives citoyennes favorisent l’émergence de nouvelles formes de solidarité communautaires. N’y-a-t-il pas un risque d’invisibilisation des formes de solidarités institutionnalisées ? Dans le cas des GAC ou des SEL, tout le monde n’a pas le temps et l’argent que pour y participer. Les gains en termes d’alimentation saine et de convivialité risquent dès lors d’avoir du mal à se matérialiser de manière inclusive à travers les seules solidarités communautaires. Allons plus loin. Si les pratiques des initiatives de Transition devaient continuer à se développer sans réussir à inclure – ou tout du moins à dialoguer avec – les individus issus de classes sociales moins favorisées[5], n’encourrions-nous pas le risque de faire de ces initiatives une caution écologique pour les responsables économiques et politiques ? Les inégalités sociales ne seront pas plus supportables sous un vernis vert. Le risque de construire le monde de demain sur un modèle segmenté, sclérosé de ségrégations sociales reste réel.

Partager et débattre nos utopies, une nécessité démocratique

Loin de moi l’idée de soutenir que les transitionnaires n’ont cure des inégalités sociales. Il s’agit ici de souligner que concevoir la Transition comme un objectif partagé par tous équivaut peut-être à rêver pour les autres. Cela équivaut également peut-être à louper l’opportunité de rencontrer d’autres manières d’envisager un futur durable.

Trop souvent, les personnes vulnérables à la pauvreté se retrouvent enfermées dans un rôle de « victimes » passives, voire coupables, de leur situation. Se limiter à cette vision pourrait également nous conduire à les ignorer ou à nous enfermer dans un rôle de « sauveurs ». Nous n’aurions alors pas besoin de construire avec les autres, nous pourrions nous contenter de construire pour eux, ou, tout du moins, de leur indiquer la « bonne marche à suivre ». Mais il me semble que nous ne pouvons plus nous permettre ce luxe.
La transition écologique doit se penser et s’articuler dès aujourd’hui. Nous sommes tous dans le même bateau face aux enjeux de ce siècle. Si nous voulons que demain soit démocratique et vivable, nous devons veiller à ce que tout le monde monte à bord, sur un même pied d’égalité. Il est dès lors urgent d’aller vers ceux qu’on ne côtoie pas au quotidien. Il est urgent de percer ces bulles dans lesquelles nous et d’autres vivons séparés mais ensemble, dans l’anonymat de notre société si pressée et pourtant sur le point de trébucher. Nous ne pouvons nous contenter d’énoncer des espaces comme ouverts et inclusifs. Si nous n’allons pas vers les autres ils ne seront ouverts qu’à nous. Il est urgent de rompre cet anonymat pour que nous puissions puiser tant dans les pratiques écologiques des classes populaires que dans celles des classes plus embourgeoisées. On doit pouvoir puiser tant dans la consommation critique des uns que dans la débrouille des autres.

À travers cette optique, nous pourrions peut-être tous devenir des transitionnaires. Je le dis timidement mais convaincu, aller vers celles et ceux ne partageant pas nos quotidiens mais partageant notre société et les écouter, dialoguer, s’engueuler, se réconcilier avec eux peut être le début d’une voie pour libérer la démocratie des urnes et nous réapproprier notre société afin de mieux transformer celle-ci.

Que faire ?

Loin de moi l’idée – et la capacité – d’écrire un manuel montrant par A+B comment réaliser une transition écologique inclusive. Toutefois, voici quelques pistes de réflexion que je vous partage.

Sortons de nos bulles de confort et rencontrons-y des inconnus. Changeons le monde autour d’un verre. Débattons. Si vous en avez les moyens, tentez de consommer moins et mieux. Si vous êtes dans une initiative de Transition, allez à la rencontre des personnes qui habitent dans les quartiers moins « verts » ; montez un groupe de travail ; mettez-vous en contact avec les organisations et institutions qui travaillent avec les plus vulnérables d’entre nous.

Et surtout : politisons-nous. Il ne s’agit pas forcément de nous mettre sous les drapeaux d’un parti. Il s’agit avant toute chose de revendiquer nos droits, de rappeler à nos élus qu’ils nous sont redevables et qu’ils se doivent de porter nos choix de société pour aujourd’hui et demain.

Scott Fontaine

Pour poursuivre la réflexion :

Luc BOLTANSKI & Ève CHIAPELLO (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard.

Boaventura DE SOUSA SANTOS (2006), The Rise of the Global Left: The World Social Forum and Beyond, Zed Books Ltd.

Paul ARIÈS (2015), Les modes de vie populaires au secours de la planète, Savoir/Agir 33(3): 13-21.

Philippe DE LEENER & Marc TOTTÉ (2017), Transitions économiques – En finir avec les alternatives dérisoires, Éd. du Croquant.

[1] La gentrification est un processus où des individus issus de classes socio-économiques plus aisées s’installent progressivement dans des quartiers habités au départ par des individus moins nantis. Progressivement les commerces et services changent, les prix grimpent, etc. et le quartier devient moins, voire plus du tout, accessible aux anciens habitants.

[2] Les Groupes d’Achats Communs (GAC) visent à regrouper des consommateurs pour acheter directement – c’est-à-dire sans passer par des intermédiaires – des produits alimentaires à des producteurs locaux, permettant à ce dernier de pouvoir plus facilement écouler sa production.

[3] Les Services d’Échanges Locaux (SEL) sont constitués par des individus organisés en réseau d’échange de services et/ou de produits.

[4] Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique.

[5] Bien que mes recherches m’ont permis d’observer chez les acteurs de la Transition une conscience des frontières sociologiques du mouvement, des pistes de sortie peinent à émerger. Ceci est peut-être dû à la jeunesse du mouvement en Wallonie (moins de 10 ans tandis que son essor n’a vraiment pris que depuis 2012-2013).

Témoignage d’un stage au Cambodge : La joie de vivre au quotidien

Arthur R. est parti en stage au Cambodge, il nous fait part de son expérience. Plus qu’une expérience, une façon de voir les choses différemment !

Je m’appelle Arthur R., je suis récemment diplômé d’un master en bio-industries à la Haute École Charlemagne à Huy.

J’ai choisi de réaliser mon stage de fin d’études au Cambodge avec Eclosio, une ONG qui supporte la souveraineté alimentaire dans les pays en voie de développement.

Mon projet s’est porté sur le développement d’une nouvelle alimentation destinée à la volaille de race locale. Le but était de remplacer l’alimentation industrielle fortement utilisée par les productrices et producteurs locaux par une alimentation plus naturelle et durable ayant une productivité similaire.

Mon projet s’est porté sur le développement d’une nouvelle alimentation destinée à la volaille de race locale. Le but était de remplacer l’alimentation industrielle fortement utilisée par les productrices et producteurs locaux par une alimentation plus naturelle et durable ayant une productivité similaire. C’était un challenge de taille puisqu’il s’agissait également de trouver un emplacement pour effectuer l’expérimentation, de communiquer avec les personnes sur place, de s’adapter à leur culture, etc.

Comment un ingénieur industriel peut-il travailler sur un projet de coopération dans un pays dit « du Sud » ?

Entre mes humanités et mes études supérieures, je suis parti 1 an à l’étranger pour apprendre les langues. Durant cette année, ce que j’ai le plus aimé c’est la découverte d’un autre pays, d’une culture différente et d’une façon de vivre différente. Depuis cette expérience, le voyage a toujours été une de mes priorités. C’est pourquoi, pour finaliser mes études, j’ai préféré vivre une expérience à l’étranger.

Oui, mais où ?

Avant ce stage, j’ai eu l’occasion de voyager en Asie du Sud-Est et notamment au Cambodge. Je suis revenu de ce voyage avec plein de bons souvenirs. J’ai été particulièrement touché par  l’accueil et la joie de vivre qu’il y avait dans ce pays (alors que 31% de la population se situe encore sous le seuil de la pauvreté). Raison pour laquelle, quand j’ai eu l’occasion de partir pour faire mon stage de fin d’études, je me suis directement tourné vers le Cambodge.

Après plusieurs semaines de recherche, une amie m’a parlé d’une ONG (Eclosio) qui organise des projets dans les pays « du Sud ». En me renseignant sur leurs activités, j’ai vite partagé la vision d’Eclosio qui porte sur la souveraineté alimentaire via notamment l’agroécologie. Le projet proposé par Eclosio était un projet autonome avec un suivi hebdomadaire par l‘équipe locale au Cambodge.

Un projet qui nécessite beaucoup de travail et d’engagement

Au début, je ne pensais pas être à la hauteur pour mener un tel projet en autonomie dans un pays étranger, surtout que l’alimentation animale n’était pas ma première spécialité. Me préparer avant mon départ était donc essentiel ! J’ai donc pris contact avec plusieurs spécialistes dans le domaine de l’alimentation animale dont le Dr. Nassim Moula, professeur à l’Université de Liège.

Au début, je ne pensais pas être à la hauteur pour mener un tel projet en autonomie dans un pays étranger, surtout que l’alimentation animale n’était pas ma première spécialité.

Pour mener à bien un tel projet, j’ai essayé de planifier mon voyage (au maximum) à l’avance. Avant de partir, je connaissais donc les informations importantes à collecter, les analyses sur la nouvelle alimentation à réaliser, le nombre d’échantillons sur lequel mon expérimentation allait se porter, etc.

Un contact régulier avec mon maître de stage Sothet Chhay (Manager program d’Eclosio au Cambodge) était également nécessaire pour récolter le maximum d’informations afin de préparer au mieux cette expérience.

Eclosio_Arthur_Stage_Cambodge

Une expérience inoubliable

Je suis arrivé au Cambodge une semaine avant le commencement du stage afin de m’acclimater et de récupérer du décalage horaire. Quitter un pays à 3°C et arriver quelques heures plus tard dans un autre pays avec 30°C et 5 heures de décalage n’a pas été chose facile. J’ai su rapidement m’adapter à la culture locale puisque j’y étais déjà allé 2 ans auparavant. Heureusement, car le fonctionnement de la monnaie locale et des moyens de transport cambodgien est assez compliqué.

La semaine suivante s’est consacrée à la rencontrer avec l’équipe d’Eclosio sur place, les fermiers locaux avec lesquels j’allais travailler et la présentation du projet.

J’ai réalisé ce stage en collaboration avec un étudiant cambodgien, Mr Menghuy, qui terminait également ses études. Travailler avec lui m’a beaucoup aidé sur le plan linguistique, culturel et sur la manière d’aborder un problème.

Eclosio_Arthur_Stage_CambodgeJ’ai réalisé ce stage en collaboration avec un étudiant cambodgien, Mr Menghuy, qui terminait également ses études. Travailler avec lui m’a beaucoup aidé sur le plan linguistique, culturel et sur la manière d’aborder un problème. Je me souviens par exemple de la fois où il a fallu trouver une solution rapide pour renforcer les clôtures, car les poulets divaguaient d’un échantillon à un autre. Il m’a montré une technique de chez eux et 2 heures après, le problème était résolu.

Néanmoins, le choc culturel a également ses mauvais côtés. Il y avait parfois des divergences d’opinions qui rendaient le travail plus compliqué. Nous avons alors fait  preuve de flexibilité et d’ouverture d’esprit pour remédier à ce problème.

Un accueil de qualité

Le Cambodge est un pays sûr et où il y fait bon vivre. L’accueil, une de mes motivations à partir dans ce pays, était exceptionnel. Mon projet a eu lieu dans la Province de Takeo à 70 km au sud de Phnom Penh. Durant la semaine, je me restaurais chaque midi dans un petit restaurant familial au bord d’une route commerciale. Alors que la famille ne parle pas anglais, j’ai été convié après 1 mois à une de leur réunion familiale pour me remercier de manger chez eux. Leur nourriture était excellente et leur générosité était sans égal. J’étais assis à leur table plus comme un invité, mais bien comme un ami. C’est un de mes meilleurs souvenirs.

J’étais chez eux presque tous les jours et je ne me suis jamais senti étranger. Encore une fois, une qualité d’accueil impressionnante.

Une autre famille qui m’a accueilli généreusement, c’est celle d’un fermier local, Mr Thy, qui a accepté que je réalise mon expérimentation dans sa ferme. Il était ouvert d’esprit sur la manière de réaliser le projet et il n’hésitait pas à m’aider quand il me voyait en difficulté. Il ne parlait pas anglais et pourtant on se comprenait même si les dialogues n’étaient pas très élaborés. J’étais chez eux presque tous les jours et je ne me suis jamais senti étranger. Encore une fois, une qualité d’accueil impressionnante.

Pour moi, à côté de la richesse personnelle de ce stage, c’est ce genre de rencontre qui a rendu ce voyage si attractif et inoubliable.

Que dire du plus !

Faire un stage dans une industrie, ce n’est pas compliqué. Mais réaliser un stage en autonomie en anglais dans un pays étranger, avec un vrai but dans l’espoir d’aider un peu le quotidien des productrices et producteurs locaux, ça, c’est un challenge.

Comme je l’ai dit, ce genre de projet demande beaucoup de travail, d’engagement, une faculté d’adaptation, de la patience, du courage… mais en fin de compte, au moment de quitter ce pays, on a qu’une seule envie, y retourner.

Eclosio_Arthur_Stage_Cambodge

Quelques conseils…

Avant de partir

Si je devais donner quelques conseils aux futurs stagiaires, je vous conseillerais de préparer le voyage correctement : renseignez-vous sur le logement, la monnaie locale, les moyens de transport et leurs prix, les vaccins, passeport, moustiquaire, etc.

Préparez-vous aussi  rigoureusement pour le projet : documentez-vous sur le sujet, prenez contact avec l’équipe Eclosio, réalisez une table des matières, préparez une liste de questions qui vous aideraient à mener ce projet à bien, etc.

Pendant le stage

Pendant le stage, gardez un contact régulier à propos du déroulement du projet avec l’équipe Eclosio locale et en Belgique. Lors de l’expérimentation, n’hésitez pas à demander si les personnes concernées ont bien compris l’idée que vous vouliez véhiculer.

Je vous conseille également de prendre le maximum de numéros liés au personnel d’Eclosio sur place dès le début de stage. Tous les cambodgien·ne·s ne parlent pas spécialement l’anglais, et pour toutes questions ou négociations, il est préférable de laisser son homologue cambodgien·ne  pour discuter.

Sur le plan pratique, il est utile de conserver un numéro de taxi local pour assurer les déplacements hebdomadaires entre Phnom Penh et Takeo. Je vous conseillerais le taxi au bus partagé car il est moins cher, plus confortable et plus rapide surtout qu’il est également possible de négocier l’endroit de prise en charge avec le taxi.

Au final

Cette expérience a été un succès total tant dans le cadre de mes études que sur l’aspect personnel. J’y retiens des souvenirs mémorables et qu’une seule envie : y retourner.

J’espère avoir aidé Eclosio à trouver une piste pour le développement d’une nouvelle alimentation destinée à la volaille afin de contribuer à une légère amélioration du niveau de vie de ces habitant·e·s.

J’ai trouvé que l’encadrement d’Eclosio était très bon et qu’ils s’investissent beaucoup pour les étudiant·e·s. Je tiens à remercier cette ONG de m’avoir permis de vivre cette expérience.

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Figure 1 : Préparation de l’alimentation pour les poussins de 0 à 6 semaines avec Menghuy et Him Nob (Arthur Rossolino, 2018)

Figure 2 : Finition et transport des sacs d’alimentation pour la volaille de 6 à 10 semaines avec Menghuy (Arthur Rossolino, 2018)

Figure 3 : Découpage des feuilles de Chaya pour la nouvelle alimentation de la volaille de 6 à 10 semaines (Menghuy, 2018)

Bokashi, cet or vert aux mains des familles paysannes

Aude P. est partie 5 mois au Cambodge pour réaliser son stage de fin d’études. Une fois de retour, elle nous partage son témoignage.

Mon intérêt était déjà porté sur le maraîchage, le circuit court, la coopération internationale et l’agroécologie. Mais, tous ces centres d’intérêts ont bien sûr un point commun : améliorer la souveraineté alimentaire de la population. C’est exactement ce qu’Eclosio proposait dans ce stage au Cambodge.

Poursuivant des études en agronomie avec un master en développement international, j’ai réalisé mon stage et mon travail de fin d’étude au Cambodge. Avant de participer à ce stage, mon intérêt était déjà porté sur le maraîchage, le circuit court, la coopération internationale et l’agroécologie. Mais, tous ces centres d’intérêts ont bien sûr un point commun : améliorer la souveraineté alimentaire de la population. C’est exactement ce qu’Eclosio proposait dans ce stage au Cambodge : travailler à améliorer cette souveraineté alimentaire par le biais d’une étude sur l’optimisation d’un fertilisant naturel appelé bokashi, une sorte de « compost » mature en trois semaines et amélioré par l’ajout de micro-organismes qui aident à la décomposition des composants utilisés.

Ce projet a été initié par une association paysanne khmer appelée « Udom Sorya » qui désirait plus d’autonomie dans leur production vivrière. Celle-ci coordonne toutes les étapes, de la production à la commercialisation aux alentours. Quand la production s’agrandira, la coopérative pourra alors répondre à la demande des 506 potentiels client·e·s.

De plus, la vie du sol m’a toujours intriguée, cela représente pour moi un domaine nouveau et peu connu par la majorité. Les fourmis dans les jambes me démangeaient, l’envie de partir m’habitait depuis longtemps. Ce stage en Asie du Sud-Est était donc une occasion parfaite.

Eclosio représentait pour moi une ONG de confiance grâce à leur transparence et leur désir d’agir localement dans le secteur de l’agriculture et notamment par leur soutien à la production de « bokashi » à Takéo.

La vie du sol m’a toujours intriguée, cela représente pour moi un domaine nouveau et peu connu par la majorité. Les fourmis dans les jambes me démangeaient, l’envie de partir m’habitait depuis longtemps. Ce stage en Asie du Sud-Est était donc une occasion parfaite.

Eclosio_Stage_Cambodge_Bokashi

Agir dignement et travailler méticuleusement

Lors de mon stage, j’ai eu la chance de travailler en binôme avec Oudom, étudiant cambodgien de l’Institut Technique du Cambodge à Phnom Penh. Oudom a réalisé les analyses chimiques du bokashi pendant que je réalisais le travail d’expérimentation sur le terrain à Takéo. Le développement d’une méthodologie qui correspondait à toutes les attentes a été fastidieuse cependant nous y sommes arrivés en amenant des idées novatrices et motivées au projet. Sur le terrain, je travaillais soit avec des agricultrices et agriculteurs de la coopérative, soit en autonomie. Lorsqu’il était prévu de produire et retourner le bokashi, je pouvais compter sur leur aide sans souci malgré la barrière de la langue. Ce dernier aspect compliquait la coordination et la gestion de l’équipe mais cela a toujours été un plaisir de collaborer avec des personnes très investies et joyeuses.

Durant mon séjour, j’ai eu l’occasion de vivre dans la famille de Mr Kong Meourn. Son accueil était totalement exceptionnel. Pendant ces cinq mois, j’ai eu l’impression d’être considérée comme une de leur fille. Loger chez l’habitant m’a permis d’être proche de mon endroit de travail. En effet, une serre avait été créée expressément chez eux pour accueillir l’expérimentation sur le bokashi, serre qui sera bien entendu très utile par la suite.

À quoi ressemblait mon stage en dehors de mon expérimentation ?

Mes principales activités ont été de travailler au bureau à Phnom Penh, visiter des fermes agroécologiques, participer aux différentes conférences qui me permettait de rencontrer différents acteurs dans les associations partenaires et de discuter de leur métier, recevoir de l’aide technique et d’apprendre davantage sur l’agriculture au Cambodge.

Une des personnes qui m’a le plus marqué et touché est ma maître de stage, IM Sothy, une femme très active et drôle. Elle désire partager sa culture et son mode de vie, ce qui était une aubaine pour moi. Sa joie de vivre et son désir d’avancer était contagieux, elle est animée d’une intelligence et d’une bienveillance envers son entourage.

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Atmosphère chaude, vibrante et joyeuse

À mon arrivée, dès que les portes de l’avion se sont ouvertes, une atmosphère vibrante et joyeuse m’a enivrée. À Takéo, l’atmosphère est plus détendue : les enfants crient « Hellloooo » à l’autre bout du champ lorsqu’ils aperçoivent ton vélo et se précipitent à la fin des cours pour te rejoindre, la dame de la petite échoppe à qui tu achètes des boissons t’appelle de la main pour t’offrir une friandise, car elle trouve que tu travailles trop.

La langue n’était pas simple à apprendre, j’ai donc développé une nouvelle compétence grâce au khmer : me faire comprendre grâce à la gestuelle plus que par le langage.  Les échanges par traduction « Google » occasionnaient aussi des quiproquos hilarants.

Le cœur sur la main, la main sur le sol et le sol dans la tête

Je trouve que cette phrase résume parfaitement mon ressenti sur la courte période que j’ai passé au Cambodge dans la province de Takéo.

Cette première expérience dans un autre continent m’a permis de sortir de ma zone de confort. Je dirais que l’approche culturelle, la richesse des échanges, la connaissance du monde des ONG et l’introspection représentent les valeurs clés de mon stage.

Après un stage comme celui-ci, vous saurez que le travail ne se compte pas en heure, mais en nombre de litres de sueur qui perlera de votre front.

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Après un stage comme celui-ci, vous saurez que le travail ne se compte pas en heure, mais en nombre de litres de sueur qui perlera de votre front. Ce que j’ai apprécié le plus lors de cette expérience était de me sentir utile et de participer à ce mouvement agroécologique qui contribue à la souveraineté alimentaire des familles paysannes. À l’approche de la fin de mon stage, j’ai même eu la chance de participer à l’initiation du projet suivant lors d’échanges avec des étudiant·e·s venu·e·s réfléchir et travailler sur la mécanisation du bokashi.

Si je devais donner des conseils…

Je dirais de ne pas hésiter à faire de nombreux feedbacks avec l’équipe d’Eclosio au Cambodge, même s’il vous semble que leur programme est bien chargé, ils restent très disponibles. Il en est de même pour l’équipe belge d’Eclosio. Cela permettra de débloquer certaines situations.

Ciblez votre thématique de recherche et préparez votre voyage et votre étude le plus possible.

Dépassez-vous dans votre domaine, car certaines opportunités s’offrent à vous et il est possible que vous ne les trouviez nulle part ailleurs.

Je voudrais également remercier Eclosio pour m’avoir permis de participer à ce stage.

Dépassez-vous dans votre domaine, car certaines opportunités s’offrent à vous et il est possible que vous ne les trouviez nulle part ailleurs.


Figure 1 : Transplantation des laitues avec l’aide de Mme You LUN, présidente de la « Peri-urban agriculture cooperative » et Monsieur SAO, chef du village de Taso et membre de la coopérative « Oudom Sorya », Takéo (Meourn, 2018)

Figure 2 : Production du bokashi avec l’aide de membres de la coopérative « Oudom Sorya », Takéo (Collet , 2018)

Figure 3 : Equipe d’Eclosio au Cambodge composé de (en commençant par la gauche) : Mme Sothy IM, ma maître de stage, Mr Sothet CHHAY, coordinateur de projet et Mr Sokha NHEM, expert comptable. Mr Arthur ROSSOLINO était également stagiaire et menait une expérimentation sur l’alimentation de la volaille à Takéo. (Him, 2018)

Figure 4 : Préparation des composants, balle de riz brûlé, avec Oudom, mon binôme cambodgien, Takéo (Collet, 2018)

Les activités humaines : une menace pour les mammifères marins

publié par UniverSud en février 2019

D’après le rapport annuel du Réseau National d’Echouages français, 1 897 échouages de mammifères marins se sont produits au cours de l’année 2017 sur les côtes françaises (3 427 km), soit presque 300 de plus qu’en 2016. En Belgique, ce sont 216 mammifères marins qui se sont échoués au cours de l’année 2017 (pour 66 km de côtes) et 258 échouages en 2016.

La découverte d’une baleine morte ou agonisante sur une plage est souvent à l’origine de scandales médiatiques. Sont-ils justifiés ? Mais surtout, ces drames sont-ils bien expliqués auprès du grand public ? Les échouages de mammifères aquatiques – incluant principalement des espèces de baleines, de dauphins et de phoques – sont définis par la présence sur le rivage de l’un ou plusieurs de ces animaux morts ou vivants, mais, dans ce derniers cas, incapables de retourner à l’eau par leurs propres moyens. Il est alors nécessaire d’agir très vite afin de maximiser leurs chances de survie. Mais pourquoi ces animaux s’échouent-ils ? Lorsqu’un échouage massif se produit, avec des dizaines d’animaux retrouvés sur une plage, sait-on toujours l’expliquer ? Si la plupart du temps les autopsies et analyses complémentaires permettent de trouver la cause de la mort, il reste encore des cas que les scientifiques peinent à élucider. Parmi les causes connues, nombreuses sont d’origine anthropique. L’homme est donc en partie responsable de la mort de ces animaux.

L’homme et la baleine

L’existence de nombreuses références écrites démontre l’intérêt de l’homme pour les mammifères marins depuis plusieurs millénaires. Pour certaines populations, ils étaient une source d’alimentation et, de ce fait, une importance culturelle, perceptible à travers des légendes et des mythes, leur a été accordée. L’importance économique des mammifères aquatiques est principalement due à leur chasse qui a toujours existé mais qui a pris une dimension inquiétante ce dernier quart de siècle à cause de l’exploitation commerciale intensive de la viande, la graisse et, parfois, du pelage de ces animaux. L’amélioration des méthodes de chasse et des moyens techniques a considérablement favorisé l’amplification de ce phénomène, risquant ainsi l’extinction de nombreuses espèces telles que la baleine bleue (Balaenopteramusculus) et le rorqual boréal (Balaenopteraborealis).

Par ailleurs, ces dernières années, s’est répandu mondialement le tourisme baleinier, appelé également Whale-Watching en anglais. L’objectif étant l’observation de ces animaux dans leur milieu naturel, l’impact négatif est limité. Pourtant, selon certaines études, les animaux pourraient être dérangés et désorientés lors de leur migration. Il reste incontestable que le tourisme baleinier permet le développement économique des régions où il est pratiqué, ainsi que la sensibilisation du public à la protection et à la conservation de ces espèces menacées.

En dehors de l’impact socio-économique des mammifères aquatiques, ceux-ci ont une importance considérable pour la science. N’oublions pas que la pêche à des fins scientifiques est autorisée et qu’elle est régie par l’article VIII de la Convention internationale pour la règlementation de la chasse à la baleine (International Convention for the Regulation of Whaling, 1946). Les mammifères marins ont un rôle clé en tant qu’espèces sentinelles écologiques, permettant la surveillance de la pollution de l’environnement et de l’impact des activités humaines sur celui-ci.

L’activité humaine, responsable de la mort des baleines

La responsabilité de l’homme dans les échouages de mammifères aquatiques est engagée et il est important d’en être clairement informé. Contrairement à ce qui est véhiculé par certaines croyances, les échouages massifs ne sont pas des suicides collectifs. Ils ne sont pas non plus, comme le racontent certaines légendes, un sacrifice de la part des animaux pour offrir de la viande à manger aux populations côtières. Ces fausses idées résultent du manque d’information et, par conséquence, d’un manque de prise de conscience du public. Le principal risque de ces explications erronées est que nous ne nous sentions pas concernés par la mort de ces animaux, pensant n’avoir aucune responsabilité. L’étude des causes d’échouages de mammifères aquatiques a mis en relief la responsabilité des activités humaines dont les enjeux sont politiques, économiques ou encore culturels. On se retrouve alors face à des conflits d’intérêt réels.

Parmi ces causes de décès des baleines nous pouvons citer la chasse qui reste un véritable fléau. Les animaux sont tués ou parfois blessés puis retrouvés échoués par la suite. Le Japon s’est récemment retiré de la convention internationale réglementant la chasse à la baleine. Cependant, déjà avant cette décision regrettable, le pays poursuivait cette chasse sous couvert de fins scientifiques alors qu’il s’agissait en réalité de raisons culturelles et économiques. Le nombre de baleines tuées par le Japon au nom de la recherche est estimé à 600 par an. En 1950, avant que le pays signe le moratoire sur la chasse commerciale, 2000 individus étaient tués chaque année. Par ailleurs, les animaux peuvent être blessés ou tués suite à des collisions avec des bateaux ou se faisant prendre dans des hélices. Les captures accidentelles dans des filets de pêche ne sont pas rares. La pêche intensive, d’intérêt économique pour l’homme, est également à l’origine de l’effondrement de stocks de poissons servant de proies aux mammifères aquatiques.

Un autre problème majeur est la pollution acoustique des océans, générée par de nombreuses activités humaines d’intérêt politique et économique. Parmi celles-ci, on retrouve principalement les sonars militaires et les activités industrielles lors de prospections sismiques de pétrole ou de gaz. Ces nuisances sonores désorientent les animaux, provoquant parfois leur échouage sur les côtes. Elles peuvent aussi être à l’origine de frayeurs, les menant à cesser de suivre leurs « protocoles » habituels de plongée, provoquant ainsi des syndromes de décompression responsables de la mort. Des effets physiques plus directs peuvent également être observés sur les organes internes.

La présence de polluants issus d’activités humaines, citons les métaux lourds, les hydrocarbures ou encore les organochlorés, un type de pesticide, peuvent être responsables d’intoxications et d’immunodéficience chez les mammifères aquatiques. Si les symptômes causés par cette pollution peuvent parfois paraitre légers et passer inaperçus, il serait dangereux de l’occulter. Elle peut être, en effet, à l’origine d’une mortalité brutale et massive lors de marées noires. Il arrive également fréquemment que l’on retrouve, lors des autopsies, des morceaux de plastiques dans l’estomac des de ces mammifères échoués, voire des sacs plastiques entiers indéniablement à l’origine de la mort de l’animal.

Une prise de conscience nécessaire et un réveil politique

Les pouvoirs politiques, souhaitant traiter en priorité les conditions de vies humaines, peuvent faire preuve d’un certain manque d’intérêt pour la vie des mammifères aquatiques. Il se crée alors une opposition, contestable nous ne pouvons qu’en convenir, entre la préservation de l’animal et le bien-être de l’humain. Il est donc important d’insister dans ce contexte sur le concept « One Health » qui explique l’existence en réalité d’une seule santé, réunissant celle de l’environnement, des animaux et la santé publique, notions indissociables les unes des autres. L’environnement peut, en effet, avoir un impact sur notre santé, c’est le cas lors de pollution intense. Les animaux peuvent également nous transmettre des maladies qui, pour certaines, peuvent s’avérer mortelles. La brucellose, une maladie grave avec des symptômes neurologiques provoquée par une bactérie, en est la parfaite illustration. La transmission de maladies infectieuses peut se faire par contact direct avec l’animal ou par contact indirect, en consommant leur viande ou en étant en contact avec les sécrétions de l’animal (urines, selles, etc.). S’intéresser de près aux échouages des mammifères aquatiques ne s’oppose donc en aucun cas à la prise en considération de la santé humaine.

La mise en place de réseaux de surveillance des échouages de mammifères marins est essentielle. Il s’agit d’organisations pouvant être locales, nationales ou impliquant plusieurs pays, qui permettent d’apporter une réponse rapide et adaptée à ces situations. Ces réseaux apportent de nombreux avantages : éviter que les animaux morts soient en contact avec la population de façon non contrôlée alors que les risques pour la santé humaine existent (morsures, maladie, etc.) ; utiliser les éléments recueillis en tant que bio-indicateurs de la santé de l’environnement et en tirer des conclusions quant aux risques pour l’homme ; connaître la prévalence de maladies, éventuellement transmissibles à l’homme, portées par ces espèces ; améliorer les connaissances scientifiques sur ces animaux afin de contribuer aux mesures de conservation et de protection ; sauver les animaux vivants échoués lorsque c’est encore possible ; et enfin, élucider les causes de la mort de l’animal. Ils permettent également de recenser les échouages se produisant afin d’obtenir des données objectives. Il s’agit donc, entre autres, à travers les échouages de mettre l’accent sur la santé humaine en identifiant les risques pesant sur elle et ainsi limiter le fondement des arguments justifiant le désintérêt pour les échouages de mammifères aquatiques par la priorisation de la santé humaine. Il existe encore de nombreuses zones côtières où réseaux de surveillance des échouages sont absents, notamment en Afrique, où peu de données sont mises à disposition. Les vétérinaires, l’ensemble de la communauté scientifique, les États et les associations doivent travailler à la mise en place de tels réseaux là où ils manquent. Les dirigeants politiques doivent réfléchir à la réduction des conflits d’intérêts qui ne cessent de peser directement et indirectement sur la vie des mammifères aquatiques. Ils doivent également être attentifs au respect des conventions, signer celles qui ne le sont pas encore, développer celles qui peuvent l’être et en mettre en place de nouvelles si nécessaire. Outre les conventions internationales, le droit national et des dispositions légales ont également un rôle important à jouer dans la préservation de ces espèces animales.

Chacun de nous peut également agir pour protéger les mammifères aquatiques. Cela commence par une consommation raisonnée et respectueuse de l’environnement, en évitant l’utilisation de sacs plastiques, et par la gestion correcte des déchets ménagers. Chaque citoyen peut décider de s’investir dans des associations pour la défense de ces animaux et de leur environnement. Il est aussi possible d’être volontaire pour les réseaux de surveillance des échouages dans de nombreux pays : en signalant les échouages, en encourageant la communication et la sensibilisation auprès du grand public ou encore en aidant à gérer les échouages.

L’engouement médiatique provoqué par les échouages de mammifères aquatiques est incontestablement fondé. Il doit permettre de dénoncer les nombreuses conséquences néfastes des activités humaines sur la santé animale, environnementale et bien évidemment publique. Lorsqu’un sac plastique est retrouvé dans l’estomac d’une baleine on l’apprend en général en lisant les journaux. Malheureusement l’ensemble des phénomènes sous-jacents qui peuvent être à l’origine de la mort de l’animal et qui sont souvent des répercussions des activités de l’homme ne sont pas encore assez dénoncés, voire occultés. Nous avons tous la possibilité de changer les choses et il en va de notre responsabilité de citoyen de s’informer, d’informer et enfin, d’agir.

Sarah Wund

Bienvenus à l’Université. Quand étudier devient un luxe

Ce lundi 19 novembre 2018, le Premier Ministre français Edouard Philippe a annoncé une nouvelle stratégie pour attirer les étudiants internationaux dans l’enseignement supérieur français. En effet, les frais d’études pour les étudiants hors Union Européenne seront considérablement augmentés, il en résulte que ces étudiants devront payer dorénavant 2.770 euros en licence et 3.770 euros en master et doctorat[1].

Selon le gouvernement, cette initiative nommée « Bienvenue en France » vise à augmenter les moyens pour proposer un meilleur accueil aux personnes étrangères. Or, cette mesure cache une réalité toute autre ; celle d’une politique discriminatoire qui mettra en difficultés un grand nombre d’étudiants.

…Et en Belgique ?

L’actualité française rejoint la réalité belge. Il s’agit d’une réalité peu connue et pourtant, c’est une réelle entrave à l’équité. La question de l’inégalité du coût de l’enseignement supérieur entre étudiants européens et étudiants hors-UE se doit d’être remise sur la table.

 

Le minerval à payer afin de fréquenter une des Universités francophones en Belgique s’élève, sauf exceptions pour les ménages à revenus modestes, à 835 euros. Ceci ne concerne cependant que les étudiants issus d’un des pays de l’Union Européenne.

Les personnes ressortissantes d’un pays hors Union Européenne doivent quant à elles payer des frais d’inscription majorés.

Le 16 juin 2016, la Fédération Wallonie-Bruxelles a voté le décret « refinancement » de l’enseignement supérieur, qui prévoit que dorénavant l’ARES[2] est libre de demander jusqu’à 15 fois le minerval « normal » aux étudiants étrangers, soit jusqu’à 12.525 euros par an. Les frais d’inscription majorés ont notamment été fixés à 4.175 euros pour les non-ressortissants de l’UE, et ce, pour au moins une durée de 4 ans. Sont exemptés de payer ces frais majorés, en plus de certains cas exceptionnels, les ressortissants des pays les moins avancés, repris sur une liste officielle.

Notons qu’il ne s’agit pas uniquement d’une difficulté au sein des Universités, les Hautes Ecoles, elles aussi, pratiquent des frais d’inscription largement plus élevés pour les étudiants hors-UE.

En réponse à ce décret, des étudiants des différentes Universités ont rapidement commencé à se mobiliser sous le slogan « Non à la hausse du minerval des étudiants hors UE ! ». Dans ce contexte, des étudiants ont occupé l’Université libre de Bruxelles et l’Université Catholique de Louvain en avril 2017 afin de montrer leur désaccord avec ces mesures inégalitaires.

C’est ainsi que s’est mis en place le 2 mai 2017 une rencontre entre les recteurs des Universités, la délégation représentant les étudiants qui occupaient les bâtiments, des représentants du Ministère de l’Enseignement supérieur ainsi que des représentants de l’ARES. Cette rencontre a débouché sur des accords divers.

4175 euros ; cela correspond à 5 fois le prix que doivent payer les étudiants européens. Sachant que les étudiants qui doivent payer le coût « normal » de 835 euros se retrouvent déjà bien souvent en situation de précarité financière, cette inégalité devient encore plus frappante pour les étudiants étrangers.

D’autant plus que pour les personnes d’origine étrangère, des frais administratifs élevés s’ajoutent aux frais d’études. Cette réalité est décrite par un étudiant qui s’est trouvé dans cette situation dans son quotidien : « Ça ne s’arrête pas au minerval, on doit payer pour le renouvellement du séjour. On voit bien, les tarifs ont augmenté […]  Et après il faut vivre, il faut payer un loyer, c’est compliqué. ».

Sachant qu’un étudiant en Belgique a le droit de travailler pendant une durée maximale de 475 heures par an, il devient difficilement envisageable pour un étudiant hors UE, qui vit souvent isolé en Belgique, de pouvoir payer tout cela de façon autonome. C’est d’ailleurs ce que nous confirme l’étudiant interrogé : « Quand j’ai dû payer les 4.175 euros, je t’assure, ma famille a dû payer une partie, parce que c’était énorme je ne pouvais pas payer cela. »

Pourquoi majorer les frais d’inscription pour les non-ressortissants de l’UE ?

Trois arguments phares sont souvent avancés par les défenseurs de cette politique.

Un premier argument, qui a d’ailleurs été utilisé de la même manière en France par Edouard Philippe, consiste à dire que les étudiants concernés par cette majoration ont de toute façon les moyens pour payer un minerval plus conséquent. Cet argument, profondément simpliste, se base sur une vision stéréotypée des étudiants qui viennent faire leurs études en Europe. Certes, il ne s’agit certainement pas des personnes les plus pauvres de leur pays. Cependant, même si on suppose que ce ne sont que les personnes aisées du pays qui viennent, il est scientifiquement prouvé que la part de la population la plus riche dans les pays dits « du Sud » est en moyenne plus pauvre que la part de la population la plus pauvre dans les pays dits « du Nord ». Dans cette optique, cet argument perd entièrement sa valeur. Demander des frais d’inscription majorés mettra dans tous les cas en difficultés financières un grand nombre des étudiants concernés.

Le deuxième argument qui est souvent présenté par les défenseurs des frais majorés est l’argument financier, selon lequel les étudiants hors-UE ne devraient pas être à charge du gouvernement belge. Même en ignorant le fait que les étudiants étrangers européens ne devraient, selon cette logique, pas non plus être financés par la Belgique, cet argument rencontre bien d’autres paradoxes. Il ne faut pas perdre de vue que ces étudiants contribuent également à l’économie du pays car, en vivant en Belgique, ils consomment des biens et services et payent des taxes qui reviennent à l’Etat tout comme les étudiants d’origine belge.

Selon les statistiques de l’ARES, en 2015, 5,5 % des étudiants dans l’enseignement supérieur belge sont issus d’un pays hors UE. Il s’agit donc d’une part minime, qui devient encore moins significative si on retire de ces 5,5 % tous les étudiants venant d’un des PMA[3]. En gardant à l’esprit que l’enseignement supérieur a reçu, en 2016, presque 1,3 milliards d’euros de subsides[4] ; est-ce qu’il est vraiment nécessaire de réclamer des frais majorés au petit nombre d’étudiants hors-UE pour ne pas se mettre en difficultés financières ?

Finalement, un troisième argument consiste à dire que le fait de demander un droit d’inscription faible au niveau international reviendrait à créer un doute sur la qualité de l’enseignement. Cependant, cette vision largement élitiste de l’enseignement supérieur risque de renforcer un enseignement à deux vitesses, où seules les personnes les plus aisées, pourront se former comme elles le souhaitent.

Agir pour plus de solidarité

Il devient donc plus que visible que ces mesures, malheureusement peu connues au sein de la société civile, vont à l’encontre des discours d’ouverture et d’égalité des chances, prônés par les Universités et Hautes Ecoles.

C’est d’ailleurs sans doute un des rôles de l’Université de s’adapter à notre monde de plus en plus globalisé et de montrer aux étudiants l’immense richesse que nous apporte le partage des cultures.

Par conséquent, il importe de s’informer, de porter le débat dans l’espace public, et de montrer notre solidarité.

Finalement, c’est aussi aux décideurs politiques de prendre les mesures législatives nécessaires afin de créer un enseignement sans discrimination.

Pascale Felten, Volontaire Eclosio

Bibliographie :

 

[1] A titre de comparaison, un étudiant européen paiera 170 euros en licence et 243 euros en master.

[2] L’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES) est la fédération des établissements d’enseignement supérieur francophones de Belgique.

[3] Pays les Moins Avancés

[4] Chiffres issus du rapport « La fédération Wallonie Bruxelles en Chiffre 2016 »

Lire pour se souvenir. L’esclavage, un passé refoulé


Synopsis

L’esclavage a marqué le monde durant quatre siècles et laisse aujourd’hui encore des traces dans les perceptions et les rapports des descendants des maitres et des esclaves. Pourtant cette histoire est invisibilisée, les témoignages de ces esclaves, leurs points de vue sur cette période est pour ainsi dire inexistants. Emerge depuis les années 90 une nouvelle littérature faite de témoignages fictifs de la vie des esclaves qui réhabilitent aujourd’hui la mémoire des esclaves, leur histoire, leur humanité nous interpelant sur ce pan de notre histoire et nous tançant à lutter contre toutes les formes d’esclavages modernes.


Publié par UniverSud – Liège en novembre 2018

Imaginez… Le jour se lève. Vous vous levez et, le ventre presque vide, vous partez travailler dans les champs. Pas parce que vous êtes paysan, non. Parce que vous êtes esclave. Votre journée est rythmée par le soleil brûlant, la canne à sucre à découper, la morsure du fouet des contremaîtres. Par moment, un cri retentit. Sans doute encore un homme battu, une femme violée, un enfant frappé. À force, vous n’y faites plus attention. Ici, l’homme blanc est Dieu. Vous, vous êtes noir et condamné à l’enfer. Votre famille, si vous avez la chance de la connaître, vit comme vous. Au jour le jour. Encaissant les coups physiques et mentaux. Essayant de garder espoir. Car l’espoir se perd si vite quand on sait que la souffrance n’a pas de fin. Quand on sait que la liberté ne viendra jamais.

L’esclavage en quelques mots

Durant quatre siècles, l’esclavage, ce système social dans lequel des hommes et des femmes en possèdent et exploitent d’autres, était la norme dans les Caraïbes et en Amérique. Mis en place par les Européens tirant d’énormes richesses de l’exploitation humaine dans des îles lointaines, l’esclavage a concerné le monde entier. Alors que cette époque nous paraît lointaine, il est intéressant de se rappeler que l’esclavage n’a été aboli qu’en 1832 en Jamaïque −soit un an après la création de notre État Belge− et au Brésil en 1888. Les richesses générées par l’esclavage ont permis la fondation de villes telles que Liverpool par des marchands d’esclaves, ainsi que directement financé la Révolution Industrielle en Europe. La déportation massive d’Africains et d’Africaines a eu une telle ampleur qu’elle est aussi appelée l’Holocauste noir et est considérée comme la première déportation, exploitation et exécution massive arbitraire à grande échelle dans l’histoire.

Basé sur la déportation et l’exploitation d’hommes, femmes et enfants africains, l’esclavage a graduellement mené à la création d’une société à part entière basée sur le commerce triangulaire. Ce triangle imaginaire représente la trajectoire des navires commerciaux partant d’Europe chargés de babioles en destination de l’Afrique, où ils échangeaient leur cargaison contre des captifs et captives africains. Ceux-ci étaient acheminés jusqu’en Amérique et dans les Caraïbes, où ils produisaient des matières telles que le sucre et le coton, qui étaient enfin ramenées en Europe pour être vendues et créer des richesses.

Au fil du temps, les plantations possédant des esclaves sont devenues des microsociétés à part entière. Les enfants nés sur les plantations, n’ayant jamais connu d’autre réalité, naissaient, (sur)vivaient et mouraient dans la privation de liberté. Un ordre social strict se mit en place selon les tâches attribuées à chacun·e, ainsi que selon la couleur de peau. Dans cette hiérarchie, les plus avantagés étaient les blancs, qui, de par leur couleur, jouissaient automatiquement d’une liberté totale à tous niveaux. Venaient ensuite les métis, souvent les enfants illégitimes des maîtres de la plantation  et assignés aux tâches les moins pénibles. En bas de l’échelle, les noirs assument les éreintants travaux des champs dans des conditions sanitaires souvent déplorables. À la fin de l’esclavage, on dénombrait en Jamaïque 33 esclaves noirs ou métis pour un seul blanc.

L’homme blanc ou le pouvoir de l’édulcorant

Cependant, alors qu’ils étaient majoritaires, on ne sait que très peu de choses sur la vie de ces esclaves. L’histoire, en effet, n’a pas été écrite par eux, mais bien par leurs maîtres. Racontant leur point de vue d’hommes libres et blancs – les femmes n’ayant pour la plupart pas voix au chapitre−, les maîtres ne dévoilent qu’une vision tronquée de l’esclavage. Leur vision, fortement influencée par leurs intérêts politico-économiques, est généralement empreinte de racisme, de paternalisme et d’eurocentrisme. Cette vision partiale est en fait ce qui est parvenu jusqu’à nous et repose sur différents mensonges.

Tout d’abord, capturer et exploiter d’autres êtres humains à si grande échelle nécessite une justification. Dans le cas de l’esclavage, le concept de « race » a été avancé. Ne reposant sur aucune vérité biologique, la notion de race permettait aux  maîtres blancs de justifier l’esclavage des populations noires au nom d’une hiérarchie imaginaire. Bien qu’abolitionniste, le philosophe Condorcet lui-même considérait les Noirs comme étant « le chaînon manquant entre l’homme et le singe ». C’est donc dire que les esclavagistes avaient une vision bien peu humaine des populations noires.

Alors que les maîtres considéraient leurs esclaves comme étant à la limite de l’animalité, cela ne les empêchait pas pour autant de profiter sexuellement d’eux, au risque de se mettre en porte-à-faux avec leurs propres arguments. En effet, le corps des esclaves étant la propriété de leur maître, le consentement importait peu lorsqu’un propriétaire voulait jouir de son investissement. Les femmes, mais aussi les hommes esclaves étaient victimes de sévices et abus sexuels. Dans la société religieuse et « de bonnes mœurs » de l’époque esclavagiste, de tels agissements, bien que généralisés, étaient tus pour ne pas affecter la bonne réputation des planteurs. On n’en retrouve donc que peu de traces dans les sources historiques, où les réalités sont souvent décrites à mi-mots, comme c’est le cas dans journal de Lady Nugent qui décrit la « grande proximité » des maîtres avec leurs esclaves.

Une autre excuse souvent mentionnée pour justifier la violence faite aux esclaves était leurs manquements intellectuels. Tels des chevaux à dresser ou des lions à dompter, seule la menace physique pouvait rendre obéissante cette masse noire présumée stupide. Alors que, sans leurs esclaves, les maîtres auraient perdu toute leur richesse, ils ne se gênaient cependant pas pour créer des moyens de torture qui rivalisent aujourd’hui avec les pires films d’horreur : affamement, membres brûlés, ingestion de déjections… Dans une époque célèbre pour son puritanisme et ses bonnes mœurs, la face sombre de l’homme blanc s’exprime librement vis-à-vis de ses esclaves.

Un tabou moderne… et comment en briser les chaînes

L’esclavage a eu des conséquences désastreuses. Sur l’Afrique d’abord, puisque le continent s’est vu voler ses forces de travail, mais aussi sur le plan humain. Les sociétés caribéennes et étasuniennes peinent toujours à se relever du traumatisme des plantations. Le racisme, loin de reculer, progresse sans cesse- en témoignent les résultats des élections étasuniennes avec Donald Trump, et, tout récemment, brésiliennes avec Michel Temer, tous deux de droite. Pourtant, on parle peu de l’esclavage, voire pas du tout.

Alors que la Seconde Guerre mondiale est abordée dans une multitude de médias, l’esclavage et la colonisation qui lui succéda restent des sujets tabous dans la société européenne. Ceci peut s’expliquer par le fait que les Juifs, victimes de l’Holocauste du 20ème siècle, ont laissé derrière eux des écrits racontant leur peur, leur fuite, leur souffrance, leur désespoir. Qui, en effet, n’a jamais lu ou entendu parler du Journal d’Anne Franck ? Des esclaves, en revanche, il ne reste rien. « L’histoire est écrite par les vainqueurs » a dit Georges Orwell, et les esclaves, même après l’abolition, n’en n’étaient pas.

Comment, dès lors que les sources manquent, rendre vie aux milliers de personnes déportées, exploitées, torturées, violées et assassinées au nom du commerce de biens ? Comment rendre compte de ce qu’implique le fait de ne pas s’appartenir soi-même, de ne vivre que parce que son maître accepte de nous laisser vivre ? Comment restaurer l’humanité de ces personnes, trop longtemps considérées comme des animaux ? Pour rendre leur voix aux oublié·e·s de l’histoire et raviver le souvenir de l’esclavage, des auteurs et autrices noir-es issu-es des Caraïbes ont, dès les années 1990, commencé à écrire des autobiographies fictionnelles d’esclaves. Par la fiction, ils comblent les trous laissés par l’histoire et permettent aux lecteurs de découvrir les émotions, les sensations et les pensées de leurs ancêtres. En apportant un nouvel éclairage sur l’esclavage, ils contribuent à entretenir la mémoire des oublié·e·s. Pour le lecteur, se plonger dans une de ces œuvres permet un véritable voyage dans le temps dont on ressort plus empathique et plus conscient de notre histoire mondiale.


Idées de lectures:

  • « Une si longue histoire » d’Andrea Levy
  • « Cambridge » de Caryl Phillips
  • « La mémoire la plus longue » de Fred D’Aguiar
  • « Beloved » de Toni Morrison

La littérature, de par l’empathie qu’elle suscite, peut servir de base pour aborder l’esclavage. Dans un cadre scolaire, par exemple, la lecture d’une autobiographie fictionnelle permet de déconstruire les mythes et d’enseigner aux élèves l’esprit critique : même les livres d’histoire ne sont pas parfaits. Seuls l’art et la littérature peuvent rendre l’aspect humain des tragédies.

C’est d’ailleurs au niveau scolaire, entre autres dans le cadre des cours d’histoire, de français, de philosophie, que la thématique de l’esclavage peut être abordée en profondeur. En discuter permet aux jeunes de prendre conscience du passé compliqué et violent qui lie étroitement l’Europe, l’Afrique et les Amériques. Bien entendu, tous les professeurs ne se sentent pas toujours prêts ou aptes à discuter d’une problématique si délicate, particulièrement devant des publics fortement diversifiés. La création d’associations expertes en la matière, et auxquelles les enseignant·e·s pourraient faire appel en cas de difficultés à aborder le sujet constitue une alternative de loin préférable au silence.

Le silence n’a en effet plus sa place alors que le passé esclavagiste et colonial de notre continent européen est trop souvent oublié. Le système de l’esclavage, qui a façonné la face du monde durant quatre siècles, est à la base des relations complexes entre l’Europe et l’Afrique. Y penser, c’est reconnaître le passé, et empêcher que de telles horreurs se reproduisent. Car l’esclavage n’est pas terminé : le fait qu’il soit devenu illégal n’y change rien. Le joli euphémisme de « traite d’êtres humains » cache une réalité tout aussi horrible que celles des plantations sucrières. En se rappelant les crimes commis par les esclavagistes, agissons également pour que le travail des enfants, l’exploitation physique et sexuelle, la vente d’épouses à peine pubères, les conditions de vie misérables puissent, un jour, appartenir au passé.

Eve Legast

 

 

 

Témoignage de Luis, stagiaire au Cambodge

Par cet article, je souhaite faire part de mon expérience de stage, réalisé au Cambodge au sein d’Eclosio dans le cadre du programme UNI4COOP, à de futurs stagiaires désireux d’aller au-delà de la simple pratique d’application théorique académicienne.

C’est pour conclure la troisième année du Bachelier en coopération internationale que j’ai réalisé mon stage d’intégration professionnelle avec Eclosio. Mais bien avant le Bachelier, j’ai tout d’abord commencé par endosser les casquettes de graphiste de directeur artistique publicitaire et de webdesigner. Dans une lente et progressive « quête de sens » j’ai changé mes casquettes par de nouvelles. Cuisinier tout d’abord et producteur maraîcher bio ensuite. Ces dernières ont nourri un certain intérêt pour l’alimentation et l’agriculture mais m’ont surtout fait prendre conscience de l’état du secteur agricole et du quotidien de celles et ceux qui en sont les premiers protagonistes.

J’avais déjà des vues sur Eclosio pour réaliser mon stage car je m’étais intéressé à ses travaux et programmes dès les débuts du Bachelier. Mais pas uniquement. En effet, en plus de leur longue expertise, connaissances et savoirs, j’ai également choisi Eclosio car je me sentais partager un certain regard sur ce que doit être la coopération, ce regard porté sur la collaboration, sur le renforcement de capacités et sur l’exercice et le respect des droits civiques. Le moment venu, j’ai décidé de m’y porter candidat stagiaire.

Paysage du Cambodge - Luis

Photo de Luis, stagiaire au Cambodge

Les programmes de stage proposés dans divers autres pays semblaient correspondre à mes attentes, mais j’avais dès le début une préférence pour le programme Cambodge et l’intérêt de travailler en anglais afin d’améliorer ma pratique de cette langue. Donc, courriels, entretiens, discussions, blagues et cafés, c’était signé ! Maman, je pars au Cambodge !

Le Cambodge. Sans doute pour une certaine curiosité mystique. Une nostalgie esthétique de la période coloniale ou bien une idée de bout du monde perçu dans cette contrée tropicale atteignable par-delà les montagnes et la jungle qu’à dos d’éléphant ou encore à chercher à révéler la spiritualité profonde de mon moi intérieur. En d’autres mots, partir à la rencontre d’une autre culture et vivre une expérience humaine.

Professionnellement, sans rentrer dans les détails de mes tâches quotidiennes, je simplifierais en disant que ce stage n’a pas révélé de grande découverte en moi. Mise à part quelques éléments théoriques vus en cours que j’ai pu mettre en pratique comme par exemple les enquêtes ou la recherche d’informations, pour le reste c’était du déjà-vu. Cela est bien entendu dû au fait de mon expérience professionnelle passée.

D’un point de vue relationnel, avec le staff local, mise à part quelques points comme par exemple une façon très cadrée / structurée de travailler, cela ne m’a pas semblé bien différent de ce que je connaissais déjà. Par contre ils sont très ponctuels sur l’heure du déjeuner. Midi c’est midi et ils ne se contentent pas (heureusement d’ailleurs) d’un simple sandwich insipide à la farce d’usine. On parle ici d’un vrai repas avec du riz, des fourmis rouge bien croustillantes accompagnés de quelques larves ou bien d’escalopes de serpent !

Cela étant dit, il est très agréable de travailler avec les cambodgiens et cambodgiennes car on ne ressent ni stress ni pression. Cela ne veut pas dire qu’ils n’en ont pas mais leur façon d’être et d’agir ne va laisser transparaître que très peu ce genre de sentiments.

Luis stagiaire au Cambodge

Photo de Luis, stagiaire au Cambodge

Les relations hors cadre de travail, là par contre c’est autre chose. C’est une belle découverte et je pourrais écrire quelques pages sur tous les ressentis et bons moments passés en compagnie des cambodgien·ne·s. J’ai aussi dû prendre sur moi plusieurs situations assez invraisemblables mais avec une grande bouffée de respiration et beaucoup de relativisme, les nuages sombres se sont vite résorbés. Mais je ne peux parler des relations avec les cambodgiens si je ne parle pas de cette rencontre avec Sovandet.

Sovandet, membre du staff local, est le garçon qui m’a accompagné tout le long du stage et même en dehors. Je peux dire que j’ai un ami sur ce que ce mot à de plus noble. Il est le Cambodge à lui tout seul et je ne peux éviter d’exprimer le bonheur d’écrire qu’il me manque. Mon ami me manque.

Arrivé en fin de stage et de retour en Belgique, je ne peux que conclure sur une grande satisfaction de cette expérience professionnelle, culturelle et humaine. Je ne cache pas que le retour fût pour moi un moment fort difficile à passer. J’ai remis en question le travail effectué et mon moral était au plus bas. Je me suis senti tellement proche des cambodgiens culturellement parlant avec ma culture sud-américaine que le choc des cultures s’est produit à mon retour en Belgique et non l’inverse.

Photo d'un plat de riz au Cambodge

Photo de Luis, stagiaire au Cambodge

Mais cette expérience m’a clairement rassuré sur mon choix d’être un futur acteur de la coopération au développement et qui plus est un acteur de terrain et pas (trop) de bureau. Elle m’a également poussé à vouloir en apprendre toujours plus, ce qui fait qu’actuellement je suis en Master 1 des sciences de la population et du développement à l’Université Libre de Bruxelles.

Enfin pour terminer, si je peux me permettre quelques conseils à de futurs stagiaires je dirais de bien vous couvrir de répulsif d’insectes surtout au niveau des coudes, poignets, genoux, chevilles et les pieds en général. Malgré la chaleur je me suis retrouvé à devoir porter des chaussettes pour me protéger des piqûres ! Il y a beaucoup de moustique à Phnom Pen et moins dans les campagnes. Porter des vêtements longs en lin ou coton. Enfin je conseille de goûter aux pâtisseries locales dont une femme passe presque tous les matins devant le bureau avec sa chariote. Sinon je conseille surtout de garder éveillés vos cinq sens en permanence pour apprécier la richesse de ce pays et de sa population.

Luis, Stagiaire au Cambodge (2018).

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques