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Mettre en œuvre des actions de formation et de changement : une relecture contemporaine de Kurt Lewin dans le contexte de l’agroécologie
Les « non indigné·e·s »
Les « non indigné·e·s »
Article original publié dans le quotidien bolivien La Razón, 25.08.2019
Gonzalo Colque, 20.08.19, Directeur de Fundación TIERRA, institution bolivienne partenaire d’Eclosio (traduit par Diana Gérard, volontaire Eclosio)
Le « Mouvement vers le socialisme » (Movimiento al Socialismo – MAS) est immunisé contre ses adversaires politiques et contre ses propres actes. Il se maintient debout sans se soucier d’avoir abandonné ses idéaux de gauche, si bien qu’aujourd’hui, il encourage avec diligence le capitalisme spoliateur des ressources naturelles ou le fait que le binôme Evo-Álvaro se présente pour une quatrième réélection en faisant fi de la constitution et du 21F[1]. Ses militant·e·s, sympathisant·e·s et « invité·e·s » regardent avec impassibilité l’échec du « processus de changement ».
Le Mouvement vers le Socialisme fut une incarnation populaire du ras-le-bol face à la politicaillerie néolibérale. Si on accepte une analogie entre ce mouvement du début du nouveau millénaire et les « indignés » d’Espagne de 2011-2015, on peut dire que les premiers se sont forgés très tôt comme critiques radicaux du libre-échange et du système politique exclusif, mais les choses ont changé. Aujourd’hui il serait plus opportun de les appeler les « non indignés ». Les derniers sondages électoraux portent à penser qu’ils constitueraient une majorité : 6 électeurs et électrices potentiel·le·s sur 10, dont 4 en faveur du MAS et deux encore indécis. Il est frappant de constater que ces derniers, même s’ils envisagent les alternatives, ne rejettent pas complètement le projet d’Evo Morales et de ses partisans de se maintenir au pouvoir.
Se demander qui et pourquoi ils constituent cette masse décisive a du sens, bien que ce ne soit pas le cas pour les opposants qui ont besoin du vote populaire. Essayons une dissection rapide. Tout d’abord, le noyau dur du MAS est formé de partisan·ne· devenu·e·s fonctionnaires publics. La bureaucratie étatique a pris de l’ampleur en même temps que le boom économique et a explosé avec les entreprises étatiques. D’après l’INE, en 2017, le secteur public employait plus de 402.000 fonctionnaires, sans compter les travailleurs et travailleuses temporaires. Ce qui veut dire que dans la Bolivie extractive et rentière, l’emploi dans la fonction publique représente plus de la moitié du travail salarié.
Ensuite viennent les bénéficiaires de l’« effet de ruissellement » de la croissance économique. Ce sont ces travailleuses et travailleurs informel·le·s ou indépendant·e·s qui, encouragé·e·s par l’augmentation de la demande interne, ont su importer et introduire via la contrebande des biens de consommation et dynamiser le secteur des services. Le gouvernement lui-même encourage l’économie informelle en employant des entrepreneurs et entrepreneuses de circonstance ou des consultant·e·s en ligne, par exemple, en dépensant des millions dans le montage de spectacles politiques : écrans géants, haut-parleurs, musique en direct, groupe de danseuses et danseurs et autres.
Un autre secteur d’inconditionnels d’Evo Morales se situe parmi la population d’origine paysanne ou indigène. Bien que peu d’entre eux·elles bénéficient des dépenses publiques et des concessions spéciales (cultivateurs et cultivatrices de coca et coopératives minières), la majorité adhère au MAS en raison de leur identité ethnique et de la haute valeur symbolique qu’ils·elles octroient aux micro-transferts monétaires. Par l’intermédiaire de contacts directs et réitérés avec le Président, on les a persuadé·e·s de ne reconnaître qu’un leadership unique. C’est un leader qui a perfectionné le discours dichotomisant d’ « ami » et « ennemi », le « peuple » incarné en lui-même et la « droite » dans les autres. Ce discours polarisant fait son effet dans la mesure où il reproduit la fissure historique nationale entre les « indiens » et les « blancs ».
Dire que les chef·fe·s d’entreprises ou les militaires font grossir les files des non indigné·e·s n’est pas une nouveauté. En réalité, ils·elles n’apportent pas des voix mais jouent des rôles tactiques. Au lieu d’avoir la mainmise sur les caisses de l’Etat, les militaires promettent la stabilité politique à la classe gouvernante, tandis que les marchand·e·s de terres jurent qu’ils seront le nouveau moteur de l’économie. Le rôle électoral des agro-entrepreneurs et agro-entrepreneuses peut même prendre une connotation insoupçonnée, par exemple, disputer des voix à Carlos Mesa[2] en échange de continuer à élargir la frontière agricole aux dépens de la forêt.
Il est important de savoir qui sont les « non indigné·e·s », mais il est encore plus important d’analyser le pourquoi. Pourquoi ne se montrent-ils·elles pas sensibles face à la perversion d’un régime qui prétend être un gouvernement progressiste et démocratique ? Paradoxalement, les opposant·e·s supposent sans plus que la majorité des électeurs et électrices sont exaspéré·e·s et offensé·e·s par la perte de la démocratie, et par conséquent, ils·elles exigent son retour. Bien que cet angle de vue ait du sens, il ne mobilise qu’un segment de la population qui ne semble pas décisif.
Les réponses ne sont pas simples. Une des hypothèses que nous pouvons avancer est que, malgré les bénéfices matériels et symboliques, certains dans une plus large mesure que d’autres, les « non indigné·e·s » constituent en réalité une partie de la population hautement vulnérable et craintive de retourner à son état antérieur de pauvres, en-dessous des minimas acceptables, et d’exclus par leur condition d’indigène et leur origine populaire. En outre, ceux qui, dans le langage du MAS, sont la nouvelle classe moyenne émergente et populaire, associent l’essor économique – avec ou sans raison- avec la gestion du gouvernement d’Evo Morales.
Depuis un certain temps, le Président se promeut et est promu comme synonyme de stabilité et de garant de ressources immédiates pour les travaux. Maintenant, le slogan de sa campagne électorale est « Evo pueblo, futuro seguro » (« Evo le peuple, avenir assuré »). C’est un discours politique qui joue sur la peur de cette frange de la population vulnérable et fragile. Même plusieurs ministres et haut dignitaires savent qu’en dehors de l’appareil étatique, son autre alternative est la rue.
Les partis d’opposition, frustrés parce que leur proposition phare de récupération de la démocratie ne fonctionne pas, fustigent les partisans du MAS et suscitent des réactions aux élans racistes, comme le fait que nous méritons un Evo Morales car nous ne lisons même pas un livre par an. Ce qui est sûr c’est que leurs offres électorales, qui sont en réalité des listes décousues, ne répondent pas aux attentes de ceux et celles qui vivent dans une situation précaire et de beaucoup d’autres qui se taisent face aux excès du pouvoir politique. Les opposant·e·s ne condamnent pas non plus les affaires du gouvernement avec celles et ceux qui concentrent le contrôle de la richesse générée par l’exploitation des ressources.
Mais le scénario à plus grand risque qu’ignorent ou dissimulent tant les partisan·ne·s du gouvernement que les opposant·e·s, c’est la coïncidence redoutable entre le ralentissement de l’économie mondiale et notre situation de vulnérabilité et de fragilité. Si les prix internationaux chutaient brusquement ou si les réserves de matières premières s’épuisaient, le désastre serait inévitable et généralisé. Malheureusement, il est très probable que cela se produise dans les prochaines années. La Chine ralentit, le commerce mondial stagne et les prix subissent plus de chutes brutales que de hausses. De son côté, la Bolivie épuise ses sources de richesses naturelles et les entreprises étatiques non extractives sont déficitaires. Dans ce contexte, Evo continuera-t-il à être l’avenir assuré de la Bolivie ? Quel sera le sort des « non indigné·e·s » ?
La précarité est un mal répandu. Pour cette raison, le droit de subsister est prioritaire pour de nombreux et nombreuses Bolivien·ne·s, même au-dessus de certains défis transcendantaux et historiques. Le coût politique est élevé : la dégradation sévère de la démocratie et une classe politique qui n’a plus d’idéaux mais que des intérêts.
[1] 21F : référendum du 21 février 2016, lors duquel les Boliviens avaient dit « non » à une modification de la Constitution permettant à Evo Morales de se présenter pour un quatrième mandat.
[2] Carlos Meza est candidat aux élections présidentielles, représentant de la Communauté Citoyenne, de tendance libérale. Actuellement, les sondages le placent en seconde position derrière Evo Morales.
L’article original (en espagnol) est disponible sur le site de TIERRA.
Les « non indigné·e·s »
Les élections générales de Bolivie auront lieu le 20 octobre 2019, pour élire le·la président·e et le·la vice-président·e de l’Etat Plurinational, 130 député·e·s et 36 sénatrices et sénateurs pour la période 2020-2025. Malgré les résultats du référendum du 21 février 2016, lors duquel les Bolivien·ne·s avaient dit « non » à une modification de la Constitution permettant à Evo Morales de se présenter à la réélection, celui-ci a décidé de postuler à un quatrième mandat.
A quelques semaines du scrutin, Gonzalo Colque, Directeur de Fundación TIERRA, partenaire d’Eclosio, partage son analyse dans l’article « Les non indigné·e·s ».
« Les derniers sondages électoraux portent à penser qu’ils constitueraient une majorité : 6 électeurs potentiels sur 10, dont 4 en faveur du MAS et deux encore indécis. Il est frappant de constater que ces derniers, même s’ils envisagent les alternatives, ne rejettent pas complètement le projet d’Evo Morales et de ses partisans de se maintenir au pouvoir. »
Article original (en espagnol) disponible sur le site de TIERRA.
L’agroécologie : évolutions et défis face au marché
Synopsis
En réaction aux limites de l’agriculture conventionnelle, l’agroécologie s’est imposée comme mouvement alternatif et rencontre une demande des consommateurs de produits plus respectueux de l’environnement. Son développement suscite cependant des défis, notamment celui de l’accès aux marchés par les producteurs: comment éviter que les gros producteurs accaparent le marchés et marginalisent les petits producteurs? La libre concurrence est faussée, au minimum une réglementation est nécessaire.
Publié par UniverSud-Liège- Août 2019
Depuis la seconde moitié des années 1940, le processus de modernisation agraire conventionnel et d’industrialisation promu par les pays « du Nord » s’est exporté dans les pays « du Sud » sous le nom de révolution verte en tant que politique de développement agraire. Cette approche s’est encore élargie dans les années 1990 avec la mondialisation économique qui démontre aujourd’hui ses limites : les crises systémiques, le changement climatique, l’insécurité alimentaire et les inégalités sociales affectent de plus en plus l’agriculture familiale.
Face aux limites et aux impacts de cette agriculture, basée sur l’utilisation importante d’énergies fossiles, un changement progressif du modèle agraire conventionnel s’opère dans différentes régions. Des cultures originelles centrées sur la nature au développement de mouvements agraires alternatifs et de courants académiques critiques du statu quo dans les années 30, tout converge vers l’agroécologie en tant que science, praxis[1] et mouvement social. L’importante évolution de l’agroécologie ces dernières décennies et son rapprochement avec le marché alimentaire implique de nombreux défis qui doivent être analysés.
L’agroécologie, un vaste concept
Le cadre conceptuel de l’agroécologie a évolué, intégrant des niveaux de définitions plus larges et plus complets au fil du temps[2] tout en rendant parfois la notion d’agroécologie[3] plus floue, controversée et polyvalente.
Pour Wenzel et Soldat (2009)[4], entre autres, la notion d’agroécologie implique de la considérer comme une discipline scientifique, comme un mouvement social ou comme un ensemble de pratiques agricoles. Elle peut aussi être dimensionnée et différenciée selon son échelle d’approche territoriale ou systémique : au niveau des parcelles, au niveau de l’agroécosystème et au niveau du système alimentaire.
D’autres, tels qu’Altieri ou Gliesman, s’accordent à dire que « l’agroécologie en tant que science, intègre les connaissances traditionnelles et les progrès de l’écologie et de l’agronomie et fournit des outils pour concevoir des systèmes qui, basés sur les interactions de biodiversité, fonctionnent par eux-mêmes et améliorent leur propre fertilité, la régulation des parasites, de la santé et de la productivité, sans exiger des ensembles technologiques[5]”.
L’agroécologie, à partir de son expérience pratique et de son évolution, propose et construit de nouveaux rapports de production avec les variables socio-économiques et environnementales à l’intérieur et à l’extérieur des systèmes agroalimentaires locaux. En mettant l’accent sur la relocalisation socio-économique de l’agroécologie, elle promeut notamment la sécurité et la souveraineté alimentaire. Elle vise notamment à réorganiser les rapports de force afin de rendre le marché plus équitable, à renforcer la résilience sociale et environnementale et à favoriser le bien-être et des modes de vie plus sains pour tout un chacun.
L’agroécologie implique également un processus complexe d’apprentissage dans la gestion des territoires et des agroécosystèmes. Ce processus résulte de l’observation de méthodes, pratiques et connaissances et se réalise à travers différents cycles d’expérimentation basés sur des essais-erreur-adaptation.
L’agroécologie, loin d’être uniquement liée aux pratiques agricoles, est donc un concept englobant de nombreuses notions différentes.
Le marché mondial des produits bio, un marché en augmentation
Depuis la crise économique de 2008, il y a eu une baisse générale de la consommation sur des marchés aux États-Unis, en Europe et en Asie. Ce n’est pas le cas des produits biologiques, qui, au contraire, ont continué de croître à des taux plus élevés que les aliments conventionnels[6]. On estime que depuis 2004, les ventes mondiales de produits biologiques ont augmenté de 157 %[7]. Toutefois, cette croissance soutenue des produits biologiques sur le marché alimentaire mondial, en termes absolus, est encore très relative par rapport au volume commercial des aliments conventionnels. À ce jour, le volume commercial de la demande mondiale d’aliments biologique représente 10% des aliments conventionnels.
Les chiffres indiquent clairement que le marché mondial des produits biologiques est devenu important et qu’il continuera à croître, même si sa valeur de vente – dans de nombreux cas – est supérieure à celle des produits conventionnels. Au cours de la prochaine décennie, le commerce des produits biologiques pourrait approcher le seuil de 25% si les facteurs structurels du marché (présentés ci-dessous) sont surmontés avec une plus grande participation des producteurs et productrices agroécologiques organisés.
Concrètement, une étude[8] réalisée par la chercheuse Allison Loconto sur différents marchés de par le monde a pu mettre en évidence :
- Que le concept de produits « agroécologiques » émerge dans des systèmes alimentaires localisés et diversifiés ;
- Que les produits « agroécologiques » sont commercialisés par des initiatives durables en filières courtes à des prix équitables ;
- qu’il existe un contact personnel et une communication directe entre les consommateur·trice·s et les producteur·trice·s (via les médias sociaux, Internet, les échanges personnels, les visites d’exploitations agricoles) et que ce sont les principaux moyens de valoriser une qualité agroécologique ; et que les marchés agroécologiques sont des initiatives qui durent longtemps et qui créent du lien social, mais que leur autonomie financière n’est pas toujours assurée (ce n’était pas un objectif pour 50% des cas étudiés).
Elle souligne également qu’il s’agit de marchés dynamiques et qu’ils permettent une plus grande disponibilité et un meilleur accès aux produits agroécologiques. En ce sens, les marchés diversifiés de ces produits peuvent contribuer à des régimes alimentaires durables.
Malgré leur potentiel, l’expansion des marchés agroécologiques reste limitée par des facteurs structurels[9] :
- Les produits biologiques sont souvent plus chers et plus difficilement accessibles.
- Les mécanismes de certifications sont complexes et les coûts de transition vers la production biologique sont importants.
- Peu de terres sont cultivées écologiquement : on estime que cela ne représente que 1% de la planète (qui se réparti comme suit : 40% en Océanie, 27% en Europe, 15% en Amérique latine et 12% aux États-Unis et autres pays).
- Sur le marché alimentaire mondial, les intérêts économiques et commerciaux des pays industrialisés et des lobbies des grandes sociétés transnationales prévalent.
- Les effets et impacts de la variabilité et du changement climatique sont incertains. Face à la crise environnementale, les pays dits “développés”, les sociétés agrochimiques, ainsi que certains organismes de coopération technique, intègrent et/ou encouragent également de nouvelles approches technocentrées faisant actuellement l’objet de controverses.
- L’appui politique et institutionnel est insuffisant pour permettre une réelle incitation et dégager les ressources technico-financières nécessaires.
Il existe donc des disparités et de nombreuses limites au niveau des marchés locaux, qui, si on ne les considère pas, peuvent mettre en péril la perspective d’une sécurité et souveraineté alimentaire.
Risques et défis liés au marché
Avec l’augmentation de la demande de produits biologiques, l’offre devrait également avoir augmenté (mais pas nécessairement au même rythme). Sur base d’Altieri (2016), qui soutient que « les principes de l’agroécologie peuvent s’appliquer à n’importe quelle activité, à petite ou grande échelle », nous remarquons que l’évolution d’échelle de la production biologique et des volumes de l’offre commerciale a une dynamique et une portée différentes dans les pays du Nord et du Sud.
Si le contexte de libre-marché présente des débouchés pour la production issue de l’agriculture écologique, ceux-ci ne sont pas accessibles pour tous les acteurs de la même façon. En effet, les « petits producteurs » agroécologiques, disposant de peu de ressources financières, jouent dans la même cour que les acteurs agro-industriels ayant accès à des économies d’échelle et des capitaux importants ainsi qu’à des subsides (tels que ceux de la PAC). Les règles sont les mêmes, mais les dés semblent pipés. Ainsi, l’offre des « petits producteurs » risque d’être écartée de manière structurelle par la réappropriation de l’agriculture écologique par les acteurs industriels dominants[10].
Les nouveaux acteurs de l’alimentation écologique, qui commercialisent aussi des aliments conventionnels, se renforceraient sous les mesures protectionnistes des pays dits “du Nord” et de l’écart avec les politiques de libre-marché imposées aux pays dits “du Sud”, au détriment des producteurs et productrices agroécologiques qui sont déplacé·e·s ou marginalisé·e·s par le marché. Le contrôle de l’État est affaibli et il n’est pas possible de distinguer clairement quelles sont les règles, quels acteurs tiennent vraiment les rênes ni quels intérêts ils représentent.
Mais alors, que faire ?
Dans un tel contexte, certains courants agroécologiques plus critiques affirment que la dynamique et l’évolution du marché alimentaire mondial « conventionnalisent » les modes de production et de commercialisation des produits écologiques. Cela bouleverse les principes et paradigmes de l’agroécologie et risque de la conduire à un dangereux réductionnisme technico-commercial si aucune mesure n’est prise. Il est donc impératif de procéder à une révision permanente des postulats, principes et stratégies de l’agroécologie.
Face à la dynamique et à la “rationalité” du marché, il est important que le mouvement agroécologique, la recherche et les citoyen-ne-s réfléchissent de manière approfondie et autocritique à certaines questions : Le modèle économique hégémonique absorbe-t-il les postulats centraux de l’agroécologie ? Quels sont les risques et les défis de la « conventionnalisation » de l’agroécologie ? Pour le mouvement agroécologique, quels sont les changements futurs envisageables face à la dynamique imposée par le marché alimentaire et les implications pour la sécurité et la souveraineté alimentaires ? Quelles politiques publiques, sans être forcément explicitement en lien avec l’agroécologie, contribuent à réaliser une agriculture familiale durable ?
Les accords, les lois et les règlements qui favorisent le développement de l’agriculture familiale et de l’agroécologie et la consommation d’aliments sains doivent être encouragés et accompagnés d’une volonté politique effective des gouvernements. Toutefois, ces instruments peuvent s’avérer insuffisants pour les marchés déréglementés, où les monopoles ou les oligopoles prédominent et où les consommateurs et consommatrices paient les coûts et où les “petits producteurs et productrices” sont en concurrence déloyale avec les produits subventionnés des pays industrialisés.
Nous savons aujourd’hui que le marché mondial de l’alimentation et de la biodiversité implique des entreprises très rentables, d’où son importance et la priorité qu’il devrait représenter pour les gouvernements dans la conception de politiques, de stratégies et de recherches en matière de développement technologique, d’adaptation et d’innovations dans les services agroalimentaires, sanitaires et environnementaux qui sont stratégiques pour planifier le développement durable.
Walter Chamochumbi, Eclosio
Traduction de Gwendoline Rommelaere, Eclosio.
[1] La praxis se réfère à la pratique, à l’action transformatrice de l’agroécologie depuis la réalité du champs, de la parcelle
[2] Wezel & Soldat, 2009, citado en “Políticas públicas a favor de la agroecología en América Latina y El Caribe”, Red Políticas Públicas en AL y El Caribe (2017), Cap. 1 Concepto de agroecología y marco analítico de Jean-François Le Coq, Eric Sabourin, Erwan Sachet et al, pág.7.
[3] Il existe de nombreux concepts reliés à l’agroécologie, mais ce n’est pas l’objectif principal de l’article de s’attarder sur ce sujet. Les dénominations “agriculture biologique” et « agriculture agroécologique » peuvent parfois être considérées comme synonymes. Ici, nous utiliserons la dénomination agroécologique qui va plus loin que la logique de substitutions des intrants écologiques qui, lorsqu’ils sont liés au marché, deviennent des biens échangeables comme dans le paradigme de l’agriculture conventionnelle.
[5] “La agricultura del futuro será agroecológica”, artículo de Miguel Altieri (2016), en Sociedad y Ambiente, www.ecoportal.net.
[6] “Alimentos orgánicos: Mercado hacia el crecimiento”, artículo en www.prochile.gob.cl / Cultura orgánica, s/a.
[7] “El mercado de productos orgánicos está en auge”, www.concienciaeco.com/2015/06/17/mercado-productos-organicos-esta-auge-infografia / Conciencia Eco, 2015. Revista digital sobre cultura ecológica.
[8]Sur 12 cas de marchés agroécologiques dans quatre pays d’Afrique, deux d’Asie, cinq d’Amérique du Sud et un d’Europe, où il existe plusieurs canaux de distribution diversifiés : l’autoconsommation, les foires et marchés locaux, vente directe, vente sur ferme et dans l’horeca. “Cómo las innovaciones para el mercado fomentan la agricultura sostenible y una mejor alimentación”, 2017, Dra. Allison Marie Loconto, Chargée de recherche, Institut National de la Recherche Agronomique (INRA); Visiting Scientist FAO. Avec la collaboration de : Alejandra Jiménez, Emilie Vandecandelaere y Florence Tartanac de la FAO.
[9] Organic Motor (2010), Chamochumbi, W. (2004, 2005) y otras fuentes citadas. “El mercado de productos orgánicos está en auge” (citado en este artículo).
[10] Bern, A. (2003),”Guía para iniciar el acceso al mercado ecológico y al mercado solidario”. PROMER-FIDAMERICA, 16 p. Citado por Chamochumbi, W. (2004).
Et si le genre transformait notre regard sur l’agroécologie ?
En agriculture comme dans bien des domaines, les femmes sont discriminées par rapport aux hommes. L’agroécologie, aussi vertueuse soit-elle n’est pas, en soit, porteuse de plus d’égalité entre les sexes. Sur ce point, c’est en développant une approche spécifique de genre que l’agroécologie sera porteuse de changement. Entretien avec Sophie Charlier Chargée de mission au Monde Selon les Femmes et présidente du Conseil Consultatif Genre et Développement (CCGD), elle est également professeure invitée au Centre d’études du développement à l’UCLouvain. Sophie Charlier a accepté de répondre à nos questions.
UniverSud-Liège Aout 2019
Eclosio: Nous allons aborder les notions de genre et agroécologie. Pouvez-vous définir ces concepts et nous expliquer les liens que vous voyez entre ces deux notions ?
Le genre, c’est requestionner les rôles stéréotypés, socialement construits entre les femmes et les hommes dans les différentes sociétés et leurs conséquences sur les possibilités de se réaliser chacun·e d’entre nous. C’est aussi, requestionner les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes et rendre visible la place des femmes dans la société.
Notre conception de l’agroécologie féministe est une approche de l’agroécologie qui va bien au-delà la dimension technique agricole. Elle s’inscrit dans une vision globale de la vie (cosmovision) qui relie les écosystèmes agricoles et les systèmes alimentaires, mais également les relations sociales et culturelles, dont les rapports entre les femmes et les hommes. L’agroécologie féministe se réfère à une série de principes et de pratiques qui améliore la résilience et la durabilité des systèmes alimentaires et agricoles tout en revisitant les rapports entre les femmes et les hommes. Concrètement, l’agroécologie utilise des techniques comme le compostage, la recherche de complémentarités entre les espèces (associations de cultures et/ou culture-élevage), l’utilisation minimale (ou aucune utilisation) d’intrants chimiques,… De plus, elle va chercher à intégrer dans sa pratique le croisement des savoirs locaux et des nouvelles techniques agricoles en lien avec l’ensemble des paramètres de gestion écologique de l’espace cultivé (comme l’accès et le contrôle des ressources, la meilleure utilisation de l’eau, la lutte contre l’érosion, les haies, le reboisement…). Elle va également intégrer l’économie c’est-à-dire la manière dont la production peut être utilisée, commercialisée (à travers différents circuits) et/ou consommée directement par la famille ainsi que la notion de travail décent (salaires et sécurité sociale). L’approche par les femmes y ajoute d’autres dimensions telles que la sécurité : la lutte contre les violences, l’accès à une sécurité sociale pour toutes et tous en milieu rural, la sécurité alimentaire de la famille…
Cette approche prend également en compte d’autres dimensions autour des savoirs locaux, des nouvelles technologies et surtout la coresponsabilité des hommes et des femmes au sein de la famille et dans les organisations sociales. C’est donc une approche très globale.
Les rapports de pouvoir et de genre supposent différents besoins spécifiques de la femme qu’il faut prendre en considération. Il est nécessaire de s’interroger sur les connaissances des femmes, leur rôle dans l’agroécologie, les types de cultures qu’elles font et comment les améliorer. Par exemple au Sénégal, la gestion de l’eau pour l’irrigation se fait à travers des organisations sociales, elles établissent le calendrier d’irrigation des champs. On s’est aperçu que les champs des femmes sont toujours irrigués en dernier parce qu’elles ne sont pas présentes ou à une place importante dans l’organisation sociale pour influencer les décisions ou faire entendre leurs voix. Leurs intérêts ne sont donc pris en compte qu’en dernier lieu.
Eclosio: Comment décririez-vous la situation de la femme aujourd’hui dans le monde rural en général et dans l’agroécologie en particulier ?
D’emblée, il faut recontextualiser les situations car les besoins et la façon d’y répondre, diffèrent d’un pays à l’autre. Cependant, on peut trouver des similitudes telles que leurs difficultés à accéder aux ressources (comme la terre, l’eau, la technologie). Dans l’agriculture à l’échelle familiale, on retrouve les femmes le plus souvent dans la production maraichère, le petit élevage ou encore dans la transformation des produits agricoles, même si certaines sont aussi présentes dans les cultures de rentes (mais généralement sur les terres du mari).
En Belgique, elles transforment les produits laitiers en fromage, en beurre et/ou en glace. On retrouve aussi cette logique au « Sud » où les femmes transforment le karité en produits cosmétiques, les céréales en farines alimentaires, les fruits en jus… et les commercialise sur des marchés locaux.
Retenons que l’approche féministe de l’agroécologie transparait également avec les enjeux de sécurité, de coresponsabilité et d’accès différencié aux ressources et aux nouvelles technologies. Par exemple, en ce qui concerne le numérique, il existe des programmes spécifiques pour s’informer des éventuels problèmes de sécheresse ou d’invasion d’insectes ou encore des prix des produits sur différents marchés, mais souvent, même si les femmes ont un téléphone portable, elles y ont très peu accès par manque de connaissances.
Parler d’agroécologie ne signifie pas maintenir une agriculture de survie, mais bien de partir des connaissances ancestrales (notamment dans l’association des cultures, du calendrier agricole…) en les croisant à des recherches pour l’amélioration de celles-ci. Cela signifie notamment pour les femmes, de réaliser des recherches pour améliorer les cultures maraichères et le petit élevage et pas seulement les cultures de rentes ainsi que de développer de nouveaux outils agricoles mieux adaptés aux besoins.
Eclosio: Vous qui avez travaillé avec bon nombre d’organisations et autres groupements féminins dans plusieurs pays, comment appréhendez-vous le regard de ces femmes sur l’agroécologie ?
Les situations sont assez différentes. En Amérique latine par exemple, la notion d’agroécologie est très claire et mise en pratique depuis très longtemps. En Bolivie, lors d’une recherche réalisée avec le Monde selon les femmes, les agricultrices ont proposé une approche de l’agroécologie avec une perspective de genre autour de 7 axes (chiffres symboliques dans plusieurs cultures) : l’accès aux ressources, la production durable, l’accès aux marchés, le travail digne, la sécurité, les savoirs locaux et la coresponsabilité familiale et sociale. Cette approche de l’agroécologie féministe a été reprise à d’autres endroits.
Dans certaines régions du Sénégal, l’agroécologie a aussi un sens même si parfois, les productrices parlent d’une agriculture familiale, leurs pratiques peuvent être liées à l’agroécologie (en associant les cultures et le compost d’origine animale et végétale…). Ainsi, même si elles n’emploient pas forcément le mot agroécologie, elles sont quand même dans des pratiques semblables.
Eclosio: Pensent-elles que cette autre manière de faire l’agriculture peut améliorer les rapports de genre ?
Elles affirment qu’il y a du changement, les hommes sont d’accord également, même s’il y a encore du chemin notamment par rapport à la coresponsabilité familiale et sociale. Au Sénégal, les gens commencent à en parler. C’est un processus long qui fait son chemin. Je ne pense pas que ce soit l’agroécologie en tant que telle qui permette de changer les rapports de genre. C’est plutôt l’agroécologie dans une perspective de genre (féministe) qui portée par les femmes et les hommes peut être porteuse de changements.
Eclosio: Les femmes qui travaillent dans l’agroécologie sont-elles plus engagées dans les mouvements sociaux et paysans ?
En Belgique comme au Sénégal, encore trop souvent, les femmes sont peu visibles dans les mouvements paysans mixtes, mais bien plus présentes dans les mouvements de femmes. Elles ont encore des difficultés à être présentes lors des réunions et à se faire entendre dans les mouvements mixtes, aussi bien dans l’agroécologie que dans l’agriculture traditionnelle familiale. C’est un problème qui existait bien avant qu’on ne parle de l’agroécologie. En Belgique par exemple, elles l’expliquent notamment par le fait que pour assister à une réunion, une personne doit rester à la ferme pour surveiller les animaux. Aussi, c’est plus facilement l’homme qui ira alors aux réunions syndicales mixtes et la femme qui assistera aux réunions de l’organisation féminine.
Eclosio: Donc, que ce soit en agriculture en général ou en agroécologie, les problèmes des femmes sont les mêmes ?
Les difficultés à se faire entendre dans les mouvements, les problèmes de violence sont des réalités qui se retrouvent des deux côtes, ce n’est pas parce qu’on fait de l’agroécologie qu’on a moins de problèmes de violence. Raison pour laquelle il est aussi important de déconstruire avec les hommes les stéréotypes de genre et de travailler sur les rôles et les masculinités au sein des organisations sociales.
Eclosio: Quelle est la position des hommes par rapport à l’agroécologie ?
Selon nos entretiens au Sénégal, les hommes estiment important que les femmes participent aux revenus de la famille, mais par contre, ils estiment que les décisions au sein des structures familiales et sociales doivent rester aux mains des hommes.
On entend souvent dire de la part des hommes que ce sont les femmes elles-mêmes qui lèguent leurs places aux hommes, au sein des organisations sociales. On voit qu’il y a encore tout un travail à faire. Néanmoins, ce travail sur la masculinité en milieu rural commence à se faire.
Eclosio: Dans les endroits où se pratique l’agroécologie observe-t-on des changements dans le regard que les hommes ont sur les femmes ? Sont-ils moins machistes ?
Pas par définition. Au contraire, le milieu rural est très conventionnel. Que ce soit en bio ou en agroécologie, les rapports de genre restent encore stéréotypés. D’où la nécessité de travailler sur la visibilité des femmes. Montrer les rôles qu’elles occupent dans la production familiale et l’importance de prendre en considération de manières spécifiques leurs besoins. Montrer que la réflexion sur la transition doit aussi s’orienter sur la transition des rapports de pourvoir et des rôles stéréotypés entre hommes et femmes dans la société. C’est vraiment un enjeu fondamental à travailler dans la culture et la mentalité profonde qui passe par l’éducation à l’école dès le plus jeune âge. Mais c’est possible d’y arriver, il y a des ouvertures dans la société.
Eclosio: Pour certain·e·s, l’agroécologie peut être perçue comme un retour en arrière. Pensez-vous que cela puisse renforcer un retour vers un système encore davantage patriarcal ?
Non, je suis convaincue que non. Certaines pratiques viennent en effet de cultures ancestrales, mais il y a une recherche continue pour améliorer ces pratiques, pour qu’elles soient plus performantes et prendre en compte toutes les dimensions de l’agroécologie. Ce n’est donc pas un retour en arrière. Par exemple, avant, on ne parlait pas de coresponsabilité, on n’utilisait pas les nouvelles technologies de l’information (avec les téléphones, etc.). C’est d’ailleurs important que les femmes, autant que les hommes, soient formées à ces nouvelles technologies.
Eclosio: Quelle est la place du genre et de l’agroécologie dans la politique de coopération belge ?
Il y a une ouverture dans la politique agricole sur les questions de genre au niveau de l’entrepreneuriat féminin. Mais actuellement, l’agriculture familiale n’est pas une priorité.
Eclosio: Pourriez-vous nous décrire le travail du Conseil Consultatif Genre et Développement ?
« Le Conseil consultatif Genre et Développement (CCGD) a été créé afin de contribuer aux décisions du Ministre de la Coopération au Développement et du Gouvernement Fédéral en matière de genre et développement. À travers son rôle de conseiller, il participe à une meilleure prise en compte du genre dans la Coopération belge au développement. Il fait également des propositions pour nourrir les travaux des instances internationales. Le CCGD rassemble l’expertise du monde académique, des conseils de femmes, des organisations non gouvernementales (ONG) et de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, aussi bien du côté francophone que néerlandophone ». (Pour en savoir plus : https://www.argo-ccgd.be/fr )
C’est donc une structure d’appui à la coopération au développement. Il est compétent pour donner des avis au ministre de la Coopération et éventuellement au parlement (sur demande) sur certaines thématiques. Le ministre actuel en fonction Mr Decroo est assez ouvert sur la question des violences et du droit reproductif. Le conseil se réunit actuellement pour préparer des notes sur une vision plus holistique de l’agriculture familiale qu’il compte adresser au prochain gouvernement et ministre de la Coopération.
Eclosio: Pour conclure, selon vous, qu’est-ce qui peut être fait pour réduire les inégalités de genre ?
Il faut travailler principalement sur l’éducation dans les associations et le cursus scolaire. Initier des formations qui prônent la déconstruction des stéréotypes de genre et mettre en évidence l’importance de ce que l’on a gagné dans une société égalitaire. Faire comprendre que l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est une question de droits humains. Il faut faire un travail spécifique avec les femmes pour qu’elles puissent définir leurs revendications, nommer leurs besoins. Cela nécessite aussi un travail sur les masculinités et sur les féminités pour comprendre c’est quoi être homme ou être femme dans une société égalitaire. Ça nécessite également un travail transversal au niveau politique et au sein des institutions pour changer les valeurs et pratiques. Il ne suffit pas de faire des lois, il faut qu’elles soient mises en application avec des condamnations à la hauteur de la gravité des faits.
Eclosio: Que pourriez-vous proposer comme pistes d’actions (au niveau de la recherche académique, au niveau des plaidoyers, pour les citoyen·ne·s, enseignant·e·s, étudiant·e·s ou chercheur·euse·s) ?
Je pense que c’est très important que la recherche scientifique soit liée aux besoins de base, qu’elle puisse appuyer le combat spécifique des femmes en agroécologie. La recherche ne peut pas uniquement porter sur l’aspect technique, pratique, mais doit allier les aspects sociaux et travailler davantage avec les acteurs et actrices de terrain.
Les différentes facultés doivent travailler ensemble. L’interdisciplinarité, qui a été à la mode dans les années 2000 est aujourd’hui retombée alors que c’est un aspect très important. Dans certains domaines tels que la transition, une approche interdisciplinaire se développe, reste encore à y intégrer la dimension de genre.
Au niveau des programmes de cours, on a pu voir récemment des avancées comme le master interuniversitaire en études de genre. Ce sont des changements importants, qu’il faut visibiliser et encourager.
Les citoyen·ne·s, quant à eux·elles, peuvent participer aux marches des femmes, signer des pétitions, appuyer les revendications. Ils·elles peuvent également s’engager à prendre la question du genre quand ils·elles écrivent quelque chose. C’est important de se rendre compte qu’il n’y a pas de regard neutre, c’est au quotidien qu’il faut s’engager.
Entretien réalisé par Nathalie Dosso, stagiaire Eclosio
La transition agroécologique améliore-t-elle la qualité de vie des familles paysannes wallonnes ?
Synopsis
Le monde agricole est en crise: une charge de travail éreintante pour une reconnaissance financière et sociale qui ne suit pas, loin de là, ont pour conséquences une chute vertigineuse des exploitations agricoles et du nombre de travailleurs.euses dans le secteur de l’agriculture ainsi qu’un nombre de suicide anormalement élevé dans la profession. Des agriculteurs et agricultrice heureux.ses, est-ce possible? Ceux et celles qui ont fait le choix de cultiver en agroécologie semblent dire que oui! Mais cette transition écologique ne se fera pas sans l’appui de la société dans son ensemble.
Publié par UniverSud-Liège-Aout 2019
Le système alimentaire en Belgique comprend différents modèles de production agricole ; le modèle de production intensive est dominant et compte 87 % de la surface agricole utile[1]. Ce modèle a généré une crise économique et environnementale mais aussi une forte crise sociale causant le mal-être des familles paysannes. On observe une disparition drastique des agriculteurs et agricultrices : de 1980 à 2017, la Belgique a perdu 68 % de fermes pendant que la superficie moyenne des exploitations restantes a presque triplé. Les producteurs et productrices se sont vu·e·s entrainé·e·s dans une spirale d’investissement et d’endettement croissant, à la recherche d’une meilleure rentabilité. Parallèlement, la main-d’œuvre dans l’agriculture connaît une contraction de son volume : le secteur a perdu 62 % du nombre de travailleur·euse·s occupé·e·s aux activités agricoles entre 1980 et 2016[2].
Les agriculteurs et agricultrices vivent difficilement cette crise dans laquelle ils, elles se retrouvent de plus en plus incompris par l’opinion publique et les responsables politiques. Les scandales environnementaux et sanitaires à répétition (pollution aux nitrates, érosion des sols, crises de la vache folle ou plus récemment du fipronil) ont significativement écorné la reconnaissance sociale du métier d’agriculteur. Les familles paysannes souffrent également d’un fort isolement social dans des zones rurales de plus en plus dépeuplées. L’ampleur de cette crise du monde agricole est révélée notamment par un fort taux de suicide de la profession. En France, par exemple, la mortalité par suicide chez les agriculteur·trice·s est de 20 à 30 % supérieure à la moyenne de la population (France Bleu, 2018).
Une alternative à ce modèle de production dominant semble être la production agroécologique qui dans les dix dernières années a connu une croissance de 13 % de la surface agricole utile (SAU) en Belgique[3]. Quel impact la transition agroécologique a-t-elle sur la qualité de vie des familles paysannes ? Comment les agriculteur·trice·s ont vécu leur transition vers l’agroécologie ?
16 fermes wallonnes dans la loupe de la sociologie compréhensive[4]
À travers les résultats d’une enquête[5] réalisée auprès de 16 fermes wallonnes, découvrons comment ces familles paysannes définissent leur propre vision du bien-être dans l’exercice de leur métier et comment la transition agroécologique leur a permis d’atteindre ou non certains critères de qualité de vie.
Restaurer un environnement sain et un cadre de vie agréable
Selon les producteurs interrogés, la transition agroécologique leur a permis de vivre dans un environnement agréable, grâce à l’adoption de pratiques qui préservent l’environnement. Le fait d’observer quotidiennement les effets positifs de ces pratiques sur la restauration de cet environnement et de la biodiversité et de se sentir préservé de toute exposition à des produits toxiques est un facteur positif de bien-être.
« Après 8 ans de transition, je vois des fleurs sauvages, je ne les avais jamais vues, il y a beaucoup d’oiseaux et d’abeilles qui viennent à ma ferme. Je suis très fier de ma façon de produire, car je sais que je produis bien. »
Retrouver l’autonomie décisionnelle sur la ferme
Pour les producteur·trice·s qui ont décidé de changer leur manière de produire, il a été fondamental de se réapproprier la réflexion stratégique et la gestion de la ferme avec des critères de souveraineté alimentaire et de durabilité. Reprendre le contrôle leur rend une certaine dignité et fierté.
« Le gros changement : quand on était en conventionnel, 3 fois par semaine, le marchand venait pour dire comment il fallait faire, et tout ce système-là, est basé sur la peur. Aujourd’hui je produis toute la nourriture de mes animaux, les vaches paissent et mangent de l’herbe et sont plus saines. Et lorsque mes vaches vont bien, alors mon épouse se sent bien et donc moi aussi ! »
Garder la passion pour le métier
Avant la transition agroécologique, les producteur·trice·s étaient fatigué-es de passer de nombreuses heures à pulvériser des produits chimiques sur leurs parcelles. L’appropriation des techniques agroécologiques et la compréhension des cycles naturels sur la ferme comme alliés de la production ont généré une grande motivation de leur part pour réapprendre le métier de paysan·ne.
« J’ai décidé de développer le travail à la ferme parce que j’aime la vie à la campagne et aussi parce que j’aime que toute la famille puisse être ensemble, travailler et tout faire en même temps, innover. [..] »
Se sentir reconnu
La reconnaissance du travail et du rôle de l’agriculteur dans la société est un point important pour le bien-être des agriculteur·trice·s. Les familles paysannes qui travaillent de manière agroécologique et réussissent à communiquer sur la qualité de leur travail perçoivent la reconnaissance de la part des consommateur·trice·s, de la population locale ou des autres agriculteur·trice·s.
« Les consommateurs ne connaissaient pas cette façon de produire, maintenant avec Internet, il est facile pour les consommateur-trice-s de s’informer et je me sens mieux, parce que je vois un changement dans la société, je vois que mes produits sont recherchés et reconnus. [..] »
Se créer un réseau social de qualité
La transition agroécologique a amené les producteur·trice·s à s’articuler entre eux à travers des réseaux d’échange de connaissances et savoir-faire, où l’entraide est le mot d’ordre. Le rapprochement avec les consommateur·trice·s, créé par les circuits courts, permet également de tisser un réseau social de proximité.
« Depuis que nous avons décidé de devenir bio et d’arrêter d’utiliser tous les produits phytosanitaires, j’ai commencé à chercher des personnes qui sont dans la même situation que moi, j’en ai trouvé qui peuvent me conseiller, ainsi que des institutions et finalement j’ai commencé à avoir plus de contacts et une vie sociale plus active. […] »
La satisfaction d’un travail bien accompli
Pour les familles paysannes, passer à une production agroécologique a signifié retrouver le goût et la fierté du travail bien fait, tant dans la qualité gustative et sanitaire des produits que dans le respect de l’environnement, travail reconnu par les consommateur·trice·s de surcroît.
« Pour moi, il est important de faire un produit de qualité, je me sens bien quand les consommateurs viennent acheter à la ferme et qu’ils me disent que mon produit est très bien fait, j’en suis très fier.
Le difficile équilibre entre travail, famille et loisirs
La plupart des fermes étant encore de type familial, c’est-à-dire conduites par un couple ou une paysan·ne unique avec une main-d’œuvre familiale et non-salariée, la limite entre vie professionnelle et vie privée n’existe pas. Les agriculteur·trice·s disposent souvent d’horaires de travail très lourds et nombre de ces derniers ne peuvent bénéficier de temps disponible pour leur famille ou pour eux-mêmes. Les producteur·trice·s travaillent souvent plus de 56 heures par semaine avec une forte pénibilité physique du travail.
« En dehors de tout le travail que nous faisons le jour à la ferme, nous devons arriver la nuit et continuer à travailler sur la partie administrative, nous avons un stress permanent car nous sentons que nous travaillons avec la police derrière nous, observant quand nous allons faire des erreurs pour que les sanctions arrivent, c’est très fatigant ça! »
La rentabilité économique
En lien avec la forte charge de travail, les bénéfices de la vente ne rémunèrent pas le travail fourni à sa juste valeur. Par ailleurs, les marchés restent souvent incertains, ce qui ajoute un facteur de risque important pour le revenu des producteur·trice·s.
« Il y a du stress parce que nous n’arrivons pas à vendre tout ce que nous produisons à la ferme, nous n’avons pas de marché sécurisé et de prix correct toute l’année. »
Réussir une transition agroécologique : un défi qui nécessite l’appui de la société
Même si la transition agroécologique a amélioré certains aspects du bien-être des familles paysannes comme le cadre de vie, l’autonomie décisionnelle, la passion retrouvée pour le métier, la reconnaissance sociale, l’ouverture à partager et réapprendre le métier à travers différents réseaux sociaux et la satisfaction d’un travail et de produits de qualité, il n’en reste pas moins que le manque de rentabilité et la forte charge de travail restent des défis importants pour les fermes agroécologiques.
Par ailleurs, les cinq premières années de transition sont les plus difficiles à franchir à cause de trois types de difficultés qui vont retarder les effets de la transition sur les indicateurs de qualité de vie. Ces difficultés peuvent être d’ordre psychologique (comme la peur de l’inconnu, les doutes sur la réussite de la transition ou l’appréhension à remettre en question un modèle productif ancré depuis plusieurs générations), cognitif (besoin de réapprendre le métier), économique ou technique (investissement dans de nouveaux moyens de production).
Les politiques publiques d’accompagnement des producteurs et productrices devraient donc se focaliser principalement durant ces premières années pour augmenter les chances de succès des processus de transition. Par ailleurs, un calcul des primes sur base des unités de travail fournies plutôt que sur la superficie de l’exploitation pourrait être un appui plus adapté à la transition agroécologique en reconnaissant la forte charge de travail qu’elle implique.
Les comportements citoyens peuvent aussi largement faciliter le franchissement de ces difficultés. En tant que consommateur·trice·s, nous pouvons :
- acheter des produits de fermes locales pour soutenir une agriculture paysanne et agroécologique via les circuits courts,
- interagir avec les agriculteurtrice·s, via par exemple des GASAP ou des systèmes participatifs de garantie[6], qui permettent au citoyen consommateur de s’impliquer dans le processus de transition et y apporter sa contribution soit par la fidélisation de ces achats, soit en contribuant en capital ou en main-d’œuvre à l’exploitation agricole dans des moments critiques de pics de travail ou d’investissements.
Une transition agroécologique est donc possible et doit être le fruit de la conjonction des actions des producteurs et productrices, des pouvoirs publics et des comportements citoyens.
Carolina Carpio Villarroel – Sociologue
En savoir plus :
SERVIGNE P. 2014. Nourrir l’Europe en temps de crise, vers des systèmes alimentaires résilients. Ed. Nature et Progrès. Belgique. 192 p.
STASSART P.M. et JAMAR D, 2009, AB et verrouillage des systèmes de connaissances conventionalisation des filières agroalimentaire bio. Innovations Agronomiques (2009) 4, 313-328.
[1] Direction Générale Statistique, 2017. Chiffres clés de l’agriculture. L’agriculture en Belgique en chiffres. Ed. Nico Waeyart, Directeur général. Belgique. 52 p.
[2] IDEM
[3] GOFIN Stéphanie et BEAUDELOT A. 2018. Les chiffres du Bio 2017. Rapport de mai 2018. BioWallonie. 38 pp.
[4] La sociologie compréhensive de Max Weber est une démarche scientifique permettant la compréhension de fait social en donnant un sens aux actions des personnes dans leur contexte plu spécifique.
[5] CARPIO VILLARROEL Carolina, 2018. Analyse compréhensive de la qualité de vie des agriculteurs engagés dans une transition agroécologique en région Wallonne, Belgique. Mémoire de Master de spécialisation en développement, environnement et société à l’UCL. 84pp. https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/object/thesis:16220
[6] https://lemap.be/sites/lemap.be/IMG/pdf/syste_mes_participatifs_de_garantie-2.pdf
Une nature pourvoyeuse de services, et si l’agriculture s’en inspirait ?
Synopsis
La nature nous fourni quantité de services tel que la production de nourriture, la régulation du climat, la protection contre l’érosion, contre les inondations ect., Choisir une agriculture inspirée de la nature qui respect les écosystèmes c’est assurer notre bien-être, notre prospérité, notre économie et notre santé. Invitation à une transition agricole, alimentaire, scientifique et politique.
Publié par UniverSud-Liège-Aout 2019
Saviez-vous que sans Carabidés, ces coléoptères terrestres, la Belgique serait recouverte de bouses de vache en moins de deux ans ? En effet, ceux-ci jouent un rôle essentiel dans la décomposition des excréments de nos bovins. Ceci a d’ailleurs été un problème majeur en Australie, là où les coléoptères sont incapables d’effectuer cette dégradation suite à une co-évolution avec les marsupiaux. Avec le temps, les prairies se sont vues recouvertes de bouses, diminuant leur productivité et augmentant drastiquement les populations de mouches et autres parasites provoquant un réel problème de santé publique. A tel point qu’en 1960, un grand projet d’introduction d’espèces européennes, elles adaptées au bétail, a dû être mis en place et maintenu jusqu’il y a quelques années[1].
Saviez-vous encore, qu’en Chine, certains peuples sont contraints de polliniser leurs arbres fruitiers à la main, car les abeilles sont devenues trop peu nombreuses ? En effet, suite à une réduction des surfaces de forêts, mais surtout suite à une utilisation excessive d’insecticides, la diminution des abeilles les oblige à les remplacer depuis les années 90[2]. Cela n’est guère réjouissant quand on sait que les populations d’abeilles diminuent également drastiquement chez nous et que 35 % de la production mondiale de nourriture est directement dépendante des pollinisateurs ! Dans ce contexte, une étude a démontré que la valeur de la pollinisation s’élevait à 153 milliards d’euros[3] …
Ces exemples illustrent la multitude de services que nous fournit la nature quotidiennement, sans même que nous ne nous en rendions compte. Les écosystèmes – communautés de plantes, animaux et micro-organismes qui interagissent avec leur environnement – sont essentiels à notre bien-être, notre prospérité, notre économie et notre santé[4].
Cette notion de « services écosystémiques », modifie notre rapport à la nature et comment nous la gérons. Il ne s’agit donc plus de protéger la nature uniquement par devoir éthique, ou pour sa valeur intrinsèque, mais aussi pour assurer notre survie et notre bien-être. Alors qu’anciennement nous considérions que pour protéger la nature il fallait l’isoler des humains, il est dès lors admis qu’il est possible de la protéger et de la promouvoir dans des paysages anthropiques, tels que les systèmes agricoles.
Une agriculture inspirée de la nature : l’agroécologie
Pour nous nourrir, nous avons choisi un modèle hautement productif et spécialisé dans la fourniture de denrées alimentaires. Bien que ce modèle intensif ait permis d’augmenter considérablement les rendements, il est indéniable qu’il néglige les autres types de services que le système peut potentiellement rendre. Comme alternative, de nouveaux modèles d’agriculture voient le jour, et suggèrent un meilleur équilibre en la fourniture des différents services et donc une meilleure optimisation du bien-être humain .
C’est effectivement ce que propose « l’agroécologie » par l’intégration des principes de l’écologie dans les pratiques agricoles. L’agroécologie, c’est, par exemple, associer diverses cultures sur une même parcelle, afin de rendre celles-ci moins propices aux maladies. C’est mettre en place des bandes fleuries ou des haies le long des champs, afin de fournir un habitat aux insectes pouvant réguler la présence de ravageurs de culture, comme la bien connue coccinelle, régulatrice des pucerons. En résumé, c’est complexifier l’agro-écosystème pour augmenter les interactions écologiques et augmenter la fourniture de services[5]. L’agroécologie, c’est remplacer l’énergie des énergies fossiles par l’énergie gratuite des interactions écologiques (Fig. 2). Ces services bénéficient à l’agriculteur·trice, qui peut alors se détacher de sa dépendance aux intrants chimiques, mais également aux habitant·e·s et promeneur·euse·s de la région qui bénéficient alors d’un paysage plus diversifié[6].
Figure 1 : L’agroécologie, c’est l’écologisation des pratiques agricoles pour développer les processus biologiques pour remplacer les apports externes d’intrants et d’énergie. Après s’être battu pendant des années contre la biodiversité, on la considère dorénavant comme une alliée.
La transition agroécologique, au-delà des champs[7],[8]
Une telle transition dans la parcelle agricole ne peut s’effectuer seule. Avec l’agroécologie, c’est l’entièreté du système alimentaire qui demande à être restructuré. Et pour cela, elle aura besoin d’un soutien scientifique et politique.
La transition du système alimentaire
Le développement de circuits courts, pour reconnecter les producteur·trice·s et les consommateur·trice·s, est un des aspects essentiels de la transition agroécologique. Les circuits courts créent de l’emploi et assurent les revenus de l’agriculteur·trice en diminuant le nombre d’intermédiaires entre la production et la commercialisation. De plus, les consommateur·trice·s créent un lien de confiance avec le·la producteur·trice et par conséquent avec l’origine de leurs aliments. Un tel changement se verra s’accompagner d’un changement de comportement du·de la consommateur·trice qui favorisera alors les produits locaux et de saison.
La transition scientifique
L’agroécologie nous remet également nous, chercheurs, en question. Alors que la recherche agronomique conventionnelle repose sur des approches scientifiques factorielles, décomposant le système en ses diverses composantes, l’agroécologie requiert en outre des approches holistiques pour mieux appréhender la complexité et les incertitudes qui lui sont inhérentes. Par le biais d’approches multi-(l’intégration de diverses disciplines) et trans-(l’intégration des acteurs locaux) disciplinaires, la complexité de l’agro-socio-écosystème est prise en compte et les innovations co-développées sont adaptées à leurs contextes. À cette fin, les institutions scientifiques se verront restructurées, afin de décloisonner les disciplines, et les mentalités scientifiques changeront, afin que l’accumulation rapide de publications à titre personnel ne soit plus le seul critère de qualité, mais que l’impact social soit également valorisé.
La transition politique
Une telle transition requiert également une transition, ou du moins, un soutien politique. En Wallonie, les subventions de la politique agricole commune (PAC) de l’Europe représentent la quasi-totalité du revenu net d’un·e agriculteur·trice (à hauteur de 80 à 90 % selon les années d’après les chiffres du Service Public de Wallonie). De plus, 70 % des terres agricoles sont louées par les agriculteur·trice·s à des propriétaires. Ainsi, n’étant ni autonome financièrement, ni propriétaires de leurs terres, les agriculteur·trice·s seul·e·s ont peu de marge de manœuvre.
De manière générale, les décisions prennent en compte les services de production sans évaluer les impacts des exploitations sur la fourniture de l’ensemble des services écosystémiques, et donc sur le bien-être de la société. Trop souvent encore, les services écosystémiques sont ignorés et remplacés par des solutions artificielles. La régulation naturelle du cycle de l’azote dans les sols agricoles est remplacée par un apport d’engrais, l’équilibre naturel entre ravageurs de cultures est remplacé par des pesticides chimiques. Pourtant, ces solutions artificielles sont coûteuses, ne font qu’augmenter la pression financière sur notre société et la dégradation de notre environnement. Cette perte de qualité d’environnement représente un coût social et économique considérable. D’après des experts statisticiens du groupe « The Economics of Ecosystems and Biodiversity[9] », nous perdons 3 % de notre produit intérieur brut par la perte de la biodiversité. Chaque année, l’Europe perd dès lors 450 milliards d’euros[10] !
Intégrer l’ensemble des services écosystémiques dans les décisions politiques représente indéniablement une réelle opportunité de développement basé sur l’articulation entre les valeurs sociales, environnementales et économiques, et non plus uniquement sur ces dernières. Comme exprimé par Gerben-Jan Gerbrandy, « il n’y a rien qui produise autant de nourriture, de services, de produits et d’emplois que la nature… N’importe quelle autre multinationale de cette importance serait politiquement canonisée et protégée ».
… Qu’attendons-nous ?
Fanny Boeraeve
Postdoctorante en agroécologie à Gembloux Agro-Bio Tech
Sources de l’image :
Paysage agroécologique : Séverin Hatt, Ferme du Bec Hellouin, France
[1] http://www.dungbeetle.com.au/
[2] Harold T, Nanxin S 2014 « Dans les vergers du Sichuan, les hommes font le travail des abeilles ». Le Monde.fr
[3] Gallai N et al. 2009 « Economic valuation of the vulnerability of world agriculture confronted with pollinator decline »
[4] http://share.bebif.be/data/web_bees_brief_i_nature_why_care_l.pdf
[5] Boeraeve, F., Dendoncker, N., Degrune, F., Cornelis, J.-T., Dufrêne, M., (Accepted with modifications) Contribution of agroecological farming systems to the delivery of ecosystem services, submitted to Journal of Environmental Management
[6] Boeraeve, F., Dupire, A., Dendoncker, N., Dufrêne, M., Mahy, G. (submitted) How are landscapes under agroecological transition perceived and appreciated? A Belgian case study, submitted to the journal ‘Sustainability’.
[7] Cette section est inspirée de l’article scientifique suivant : Hatt*, S., Artru*, S., Brédart, D., Lassois, L., Francis, F., Haubruge, E., Garré, S., Stassart, P. M., Dufrêne, M., Monty, A., Boeraeve*, F. (2016). Towards sustainable food systems: the concept of agroecology and how it questions current research practices. A review. Biotechnology, Agronomy, Society and Environment, 20(Special issue 1), 215-224.
[8] Et de l’article de vulgarisation suivant : Boeraeve, F. 2015. La nature…. Pourquoi s’en soucier? Page 72 in J.-C. Beaumont, M. David, and C. Rousseau, editors. L’Homme et l’Oiseau.
[9] http://www.teebweb.org/
[10]Gerben-Jan Gerbrandy 2012 (http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+CRE+20120420+ITEM-007+DOC+XML+V0//EN&language=EN)