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publié par UniverSud en Octobre 2017
L’Union européenne et les réfugiés
Les conflits et les persécutions poussent des millions de personnes sur la route. Si la majorité des exilés restent à proximité de leur lieu d’origine, un certain nombre d’entre eux souhaite rejoindre l’Europe. Entre 2005 et 2015, les demandes d’asile déposées dans les pays européens ont augmenté de 650 %1, en grande partie en raison du conflit syrien. Face à cette augmentation, plutôt que de développer sa politique d’accueil, l’Union européenne tente d’endiguer les flux migratoires en verrouillant ses frontières et en passant des accords avec des pays du sud de la Méditerranée pour qu’ils arrêtent les migrants avant que ceux-ci n’arrivent aux portes de l’Europe. On parle d’externalisation des politiques migratoires. Pour ce faire, elle conditionne l’octroi de l’aide au développement à la mise en place par les pays tiers de stratégies de gestion des flux migratoires : pénalisation des réseaux clandestins, renforcement des contrôles frontaliers, adaptation des cadres législatifs, etc. Elle le fait avec des pays qui, comme la Mauritanie, ont plutôt une tradition d’ouverture, mais également avec des États qui ne sont pas réputés pour leur respect des droits humains.
Au niveau interne, en septembre 2015, le Conseil européen adopte un plan pour relocaliser 160 000 demandeurs d’asile situés en Grèce et en Italie vers les autres pays membres. En novembre, les pays du groupe de Visegrád (République Tchèque, Slovaquie, Hongrie et Pologne) verrouillent leurs frontières et rejettent les quotas de réfugiés2. En revendiquant les politiques migratoires et l’asile comme relevant de la souveraineté nationale, ils imposent la « solidarité flexible ». Chaque membre doit pouvoir choisir combien de réfugiés il souhaite accueillir, dans quelles conditions, mais également déterminer quelle sera sa contribution financière à la gestion de la crise. Après la fermeture de la route des Balkans, la Grèce et l’Italie, responsables de la gestion des frontières extérieures et de l’examen des demandes d’asile, se trouvent débordées.
La coopération Turco-Européenne
C’est dans ce contexte que les chefs d’État des 28 pays membres de l’Union Européenne et leurs homologues turcs ont entrepris en 2015 des négociations qui ont donné lieu à la déclaration du 18 mars 20163. Les négociations sont une réponse aux désaccords entre les membres de l’Union sur la question du soutien aux réfugiés.
Le but est de mettre fin aux migrations irrégulières par la fermeture des routes migratoires et le démantèlement de l’organisation des passeurs. Derrière ceci, il y a surtout la volonté de l’Europe de fermer les routes migratoires qui passent par la Turquie. Or, la Turquie est une zone cruciale dans la gestion des flux migratoires vers l’Europe car elle se situe sur le passage de deux trajets : la route pédestre des Balkans et la voie maritime de la Méditerranée orientale. Elle partage également une frontière poreuse avec la Syrie.
Ainsi, dans cette déclaration, la Turquie s’est engagée à prendre « toutes les mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulière, maritimes ou terrestres, ne s’ouvrent au départ de son territoire en direction de l’UE, et [à coopérer] avec les États voisins ainsi qu’avec l’UE à cet effet. » D’autre part, les migrants partis de la Turquie pour les îles grecques ne demandant pas l’asile ou dont la demande d’asile a été jugée infondée ou irrecevable sont renvoyés en Turquie. Par ailleurs, si la Turquie avait signé la Convention de Genève, elle avait cependant émis une restriction géographique : seuls les citoyens européens pouvaient bénéficier du statut de réfugié. En 2015 et en préparation de la déclaration, la Turquie a donc créé un statut de protection temporaire à destination des Syriens exilés sur son territoire. Cela a permis l’adoption du programme « un pour un » : un migrant irrégulier intercepté en Grèce passé par la Turquie y sera renvoyé. Pour chaque migrant renvoyé, un demandeur d’asile régularisé depuis la Turquie sera accepté et relocalisé en Europe. Ce programme a un nombre de places limité à 72 000 personnes.
En contrepartie, afin de venir en soutien aux réfugiés en Turquie et d’alléger la charge de l’État turc, l’UE s’est engagée à verser deux tranches de trois milliards d’euros chacune pour financer des projets liés à santé, à l’éducation, aux infrastructures, à l’alimentation, et autres frais de subsistance. De plus, la Turquie souhaitait bénéficier d’un régime de visa plus favorable à la circulation de ses citoyens au sein de l’Union, d’une intégration plus forte de l’État au sein de l’union douanière et de la relance des négociations d’adhésion6. En raison des récentes tensions diplomatiques, ce dernier point est à l’heure actuelle suspendu.
En ce qui concerne le nombre d’arrivées en Grèce, les actions entreprises se révèlent efficaces. Alors qu’en 2016, la commission européenne enregistrait 1700 arrivées quotidiennes en Grèce et un total de 1150 décès ou disparitions en mer Égée, en 2017, les arrivées sont réduites à 52 par jour et 105 personnes décédées ou disparues. Le nombre de personnes entreprenant ce voyage périlleux a donc clairement diminué. Mais est-ce une bonne nouvelle ?
L’accord de la honte
Les accords pris, sous forme de déclaration, par l’UE et la Turquie posent problème à plusieurs niveaux. D’abord, verrouiller une route ne résout rien. Au contraire, lorsqu’une route migratoire se ferme, de manière physique ou administrative, une autre s’ouvre ailleurs, souvent plus dangereuse, occasionnant plus de risques pour ceux qui sont déterminés à venir en Europe.
Ensuite, avec le virage autocratique du président turc Erdogan, le traitement réservé aux journalistes et aux contestataires et la relation compliquée qu’entretien le pays avec ses minorités, considérer la Turquie comme un État sûr pour des populations vulnérables est paradoxal.
De manière plus fondamentale, c’est le principe même d’externalisation des politiques migratoires qui pose problème. L’Union européenne se déleste de ses responsabilités vis-à-vis des migrants et n’aide que chichement les populations vulnérables. C’est surtout le signe de la faiblesse de la solidarité entre pays européens. En effet, la règle en vigueur pour les demandes d’asile est que celles-ci doivent être déposées dans le premier pays européen où les migrants posent le pied. Les pays frontaliers comme la Grèce et l’Italie sont débordés. Plutôt que de revoir cette règle et de répartir les candidats à l’asile au sein des pays européens, les accords d’externalisation les renvoient en dehors de l’Europe, là où ils risquent d’être moins protégés et surtout loin des yeux – et donc loin du cœur – des populations européennes. A contrario, l’aide versée à la Turquie, du fait qu’elle garde les migrants sur son territoire, aurait pu être investie dans des projets pour les migrants qui auraient été plus largement accueillis en Europe, créant des emplois mais surtout une culture d’accueil et de solidarité.
Enfin, cette déclaration donne un exemple négatif pouvant inciter d’autres États à se dédouaner eux aussi de leurs responsabilités morales et humanitaires quant à leur soutien aux réfugiés.
Les coopérations de ce type se multiplient depuis plusieurs années. Déjà mis en œuvre avec le Maroc ou la Tunisie, l’UE prévoit de développer de nouveaux accords avec la Libye, par exemple. Plus généralement, l’Union Européenne et l’Union Africaine se rapprochent afin d’approfondir leur coopération. Des partenariats avec le Nigeria, le Niger, l’Éthiopie, le Sénégal et le Mali sont en négociation. L’Europe représente un espace de paix, de solidarité et l’espoir d’une vie sûre et confortable pour les migrants, mais les valeurs démocratiques, égalitaires et humanistes de l’UE se dissolvent dans la gestion des flux migratoires, donnant une impression d’hypocrisie de moins en moins soutenable.
Une campagne pour la justice migratoire
En vue de dénoncer la stratégie européenne d’externalisation des politiques migratoires est née la plateforme pour la justice migratoire coordonnée par le CNCD-11.11.11 et dont fait partie UniverSud. Ce groupe d’organisations défend :
- La lutte contre les inégalités pour que toute personne puisse vivre décemment là où elle souhaite vivre ;
- La mise en place de voies d’accès sûres et légales au sol européen et la fin des violences aux frontières ;
- L’instauration de l’égalité de droits afin de mettre fin au dumping social ;
- La déconstruction des préjugés et la construction d’un discours objectif et constructif sur les migrants ;
La plateforme a récemment tenu des assises citoyennes un peu partout en Belgique. De ces assises est sorti un texte qui propose une autre vision de la gestion des migrations, basée sur l’accueil, l’ouverture, la solidarité et le respect de la dignité humaine que vous trouverez un peu plus loin dans ce dossier.
Et à notre niveau ?
Il y a plusieurs niveaux d’action possible contribuer à mette en œuvre la justice migratoire : s’informer correctement et ne pas se laisser influencer par les populismes politiques et médiatiques ; s’imaginer devenir réfugié ; échanger avec ses voisins ; rejoindre une association ; rencontrer, échanger, héberger un réfugié ou un sans-papier ; faire valoir ses droits et ses devoirs et ceux de nos représentants politiques ; voter pour et interpeller nos représentants ; demander que nos communes, nos états, notre Union Européenne deviennent hospitaliers comme le propose la campagne Communes Hospitalières dont il est question dans un des article de ce dossier.
Se rassembler pour mieux se faire entendre. Deux jours de rencontres et de protestations : le 12 Décembre 2017, contre-sommet européen – pour mieux comprendre le phénomène ; et le 13 décembre 2017, occupation au pied de la Commission Européenne et du Conseil Européen – pour se faire entendre. Plus d’infos : http://www.cncd.be/13decembre
Claire Chevrier
Volontaire UniverSud
Étudiante en population et développement.
Pour aller plus loin:
Lire la déclaration : http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/03/18-eu-turkey-statement/
Lire le sixième rapport des progrès de la mise en œuvre (en anglais) : http://www.refworld.org/docid/59477d454.html
Pour s’engager dans la campagne, n’hésitez pas à contacter UniverSud ou l’antenne du CNCD-11.11.11 de votre province.
LexiqueEst migrant, tout individu vivant dans un autre territoire que celui de sa naissance pendant une durée supérieure à une année.
Un réfugié est une personne forcée de quitter son pays pour se protéger des persécutions qu’elle subit. Entre la demande de protection et l’obtention du statut de réfugié, le migrant est un demandeur d’asile. Ces catégories rassemblent des groupes de personnes particulièrement vulnérables : elles peuvent être traumatisées et isolées. Ce statut de réfugié est donné par un État et est régi par la convention de Genève de 1951. Une personne « sans-papier » est une personne vivant sur un territoire étranger sans titre de séjour ou visa. Cela peut être le cas de personnes qui n’ont jamais fait de demande de statut, de personnes dont le titre de séjour a expiré (un étudiant qui reste dans le pays où il a fait des études alors qu’elles sont terminées), une personne déboutée du droit d’asile qui ne quitte pas le territoire, etc. On parle également de migrant en situation irrégulière pour parler de personne séjournant à l’étranger sans avoir de titre de séjour en règle. Un MENA (Mineur Etranger Non Accompagné), est une personne migrante de moins de 18 ans isolée de ses parents. Ce peut être un demandeur d’asile, un réfugié, un sans-papiers, etc. |
La Convention de Genève de 1951Suite aux larges mouvements de population de la Deuxième Guerre mondiale, l’Organisation des Nations Unies rédige la Convention relative au statut des réfugiés. Plus communément appelée la convention de Genève de 1951, elle définit le terme réfugié et cadre les obligations des États quant à la protection des victimes de persécution. La convention est le support des politiques européennes concernant la demande d’asile et le statut de réfugié.
Est réfugié toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » (p. 16). Les États signataires de la convention s’engagent à accueillir et protéger les réfugiés sans discrimination et ne peuvent expulser ou refouler « de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » (p. 32). Lire la Convention de Genève : http://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62 |
Règlementations EuropéennesL’espace Schengen garantit le libre mouvement et le droit d’établissement des citoyens européens sur le territoire de l’Union. Il implique la suppression des contrôles aux frontières intérieures du territoire de l’Union Européenne et le transfert de la responsabilité des contrôles aux pays ayant une frontière extérieure, comme la Roumanie ou l’Espagne, par exemple.
Frontex est l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. En coordonnant les activités de contrôle, elle vient en soutien aux pays ayant une frontière extérieure. Bénéficiant de matériel militaire, elle recueille des informations sur les routes migratoires, identifie les migrants, démantèle les réseaux de passeurs et détruit leurs bateaux. Le régime d’asile européen commun (RAEC) a pour objet d’harmoniser les politiques nationales des pays membres, de faciliter la procédure d’asile, d’améliorer le traitement impartial, rapide et qualitatif des demandes de protection, de garantir le non-refoulement des demandeurs vers des territoires dangereux et des conditions dignes et décentes d’accueil des demandeurs et des bénéficiaires de la protection internationale européenne. S’il se veut commun et uniformisé, les États ont tout de même une grande part de liberté, notamment quant aux conditions d’accueil des réfugiés et à la gestion de leurs frontières. Le règlement de Dublin impose aux réfugiés de déposer leur demande d’asile dans le premier pays de l’UE qu’ils atteignent. Il est problématique car il concentre les responsabilités du traitement des demandes d’asile sur les pays ayant une frontière extérieure. Ces derniers peuvent se trouver débordés, entraînant des conditions d’accueil difficiles et insuffisantes. C’est le cas de l’Italie et de la Grèce, par exemple. Le demandeur d’asile peut se retrouver dans un pays réfractaire à l’accueil de réfugiés, et isolé des personnes qu’il connaît en Europe. Eurodac est la base de données européenne rassemblant les identités et les empreintes digitales de toutes les personnes entrant sur le territoire de l’Union. Elle permet notamment d’identifier le pays d’arrivée des migrants et de les y renvoyer selon le règlement de Dublin. Lire la brochure sur le régime d’asile européen commun de la commission européenne : https://ec.europa.eu/home-affairs/sites/homeaffairs/files/e-library/docs/ceas-fact-sheets/ceas_factsheet_fr.pdf |
1Eurostat : http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/File:Asylum_applications_(non-EU)_in_the_EU-28_Member_States,_2005%E2%80%932015_(%C2%B9)_(thousands)_YB16-fr.png
2 Les hongrois refusent le plan par référendum.
3 A retrouver en ligne: http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/03/18-eu-turkey-statement/
4Estimé à 510,6 millions par l’Union Européenne : https://fr.statista.com/statistiques/564180/total-de-la-population-de-l-union-europeenne-eu/
5Estimé à 22,5 millions par l’UNHCR ( http://www.unhcr.org/fr/apercu-statistique.html)
6Au vue des dérives du régime actuellement en place en Turquie autocratiques l’adhésion est aujourd’hui suspendu.