De l’or équitable pour redorer vos bijoux !

De l’or équitable pour redorer vos bijoux !
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publié par UniverSud en Mars 2017

Fraîchement diplômé de l’Université de Liège, j’ai pris la décision de suivre un chemin plutôt atypique. Pas de longues séances avec un conseiller FOREM ou le traditionnel parcours du combattant pour trouver le premier emploi. Après deux années de réflexion, j’ai décidé de me lancer dans un projet un peu fou : commercialiser de l’or équitable.

L’activité minière artisanale de nos jours

À l’heure actuelle, 90% de la production d’or est le fruit du travail d’entreprises industrielles. La production minière artisanale ne représente donc que 10% de la production mondiale. Cependant, c’est ce type d’activité qui engage la plus grande quantité de main d’œuvre. En effet, on estime que 100 millions de personnes à travers le monde dépendent directement ou indirectement de l’activité minière artisanale.

Ce secteur économique se caractérise par une grande opacité. Très majoritairement situé dans les pays en voie de développement, les pouvoirs publics en ont généralement peu de contrôle. On voit donc se former des communautés plus ou moins grandes de mineurs artisanaux qui travaillent de façon illégale, soit aux abords des rivières, soit dans des galeries qu’ils creusent de manière aléatoire dans les gisements aurifères.

Cette situation est terriblement problématique étant donné que ces personnes vivent en dehors de la loi. Fuyant les autorités, elles installent leurs campements dans des zones difficilement accessibles et totalement dépourvues de services de base tels que l’accès aux centres de santé, à l’eau courante ou aux écoles.

Ces rudes conditions de travail provoquent de nombreux problèmes sociaux et éthiques dénoncés par diverses ONG et autres organismes internationaux, par exemple, l’emploi d’enfants ou encore le non-respect des normes de sécurité élémentaires. Il est impossible de chiffrer le nombre d’accidents et de décès causés par les effondrements de galeries ou par la mauvaise gestion de composants chimiques.

En outre, des chaînes d’approvisionnement alternatives pour faire parvenir cet or sur le marché mondial se sont mises en place. Celles-ci font intervenir de nombreux intermédiaires qui laissent aux petits mineurs une faible participation dans les bénéfices. En effet, les acheteurs soumettent les petits producteurs à de lourdes pénalités pour les impuretés contenues dans leurs paillettes ou leurs pépites d’or. Le taux d’impuretés étant négocié individuellement entre l’acheteur et le producteur, il n’y a qu’une très faible marge de négociation pour les artisans mineurs qui dépendent de la vente de leur or pour leur survie quotidienne. Dans certaines régions, les communautés sont soumises à l’emprise de mafias ou de groupes armés qui achètent l’or à des prix très faibles et s’en servent pour blanchir leur capitaux. Cette situation est parvenue jusqu’aux oreilles du parlement européen qui travaille sur divers projets de lois exigeant la traçabilité des minerais.

Il est néanmoins très compliqué de déterminer la provenance des minerais qui sont introduits sur le marché mondial. Les standards internationaux exigent que les lingots et pièces d’or vendus sur le marché soient de 24 carats. Autrement dit, le produit doit présenter une pureté minimun de 99,5%. Une telle qualité demande des technologies de raffinage complexes et couteuses. La majorité de ces raffineries se trouvent en Suisse et, depuis peu, à Dubaï. Etant donné que ces industries nécessitent de grandes quantités d’or pour fonctionner de manière optimale, on y retrouve un mélange d’or provenant des quatre coins du monde qui sera par la suite introduit en bourse et redistribué autour du globe, ce qui rend donc la traçabilité des minerais très complexe.

Pour noircir encore un peu plus le tableau, les procédés d’amalgamation de l’or ont de lourdes conséquences environnementales. En effet, les mineurs n’obtenant jamais de l’or pur, celui-ci est toujours mélangé avec d’autres minéraux desquels il faut le dissocier pour pouvoir le vendre. Dans l’activité minière artisanale, ce processus se fait généralement à l’aide de mercure. Ce composé chimique a la particularité de se mélanger avec l’or et de rejeter une grande partie des autres minéraux. Une fois le mélange réalisé, les résidus sont réintroduits dans la rivière par les mineurs, polluant l’eau sur de nombreux kilomètres en aval. De plus, le mélange d’or et de mercure ne peut pas être vendu en tant que tel, le mercure influant trop dans le poids du mélange. Les artisans utilisent donc des chalumeaux à gaz pour évaporer le mercure afin de le séparer de l’or. Ce procédé a pour conséquence de disperser du mercure dans l’air, ce qui cause de nombreuses maladies respiratoires pour les mineurs et leurs familles. Il pollue également le sol environnant étant donné qu’étant dispersé dans l’air, il retombe avec les pluies.

Pourquoi de l’or équitable ?

Le tableau que nous venons de dresser nous montre que des millions de personnes bien que « roulant littéralement sur l’or », survivent dans des conditions misérables. Cette situation est  d’autant plus injuste que le travail de ces mineurs sert principalement à engraisser des intermédiaires ou des groupes illégaux.

Dans ce contexte, le commerce équitable apparaît comme un levier pour permettre à ces communautés de mener une vie digne. Le « Trade for Development centre » défini ce type de commerce comme « un partenariat commercial, fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud. »[1]

Une des idées centrales de ce concept est qu’il faut rémunérer les producteurs locaux  par un prix juste. Autrement dit, il faut que leurs revenus leur permettent d’assurer leurs besoins fondamentaux (santé, éducation, logement, etc.) ainsi que ceux de leurs familles. Il doit également leur permettre de générer des marges supplémentaires afin qu’ils puissent financer l’amélioration de leur condition de vie et donc d’œuvrer pour le développement de leur communauté dans son ensemble. Pour permettre ce processus, il faut également assurer aux petits producteurs des prix de vente stables, qui ne soient pas soumis aux aléas du marché. En effet, une des contraintes majeures qui pèse sur les producteurs d’or est qu’ils ne peuvent pas planifier leur budget étant donné que celui-ci fluctue en fonction de la cotation de l’or établie par la bourse de Londres.

Le commerce équitable exige également le respect des normes fondamentales reconnues au niveau international. Parmi celles-ci, la convention universelle des droits de l’homme, les règles concernant le travail des enfants et les normes de sécurité adoptées dans le cadre de l’organisation internationale du travail. Ce type de commerce exige également le respect des législations nationales que ce soit en matière de droit social ou de droit environnemental. Cette exigence est particulièrement nécessaire dans le cadre de l’exploitation minière artisanale où les manquements au droit sont pratiques courantes.

Conséquence logique de tout ce processus, le commerce équitable permet aux communautés d’être reconnues légalement pour leur activité. Cette reconnaissance est une étape essentielle pour sortir de la marginalité et intégrer pleinement les réseaux de l’économie formelle.

L’activité minière demande des compétences scientifiques poussées pour l’extraction des minerais. Les mineurs sont très souvent dépourvus de ce type de formations et travaillent sans encadrement. Dans le cadre d’un projet de commerce équitable, il est nécessaire d’intégrer une dimension pédagogique et une dimension technologique. Une dimension pédagogique qui vise à fournir aux petits producteurs les capacités nécessaires pour pratiquer l’extraction d’une manière plus efficiente (savoir où creuser les galeries ou quel méandre de la rivière est plus susceptible d’être riche en paillettes d’or, par exemple). Une dimension technologique qui suppose l’apport de nouvelles technologies qui sont plus efficaces et qui limitent très fortement l’utilisation de composés chimiques.

« Trade not aid »[2]. La devise du commerce équitable traduit la volonté de modifier la configuration des échanges nord-sud. Elle préconise la mise en place de normes commerciales plus justes plutôt que l’envoi de l’aide au développement. Le commerce équitable est, par conséquent, la promotion d’un autre développement qui donnerait plus de place aux populations locales. À travers cette idée, l’impulsion d’un tel projet avec des communautés de producteurs d’or permettrait d’engranger des fonds suffisants pour permettre l’implémentation de projets de développement qui pourraient aider au bien-être de toute la communauté. Ce schéma, qui peut paraitre assez classique, se caractérise par le fait qu’on se détache de la philanthropie, qui est le moteur traditionnel du développement, pour entrer dans un processus d’autofinancement de celui-ci. Il permet donc d’inverser le processus et de placer le sort des populations locales entre leurs propres mains.

Des obstacles à surmonter

Produire de l’or de qualité n’est évidemment pas chose aisée. Bien que le procédé puisse sembler relativement simple de prime abord – aller chercher des pierres dans le sous-sol ou les rivières –  il demande beaucoup d’expertise technique dans les domaines de la géologie et de la métallurgie. Le fait de diminuer au maximum l’utilisation de composés chimiques constitue donc un exploit technique. En outre, il est extrêmement difficile de produire de l’or 24 carats équivalent à celui que les raffineurs suisses introduisent sur le marché. En effet, pour atteindre une telle pureté, il faut utiliser des techniques très coûteuses qui font intervenir de nombreux composants chimiques ainsi que l’électrolyse[3]. Un des défis de la démarche consiste donc à produire de l’or d’une qualité suffisante en assurant le respect des principes du commerce équitable et la traçabilité des minerais.

Une telle démarche repose également sur la participation des populations locales. En effet, il est très difficile d’obtenir la confiance des mineurs artisanaux et leur faire accepter des nouveaux modèles d’exploitation représente un véritable défi. L’exploitation minière artisanale est une activité vivrière qui se pratique de génération en génération selon des méthodes peu efficientes et très polluantes mais qui ont fait leurs preuves aux yeux des populations locales. Il faut donc un important travail en amont pour convaincre les producteurs de participer au projet que nous leur proposons. En outre, si le commerce équitable suppose forcément un lien plus direct entre le producteur et le consommateur, il faut être extrêmement prudents avec les intermédiaires classiques qui verront d’un très mauvais œil l’arrivée d’un concurrent qui a pour but de les éliminer de la chaîne.

 

L’or est un minerai précieux, qui s’inscrit dans la  durabilité. Cependant, rares sont ceux qui connaissent son marché. De fait, il est extrêmement difficile d’être reçu par une personne évoluant dans ce milieu. Cet hermétisme du monde des orfèvres peut s’expliquer par l’importance des enjeux liés à cette matière première et aux risques potentiels de dévoiler certains secrets. Il n’en demeure pas moins que l’accès à cet univers est une tâche ardue, même étant motivé par les meilleures intentions.

Les coûts de certification demandés par les deux principaux labels qui existent pour l’or constituent également un frein important pour un projet d’or équitable. A l’heure actuelle, deux organismes se positionnent par rapport à la labellisation d’or artisanal : FairTrade International et Alliance for Responsible Mining. Les exigences de ces deux labels sont tellement importantes et coûtent tellement cher qu’elles dissuadent nombre d’acteurs de participer à l’initiative[4]. Outre le fait qu’il faille payer les mineurs artisanaux un prix égal à 95% de la cotation de l’or établie par la bourse de Londres, les labels exigent que les acheteurs payent une prime supplémentaire proportionnelle à la quantité d’or achetée. De plus, les communautés doivent payer des entreprises d’audit externe pour certifier que les mineurs respectent les principes du commerce équitable. Cette exigence a l’avantage d’assurer des débouchés aux producteurs qui réussissent à obtenir la certification et d’être complètement transparents avec les consommateurs. Cependant, son coût dissuade de nombreux acteurs, principalement les plus petits, de participer à l’initiative.

Un combat à mener

Malgré les nombreuses barrières qui se dressent sur le chemin, le projet évolue de manière positive. Depuis le début, de nombreuses personnes et organisations ont apporté tout l’appui qu’elles pouvaient. De plus, j’ai été accepté comme « jeune entrepreneur » au VentureLab, l’incubateur d’entreprises pour les jeunes liégeois, ce qui me permet de bénéficier de l’expertise qui me manquait.

Après avoir été sur le terrain et avoir vu dans quelles conditions vivent les orpailleurs, je reste convaincu que le projet que je porte vaut la peine. Peu importe les difficultés qu’il faudra surmonter, il est nécessaire de faire quelque chose pour aider ces gens et leur permettre d’avoir une vie digne.

 

Vicente J. Balseca Hernandez

Diplômé du Master en Développement, ULg

Jeune entrepreneur du VentureLab – HEC Liège

[1] http://www.befair.be/fr/fair-trade/quest-ce-que-le-commerce-quitable

[2] « Du commerce pas de l’aide »

[3] Fait de soumettre l’or à diverses décharges électriques d’intensité variable qui le décomposent jusqu’à un état atomique avant de le solidifier à nouveau

[4] TRADE FOR DEVELOPMENT CENTRE, 2014, L’or équitable : Une quête difficile [URL: http://www.befair.be/fr/publication/articles/lor-quitable-une-qu-te-difficile]