L’accès universel aux soins de santé

L’accès universel aux soins de santé
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publié par UniverSud en Mars 2017

La Couverture Santé Universelle comme objectif global

L’accès à la santé et la protection sociale sont, à l’heure actuelle, des questions centrales dans l’agenda du développement. En effet, selon les estimations de l’OMS, au moins 400 millions de personnes n’ont pas accès à un ou à plusieurs services de santé essentiels et chaque année, environ 100 millions de personnes passent sous le seuil de pauvreté pour faire face à des dépenses liées aux soins de santé[1]. Or, en l’absence de mécanismes de protection sociale, pauvreté et maladie peuvent rapidement se transformer en cercle vicieux.
Les inégalités entre les différentes régions du monde sont frappantes. À titre d’exemple, le taux d’accouchements assistés par le personnel qualifié est de 99% en Europe alors qu’il n’atteint que le taux de 54% en Afrique en 2013[2]. Cependant, au sein d’une même région ou d’un même pays, de fortes disparités peuvent également être constatées, en fonction notamment du milieu de résidence (rural ou urbain) et du niveau socio-économique.
Le concept de Couverture Santé Universelle (CSU) tente de répondre à ces problèmes d’accès. De nombreux pays du Sud, soutenus par les institutions internationales et les pays partenaires, mettent en place des politiques publiques visant à atteindre cet objectif. La CSU a d’ailleurs été érigée en cible des Objectifs pour le Développement Durable (ODD), qui succèdent aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

La Couverture Santé Universelle, c’est quoi ?

La Couverture Santé Universelle vise à ce que « tous les individus aient accès aux services de santé dont ils ont besoin sans que cela n’entraîne pour les usagers de difficultés financières[3] ». Ce concept recouvre donc deux objectifs principaux, à savoir : (1) l’accès à des services de santé de qualité pour tous en fonction des besoins et (2) la protection contre le risque financier lié aux dépenses de santé.
Pour que l’accès aux soins de santé soit en fonction des besoins – plutôt que de la capacité à payer – et pour protéger les usagers contre les dépenses catastrophiques de santé, il est nécessaire de diminuer les paiements directs au point de service (appelés « out-of-pocket expenses » en anglais, ce qui illustre bien le fait que ces dépenses proviennent directement de la poche de l’usager). Les Etats doivent donc favoriser le prépaiement et la mise en commun des fonds, principes à la base de l’assurance maladie. En effet, mutualiser le risque financier sur l’ensemble de la population fonde la solidarité entre bien-portants et malades.
Ce principe de mise en commun des fonds peut être illustré sous forme d’un cube que chaque État doit « remplir » pour progresser vers la CSU. Ce cube comporte trois dimensions : Qui est couvert ? L’universalité suppose qu’à terme, l’ensemble de la population le soit. Quels services sont couverts ? Et dans quelle proportion des coûts ? Cela doit faire l’objet de choix en fonction du contexte national et des contraintes budgétaires, la couverture pouvant progressivement s’étendre à mesure que les ressources disponibles augmentent.

Au-delà des questions techniques, un enjeu politique

Ce cube permet donc d’appréhender plus facilement le concept théorique de CSU. Il occulte cependant le fait qu’au-delà des considérations techniques, la progression vers la CSU dépend de choix politiques qui peuvent faire l’objet de débats et de conflits. Comment financer la CSU ? Par qui ? Les contributions doivent-elles être fixes ou varier selon le niveau de revenu ? Quels services sont prioritaires ? Avec quels prestataires de soins ? Qui sera chargé de la gestion des fonds mis en commun ?
Ces différentes questions comportent de nombreux enjeux, la mise en place d’un système de Couverture Santé Universelle rassemblant une grande diversité d’acteurs aux intérêts souvent divergents. Pour reprendre un concept issu de la socio-anthropologie du développement, les politiques de Couverture Santé Universelle peuvent être considérées comme des « arènes », un « lieu de confrontations concrètes d’acteurs sociaux autour d’enjeux communs[4] ». La réussite – et la pérennité – d’une politique de Couverture Santé Universelle dépendra donc également du degré de consensus et d’adhésion des différentes parties prenantes. L’exemple des États-Unis est à ce propos révélateur, Donald Trump ayant promis d’abroger l’Affordable Care Act, mieux connu sous le nom d’« Obamacare », auquel les Républicains n’ont jamais adhéré.

Le défi de la CSU dans les pays du Sud : l’exemple du Sénégal

Au Sénégal, comme dans la plupart des pays d’Afrique, seule une minorité de travailleurs bénéficie d’une couverture contre le risque maladie, à travers la sécurité sociale des agents de l’État et les institutions de prévoyance maladie des entreprises privées. La majorité de la population, issue du « secteur informel » (agriculture, artisanat, petits commerces, etc.), n’a pas accès à ces mécanismes de protection sociale. C’est pour répondre à cette situation que le gouvernement sénégalais a lancé la politique de Couverture Maladie Universelle (CMU) en 2013. Elle repose principalement sur deux stratégies. Premièrement, les politiques d’exemption de paiement ont été étendues à de nouveaux publics, les enfants de 0 à 5 ans pouvant maintenant bénéficier gratuitement des soins aux côtés des plus de 60 ans. De plus, des mutuelles de santé à base communautaire sont créées ou réorganisées dans chaque commune et soutenues par l’État. Celui-ci subventionne les cotisations de leurs membres à 50% voire à 100% pour certains ménages vulnérables, identifiés comme « indigents ».
La mise en œuvre de cette politique de Couverture Maladie Universelle fait cependant face à de nombreux défis et certaines questions cruciales doivent encore être traitées. Le faible taux d’adhésion des populations au sein des mutuelles de santé, phénomène observé depuis la mise en place de telles initiatives dès le début des années 1990, est un des principaux défis à relever. Ainsi, l’Agence de la CMU réalise des campagnes de sensibilisation et appuie les mutuelles de santé pour que celles-ci se professionnalisent et suscitent davantage de confiance. Il est envisagé de rendre ce système d’assurance maladie obligatoire, mais l’exécution d’une telle mesure est problématique dans des pays où le secteur informel est majoritaire. De nouvelles sources de financement sont également examinées en vue de pérenniser le système, et la mise en place de mécanismes de solidarité entre les différents secteurs de l’économie et les différentes unions de mutuelles doit être débattue.

Et en Belgique ?

L’assurance maladie est obligatoire depuis 1944 en Belgique : toute personne doit être affiliée à une mutuelle, et ce système permet par exemple de ne payer qu’une partie du coût (« le ticket modérateur ») lorsque nous nous rendons chez le médecin. Ainsi, la Belgique est considérée comme un pays bénéficiant d’un bon système de protection sociale à l’échelle mondiale. Pourtant, une enquête de la Commission européenne en 2014 a révélé qu’environ 900.000 Belges évitent ou reportent, pour des raisons financières, une visite médicale dont ils auraient besoin[5]. La Couverture Santé Universelle n’est donc pas un acquis. La CSU a même été décrite par certains auteurs comme une « quête sans fin » : les problèmes de santé changent (avec notamment une plus grande importance des maladies non transmissibles), la population vieillit et de nouvelles technologies de santé, souvent plus couteuses, voient le jour[6]. Ces changements provoquent évidemment de nouveaux débats et enjeux.
Suite à la crise de 2008 et dans le cadre des politiques néolibérales et d’austérité, les dépenses de protection sociale ont régulièrement été considérées comme des coûts qui nuisent à la compétitivité plutôt que comme des investissements (en témoigne la fréquente utilisation de l’expression « coût du travail »). C’est dans ce contexte que des associations belges, chapeauté par le CNCD 11.11.11 ont mené la campagne « Protection Sociale pour Tous » qui rappelle que celle-ci est « avant tout un droit humain », reconnue comme « un puissant levier de développement, de solidarité et de lutte contre les inégalités »[7]. Elles invitent ainsi les décideurs politiques, mais également la population, à défendre une protection sociale universelle et à soutenir les pays partenaires qui se lancent sur cette voie.

 

Céline DEVILLE
Doctorante – ARC « Effi-Santé »
Faculté des Sciences Sociales

 

[1] http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs395/fr/

[2] http://apps.who.int/gho/data/view.main.1610

[3] http://www.who.int/features/qa/universal_health_coverage/fr/

[4] OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 2003, « L’enquête socio-anthropologique de terrain : synthèse méthodologique et recommandations à usage des étudiants », LASDEL, Etudes et travaux n°13.

[5] http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_900-000-belges-ne-peuvent-pas-se-payer-une-visite-chez-le-docteur?id=8329244

[6] Tangcharoensathien  Viroj, Evans David, Marten Robert (2013), “Universal Health Coverage: Setting Global and National Agendas”, Global Health Governance, Volume VI, No. 2. (Summer 2013)

[7] CNCD-11.11.11, 2015, « Protection sociale pour tous. Dossier de campagne 2015-2016 ».