L’agroécologie : évolutions et défis face au marché


Synopsis

En réaction aux limites de l’agriculture conventionnelle, l’agroécologie s’est imposée comme mouvement alternatif et rencontre une demande des consommateurs de produits plus respectueux de l’environnement. Son développement suscite cependant des défis, notamment celui de l’accès aux marchés par les producteurs: comment éviter que les gros producteurs accaparent le marchés et marginalisent les petits producteurs? La libre concurrence est faussée, au minimum une réglementation est nécessaire.


Publié par UniverSud-Liège- Août 2019

Depuis la seconde moitié des années 1940, le processus de modernisation agraire conventionnel et d’industrialisation promu par les pays « du Nord » s’est exporté dans les pays « du Sud » sous le nom de révolution verte en tant que politique de développement agraire. Cette approche s’est encore élargie dans les années 1990 avec la mondialisation économique qui démontre aujourd’hui ses limites : les crises systémiques, le changement climatique, l’insécurité alimentaire et les inégalités sociales affectent de plus en plus l’agriculture familiale.

Face aux limites et aux impacts de cette agriculture, basée sur l’utilisation importante d’énergies fossiles, un changement progressif du modèle agraire conventionnel s’opère dans différentes régions. Des cultures originelles centrées sur la nature au développement de mouvements agraires alternatifs et de courants académiques critiques du statu quo dans les années 30, tout converge vers l’agroécologie en tant que science, praxis[1] et mouvement social. L’importante évolution de l’agroécologie ces dernières décennies et son rapprochement avec le marché alimentaire implique de nombreux défis qui doivent être analysés.

L’agroécologie, un vaste concept

Le cadre conceptuel de l’agroécologie a évolué, intégrant des niveaux de définitions plus larges et plus complets au fil du temps[2] tout en rendant parfois la notion d’agroécologie[3] plus floue, controversée et polyvalente.

Pour Wenzel et Soldat (2009)[4], entre autres, la notion d’agroécologie implique de la considérer comme une discipline scientifique, comme un mouvement social ou comme un ensemble de pratiques agricoles. Elle peut aussi être dimensionnée et différenciée selon son échelle d’approche territoriale ou systémique : au niveau des parcelles, au niveau de l’agroécosystème et au niveau du système alimentaire.

D’autres, tels qu’Altieri ou Gliesman, s’accordent à dire que « l’agroécologie en tant que science, intègre les connaissances traditionnelles et les progrès de l’écologie et de l’agronomie et fournit des outils pour concevoir des systèmes qui, basés sur les interactions de biodiversité, fonctionnent par eux-mêmes et améliorent leur propre fertilité, la régulation des parasites, de la santé et de la productivité, sans exiger des ensembles technologiques[5]”.

L’agroécologie, à partir de son expérience pratique et de son évolution, propose et construit de nouveaux rapports de production avec les variables socio-économiques et environnementales à l’intérieur et à l’extérieur des systèmes agroalimentaires locaux. En mettant l’accent sur la relocalisation socio-économique de l’agroécologie, elle promeut notamment la sécurité et la souveraineté alimentaire. Elle vise notamment à réorganiser les rapports de force afin de rendre le marché plus équitable, à renforcer la résilience sociale et environnementale et à favoriser le bien-être et des modes de vie plus sains pour tout un chacun.

L’agroécologie implique également un processus complexe d’apprentissage dans la gestion des territoires et des agroécosystèmes. Ce processus résulte de l’observation de méthodes, pratiques et connaissances et se réalise à travers différents cycles d’expérimentation basés sur des essais-erreur-adaptation.

L’agroécologie, loin d’être uniquement liée aux pratiques agricoles, est donc un concept englobant de nombreuses notions différentes.

Le marché mondial des produits bio, un marché en augmentation

Depuis la crise économique de 2008, il y a eu une baisse générale de la consommation sur des marchés aux États-Unis, en Europe et en Asie. Ce n’est pas le cas des produits biologiques, qui, au contraire, ont continué de croître à des taux plus élevés que les aliments conventionnels[6]. On estime que depuis 2004, les ventes mondiales de produits biologiques ont augmenté de 157 %[7]. Toutefois, cette croissance soutenue des produits biologiques sur le marché alimentaire mondial, en termes absolus, est encore très relative par rapport au volume commercial des aliments conventionnels. À ce jour, le volume commercial de la demande mondiale d’aliments biologique représente 10% des aliments conventionnels.

Les chiffres indiquent clairement que le marché mondial des produits biologiques est devenu important et qu’il continuera à croître, même si sa valeur de vente – dans de nombreux cas – est supérieure à celle des produits conventionnels. Au cours de la prochaine décennie, le commerce des produits biologiques pourrait approcher le seuil de 25% si les facteurs structurels du marché (présentés ci-dessous) sont surmontés avec une plus grande participation des producteurs et productrices agroécologiques organisés.

Concrètement, une étude[8] réalisée par la chercheuse Allison Loconto sur différents marchés de par le monde a pu mettre en évidence :

  1. Que le concept de produits « agroécologiques » émerge dans des systèmes alimentaires localisés et diversifiés ;
  1. Que les produits « agroécologiques » sont commercialisés par des initiatives durables en filières courtes à des prix équitables ;
  2. qu’il existe un contact personnel et une communication directe entre les consommateur·trice·s et les producteur·trice·s (via les médias sociaux, Internet, les échanges personnels, les visites d’exploitations agricoles) et que ce sont les principaux moyens de valoriser une qualité agroécologique ; et que les marchés agroécologiques sont des initiatives qui durent longtemps et qui créent du lien social, mais que leur autonomie financière n’est pas toujours assurée (ce n’était pas un objectif pour 50% des cas étudiés).

Elle souligne également qu’il s’agit de marchés dynamiques et qu’ils permettent une plus grande disponibilité et un meilleur accès aux produits agroécologiques. En ce sens, les marchés diversifiés de ces produits peuvent contribuer à des régimes alimentaires durables.

Malgré leur potentiel, l’expansion des marchés agroécologiques reste limitée par des facteurs structurels[9] :

  • Les produits biologiques sont souvent plus chers et plus difficilement accessibles.
  • Les mécanismes de certifications sont complexes et les coûts de transition vers la production biologique sont importants.
  • Peu de terres sont cultivées écologiquement : on estime que cela ne représente que 1% de la planète (qui se réparti comme suit : 40% en Océanie, 27% en Europe, 15% en Amérique latine et 12% aux États-Unis et autres pays).
  • Sur le marché alimentaire mondial, les intérêts économiques et commerciaux des pays industrialisés et des lobbies des grandes sociétés transnationales prévalent.
  • Les effets et impacts de la variabilité et du changement climatique sont incertains. Face à la crise environnementale, les pays dits “développés”, les sociétés agrochimiques, ainsi que certains organismes de coopération technique, intègrent et/ou encouragent également de nouvelles approches technocentrées faisant actuellement l’objet de controverses.
  • L’appui politique et institutionnel est insuffisant pour permettre une réelle incitation et dégager les ressources technico-financières nécessaires.

Il existe donc des disparités et de nombreuses limites au niveau des marchés locaux, qui, si on ne les considère pas, peuvent mettre en péril la perspective d’une sécurité et souveraineté alimentaire.

Risques et défis liés au marché

Avec l’augmentation de la demande de produits biologiques, l’offre devrait également avoir augmenté (mais pas nécessairement au même rythme). Sur base d’Altieri (2016), qui soutient que « les principes de l’agroécologie peuvent s’appliquer à n’importe quelle activité, à petite ou grande échelle », nous remarquons que l’évolution d’échelle de la production biologique et des volumes de l’offre commerciale a une dynamique et une portée différentes dans les pays du Nord et du Sud.

Si le contexte de libre-marché présente des débouchés pour la production issue de l’agriculture écologique, ceux-ci ne sont pas accessibles pour tous les acteurs de la même façon. En effet, les « petits producteurs » agroécologiques, disposant de peu de ressources financières, jouent dans la même cour que les acteurs agro-industriels ayant accès à des économies d’échelle et des capitaux importants ainsi qu’à des subsides (tels que ceux de la PAC). Les règles sont les mêmes, mais les dés semblent pipés. Ainsi, l’offre des « petits producteurs » risque d’être écartée de manière structurelle par la réappropriation de l’agriculture écologique par les acteurs industriels dominants[10].

Les nouveaux acteurs de l’alimentation écologique, qui commercialisent aussi des aliments conventionnels, se renforceraient sous les mesures protectionnistes des pays dits “du Nord” et de l’écart avec les politiques de libre-marché imposées aux pays dits “du Sud”, au détriment des producteurs et productrices agroécologiques qui sont déplacé·e·s ou marginalisé·e·s par le marché. Le contrôle de l’État est affaibli et il n’est pas possible de distinguer clairement quelles sont les règles, quels acteurs tiennent vraiment les rênes ni quels intérêts ils représentent.

Mais alors, que faire ?

Dans un tel contexte, certains courants agroécologiques plus critiques affirment que la dynamique et l’évolution du marché alimentaire mondial « conventionnalisent » les modes de production et de commercialisation des produits écologiques. Cela bouleverse les principes et paradigmes de l’agroécologie et risque de la conduire à un dangereux réductionnisme technico-commercial si aucune mesure n’est prise. Il est donc impératif de procéder à une révision permanente des postulats, principes et stratégies de l’agroécologie.

Face à la dynamique et à la “rationalité” du marché, il est important que le mouvement agroécologique, la recherche et les citoyen-ne-s réfléchissent de manière approfondie et autocritique à certaines questions : Le modèle économique hégémonique absorbe-t-il les postulats centraux de l’agroécologie ? Quels sont les risques et les défis de la « conventionnalisation » de l’agroécologie ? Pour le mouvement agroécologique, quels sont les changements futurs envisageables face à la dynamique imposée par le marché alimentaire et les implications pour la sécurité et la souveraineté alimentaires ? Quelles politiques publiques, sans être forcément explicitement en lien avec l’agroécologie, contribuent à réaliser une agriculture familiale durable ?

Les accords, les lois et les règlements qui favorisent le développement de l’agriculture familiale et de l’agroécologie et la consommation d’aliments sains doivent être encouragés et accompagnés d’une volonté politique effective des gouvernements. Toutefois, ces instruments peuvent s’avérer insuffisants pour les marchés déréglementés, où les monopoles ou les oligopoles prédominent et où les consommateurs et consommatrices paient les coûts et où les “petits producteurs et productrices” sont en concurrence déloyale avec les produits subventionnés des pays industrialisés.

Nous savons aujourd’hui que le marché mondial de l’alimentation et de la biodiversité implique des entreprises très rentables, d’où son importance et la priorité qu’il devrait représenter pour les gouvernements dans la conception de politiques, de stratégies et de recherches en matière de développement technologique, d’adaptation et d’innovations dans les services agroalimentaires, sanitaires et environnementaux qui sont stratégiques pour planifier le développement durable.

Walter Chamochumbi, Eclosio

Traduction de Gwendoline Rommelaere, Eclosio.

 

[1] La praxis se réfère à la pratique, à l’action transformatrice de l’agroécologie depuis la réalité du champs, de la parcelle

[2] Wezel & Soldat, 2009, citado en “Políticas públicas a favor de la agroecología en América Latina y El Caribe”, Red Políticas Públicas en AL y El Caribe (2017), Cap. 1 Concepto de agroecología y marco analítico de Jean-François Le Coq, Eric Sabourin, Erwan Sachet et al, pág.7.

[3] Il existe de nombreux concepts reliés à l’agroécologie, mais ce n’est pas l’objectif principal de l’article de s’attarder sur ce sujet. Les dénominations “agriculture biologique” et « agriculture agroécologique » peuvent parfois être considérées comme synonymes. Ici, nous utiliserons la dénomination agroécologique qui va plus loin que la logique de substitutions des intrants écologiques qui, lorsqu’ils sont liés au marché, deviennent des biens échangeables comme dans le paradigme de l’agriculture conventionnelle.

[4] Ibid.

[5] “La agricultura del futuro será agroecológica”, artículo de Miguel Altieri (2016), en Sociedad y Ambiente, www.ecoportal.net.

[6] “Alimentos orgánicos: Mercado hacia el crecimiento”, artículo en www.prochile.gob.cl / Cultura orgánica, s/a.

[7] “El mercado de productos orgánicos está en auge”, www.concienciaeco.com/2015/06/17/mercado-productos-organicos-esta-auge-infografia / Conciencia Eco, 2015. Revista digital sobre cultura ecológica.

[8]Sur 12 cas de marchés agroécologiques dans quatre pays d’Afrique, deux d’Asie, cinq d’Amérique du Sud et un d’Europe, où il existe plusieurs canaux de distribution diversifiés : l’autoconsommation, les foires et marchés locaux, vente directe, vente sur ferme et dans l’horeca. “Cómo las innovaciones para el mercado fomentan la agricultura sostenible y una mejor alimentación”, 2017, Dra. Allison Marie Loconto, Chargée de recherche, Institut National de la Recherche Agronomique (INRA); Visiting Scientist FAO. Avec la collaboration de : Alejandra Jiménez, Emilie Vandecandelaere y Florence Tartanac de la FAO.

[9] Organic Motor (2010), Chamochumbi, W. (2004, 2005) y otras fuentes citadas. “El mercado de productos orgánicos está en auge” (citado en este artículo).

[10] Bern, A. (2003),”Guía para iniciar el acceso al mercado ecológico y al mercado solidario”. PROMER-FIDAMERICA, 16 p. Citado por Chamochumbi, W. (2004).

Et si le genre transformait notre regard sur l’agroécologie ?


En agriculture comme dans bien des domaines, les femmes sont discriminées par rapport aux hommes. L’agroécologie, aussi vertueuse soit-elle n’est pas, en soit, porteuse de plus d’égalité entre les sexes. Sur ce point, c’est en développant une approche spécifique de genre que l’agroécologie sera porteuse de changement. Entretien avec Sophie Charlier Chargée de mission au Monde Selon les Femmes et présidente du Conseil Consultatif Genre et Développement (CCGD), elle est également professeure invitée au Centre d’études du développement à l’UCLouvain. Sophie Charlier a accepté de répondre à nos questions.


UniverSud-Liège Aout 2019

Eclosio: Nous allons aborder les notions de genre et agroécologie. Pouvez-vous définir ces concepts et nous expliquer les liens que vous voyez entre ces deux notions ?

Le genre, c’est requestionner les rôles stéréotypés, socialement construits entre les femmes et les hommes dans les différentes sociétés et leurs conséquences sur les possibilités de se réaliser chacun·e d’entre nous. C’est aussi, requestionner les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes et rendre visible la place des femmes dans la société.

Notre conception de l’agroécologie féministe est une approche de l’agroécologie qui va bien au-delà la dimension technique agricole. Elle s’inscrit dans une vision globale de la vie (cosmovision) qui relie les écosystèmes agricoles et les systèmes alimentaires, mais également les relations sociales et culturelles, dont les rapports entre les femmes et les hommes. L’agroécologie féministe se réfère à une série de principes et de pratiques qui améliore la résilience et la durabilité des systèmes alimentaires et agricoles tout en revisitant les rapports entre les femmes et les hommes. Concrètement, l’agroécologie utilise des techniques comme le compostage, la recherche de complémentarités entre les espèces (associations de cultures et/ou culture-élevage), l’utilisation minimale (ou aucune utilisation) d’intrants chimiques,… De plus, elle va chercher à intégrer dans sa pratique le croisement des savoirs locaux et des nouvelles techniques agricoles en lien avec l’ensemble des paramètres de gestion écologique de l’espace cultivé (comme l’accès et le contrôle des ressources, la meilleure utilisation de l’eau, la lutte contre l’érosion, les haies, le reboisement…). Elle va également intégrer l’économie c’est-à-dire la manière dont la production peut être utilisée, commercialisée (à travers différents circuits) et/ou consommée directement par la famille ainsi que la notion de travail décent (salaires et sécurité sociale). L’approche par les femmes y ajoute d’autres dimensions telles que la sécurité : la lutte contre les violences, l’accès à une sécurité sociale pour toutes et tous en milieu rural, la sécurité alimentaire de la famille…

Cette approche prend également en compte d’autres dimensions autour des savoirs locaux, des nouvelles technologies et surtout la coresponsabilité des hommes et des femmes au sein de la famille et dans les organisations sociales. C’est donc une approche très globale.

Les rapports de pouvoir et de genre supposent différents besoins spécifiques de la femme qu’il faut prendre en considération. Il est nécessaire de s’interroger sur les connaissances des femmes, leur rôle dans l’agroécologie, les types de cultures qu’elles font et comment les améliorer. Par exemple au Sénégal, la gestion de l’eau pour l’irrigation se fait à travers des organisations sociales, elles établissent le calendrier d’irrigation des champs. On s’est aperçu que les champs des femmes sont toujours irrigués en dernier parce qu’elles ne sont pas présentes ou à une place importante dans l’organisation sociale pour influencer les décisions ou faire entendre leurs voix. Leurs intérêts ne sont donc pris en compte qu’en dernier lieu.

Eclosio: Comment décririez-vous la situation de la femme aujourd’hui dans le monde rural en général et dans l’agroécologie en particulier ?

D’emblée, il faut recontextualiser les situations car les besoins et la façon d’y répondre, diffèrent d’un pays à l’autre. Cependant, on peut trouver des similitudes telles que leurs difficultés à accéder aux ressources (comme la terre, l’eau, la technologie). Dans l’agriculture à l’échelle familiale, on retrouve les femmes le plus souvent dans la production maraichère, le petit élevage ou encore dans la transformation des produits agricoles, même si certaines sont aussi présentes dans les cultures de rentes (mais généralement sur les terres du mari).

En Belgique, elles transforment les produits laitiers en fromage, en beurre et/ou en glace. On retrouve aussi cette logique au « Sud » où les femmes transforment le karité en produits cosmétiques, les céréales en farines alimentaires, les fruits en jus… et les commercialise sur des marchés locaux.

Retenons que l’approche féministe de l’agroécologie transparait également avec les enjeux de sécurité, de coresponsabilité et d’accès différencié aux ressources et aux nouvelles technologies. Par exemple, en ce qui concerne le numérique, il existe des programmes spécifiques pour s’informer des éventuels problèmes de sécheresse ou d’invasion d’insectes ou encore des prix des produits sur différents marchés, mais souvent, même si les femmes ont un téléphone portable, elles y ont très peu accès par manque de connaissances.

Parler d’agroécologie ne signifie pas maintenir une agriculture de survie, mais bien de partir des connaissances ancestrales (notamment dans l’association des cultures, du calendrier agricole…) en les croisant à des recherches pour l’amélioration de celles-ci. Cela signifie notamment pour les femmes, de réaliser des recherches pour améliorer les cultures maraichères et le petit élevage et pas seulement les cultures de rentes ainsi que de développer de nouveaux outils agricoles mieux adaptés aux besoins.

Eclosio: Vous qui avez travaillé avec bon nombre d’organisations et autres groupements féminins dans plusieurs pays, comment appréhendez-vous le regard de ces femmes sur l’agroécologie ?

Les situations sont assez différentes. En Amérique latine par exemple, la notion d’agroécologie est très claire et mise en pratique depuis très longtemps. En Bolivie, lors d’une recherche réalisée avec le Monde selon les femmes, les agricultrices ont proposé une approche de l’agroécologie avec une perspective de genre autour de 7 axes (chiffres symboliques dans plusieurs cultures) : l’accès aux ressources, la production durable, l’accès aux marchés, le travail digne, la sécurité, les savoirs locaux et la coresponsabilité familiale et sociale. Cette approche de l’agroécologie féministe a été reprise à d’autres endroits.

Dans certaines régions du Sénégal, l’agroécologie a aussi un sens même si parfois, les productrices parlent d’une agriculture familiale, leurs pratiques peuvent être liées à l’agroécologie (en associant les cultures et le compost d’origine animale et végétale…). Ainsi, même si elles n’emploient pas forcément le mot agroécologie, elles sont quand même dans des pratiques semblables.

Eclosio: Pensent-elles que cette autre manière de faire l’agriculture peut améliorer les rapports de genre ?

Elles affirment qu’il y a du changement, les hommes sont d’accord également, même s’il y a encore du chemin notamment par rapport à la coresponsabilité familiale et sociale. Au Sénégal, les gens commencent à en parler. C’est un processus long qui fait son chemin. Je ne pense pas que ce soit l’agroécologie en tant que telle qui permette de changer les rapports de genre. C’est plutôt l’agroécologie dans une perspective de genre (féministe) qui portée par les femmes et les hommes peut être porteuse de changements.

Eclosio: Les femmes qui travaillent dans l’agroécologie sont-elles plus engagées dans les mouvements sociaux et paysans ?

En Belgique comme au Sénégal, encore trop souvent, les femmes sont peu visibles dans les mouvements paysans mixtes, mais bien plus présentes dans les mouvements de femmes. Elles ont encore des difficultés à être présentes lors des réunions et à se faire entendre dans les mouvements mixtes, aussi bien dans l’agroécologie que dans l’agriculture traditionnelle familiale. C’est un problème qui existait bien avant qu’on ne parle de l’agroécologie. En Belgique par exemple, elles l’expliquent notamment par le fait que pour assister à une réunion, une personne doit rester à la ferme pour surveiller les animaux. Aussi, c’est plus facilement l’homme qui ira alors aux réunions syndicales mixtes et la femme qui assistera aux réunions de l’organisation féminine.

Eclosio: Donc, que ce soit en agriculture en général ou en agroécologie, les problèmes des femmes sont les mêmes ?

Les difficultés à se faire entendre dans les mouvements, les problèmes de violence sont des réalités qui se retrouvent des deux côtes, ce n’est pas parce qu’on fait de l’agroécologie qu’on a moins de problèmes de violence. Raison pour laquelle il est aussi important de déconstruire avec les hommes les stéréotypes de genre et de travailler sur les rôles et les masculinités au sein des organisations sociales.

Eclosio: Quelle est la position des hommes par rapport à l’agroécologie ?

Selon nos entretiens au Sénégal, les hommes estiment important que les femmes participent aux revenus de la famille, mais par contre, ils estiment que les décisions au sein des structures familiales et sociales doivent rester aux mains des hommes.

On entend souvent dire de la part des hommes que ce sont les femmes elles-mêmes qui lèguent leurs places aux hommes, au sein des organisations sociales. On voit qu’il y a encore tout un travail à faire. Néanmoins, ce travail sur la masculinité en milieu rural commence à se faire.

Eclosio: Dans les endroits où se pratique l’agroécologie observe-t-on des changements dans le regard que les hommes ont sur les femmes ? Sont-ils moins machistes ?

Pas par définition. Au contraire, le milieu rural est très conventionnel. Que ce soit en bio ou en agroécologie, les rapports de genre restent encore stéréotypés. D’où la nécessité de travailler sur la visibilité des femmes. Montrer les rôles qu’elles occupent dans la production familiale et l’importance de prendre en considération de manières spécifiques leurs besoins. Montrer que la réflexion sur la transition doit aussi s’orienter sur la transition des rapports de pourvoir et des rôles stéréotypés entre hommes et femmes dans la société. C’est vraiment un enjeu fondamental à travailler dans la culture et la mentalité profonde qui passe par l’éducation à l’école dès le plus jeune âge. Mais c’est possible d’y arriver, il y a des ouvertures dans la société.

Eclosio: Pour certain·e·s, l’agroécologie peut être perçue comme un retour en arrière. Pensez-vous que cela puisse renforcer un retour vers un système encore davantage patriarcal ?

Non, je suis convaincue que non. Certaines pratiques viennent en effet de cultures ancestrales, mais il y a une recherche continue pour améliorer ces pratiques, pour qu’elles soient plus performantes et prendre en compte toutes les dimensions de l’agroécologie. Ce n’est donc pas un retour en arrière. Par exemple, avant, on ne parlait pas de coresponsabilité, on n’utilisait pas les nouvelles technologies de l’information (avec les téléphones, etc.). C’est d’ailleurs important que les femmes, autant que les hommes, soient formées à ces nouvelles technologies.

Eclosio: Quelle est la place du genre et de l’agroécologie dans la politique de coopération belge ?

Il y a une ouverture dans la politique agricole sur les questions de genre au niveau de l’entrepreneuriat féminin. Mais actuellement, l’agriculture familiale n’est pas une priorité.

Eclosio: Pourriez-vous nous décrire le travail du Conseil Consultatif Genre et Développement ?

« Le Conseil consultatif Genre et Développement (CCGD) a été créé afin de contribuer aux décisions du Ministre de la Coopération au Développement et du Gouvernement Fédéral en matière de genre et développement. À travers son rôle de conseiller, il participe à une meilleure prise en compte du genre dans la Coopération belge au développement. Il fait également des propositions pour nourrir les travaux des instances internationales. Le CCGD rassemble l’expertise du monde académique, des conseils de femmes, des organisations non gouvernementales (ONG) et de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, aussi bien du côté francophone que néerlandophone ». (Pour en savoir plus : https://www.argo-ccgd.be/fr )

C’est donc une structure d’appui à la coopération au développement. Il est compétent pour donner des avis au ministre de la Coopération et éventuellement au parlement (sur demande) sur certaines thématiques. Le ministre actuel en fonction Mr Decroo est assez ouvert sur la question des violences et du droit reproductif. Le conseil se réunit actuellement pour préparer des notes sur une vision plus holistique de l’agriculture familiale qu’il compte adresser au prochain gouvernement et ministre de la Coopération.

Eclosio: Pour conclure, selon vous, qu’est-ce qui peut être fait pour réduire les inégalités de genre ?

Il faut travailler principalement sur l’éducation dans les associations et le cursus scolaire. Initier des formations qui prônent la déconstruction des stéréotypes de genre et mettre en évidence l’importance de ce que l’on a gagné dans une société égalitaire. Faire comprendre que l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est une question de droits humains. Il faut faire un travail spécifique avec les femmes pour qu’elles puissent définir leurs revendications, nommer leurs besoins. Cela nécessite aussi un travail sur les masculinités et sur les féminités pour comprendre c’est quoi être homme ou être femme dans une société égalitaire. Ça nécessite également un travail transversal au niveau politique et au sein des institutions pour changer les valeurs et pratiques. Il ne suffit pas de faire des lois, il faut qu’elles soient mises en application avec des condamnations à la hauteur de la gravité des faits.

 Eclosio: Que pourriez-vous proposer comme pistes d’actions (au niveau de la recherche académique, au niveau des plaidoyers, pour les citoyen·ne·s, enseignant·e·s, étudiant·e·s ou chercheur·euse·s) ?

Je pense que c’est très important que la recherche scientifique soit liée aux besoins de base, qu’elle puisse appuyer le combat spécifique des femmes en agroécologie. La recherche ne peut pas uniquement porter sur l’aspect technique, pratique, mais doit allier les aspects sociaux et travailler davantage avec les acteurs et actrices de terrain.

Les différentes facultés doivent travailler ensemble. L’interdisciplinarité, qui a été à la mode dans les années 2000 est aujourd’hui retombée alors que c’est un aspect très important. Dans certains domaines tels que la transition, une approche interdisciplinaire se développe, reste encore à y intégrer la dimension de genre.

Au niveau des programmes de cours, on a pu voir récemment des avancées comme le master interuniversitaire en études de genre. Ce sont des changements importants, qu’il faut visibiliser et encourager.

Les citoyen·ne·s, quant à eux·elles, peuvent participer aux marches des femmes, signer des pétitions, appuyer les revendications. Ils·elles peuvent également s’engager à prendre la question du genre quand ils·elles écrivent quelque chose. C’est important de se rendre compte qu’il n’y a pas de regard neutre, c’est au quotidien qu’il faut s’engager.

Entretien réalisé par Nathalie Dosso, stagiaire Eclosio

La transition agroécologique améliore-t-elle la qualité de vie des familles paysannes wallonnes ?


Synopsis

Le monde agricole est en crise: une charge de travail éreintante pour une reconnaissance financière et sociale qui ne suit pas, loin de là, ont pour conséquences une chute vertigineuse des exploitations agricoles et du nombre de travailleurs.euses dans le secteur de l’agriculture ainsi qu’un nombre de suicide anormalement élevé dans la profession. Des agriculteurs et agricultrice heureux.ses, est-ce possible? Ceux et celles qui ont fait le choix de cultiver en agroécologie semblent dire que oui! Mais cette transition écologique ne se fera pas sans l’appui de la société dans son ensemble.


Publié par UniverSud-Liège-Aout 2019

Le système alimentaire en Belgique comprend différents modèles de production agricole ; le modèle de production intensive est dominant et compte 87 % de la surface agricole utile[1]. Ce modèle a généré une crise économique et environnementale mais aussi une forte crise sociale causant le mal-être des familles paysannes. On observe une disparition drastique des agriculteurs et agricultrices : de 1980 à 2017, la Belgique a perdu 68 % de fermes pendant que la superficie moyenne des exploitations restantes a presque triplé. Les producteurs et productrices se sont vu·e·s entrainé·e·s dans une spirale d’investissement et d’endettement croissant, à la recherche d’une meilleure rentabilité. Parallèlement, la main-d’œuvre dans l’agriculture connaît une contraction de son volume : le secteur a perdu 62 % du nombre de travailleur·euse·s occupé·e·s aux activités agricoles entre 1980 et 2016[2].

Les agriculteurs et agricultrices vivent difficilement cette crise dans laquelle ils, elles se retrouvent de plus en plus incompris par l’opinion publique et les responsables politiques. Les scandales environnementaux et sanitaires à répétition (pollution aux nitrates, érosion des sols, crises de la vache folle ou plus récemment du fipronil) ont significativement écorné la reconnaissance sociale du métier d’agriculteur. Les familles paysannes souffrent également d’un fort isolement social dans des zones rurales de plus en plus dépeuplées. L’ampleur de cette crise du monde agricole est révélée notamment par un fort taux de suicide de la profession. En France, par exemple, la mortalité par suicide chez les agriculteur·trice·s est de 20 à 30 % supérieure à la moyenne de la population (France Bleu, 2018).

Une alternative à ce modèle de production dominant semble être la production agroécologique qui dans les dix dernières années a connu une croissance de 13 % de la surface agricole utile (SAU) en Belgique[3]. Quel impact la transition agroécologique a-t-elle sur la qualité de vie des familles paysannes ? Comment les agriculteur·trice·s ont vécu leur transition vers l’agroécologie ?

16 fermes wallonnes dans la loupe de la sociologie compréhensive[4]

À travers les résultats d’une enquête[5] réalisée auprès de 16 fermes wallonnes, découvrons comment ces familles paysannes définissent leur propre vision du bien-être dans l’exercice de leur métier et comment la transition agroécologique leur a permis d’atteindre ou non certains critères de qualité de vie.

Restaurer un environnement sain et un cadre de vie agréable

Selon les producteurs interrogés, la transition agroécologique leur a permis de vivre dans un environnement agréable, grâce à l’adoption de pratiques qui préservent l’environnement. Le fait d’observer quotidiennement les effets positifs de ces pratiques sur la restauration de cet environnement et de la biodiversité et de se sentir préservé de toute exposition à des produits toxiques est un facteur positif de bien-être.

« Après 8 ans de transition, je vois des fleurs sauvages, je ne les avais jamais vues, il y a beaucoup d’oiseaux et d’abeilles qui viennent à ma ferme. Je suis très fier de ma façon de produire, car je sais que je produis bien. »

Retrouver l’autonomie décisionnelle sur la ferme

Pour les producteur·trice·s qui ont décidé de changer leur manière de produire, il a été fondamental de se réapproprier la réflexion stratégique et la gestion de la ferme avec des critères de souveraineté alimentaire et de durabilité. Reprendre le contrôle leur rend une certaine dignité et fierté.

 « Le gros changement : quand on était en conventionnel, 3 fois par semaine, le marchand  venait pour dire comment il fallait faire, et tout ce système-là, est basé sur la peur. Aujourd’hui je produis toute la nourriture de mes animaux, les vaches paissent et mangent de l’herbe et sont plus saines. Et lorsque mes vaches vont bien, alors mon épouse se sent bien et donc moi aussi ! »

Garder la passion pour le métier

Avant la transition agroécologique, les producteur·trice·s étaient fatigué-es de passer de nombreuses heures à pulvériser des produits chimiques sur leurs parcelles. L’appropriation des techniques agroécologiques et la compréhension des cycles naturels sur la ferme comme alliés de la production ont généré une grande motivation de leur part pour réapprendre le métier de paysan·ne.

 « J’ai décidé de développer le travail à la ferme parce que j’aime la vie à la campagne et aussi parce que j’aime que toute la famille puisse être ensemble, travailler et tout faire en même temps, innover. [..] »

Se sentir reconnu

La reconnaissance du travail et du rôle de l’agriculteur dans la société est un point important pour le bien-être des agriculteur·trice·s. Les familles paysannes qui travaillent de manière agroécologique et réussissent à communiquer sur la qualité de leur travail perçoivent la reconnaissance de la part des consommateur·trice·s, de la population locale ou des autres agriculteur·trice·s.

« Les consommateurs ne connaissaient pas cette façon de produire, maintenant avec Internet, il est facile pour les consommateur-trice-s de s’informer et je me sens mieux, parce que je vois un changement dans la société, je vois que mes produits sont recherchés et reconnus. [..] »

Se créer un réseau social de qualité

La transition agroécologique a amené les producteur·trice·s à s’articuler entre eux à travers des réseaux d’échange de connaissances et savoir-faire, où l’entraide est le mot d’ordre. Le rapprochement avec les consommateur·trice·s, créé par les circuits courts, permet également de tisser un réseau social de proximité.

« Depuis que nous avons décidé de devenir bio et d’arrêter d’utiliser tous les produits phytosanitaires, j’ai commencé à chercher des personnes qui sont dans la même situation que moi, j’en ai trouvé qui peuvent me conseiller, ainsi que des institutions et finalement j’ai commencé à avoir plus de contacts et une vie sociale plus active. […] »

La satisfaction d’un travail bien accompli

Pour les familles paysannes, passer à une production agroécologique a signifié retrouver le goût et la fierté du travail bien fait, tant dans la qualité gustative et sanitaire des produits que dans le respect de l’environnement, travail reconnu par les consommateur·trice·s de surcroît.

« Pour moi, il est important de faire un produit de qualité, je me sens bien quand les consommateurs viennent acheter à la ferme et qu’ils me disent que mon produit est très bien fait, j’en suis très fier.

Le difficile équilibre entre travail, famille et loisirs

La plupart des fermes étant encore de type familial, c’est-à-dire conduites par un couple ou une paysan·ne unique avec une main-d’œuvre familiale et non-salariée, la limite entre vie professionnelle et vie privée n’existe pas. Les agriculteur·trice·s disposent souvent d’horaires de travail très lourds et nombre de ces derniers ne peuvent bénéficier de temps disponible pour leur famille ou pour eux-mêmes. Les producteur·trice·s travaillent souvent plus de 56 heures par semaine avec une forte pénibilité physique du travail.

 « En dehors de tout le travail que nous faisons le jour à la ferme, nous devons arriver la nuit et continuer à travailler sur la partie administrative, nous avons un stress permanent car nous sentons que nous travaillons avec la police derrière nous, observant quand nous allons faire des erreurs pour que les sanctions arrivent, c’est très fatigant ça! »

La rentabilité économique

En lien avec la forte charge de travail, les bénéfices de la vente ne rémunèrent pas le travail fourni à sa juste valeur. Par ailleurs, les marchés restent souvent incertains, ce qui ajoute un facteur de risque important pour le revenu des producteur·trice·s.

« Il y a du stress parce que nous n’arrivons pas à vendre tout ce que nous produisons à la ferme, nous n’avons pas de marché sécurisé et de prix correct toute l’année. »

Réussir une transition agroécologique : un défi qui nécessite l’appui de la société

Même si la transition agroécologique a amélioré certains aspects du bien-être des familles paysannes comme le cadre de vie, l’autonomie décisionnelle, la passion retrouvée pour le métier, la reconnaissance sociale, l’ouverture à partager et réapprendre le métier à travers différents réseaux sociaux et la satisfaction d’un travail et de produits de qualité, il n’en reste pas moins que le manque de rentabilité et la forte charge de travail restent des défis importants pour les fermes agroécologiques.

Par ailleurs, les cinq premières années de transition sont les plus difficiles à franchir à cause de trois types de difficultés qui vont retarder les effets de la transition sur les indicateurs de qualité de vie. Ces difficultés peuvent être d’ordre psychologique (comme la peur de l’inconnu, les doutes sur la réussite de la transition ou l’appréhension à remettre en question un modèle productif ancré depuis plusieurs générations), cognitif (besoin de réapprendre le métier), économique ou technique (investissement dans de nouveaux moyens de production).

Les politiques publiques d’accompagnement des producteurs et productrices devraient donc se focaliser principalement durant ces premières années pour augmenter les chances de succès des processus de transition. Par ailleurs, un calcul des primes sur base des unités de travail fournies plutôt que sur la superficie de l’exploitation pourrait être un appui plus adapté à la transition agroécologique en reconnaissant la forte charge de travail qu’elle implique.

Les comportements citoyens peuvent aussi largement faciliter le franchissement de ces difficultés. En tant que consommateur·trice·s, nous pouvons :

  • acheter des produits de fermes locales pour soutenir une agriculture paysanne et agroécologique via les circuits courts,
  • interagir avec les agriculteurtrice·s, via par exemple des GASAP ou des systèmes participatifs de garantie[6], qui permettent au citoyen consommateur de s’impliquer dans le processus de transition et y apporter sa contribution soit par la fidélisation de ces achats, soit en contribuant en capital ou en main-d’œuvre à l’exploitation agricole dans des moments critiques de pics de travail ou d’investissements.

Une transition agroécologique est donc possible et doit être le fruit de la conjonction des actions des producteurs et productrices, des pouvoirs publics et des comportements citoyens.

Carolina Carpio Villarroel – Sociologue

En savoir plus :

SERVIGNE P. 2014. Nourrir l’Europe en temps de crise, vers des systèmes alimentaires résilients. Ed. Nature et Progrès. Belgique. 192 p.

STASSART P.M. et JAMAR D, 2009, AB et verrouillage des systèmes de connaissances conventionalisation des filières agroalimentaire bio. Innovations Agronomiques (2009) 4, 313-328.

[1] Direction Générale Statistique, 2017. Chiffres clés de l’agriculture. L’agriculture en Belgique en chiffres. Ed. Nico Waeyart, Directeur général. Belgique. 52 p.

[2] IDEM

[3] GOFIN Stéphanie et BEAUDELOT A. 2018. Les chiffres du Bio 2017. Rapport de mai 2018. BioWallonie. 38 pp.

[4] La sociologie compréhensive de Max Weber est une démarche scientifique permettant la compréhension de fait social en donnant un sens aux actions des personnes dans leur contexte plu spécifique.

[5] CARPIO VILLARROEL Carolina, 2018. Analyse compréhensive de la qualité de vie des agriculteurs engagés dans une transition agroécologique en région Wallonne, Belgique. Mémoire de Master de spécialisation en développement, environnement et société à l’UCL. 84pp. https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/object/thesis:16220

[6] https://lemap.be/sites/lemap.be/IMG/pdf/syste_mes_participatifs_de_garantie-2.pdf

Une nature pourvoyeuse de services, et si l’agriculture s’en inspirait ?


Synopsis

La nature nous fourni quantité de services tel que la production de nourriture, la régulation du climat, la protection contre l’érosion, contre les inondations ect., Choisir une agriculture inspirée de la nature qui respect les écosystèmes c’est assurer notre bien-être, notre prospérité, notre économie et notre santé. Invitation à une transition agricole, alimentaire, scientifique et politique.


Publié par UniverSud-Liège-Aout 2019

Saviez-vous que sans Carabidés, ces coléoptères terrestres, la Belgique serait recouverte de bouses de vache en moins de deux ans ? En effet, ceux-ci jouent un rôle essentiel dans la décomposition des excréments de nos bovins. Ceci a d’ailleurs été un problème majeur en Australie, là où les coléoptères sont incapables d’effectuer cette dégradation suite à une co-évolution avec les marsupiaux. Avec le temps, les prairies se sont vues recouvertes de bouses, diminuant leur productivité et augmentant drastiquement les populations de mouches et autres parasites provoquant un réel problème de santé publique. A tel point qu’en 1960, un grand projet d’introduction d’espèces européennes, elles adaptées au bétail, a dû être mis en place et maintenu jusqu’il y a quelques années[1].

            Saviez-vous encore, qu’en Chine, certains peuples sont contraints de polliniser leurs arbres fruitiers à la main, car les abeilles sont devenues trop peu nombreuses ? En effet, suite à une réduction des surfaces de forêts, mais surtout suite à une utilisation excessive d’insecticides, la diminution des abeilles les oblige à les remplacer depuis les années 90[2]. Cela n’est guère réjouissant quand on sait que les populations d’abeilles diminuent également drastiquement chez nous et que 35 % de la production mondiale de nourriture est directement dépendante des pollinisateurs ! Dans ce contexte, une étude a démontré que la valeur de la pollinisation s’élevait à 153 milliards d’euros[3] …

            Ces exemples illustrent la multitude de services que nous fournit la nature quotidiennement, sans même que nous ne nous en rendions compte. Les écosystèmes – communautés de plantes, animaux et micro-organismes qui interagissent avec leur environnement – sont essentiels à notre bien-être, notre prospérité, notre économie et notre santé[4].

Cette notion de « services écosystémiques », modifie notre rapport à la nature et comment nous la gérons. Il ne s’agit donc plus de protéger la nature uniquement par devoir éthique, ou pour sa valeur intrinsèque, mais aussi pour assurer notre survie et notre bien-être. Alors qu’anciennement nous considérions que pour protéger la nature il fallait l’isoler des humains, il est dès lors admis qu’il est possible de la protéger et de la promouvoir dans des paysages anthropiques, tels que les systèmes agricoles.

Une agriculture inspirée de la nature : l’agroécologie

Pour nous nourrir, nous avons choisi un modèle hautement productif et spécialisé dans la fourniture de denrées alimentaires. Bien que ce modèle intensif ait permis d’augmenter considérablement les rendements, il est indéniable qu’il néglige les autres types de services que le système peut potentiellement rendre. Comme alternative, de nouveaux modèles d’agriculture voient le jour, et suggèrent un meilleur équilibre en la fourniture des différents services et donc une meilleure optimisation du bien-être humain .

C’est effectivement ce que propose « l’agroécologie » par l’intégration des principes de l’écologie dans les pratiques agricoles. L’agroécologie, c’est, par exemple, associer diverses cultures sur une même parcelle, afin de rendre celles-ci moins propices aux maladies. C’est mettre en place des bandes fleuries ou des haies le long des champs, afin de fournir un habitat aux insectes pouvant réguler la présence de ravageurs de culture, comme la bien connue coccinelle, régulatrice des pucerons. En résumé, c’est complexifier l’agro-écosystème pour augmenter les interactions écologiques et augmenter la fourniture de services[5]. L’agroécologie, c’est remplacer l’énergie des énergies fossiles par l’énergie gratuite des interactions écologiques (Fig. 2). Ces services bénéficient à l’agriculteur·trice, qui peut alors se détacher de sa dépendance aux intrants chimiques, mais également aux habitant·e·s et promeneur·euse·s de la région qui bénéficient alors d’un paysage plus diversifié[6].

Figure 1 : L’agroécologie, c’est l’écologisation des pratiques agricoles pour développer les processus biologiques pour remplacer les apports externes d’intrants et d’énergie. Après s’être battu pendant des années contre la biodiversité, on la considère dorénavant comme une alliée.

La transition agroécologique, au-delà des champs[7],[8]

Une telle transition dans la parcelle agricole ne peut s’effectuer seule. Avec l’agroécologie, c’est l’entièreté du système alimentaire qui demande à être restructuré. Et pour cela, elle aura besoin d’un soutien scientifique et politique.

La transition du système alimentaire

Le développement de circuits courts, pour reconnecter les producteur·trice·s et les consommateur·trice·s, est un des aspects essentiels de la transition agroécologique. Les circuits courts créent de l’emploi et assurent les revenus de l’agriculteur·trice en diminuant le nombre d’intermédiaires entre la production et la commercialisation. De plus, les consommateur·trice·s créent un lien de confiance avec le·la producteur·trice et par conséquent avec l’origine de leurs aliments. Un tel changement se verra s’accompagner d’un changement de comportement du·de la consommateur·trice qui favorisera alors les produits locaux et de saison.

La transition scientifique

L’agroécologie nous remet également nous, chercheurs, en question. Alors que la recherche agronomique conventionnelle repose sur des approches scientifiques factorielles, décomposant le système en ses diverses composantes, l’agroécologie requiert en outre des approches holistiques pour mieux appréhender la complexité et les incertitudes qui lui sont inhérentes. Par le biais d’approches multi-(l’intégration de diverses disciplines) et trans-(l’intégration des acteurs locaux) disciplinaires, la complexité de l’agro-socio-écosystème est prise en compte et les innovations co-développées sont adaptées à leurs contextes. À cette fin, les institutions scientifiques se verront restructurées, afin de décloisonner les disciplines, et les mentalités scientifiques changeront, afin que l’accumulation rapide de publications à titre personnel ne soit plus le seul critère de qualité, mais que l’impact social soit également valorisé.

La transition politique

Une telle transition requiert également une transition, ou du moins, un soutien politique. En Wallonie, les subventions de la politique agricole commune (PAC) de l’Europe représentent la quasi-totalité du revenu net d’un·e agriculteur·trice (à hauteur de 80 à 90 % selon les années d’après les chiffres du Service Public de Wallonie). De plus, 70 % des terres agricoles sont louées par les agriculteur·trice·s à des propriétaires. Ainsi, n’étant ni autonome financièrement, ni propriétaires de leurs terres, les agriculteur·trice·s seul·e·s ont peu de marge de manœuvre.

De manière générale, les décisions prennent en compte les services de production sans évaluer les impacts des exploitations sur la fourniture de l’ensemble des services écosystémiques, et donc sur le bien-être de la société. Trop souvent encore, les services écosystémiques sont ignorés et remplacés par des solutions artificielles. La régulation naturelle du cycle de l’azote dans les sols agricoles est remplacée par un apport d’engrais, l’équilibre naturel entre ravageurs de cultures est remplacé par des pesticides chimiques. Pourtant, ces solutions artificielles sont coûteuses, ne font qu’augmenter la pression financière sur notre société et la dégradation de notre environnement. Cette perte de qualité d’environnement représente un coût social et économique considérable. D’après des experts statisticiens du groupe « The Economics of Ecosystems and Biodiversity[9] », nous perdons 3 % de notre produit intérieur brut par la perte de la biodiversité. Chaque année, l’Europe perd dès lors 450 milliards d’euros[10] !

Intégrer l’ensemble des services écosystémiques dans les décisions politiques représente indéniablement une réelle opportunité de développement basé sur l’articulation entre les valeurs sociales, environnementales et économiques, et non plus uniquement sur ces dernières. Comme exprimé par Gerben-Jan Gerbrandy, « il n’y a rien qui produise autant de nourriture, de services, de produits et d’emplois que la nature… N’importe quelle autre multinationale de cette importance serait politiquement canonisée et protégée ».

… Qu’attendons-nous ?

Fanny Boeraeve

Postdoctorante en agroécologie à Gembloux Agro-Bio Tech

Sources de l’image :

Paysage agroécologique : Séverin Hatt, Ferme du Bec Hellouin, France

[1] http://www.dungbeetle.com.au/

[2] Harold T, Nanxin S 2014 « Dans les vergers du Sichuan, les hommes font le travail des abeilles ». Le Monde.fr

[3] Gallai N et al. 2009 « Economic valuation of the vulnerability of world agriculture confronted with pollinator decline »

[4] http://share.bebif.be/data/web_bees_brief_i_nature_why_care_l.pdf

[5] Boeraeve, F., Dendoncker, N., Degrune, F., Cornelis, J.-T., Dufrêne, M., (Accepted with modifications) Contribution of agroecological farming systems to the delivery of ecosystem services, submitted to Journal of Environmental Management

[6] Boeraeve, F., Dupire, A., Dendoncker, N., Dufrêne, M., Mahy, G. (submitted) How are landscapes under agroecological transition perceived and appreciated? A Belgian case study, submitted to the journal ‘Sustainability’.

[7] Cette section est inspirée de l’article scientifique suivant : Hatt*, S., Artru*, S., Brédart, D., Lassois, L., Francis, F., Haubruge, E., Garré, S., Stassart, P. M., Dufrêne, M., Monty, A., Boeraeve*, F. (2016). Towards sustainable food systems: the concept of agroecology and how it questions current research practices. A review. Biotechnology, Agronomy, Society and Environment, 20(Special issue 1), 215-224.

[8] Et de l’article de vulgarisation suivant : Boeraeve, F. 2015. La nature…. Pourquoi s’en soucier? Page 72 in J.-C. Beaumont, M. David, and C. Rousseau, editors. L’Homme et l’Oiseau.

[9] http://www.teebweb.org/

[10]Gerben-Jan Gerbrandy 2012 (http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+CRE+20120420+ITEM-007+DOC+XML+V0//EN&language=EN)

Migration et droits sociaux- interview de J-M Lafleur


Synopsis

On pense souvent que les migrants viennent en Belgique pour profiter des droits offerts par l’Etat providence. De cette lecture résulte une tendance à limiter les droits des personnes migrantes dans une volonté de réduire les migrations. Est-ce là la bonne approche? Ce n’est en tout les cas pas la plus humaine. Entretien avec Jean-Michel La Fleur pour mieux comprendre les droits des migrants et les conséquences sur leur destinée.


Publié par UniverSud-Liège en janvier 2019

Directeur adjoint du Centre d’Etudes de l’Ethnicité et des Migrations de l’Université de Liège et Chercheur qualifié du FRS-FNRS, Jean-Michel Lafleur est aussi maitre de conférences à la Faculté de Sciences Sociales de l’Université de Liège où il donne différents cours sur les migrations. Il a accepté de répondre à nos questions concernant la migration, les sans-papiers, et les droits sociaux qui y sont liés.

Eclosio : La première chose que j’aimerais vous demander, c’est de définir ce qu’est un « migrant ». Un cliché répandu est celui de la famille syrienne traversant la mer pour venir vers des pays plus sûrs. Qu’en est-il réellement ?

JML : Il y a différentes façons de définir le concept d’immigration. Effectivement, les concepts de migrant, d’immigré, d’émigré, de réfugié, de demandeur d’asile peuvent parfois être utilisés de façon interchangeable alors qu’ils recouvrent des réalités différentes. Quand on parle d’un immigré en Belgique, on parle d’une personne qui est née à l’étranger et qui a traversé une frontière pour arriver en Belgique. Il faut faire attention au fait que, dans les chiffres sur l’immigration en Belgique, toutes les personnes qui arrivent sur le territoire ne sont pas nécessairement des étrangers. Par exemple, il y a des enfants qui naissent de parents belges vivant à l’étranger, qui, un jour, décident de venir vivre en Belgique et se retrouvent catégorisés comme des immigrés mais sont biens des citoyens belges. A l’inverse, quand on parle d’étrangers, on a l’impression que tous les étrangers sont nés dans un autre pays, alors qu’il y a aussi des enfants nés sur le territoire belge de parents étrangers et qui, en dépit du fait qu’ils soient nés en Belgique, ne sont pas Belges. Le concept de demandeur d’asile, quant à lui, se focalise sur une très petite portion de la population migrante et comprend les gens quittant leur pays pour chercher une protection en Belgique.

Eclosio : Qu’en est-il des migrants illégaux ?

JML : Parmi les chercheurs, beaucoup d’entre nous n’utilisons pas le concept de « migration illégale » car ce vocabulaire est souvent instrumentalisé par des partis populistes ou d’extrême droite pour justifier des traitements d’exception à l’égard de populations dans des situations précaires. Il faut souligner que des populations sans-papiers, sans statut, ne le sont pas spécialement toujours durant leur parcours migratoire. On peut très bien arriver en Belgique avec des papiers, et puis, à la fin des études ou à la perte de son emploi, devenir sans-papiers. Le terme « sans-papiers » dénote donc d’un statut administratif à un moment particulier du parcours migratoire, alors que le concept d’illégalité tend à uniformiser le statut d’une personne pour délégitimer sa présence.

Eclosio : Quels droits sociaux conserve-t-on quand on est sans papiers ?

JML : Quand on est sans papiers dans l’Union européenne, toute une série de droits liés à la résidence ou à la nationalité sont inaccessibles. On ne peut pas avoir de contrat de travail en bonne et due forme et, par conséquent, l’accès à des droits associés au travail, comme l’assurance chômage ou des prestations de soin, est soit impossible, soit très compliqué. Il y a cependant des droits minimaux garantis comme l’aide médicale urgente, même si elle reste sujette à l’interprétation des prestataires de soin, ou comme l’accès à l’éducation. Beaucoup d’enfants de sans-papiers sont scolarisés, ce qui crée des drames lorsqu’ils sont forcés de quitter le territoire.

Eclosio : Prenons un exemple précis : l’hiver approche, et les sans-papiers n’ayant pas d’abris sont plus susceptibles de tomber malades. Comment peut-on être pris en charge lorsqu’on souffre d’une grippe ou d’une pneumonie ?

JML : L’aide médicale urgente s’adresse aux personnes qui sont vraiment en situation de danger. Cela ne veut pas dire que, quand on n’a pas de papiers, on n’a pas de solution pour résoudre des problèmes de santé. Ce sera juste beaucoup plus compliqué et souvent plus couteux. On peut demander à un médecin de nous soigner sans remboursement de la mutualité, puisqu’on n’est pas affilié, ou avoir recours à d’autres stratégies. Des associations comme Médecins du Monde ou la Croix-Rouge se spécialisent dans les soins aux personnes en situation de grande précarité, dont les sans-papiers. On peut aussi faire appel à des mécanismes de solidarité communautaire : dans une communauté immigrée, des prêts d’argent et autres formes de solidarité permettent à ceux qui en ont besoin d’accéder aux soins de santé.

Eclosio : En parlant du monde associatif, le Hub Humanitaire situé Gare du Nord permet aux sans-papiers de contacter leur famille à l’étranger, de passer des visites médicales, etc. Dans quelles mesures ces associations de citoyens venant en aide à d’autres citoyens ne remplissent-elles pas un rôle qui devrait être joué par l’Etat ?

JML : Depuis 2015 et ce que certains nomment « la crise migratoire », les autorités belges ont une approche très restrictive de l’accueil des personnes venant chercher une protection en Belgique ou transitant par le territoire. Si les personnes viennent chercher l’asile en Belgique, elles peuvent déposer une demande et sont prises en charge par des structures comme les centres d’accueil etc. Se lance alors une procédure d’asile, durant laquelle les personnes sont logées, ont accès à un médecin et parfois même à des cours basiques de langue. Mais le gouvernement fédéral estime que les personnes ne rentrant pas de demande d’asile n’ont grosso modo droit à rien.

Eclosio : Comme les personnes transitant par la Belgique pour rejoindre d’autres pays ?

JML : Il y a en effet des personnes pour qui la Belgique n’est qu’un point de passage et qui ne souhaitent donc pas déposer de demande d’asile, mais aussi des personnes hésitant, par manque d’information ou par crainte, à déposer une demande d’asile en Belgique. Ce sont par exemple des personnes dont les empreintes digitales ont été prises dans d’autres pays de l’UE et qui risqueraient donc d’être renvoyées vers ces pays lorsqu’on examine leur demande d’asile. Il y a aussi des personnes craignant que leur demande ne soit pas traitée positivement ou d’autres qui sont incertaines que la Belgique soit la dernière étape de leur parcours migratoire. En ce qui concerne ces personnes au statut intermédiaire, le gouvernement fédéral a décidé d’être aveugle et rejette toute responsabilité à leur égard. Il se contente de faire respecter l’ordre en procédant à des arrestations de personnes sans titre de séjour.

Faire comme si cette population n’existait pas n’est pourtant pas une approche souhaitable. Du point de vue humanitaire, ces populations peuvent se trouver dans des situations très précaires et ont besoin de vrais services. N’est-ce pas trop demander au secteur associatif et à la société civile de subvenir aux besoins de ces populations alors que leur nombre n’est pas gigantesque et que l’Etat aurait les moyens de prendre en charge ? La Belgique ignore également cette population car elle craint que, en lui donnant des services et des droits, cela provoque un « appel d’air ». Aujourd’hui, dans les recherches existantes sur les migrations, cet appel d’air n’a jamais été avéré. Rien ne prouve que donner accès à un médecin à une personne arrivant en Belgique inciterait plus de monde à migrer vers la Belgique. Les décisions migratoires sont bien plus complexes que l’accès à des prestations sociales ou à des soins de santé. Même si le système de santé performant et la qualité des écoles belges peuvent influencer un déplacement vers la Belgique plutôt que vers un autre pays, la qualité des services offerts par l’Etat providence ne peut à elle seule justifier la décision migratoire. Une vision assez stigmatisante de la migration se développe car on laisse penser qu’elle ne serait guidée que par un souhait de profiter du système social, alors que ce n’est pas le cas.

Eclosio : Pour rebondir sur ce cliché, les migrants représentent-il vraiment un coût pour la société belge ?

JML : Cette idée que les immigrés représentent une charge pour les finances publiques belges est assez largement répandue : dans les enquêtes d’opinion, environ la moitié de la population belge est de cet avis. Souvent, cette opinion n’est pas basée sur des croyances xénophobes ou racistes mais sur des arguments à priori de bon sens. Par exemple, les immigrés ont en moyenne plus d’enfants que les personnes non-immigrées, et ont donc automatiquement tendance à recevoir plus d’allocations familiales. De même, les immigrés sont plus durement touchés par le chômage, et donc représentent proportionnellement un budget plus élevé dans les dépenses de chômage. Cependant, ce type de raisonnement a différentes failles : utiliser uniquement le chômage et les allocations familiales pour faire un argument général sur le poids des immigrés pour la sécurité sociale, c’est oublier la plus grosse dépense sociale : les pensions. Les migrants ont tendance à être plus jeunes, et vont plus fortement contribuer au financement des pensions. En conclusion, les études menées par différentes organisations internationales telles l’OCDE ou l’Union européenne soulignent toute la difficulté de mesurer l’impact fiscal de l’immigration mais concluent néanmoins que celui-ci est soit nul, soit positif.

Eclosio : Que penser des citoyens belges poursuivis pour avoir hébergé des migrants en hiver? Où se situe-t-on entre la non-assistance à personne en danger et la traite d’êtres humains dont ils sont accusés ?

JML : Il y a une claire tendance à criminaliser l’accueil. Bien sûr, des pratiques de traite existent en Belgique et il faut les condamner fermement, mais il faut aussi utiliser la nuance. Quand on frappe aveuglément et qu’on laisse sous-entendre que les plateformes citoyennes sont liées à des trafics d’êtres humains, je crois qu’il s’agit aussi de tentatives d’intimidation et d’instrumentalisation de la part de certains politiques qui veulent décourager la société civile de s’impliquer dans le dossier migratoire. Certains élus défendant une approche restrictive de l’immigration  souhaitent décourager l’accueil citoyen. En effet, lorsque les belges sont en contact avec les migrants, une série de clichés sur lesquels ils fondent leurs politiques restrictives commencent à tomber. Le contact direct, par le biais de l’accueil, fait s’effondrer ces clichés. Pour défendre une politique migratoire restrictive, la tentation est donc grande de criminaliser l’accueil.

Eclosio : Votre projet de recherche porte sur les droits sociaux des migrants, pouvez-vous nous en dire plus?

JML : Grâce à un financement du conseil européen de la recherche (ERC), nous constituons une base de données pour évaluer les critères d’accès à une série de prestations sociales(chômage, santé, allocations familiales, revenu d’insertion et pension) à destination des immigrés dans toute l’UE dans le but de repérer les pays où l’accès à la protection est plus aisée. Nous menons également un travail de terrain dans des grandes villes européennes avec des communautés immigrées pour voir si, au-delà du droit formel, l’accès est effectivement possible.

Entretien réalisé par Eve Legast
Volontaire Eclosio

Plus d’infos : http://labos.ulg.ac.be/socialprotection/

Produits bios dans les supermarchés, publicité mensongère ?


Synopsis

Les produits issu de l’agriculture biologique fleurissent dans les rayons des supermarchés répondant à une demande de consommateurs attentifs à leur santé et soucieux de l’environnement. Qu’y a t il derrière ces labels? Sont-ils à la hauteur de nos exigences? Mise au point pour une alimentation réellement saine et durable.


Publié par UniverSud-Liège avril 2019

Le début du 21ème siècle a été marqué par de nombreux scandales agro-alimentaire : épidémie de gastro-entérites dans toute l’Europe due à la bactérie Escherichia Coli en mai 2011, présence de viande chevaline dans des steaks hachés « pur bœuf » en janvier 2013, scandale des œufs contaminés au fipronil en 2017, préparations de viande avariée à destination du Kosovo et falsification d’étiquettes sur les produits congelés chez Véviba en mars 2018 en sont quelques exemples. Ces événements ont poussé les consommateurs à une plus grande vigilance envers ce qu’ils achètent. D’autre part, la prise de conscience des effets néfastes sur la santé et l’environnement de l’utilisation massive d’intrants chimiques dans l’agriculture, ont pour conséquence un intérêt accru pour les produits biologiques. BioWallonie note une progression de 6% des dépenses pour les aliments frais et boissons bio en Belgique pour l’année 2017, avec une part de marché de 3,4% en 2017, c’est plus du double du chiffre annoncé en 2008.

Les origines du bio

Les changements dans les pratiques agricoles du début du 20ème siècle, notamment avec l’arrivée des engrais chimiques et le début de l’agriculture industrielle, a fait émerger dès les années 1930 dans de nombreux pays d’Europe, en réaction, un attrait pour un système de production plus respectueux envers la terre et les producteurs. Nous pouvons citer par exemple l’allemand Rudolf Steiner et le Cours aux agriculteurs, qui enseigne un mode de production basé sur l’agriculture biodynamique, ou encore les travaux du Suisse, Rusch, gynécologue de formation qui relie la dégénération de la flore bactérienne des muqueuses au problème de la qualité de l’alimentation.  Lien qui l’amènera à développer l’agriculture biologique aux côtés de Hans Müller, qui de son côté se battait pour l’indépendance économique des petits paysans.

Parmi les principes de l’agriculture biologique, il y a bien sûr l’absence de produits chimiques et d’organisme génétiquement modifiés (OGM) dans la production, mais aussi le respect du sol en maintenant la diversité et les équilibres naturels.

Plus qu’un “manger sain”, c’est aussi une consommation responsable qui est revendiquée.

On verra ainsi des cahiers de charge bio être créés dans différents pays par des organismes privés pour permettre aux consommateurs d’identifier les produits bios et d’assurer leur qualité en réglementant leur production.

Le label bio européen

En 1992,  l’Union Européenne crée le règlement de l’agriculture biologique « définissant les principes, objectifs et règles générales applicables à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques »[1].

Le règlement européen actuel prévoit de réorienter le développement de l’agriculture biologique, afin de l’axer sur des systèmes de culture durables comprenant ;

  • Des produits diversifiés et de qualité ;
  • Une protection de l’environnement renforcée ;
  • Une attention accrue portée à la biodiversité ;
  • La confiance des consommateurs ;
  • La protection des intérêts des consommateurs.

Le label européen garantit des produits sans OGM, ni pesticides. Le respect de l’environnement et la fertilité des sols y sont aussi encouragés. Les animaux d’élevages sont nourris avec des aliments écologiques, l’insémination artificielle est interdite. Cela dit, on ne trouve pas d’interdiction de certains exhausteurs de goûts, de colorants ou de produits de croissance et parmi les additifs autorisés dans les produits biologiques, 7 d’entre eux[2] sont considérés comme dangereux pour la santé selon « Le nouveau guide des additifs »[3]

Le 26 avril 2017, le Parlement européen a voté un règlement plus permissif en ce qui concerne l’alimentation bio pour faciliter le transport international. Autrefois, lorsque des produits bios étaient transportés, des mesures minutieuses étaient prises pour éviter qu’ils soient contaminés par des traces de pesticides ou autres. Avec cette nouvelle règlementation, les produits ayant été contaminés par des pesticides lors de leur voyage ne seront plus systématiquement retirés du marché. Le fait qu’un tiers de la consommation bio en Europe vient de l’importation de produits étrangers augmente donc le risque de nous retrouver avec des pesticides dans nos assiettes.

Le fait que le seuil de tolérance devienne plus laxiste au niveau européen démontre une volonté de favoriser le commerce international, en important directement les produits biologiques en provenance de pays tiers. Nous risquons de voir apparaître des produits ayant subis un contrôle moins important au niveau du taux de pesticide pour réduire les coûts de production et être plus compétitif au niveau du marché.

A noter que de nombreux pays hors UE possèdent des accords mettant leurs certifications bios nationales au même niveau que celles en vigueur en UE. Les systèmes de production locaux peuvent être différents et certains pesticides non autorisés en Europe peuvent être utilisés dans ces pays sur des produits bios qui se retrouvent ensuite dans nos magasins.

La Wallonie a toutefois mis en place un contrôle plus intensif sur ces taux afin de certifier le zéro pesticide. L’association « Nature & progrès » prône pour un alignement du seuil de tolérance européen sur celui de la Wallonie car les enjeux d’une telle décision impacteront d’une manière importante l’évolution du secteur.

L’apparition de bio dans les supermarchés

Avec l’attrait grandissant que ces produits ont sur les consommateurs, il n’a pas fallu attendre longtemps avant de voir apparaître des rayons de produits bios dans nos supermarchés. Aujourd’hui, 56% des produits biologiques achetés par les consommateurs proviennent des grandes surfaces. La différence avec les magasins spécialisés se fait surtout au niveau du prix, qui est parfois jusqu’à deux fois moins chers dans les supermarchés. S’ils respectent la réglementation européenne en matière de produits biologiques, le modèle de production reste dans la lignée des autres produits : la culture intensive, l’importation massive provenant de pays hors UE, et pour des coûts inférieurs à tout ce qu’on peut trouver dans nos pays.

Parmi les produits bios trouvables en supermarché, on y retrouve aussi des produits hors saison. Ces produits sont importés de zones comme la ville d’Almeria, en Espagne, où 40.000 hectares d’exploitations agricoles sont recouverts par des serres en plastique (dont plus ou moins 700 hectares consacrés au bio) qui sont constamment chauffées ce qui cause une dépense énergétique immense. Les produits qui y sont cultivés parcourront ensuite des milliers de kilomètres pour être vendus. On peut également y trouver environ 4000 travailleurs agricoles pour la plupart sans papiers logés dans des endroits précaire et payés entre 4 et 5 euros de l’heure pour travailler dans ces serres bios[4].

Au final, le bio de supermarché respecte les exigences en matière d’absence de pesticides et OGM mais paraît bien loin de l’esprit dans lequel le bio s’est développé, qui prônait une consommation responsable envers l’environnement et un respect des producteurs. Du point de vue des produits ajoutés, bien qu’ils soient bien moins nombreux que dans les produits classiques, la réglementation actuelle ne permet pas de nous garantir une alimentation aussi saine que l’on veut nous le vendre. En ajoutant les conditions de travail difficiles des agriculteurs, hérités des modes de productions classiques de la grande distribution, et l’importation d’environ 30% de produits consommés en Belgique, on est loin des produits frais achetés chez les petits producteurs locaux à un prix juste.

Quelles alternatives ?

                En politique

Au niveau politique, la réglementation européenne semble bien insuffisante pour nous assurer des produits réellement biologiques, respectueux de l’environnement et des producteurs.

Malgré tout, des labels alternatifs s’engagent à plus de responsabilités, par exemple le label Biogarantie® s’engage à faire des efforts en termes de durabilité écologique, sociale ou économique en appliquant notamment une rémunération équitable pour les producteurs, une minimisation du transport, des emballages et des déchets et un circuit le plus court possible[5].

En 2017, de nouvelles réglementations ont été décidées au niveau européen pour l’horizon 2021, comprenant un contrôle physique plus strict sur les modes de production, une interdiction de l’usage des serres et des mesures de prévention contre la contamination des terrains réservés au bio par des pesticides venant des cultures traditionnelles proches. Cependant, les mesures exactes de ces réglementations devront être prises au niveau national et peuvent changer en termes d’efficacité.

Pour ces raisons la Belgique s’est abstenue de voter pour ces nouvelles règlementations, en raison d’un manque de clarté ce qui irait à l’encontre d’une harmonisation des pratiques  européennes selon Isabelle Jaumotte, conseillère de la Fédération Wallonne de l’Agriculture.

Dans les supermarchés

Pour encourager les supermarchés à fournir des produits ayant des labels bio et équitables réellement écologiques et solidaires ou à se tourner vers des labels alternatifs, nous tourner vers ces produits afin de créer une demande. Nous pouvons également faire porter notre voix au sein des différentes associations de consommateurs, comme Test-achat ou le Centre Européen des Consommateurs (CEC) Belgique.

Pour nous assurer une production plus respectueuse envers l’environnement et les producteurs des produits que nous consommons, nous pouvons aussi porter une attention sur les produits que nous achetons, en privilégiant les aliments de saison et provenant des producteurs à proximité.

Des applications mobiles permettent notamment de tracer la provenance des produits que l’on retrouve en supermarché, ainsi que celle de leurs composants ! (ex: Open Food Fact).

Actuellement en perte de bénéfices à cause d’une fréquentation de moins en moins grande des supermarchés[6], le défi que les grandes enseignes comme Carrefour ont à relever pour regagner une attractivité et suivre les consommateurs dans une démarché éthique doit se traduire par des engagements forts, en proposant des produits équitables envers les producteurs locaux et issus d’un mode de production durable.

En favorisant les produits locaux, issus d’un mode de production équitable et durable il y a de forte chance que les supermarchés s’adaptent à la demande. Aux consommateurs à rester vigilant à ce qu’il ne s’agisse pas seulement d’une façon de dorer leur image mais d’une réelle démarche de soutient à une agriculture locale respectueuse de l’environnement et rémunératrice pour les producteurs.

Pour développer les engagements que pourraient prendre les supermarchés afin d’aller dans le sens d’une production et consommation durable, ils pourraient par exemple se tourner vers des labels plus exigeants, proposer de la vente en vrac et limiter un maximum les emballages plastiques.

Encore un pas plus loin

Ces pratiques sont courantes dans les coopératives alimentaires[7], qui sont des alternatives aux grandes enseignes pour les consommateurs. La ligne directrice de ces coopératives n’est pas le profit, mais plutôt de s’orienter vers une forme de production à la fois équitable et respectueuse de l’environnement.

les “Petits Producteurs”[8] est une coopérative alimentaire qui se rapproche plus de l’esprit original du bio. La force des coopératives se situe notamment dans la proximité avec les consommateurs, qui sont parfois eux-mêmes des actionnaires et employés de ces magasins. 

« La coopérative Les Petits Producteurs se fonde sur un principe de soutien véritable aux agriculteurs, éleveurs et transformateurs :

  •  Par une politique d’achat en direct, de non négociation des prix et de paiement rapide des producteurs;
  • Via l’implication dans la conception des plans de culture/de production des partenaires et la communication des besoins du magasin une année à l’avance;
  • En permettant, dans la mesure du possible, d’écouler les surplus et en offrant des prix de soutien en cas de difficultés dans les cultures. »[9]

Enfin, pourquoi ne pas développer une certaine indépendance de ces systèmes de distribution en cultivant soi-même ?

La permaculture, par exemple, science et art de l’aménagement des écosystèmes humains, permet de cultiver soi-même ses propres produits en reproduisant des écosystèmes naturels et ça, aussi bien dans un potager, une ferme, que dans nos appartements ! Un peu de recherche peut vite amener à des sites, blogs et autres vidéos didactiques permettant de devenir chaque jour un peu plus responsable et indépendant.

Le partage de parcelle de terrain gagne également en intérêt depuis quelques temps. Pour un propriétaire d’une parcelle de terrain, il lui est possible de permettre à d’autres personnes de venir cultiver sur ses terres. En établissant un cadre qui permettra aux deux parties de tirer avantage de cette entraide, ces parcelles deviennent plus qu’un simple potager, en devenant des lieux d’échanges sociaux, et de valeurs communes sur le partage et l’entraide.

Il existe aussi notamment des systèmes de potagers collectifs, permettant de soi-même produire ses fruits et légumes dans des espaces aménagés depuis 2010 (voir : www.asblrcr.be/potager-collectif). Un autre exemple est celui de « Peas and love » espace dans la région de Woluwe-Saint-Lambert à Bruxelles, permettant de louer une petite parcelle de terre pour un coût réduit, où des “community farmer” viennent cultiver des fruits et légumes pour vous, et que vous pouvez récolter toute l’année.

Finalement, la situation actuelle du bio dans les supermarchés est clairement discutable, le label bio européen ne nous assure qu’une absence de pesticides et d’ogm, bien qu’une contamination des produits durant le transport est encore possible, ce qui est bien loin d’être suffisant. Les consommateurs doivent encore être vigilants envers les produits bios trouvables en magasin pour s’assurer une consommation responsable. Si la situation n’évolue pas dans le bon sens dans les supermarchés et pour le label bio européen, les coopératives resteront une alternative bien plus intéressante.

Patrick Janssen
Stagiaire Ecolsio

[1]  Législation de l’UE sur la production biologique: présentation, source : ec.europa.eu

[2]  Dioxyde de soufre, métabisulfite de potassium, nitrate de sodium, nitrate de potassium, phosphore monocalcique, carraghénanes et hydroxypropylméthylcellulose. Anne-Laure Denans, Le nouveau guide des additifs. Éditions Thierry Souccar, 2017

[3] Denant, Anne-Laure. (2017). Le nouveaux guide des additifs. Edition Thierry souccar

[4] Source : Labels bio : sont-ils vraiment fiables ? – Tout compte fait. France 2

[5] Pour plus d’informations sur de nombreux labels bios qui existent, vous pourrez les retrouver en ligne à l’adresse suivante : www.natpro.be/alimentation/leslabels/index.html.

[6] Source : Le chiffre d’affaires en baisse pour Carrefour Belgique. La Meuse 2019

[7] Voir article dans la revue Cultivons le futur ! du mois d’Avril 2018

[8] Voir site de la coopérative : https://lespetitsproducteurs.be/

[9] Repris de : www.lespetitsproducteurs.be/cooperative/

Le label, outil contrasté du commerce équitable

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Le label est un outil supposé garantir au consommateur un commerce plus équitable pour les producteurs du Sud. A y regarder de plus prêt on remarque cependant que, de plus en plus, l’outil, réapproprié par le système de commerce classique, dérive vers un simple argument marketing, alors que les logiques de ce commerce, non équitable, reprennent le dessus. Une invitation à rester attentif à ce qui se cache derrière les labels.

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Publié par UniverSud-Liège avril 2019

La prise de conscience des dysfonctionnements du commerce international et son impact sur les petits producteurs à fait émerger, un commerce parallèle : le commerce équitable. Ce commerce a pour objectif de garantir aux producteurs du Sud un revenu décent.

Une étude réalisée chez les jeunes de 22 à 29 ans, selon Quieniart A., Jacques J. et Jauzion-Graverolle C. (2007), montre que la consommation éthique et équitable est une forme d’engagement politique. : il importe à ces consommateurs que leurs actions concordent avec leur discours, leurs achats sont l’expression de leurs opinions.

Au fil du développement du commerce équitable, sont apparus les labels, logos permettant aux consommateurs d’être informés que le produit possède les caractéristiques éthiques relatives à sa production ou à sa composition. Ce logo fait référence à un cahier des charges préétabli sur des critères économiques, sociaux, de gouvernance, d’autonomie des producteurs, environnementaux, de sensibilisation et d’éducation. Pour la filière labellisée,  le fonctionnement est le suivant : des entreprises s’engagent à respecter des termes de référence précis (conditions de travail, paiement d’un prix juste), et à s’approvisionner auprès de producteurs du Sud agréés par l’organisme de labellisation, pour pouvoir apposer sur leurs produits le logo du label. Ce logo a évidemment un cout, celui du contrôle qui permet la certification. Le produit labellisé peut ensuite être vendu dans tous les points de vente. On qualifie ces organisations de « réformatrices », elles adoptent de plus en plus les stratégies de gestion et de marketing des entreprises présentes sur le marché conventionnel. En Belgique, le label Fairtrade, anciennement Max Havelaar, fonctionne selon ce schéma.

 

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  Commerce équitable, un bref historique

La critique des inégalités liées au commerce international est le point de départ de la lutte pour un commerce plus juste. En effet, nées en 1944 les institutions des Bretton Woods (Banque mondiale, Fonds monétaires internationales et organisation mondiale du commerce) qui ont le leadership sur les questions de relations économiques internationales, ne pourvoient pas une égalité entre les pays dits développés et les pays dits en voie de développement. Les pays les plus riches ont nettement plus de poids dans les décisions liées au commerce. Les rapports de force au sein de ces institutions ont pour conséquences que les pays riches influencent les règles à leur avantage quant aux taxes, droits de douanes ainsi que sur le cours des prix des matières premières à l’importation. Les droits de douanes à l’entrée des pays Nord sont très élevés pour les produits transformés, par exemple, 1,5 % pour les fèves de cacao et minimum 16 % pour la poudre de cacao. En effet, la transformation donne de la valeur ajoutée au produit et créer de l’emploi, c’est pour cette raison que les pays Nord veulent que la transformation se fasse chez eux pour protéger leurs entreprises.

En 1964, les populations du Sud via le « Trade not aid », ont pour revendications vis-à-vis des institutions des Bretton Woods, d’obtenir des avantages commerciaux sans avoir à fournir de contrepartie : des droits de douanes moins élevés ainsi que la mise en place de stabilisation des cours des matières premières. Ses revendications n’ont pas eu de suite favorable dans le sens où ces pays, enchainés par leurs dettes, sont obligés de se soumettre aux mesures imposées par le Fond Monétaire International.  Voici un aperçu de ce qui est imposé par ces mesures : l’obligation d’aller vers le commerce mondiale plutôt que la protection du marché local cela notamment par l’abaissement des droits de douanes, l’interdiction de protéger leur marché par des réglementations, la mise en place de transports tournée vers l’exportation etc.

Par ailleurs certaines populations du Nord montreront leur désaccord avec le commerce international, notamment via le mouvement altermondialiste qui nait en réaction au néolibéralisme[2]. Selon Massiah G (2006), ce mouvement est assez diversifié dans les courants de pensées et les démarches qui le composent ; il est caractérisé par la résistance aux logiques dominantes (commerciales, politiques,…), la recherche d’alternatives, qui alimentent le débat démocratique citoyen qui caractérise ce mouvement. Dans l’idéologie de ce mouvement, le néolibéralisme est lourd de conséquences notamment dans l’évolution des inégalités Nord-Sud et la mise en sursis de l’environnement mondial, etc. Aussi, pour eux, le commerce équitable est une alternative possible au commerce international. Nous l’aurons compris le mouvement altermondialiste est pour une autre mondialisation.

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Les limites du label

Certains militants du mouvement et certains chercheurs craignent toutefois que le commerce équitable via les labels, devienne un pur produit de marketing qui augmente les exigences envers les producteurs du Sud. On en viendrait presque  à s’inquiéter de cette production grandissante.

En effet, malgré la bonne volonté des consommateurs dans leur initiative d’achat de produits équitables, ils ne se rendent pas compte qu’en demandant un produit dont la production répond à un cahier des charges précis, supérieur aux produits du système conventionnel, ils engendrent une augmentation des exigences envers les producteurs du Sud. Pour pouvoir répondre à ces exigences, les producteurs sont obligés de se réunir sous forme de coopératives. Ces coopératives pouvant se permettre d’être dans la filière labellisée, n’intègrent pas toujours les petits producteurs marginalisés. On reste alors, malgré tout, dans une logique de consommation conventionnelle, non éthique.

Par ailleurs, le fait que les entreprises de commerce traditionnel trouvent un intérêt à faire du commerce équitable, notamment pour s’inscrire dans une logique de responsabilité sociétale, risque de n’être qu’une démarche de façade, une stratégie marketing pour appâter le consommateur responsable. Au vue de l’intérêt croissant des consommateurs pour les produits du commerce équitable, les entreprises qui souhaitent redorer leur blason et en même temps améliorer leur rentabilité, proposent des produits labellises, une niche qu’il faut saisir afin de ne pas perdre de part de marché…

 D’un autre côté, cette ouverture du commerce conventionnel vers les produits équitables permet qu’ils ne soient plus uniquement destinés à un cercle fermé de consommateurs, mais accessibles à un plus grand nombre de consommateurs touchés et sensibilisés.

Ce n’est pas tout, Gendron, Lapointe, Champion, Belem et Turcotte (2006) se basant sur les travaux de Lipovestky (2002), De Bartha (1990), Hoffman,  se rejoignent sur l’idée qu’au-delà du fait de faire bonne figure auprès des consommateurs et de les attirer grâce à un discours sur l’éthique et la responsabilité sociale, cela leur confère également une bonne relation avec la société civile et les autorités publiques. In fine lorsqu’il y a lieu de mener des négociations sur la valeur des produits sur les marchés internationaux, les entreprises de commerce conventionnel s’assurent d’avoir davantage de pouvoir notamment dans la manipulation de ces prix, en faisant pression pour que ceux-ci soient diminués, ce qui est en contradiction avec l’idée du paiement d’un prix juste aux producteurs du Sud. Peut-on s’étonner que les entreprises restent fidèles à leur objectif premier, le profit ? Dans ce cas le commerce équitable, perd son sens. Le coté militant de ce mouvement se retrouvent, au service du commerce traditionnel.

Cela dit, il faut bien garder en tête que le label est un outil qui est utilisé par différents acteurs pour répondre à leurs objectifs. Des objectifs différents en fonction de l’acteur – commerces conventionnels, producteurs Sud. Le label n’est donc pas bon ou mauvais en soi, mais dépend de la logique qui lui est investie. C’est dans ce sens que l’explique un responsable politique chez Oxfam que nous avons rencontré. Premièrement il nous explique que pour l’ONG « une certification ou un système de certification, un label c’est toujours un moyen et jamais une fin en soi». Le label Fairtrade est un partenaire privilégié même si effectivement Oxfam et Fairtrade Belgium n’utilisent pas toujours les mêmes stratégies. Le fait que Fairtrade ait des projets sociaux est tout à fait en accord avec les valeurs d’Oxfam. A contrario, il affirme que le but de Fairtrade est d’augmenter les parts de marché des produits équitables ce qui n’est pas le cas d’Oxfam. Le partenariat permet à Oxfam de faire pression afin que toutes les conditions Fairtrade soient effectivement respectées par le label notamment celle d’un prix juste qui n’est pas toujours en accord avec le fait de vendre plus.  Les consommateurs ne faisant pas toujours la différence entre les produits Oxfam et ceux labellisés Fairtrade. Oxfam adopte un rôle de vigilance et exige de Fairtrade d’être plus stricte sur les règles qui régissent le commerce équitable

A l’instar d’Oxfam, il ne faut pas se contenter du logo mais se renseigner sur la philosophie et les stratégies utilisées par les labels auxquels on fait confiance. Il y en a effectivement de plus en plus, et ils n’observent pas tous la même rigueur quant à leurs règles et exigences. L’idée de transparence n’est plus très claire, retracer de  A à Z le parcours des produits issus du commerce équitable labéllisé devient très compliqué.

Quelles sont les alternatives possibles ?

Les réponses peuvent être proches de nous, les circuits courts prennent de plus en plus d’ampleur, via les achats directs à des producteurs locaux. Dans ce cas, on ne parle plus de commerce équitable Nord-Sud mais plutôt de commerce équitable Nord-Nord.

En ce qui concerne le commerce international, les circuits courts existent également. Non en termes de distance mais en termes de réduction des intermédiaires, on parle alors de filière intégrée. Celle-ci constitue le mode d’organisation historique du commerce équitable, dans lequel tous les acteurs du producteur aux distributeurs sont spécialisés dans le commerce équitable. On identifie les organisations présentes dans cette filière comme des « révolutionnaires » qui refusent d’adopter les méthodes de gestion des entreprises issues du marché conventionnel car c’est justement ce qu’elles critiquent. Le système de garantie d’équité est principalement basé sur la reconnaissance mutuelle, la confiance et le respect des engagements. C’est le cas par exemple d’Oxfam qui commercialise les produits de ses partenaires, ou encore de Café Chorti, coopérative qui regroupe tous les acteurs de la chaine du café[1].

Vous voilà donc quelque peu informés de la situation. Il ne tient qu’à nous de rester alertes quant aux  pratiques positives mais également aux dérives des initiatives dans le secteur du commerce équitable.

Aurélia Bessemans
Stagiaire Eclosio

Bibliographie :

  • MASSIAH Gustave, 2006, « Le mouvement altermondialiste et le mouvement historique de la décolonisation », Revue du MAUSS, n°28, pp. 383-390.
  • Emilie DUROCHAT et al, 2015, «  Guide international des labels de commerce équitable »,  [URL : http://www.socioeco.org/bdf_fiche-outil-77_fr.html , pp 1-125, consulté le 11 mars 2019].
  • Perspective monde, 2016, « Néolibéralisme » [URL : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1609, consulté le 11 mars 2019].
  • THIERY Patricia et PERRIN Christelle, 2005, “Recouvrement de champs d’activité entre ONG et entreprises: partenariat ou concurrence?”, Entreprises et histoire, N° 39, pp. 77-90
  • QUIÉNIART Anne, JACQUES Julie, JAUZION-GRAVEROLLE Catherine, 2007, « Consommer autrement : une forme d’engagement politique chez les jeunes », Les pratiques sociales, vol.20, n°1, pp.181-195.
  • GENDRON Corinne, LAPOINTE Alain, CHAMPION Emmanuelle, BELEM Gisèle et TURCOTTE Marie-France, 2006, « Le consumérisme politique : Une innovation régulatoire à l’ère de la mondialisation », Revue Interventions économiques, N° 33, [URL : http://interventionseconomiques.revues.org/790, consulté le 20 novembre 2017].
  • DUROCHAT Emilie, STOLL Julie, FROIS Samuel, SELVARADJ Sivaranjani, LINDGREN Kerstin, GEFFNER Dana, CARIMENTRAND Aurélie, PERNIN Jean-Louis, DUFEU Ivan, MALANDAIN Eugénie et SMITH Alastair, 2015, « Guide international des labels de commerce équitable », Bondues, pp. 1-125.
  • Signaléthique, « les filières du commerce équitable et leurs systèmes de garantie », [URL : http://www.signalethique.fr/index.php?page=395 consulté le 25 juillet 2018].
  • FADM, 2015 [URL : https://www.artisansdumonde.org/ressources/espace-multimedia/fiches-en-savoir-plus/les-intermediaires-du-commerce-equitable], consulté le 10 mars 2019.

[1] https://www.eclosio.ong/publication/au-dela-du-commerce-equitable/

[2]  Le néolibéralisme peut être simplement vu comme une doctrine politique et économique de droite réfutant l’intervention de l’Etat dans les questions commerciales. Ce que prône le néolibéralisme, c’est la libre circulation des biens, libre compétitions des acteurs de l’économie qui sont animés par la recherche de profit. Perspective monde, 2016, « Néolibéralisme » [URL : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1609, consulté le 11 mars 2019].

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques