Les limites de l’action des institutions internationales : le catalyseur du conflit Syrien

Les limites de l’action des institutions internationales : le catalyseur du conflit Syrien
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Le conflit syrien et en particulier les réactions de la communauté internationale aux attaques chimiques du régime envers sa population braquent le projecteur sur la complexité et les limites de l’action au sein des institutions internationales, garantes du droit internationale et de la paix mondiale. Étude de cas et réflexions.[1]


7 avril 2018, à Douma dans la Ghouta orientale, le régime syrien lance une frappe aérienne contre un bastion rebelle. Résultat : au moins 40 victimes civiles selon les estimations. Cette attaque n’est pourtant pas de type classique, car tout semble prouver qu’elle est « non conventionnelle » puisque d’origine chimique. C’est en réponse à ces allégations qu’une coalition composée du Royaume-Uni, des Etats-Unis et de la France vont frapper Damas le 14 avril.

Deux problèmes principaux émergent et témoignent des limites des institutions internationales à faire face à ces situations: d’une part la difficulté d’obtenir des preuves « officielles » par l’Organisation Internationale pour l’interdiction des Armes Chimiques (OIAC), nécessaires pour réagir proportionnellement, et d’autre part la réaction de la coalition sans l’aval du conseil de sécurité de l’ONU.

L’impasse diplomatique

Le conflit Syrien cristallise une grande partie des problèmes géopolitiques du moyen orient et de celles des grandes puissances mondiales. Un « dilemme de sécurité » symbolise ce conflit, où les différents Etats, se sentant mis en danger par les politiques d’autres Etats accroissent leur puissance en réaction aux risques environnants dans ce conflit afin d’assurer leur sécurité et perpétuent ainsi l’escalade de tensions dans la région.

Face à cela, les institutions internationales se retrouvent impuissantes, les divergences de discours au sortir de cette crise sont édifiantes: le président Poutine (allié du régime de Bachar El-Assad) parle d’agression à un Etat souverain et d’une violation au droit international ; quand Donald Trump parle d’une manœuvre de dissuasion envers le régime Syrien qui produit et utilise de telles armes [chimiques] et d’une réponse qui en va de la sécurité américaine.

Dans son discours Vladimir Poutine fait référence au chapitre 7 de la charte de l’ONU, selon lequel un Etat seul ne peut agir sans l’aval du conseil de sécurité. Il faut en effet une décision unanime de celui-ci, or, la Russie étant alliée du régime de Bachar El-Assad, bloque depuis le début du conflit les propositions d’actions qui vont à l’encontre des intérêts du régime syrien. Aussi, lorsqu’il a été question d’accorder, à l’OIAC, un mandat pour rechercher le type et les origines des composés (présumés) chimiques utilisés sur le terrain, la Russie a posé son véto concernant le traçage des origines. De plus, ils ont évoqué, avec le régime Syrien, des « problèmes de sécurité » pour retarder l’accès à ce théâtre indigne aux experts de l’OIAC. On est face à un véritable double jeu entre la volonté d’agir et les actions mises en œuvre, orchestré bien malheureusement par la Russie et l’Occident, au sein des organisations internationales qui nécessitent un consensus dans leurs actions. Et cela nuit à la légitimité de celles-ci … Sans les preuves apportées par l’OIAC, le conseil de sécurité ne peut acter d’une telle situation et donc prendre les mesures nécessaires pour la résoudre. Or, si certains Etats s’opposent à la poursuite de l’enquête, ou contribuent à entraver celle-ci, aucun constat fiable ne peut être porté par le conseil de sécurité devant la Cour pénale internationale …

 En parallèle, s’opposent différents médias dans une guerre médiatique pour relayer ces attaques, qui semblent fortement corroborer les allégations des différentes parties prenantes à cette crise : les médias occidentaux, les chaines suédoise TV4 et américaine CBS témoignaient via leurs envoyés sur place d’odeur de chlore et d’une atmosphère irrespirable quand leurs homologues pro Damas n’auraient, quant à elles, réunies aucun indice susceptible d’incriminer le régime de Damas. Chacun manipule son opinion publique pour soutenir ses stratégies.

Dans le cadre du conflit syrien, les attaques du régime n’étaient pas d’ordre classique, selon les allégations, mais d’ordre chimique. C’est ainsi sur un tout autre scénario que s’appuie la coalition puisque l’utilisation de ce type d’arme va à l’encontre du « code de la guerre » qui prend son origine au début des années soixante. Pourtant, quelque atrocité de ce genre soit-elle, rien n’existe, dans le droit international pour qu’un Etat agisse seul en réponse à cela. Aussi, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France ont avancé l’Etat de nécessité, qui consiste à autoriser une action illégale pour empêcher la réalisation d’un dommage plus grave pour justifier les frappes répressives. D’un point de vue sociétal, la réaction apparait donc plus que louable ; d’autant que le régime Syrien semble coutumier des attaques sur sa population, au nom d’une tactique politico-militaire qui vise à briser les foyers révolutionnaires et forcer les civils y résidants à fuir (ou mourir). La coalition a donc ainsi sciemment violé le droit international pour mieux le protéger par la suite, en réponse au tabou suprême dans « l’art de la guerre » qu’est l’utilisation des armes chimiques, quitte à faire malgré elle de nombreuses victimes civiles …

Quid du droit international ?

Le paradoxe qui ressort des législations internationales est celui-ci : on a au départ un principe d’interdiction générale quant à l’utilisation de telles armes mais il n’y a personne de légitime pour juger les infractions.

Pour revenir sur les législations concernant les armes chimiques, il est nécessaire de rappeler plusieurs choses. En premier lieu, il existe une interdiction générale de fabriquer, de stocker et d’utiliser des armes dites « chimiques ». Les traités internationaux successifs ont contribué à définir trois types de produits chimiques : ceux que l’on pourrait appeler les « armes chimiques » à proprement dit comme le sarin (neurotoxique puissant, classé arme de destruction massive en 1993) qui sont strictement interdites, ensuite viennent les « éléments » qui peuvent contribuer à détruire ou les « composants » (les « ingrédients » du sarin par exemple) et enfin les « sous composants ». Ce sont ces derniers qui ont d’ailleurs fait l’objet d’un scandale en Belgique. En effet, ils sont autorisés sauf exception car ils ont des usages courants, dans l’agriculture ou les hydrocarbures par exemple. Pourtant, trois PME belges, sont poursuivies pour avoir envoyé de manière plus ou moins dissimulée de l’isopropanol (un sous composant du sarin) en Syrie. Or, si en l’état ce produit n’est pas interdit, il incombait la responsabilité des douaniers belges de refuser l’export de tels produits vers la Syrie qui aurait déjà eu recours au sarin lors d’attaque en 2017 sur son territoire. On est là encore devant une faille des organisations internationales.

 Cela dit, le problème majeur provient du cadre général du droit international. Tous les Etats n’ont pas ratifiés la charte instaurée par la Cour pénale internationale. Les Etats-Unis, par exemple, ont demandé des exemptions et des Etats commetant des violations graves, comme la Syrie, n’en font plus partie. Comme nous l’avons vu précédemment, la sanction internationale est soumise à l’unanimité des Etats, or dans cette région du moyen Orient, on fait face à des Etats qui défendent leurs propres intérêts, ils ne voteront pas pour que leurs alliés soient sanctionnés et, qui voterait pour s’affliger une punition ? Comment avancer dans cette impasse si le système de régulation des conflits n’est pas réformé ? Pour l’instant il reste impensable de revenir sur le principe de consensus pour tendre vers une majorité qualifiée ou simple, tant le conflit syrien cristallise les tensions internationales !

Entre un système de décision du conseil de sécurité basé sur le consensus, un manque d’organe de justice compétent face aux violations des traités internationaux et des accords internationaux non ratifiés par les principaux accusés … le conflit syrien expose au grand jour toute la complexité des organisations internationales à faire face à ce genre de situations. Une réforme semblerait, a priori, nécessaire pour régler ce conflit. Mais cela n’est-il pas LA solution occidentale pour obtenir les pleins pouvoirs ? Comment ne pas créer de nouvelles tensions ou conflits en excluant la Russie, allié d’un régime jugé criminel et terroriste par l’occident ? Quelle position adopter lorsque l’on parle de « guerre juste » ou d’action humanitaire pour justifier, au monde entier, les frappes d’une coalition qui touchent aussi, malheureusement, les populations civiles ? Peut-on adopter une position de justicier du monde quand même nos entreprises fournissent des armes à nos ennemis ?

Ces questions semblent bien résumer la complexité de ce conflit : des prises de décisions rendues impossibles par une structure de décision extrêmement ardue, des actions militaro-politiques sous forme de guerre froide au nom de la justice pour les uns et du droit souverain pour d’autres …

Le résultat ? Près de 400 000 morts selon l’observatoire Syrien des Droits de l’Homme.

Théo François
Stagiaire Eclosio

[1] L’article s’appuie sur une interview de Quentin Michel, politologue Uliège et directeur d’unité d’étude européenne, et Jonathan Piron responsable des publications chez Etopia. L’entretien a été mené par Mandy Renardy et Luca Piddiu dans le cadre de l’émission Voix Solidaires S02E15 : Armes non conventionnelles, quelle législation ? Quel contrôle ? Quelle transparence ?