Les circuits courts, un court-circuit temporaire ?

Les circuits courts, un court-circuit temporaire ?
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Synopsis

Les circuits courts d’approvisionnement alimentaire connaissent depuis quelques années un développement extraordinaire. GAC, GASAP, AMAP, paniers, vente à la ferme fleurissent un peu partout. États des lieux de cette tendance, des tensions qui l’anime et prescription pour l’avenir.


Publié par UniverSud – Liège en janvier 2018

Ces dernières années, les consommateur-trice-s se sont mis à la recherche d’autres voies de consommation. Face aux divers scandales (la viande de cheval dans les lasagnes ou encore les traces de fipronil dans les œufs, pour ne citer que les plus récents), ils-elles cherchent à être rassuré-e-s. Parmi les dynamiques de transition vers des systèmes alimentaires plus durables, une nouvelle dynamique s’est créée autour d’une nouvelle relation entre les producteur-trice-s et les mangeur-euse-s : les circuits courts.

Ceux-ci peuvent prendre des formes, des identités et des logiques différentes. Comment peut-on les définir ? Quel est le point commun entre ces diverses organisations aux normes, valeurs et pratiques différentes ? Quels sont les principaux défis et atouts de ces modèles ? À quelles évolutions pouvons-nous nous attendre à l’horizon 2030 ?

Une définition des circuits courts ?

Traditionnellement, la notion de circuits courts se base sur le nombre d’intermédiaires entre la production et la consommation finale d’un produit. La Commission européenne, par exemple, définit les circuits courts par un maximum d’un d’intermédiaire et les différencie des marchés locaux, dont le principal critère est la distance kilométrique[1]. La législation belge, elle, ajoute deux critères supplémentaires : la vente dans un rayon maximum de 80 km du site de production et un maximum de 30 % des quantités vendus à un intermédiaire commercial[2].

Pourtant, lorsqu’on observe l’organisation des circuits courts sur le terrain, ces critères ne suffisent plus : que considère-t-on comme intermédiaire ? Doit-on prendre en compte les étapes de transformation ? Dans leur article portant sur la durabilité d’initiatives en circuits courts en Région wallonne, Kevin Maréchal, Lou Plateau et Laurence Holzemer[3] proposent d’élargir la définition  des circuits courts aux dynamiques multiacteurs pour mieux refléter la diversité des formes que peut revêtir la notion de proximité entre producteur-trice-s et consommateur-trice-s.

Pour réaliser leur recherche, les auteurs se sont basés sur l’observation du vécu et de la mise en œuvre des actions sur le terrain et ont veillé à être en résonance avec les acteurs et actrices impliqué-e-s.

Une alternative avantageuse ?

Les circuits courts peuvent présenter de nombreux avantages. Au niveau environnemental, les mérites proviennent notamment d’une réduction des emballages et des ‘déchets’ de production liés à des impératifs de calibrage et d’esthétisme des produits. Lorsque la durabilité environnementale est analysée dans son ensemble, les circuits courts de proximité apparaissent plus performants que les circuits conventionnels, surtout dans le cas où les pratiques agricoles de la chaine locale s’orientent vers le bio et qu’une attention particulière est portée à l’amélioration de la logistique. On peut aussi constater une augmentation de la biodiversité et de la qualité des sols, par les changements induits au niveau des pratiques agricoles. Ils peuvent également être plus avantageux en termes de bénéfices économiques, sociaux et de gouvernance. Cela passe notamment par une meilleure maitrise et la diversification des débouchés ainsi que par la possibilité accrue, pour les producteur-trice-s, d’accéder à une rémunération plus équitable de leur travail. Enfin, les circuits courts permettent aussi une certaine reconnaissance sociale et des échanges avec les consommateur-trice-s et entre les producteur-trice-s[4].

Une structure, plusieurs finalités. Un défi ?

Les organisations de circuits courts sont le plus souvent des structures hybrides qui combinent plusieurs finalités (sociales, environnementales, économiques…) dont les contours peuvent être plus ou moins flous. Les organisations doivent donc jongler avec des pratiques et des normes, tantôt convergentes, tantôt contradictoires. Elles doivent répondre à de nombreuses exigences, notamment en termes d’écologie, d’autogestion, de cohésion sociale et d’autonomie vis-à-vis de l’État et du marché. De par leur position (à la frontière entre les sphères marchandes et non marchandes, entre les sphères privées et publiques), elles sont soumises à de fortes tensions, entre des prescriptions de nature commerciale et des considérations plutôt sociétales, dans une logique que l’on pourrait qualifier de logique de transition[5].

La logique de transition n’échappe pas à d’autres difficultés. La fixation des prix en est un exemple : comment assurer un revenu décent aux producteur-trice-s agricoles, tout en proposant des produits de qualité à bon prix, accessibles pour le plus grand nombre des consommateur-trice-s ? Comment définir un prix juste ? Face à ces enjeux, les organisations en circuits courts font preuve d’innovation (sociale, mais pas uniquement) et constituent de véritables  ‘laboratoires vivants’ qui expérimentent les divers chemins de la transition afin de gérer ces contradictions et trouver des compromis[6].

Les circuits courts, un modèle durable ?

Parmi les enjeux qui conditionnent fortement la durabilité des circuits courts, on retrouve la logistique, les dynamiques de structuration des filières, l’accompagnement des projets et des trajectoires d’acquisition/mobilisation des compétences. De manière transversale, le facteur relationnel se dégage comme un enjeu fondamental. Ce dernier et la densité des interactions peuvent être considérés tantôt comme un frein, tantôt comme un levier à la durabilité des circuits courts. Dans le cadre des dynamiques de filières qui s’organisent, les relations sont indispensables. La densité et la richesse des interactions entre les producteur-trice-s et avec les acteurs des circuits courts permettent de renforcer la connaissance du métier de l’autre, de ses impératifs, de ses besoins, de sa personnalité, de ses motivations, de ses spécificités et de son rôle dans la chaine, et permettent une évolution des pratiques. Le dialogue entre les consommateur-trice-s et les producteur-trice-s ne doit pas non plus être négligé : les nombreux retours et la valorisation de la part des mangeur-euse-s constituent une plus-value sociale et économique indéniable.

Un des enjeux essentiels de l’évolution des circuits courts est donc de valoriser l’ensemble des métiers et des acteur-trice-s impliqué-e-s tout au long de la chaine alimentaire. La durabilité des circuits courts dépendra donc de leur potentiel de structuration et de leur capacité à densifier leur réseau de relation. Cette question souligne le caractère crucial des dynamiques territoriales.


Et l’université dans tout ça?

L’Université, à travers son rôle de recherche, participe à la construction des savoirs relatifs aux circuits courts. Les analyses doivent être contextualisées pour se rapprocher davantage de la représentation qu’ont les acteurs et actrices de leur activité et éviter ainsi un décalage fort avec la réalité vécue sur le terrain. Cette thématique des circuits courts requiert l’adoption de pratiques de recherche innovantes et de nature transdisciplinaire, où les modalités et dispositifs mis en œuvre sont donc co-créés avec les acteurs et actrices de terrain.


Les circuits courts à l’horizon 2030?

Au fil du temps et des expériences, les organisations travaillant en circuits courts ont su développer des réponses aux défis auxquels elles ont été confrontées. Grâce à la mise en discussion de différents acteurs, chacun-e, à sa manière, trouve des solutions pour chercher un équilibre.  Les tensions sont, pour le moment, gérées par chaque initiative de manière plus ou moins isolée. Pour assurer une cohérence et un cadre plus clair, les logiques de circuits courts évolueront-elles vers une séparation nette des différentes finalités ? Finiront-elles par s’institutionnaliser? Suivront-elles une autre trajectoire ?

De nombreuses tensions conditionnent la durabilité des circuits courts, qu’elles se manifestent à travers la question d’un prix juste, du financement, de la logistique ou encore d’un cadre normatif. Le secteur est en perpétuelle évolution. Loin d’être le seul facteur, la qualité et la fréquence des relations entre acteurs et actrices sera une dimension essentielle qui doit être prise en compte par les décideurs et décideuses d’un territoire. Les recherches et réflexions sur ces différents modèles doivent prendre en compte et s’adapter à la complexité des réalités sociales et être soutenues pour faire face aux enjeux de la récupération marketing, à la pression des prix… et que la dynamique des circuits courts ne soit pas uniquement temporaire.

Gwendoline Rommelaere

Bibliographie :

  • Kevin Maréchal, chargé de cours en Économie Écologique à l’ULiège/ Faculté de Gembloux Agro-Bio Tech,
  • Laurence Holzemer, chercheuse au Centre d’Études Économique et Sociale de l’Environnement (CEESE),
  • Lou Plateau, boursier FNRS-FRESH au CEESE-ULB.

[1]RÈGLEMENT DÉLÉGUÉ (UE) No 807/2014 DE LA COMMISSION du 11 mars 2014

[2]AVIS 05-2014, La sécurité alimentaire des circuits courts (dossier Sci Com 2013/01 : auto-saisine), Comité scientifique de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaine alimentaire (AFSCA).

[3] Voir K. Maréchal, L. Plateau, L. Holzemer : ‘La durabilité des circuits courts, une question d’échelle ? L’importance de court-circuiter les schémas classiques d’analyse’ ou le rapport complet de l’étude sur http://dev.ulb.ac.be/ceese/CEESE/documents/ADDOCC%20Rapport%20final%20CEESE%20-%202016.pdf

[4] SPW, Vade-mecum de la valorisation des produits agricoles et de leur commercialisation en circuit court. Tout savoir, Agriculture, version Juillet 2017.

[5] Voir Maréchal, K et Plateau, L. (2017), ‘Les circuits courts : organisations hybrides sous haute(s) tension(s) ?’, Actes du 22ème Congrès des Économistes Belges de Langues Françaises.

[6] Cassiers, I., Maréchal, K., Meda, D. (Eds) (2017), Post-growth Economics and Society: Exploring the Paths of a Social and Ecological Transition. Routledge, October, 112p.