Bokashi, un projet qui a la main verte !

Depuis plus de 15 ans, la promotion des techniques agroécologiques constitue le cœur de l’activité d’ADG au Cambodge. Cependant, cette transition se heurte à divers obstacles, comme celui de l’accès des agriculteur-trice-s à des engrais naturels de qualité.

Tout d’abord, parce que la fabrication individuelle de ce type d’engrais requiert des intrants naturels parfois difficilement accessible au sein même des fermes. Ensuite, parce que sa fabrication demande un temps et une énergie considérable pour tout fermier-e-s désireux de commercialiser ses produits à plus grande échelle. De plus, ces fertilisants « faits maisons » sont parfois de faible qualité. Enfin, parce que les fertilisants naturels disponibles sur le marché sont couteux et parfois eux aussi de qualité médiocre.

Ces difficultés ont pour résultat de freiner la transition agroécologique, pourtant essentielle à une gestion durable et respectueuse des sols.

Afin de pallier à ces problèmes, ADG, en partenariat avec la FAEC (Federation of Farmer Associations Promoting Family Agricultural Enterprise in Cambodia), a pour objectif d’assister les fermier-e-s de la coopérative d’Oudom Sorya dans la production d’un fertilisant naturel de haute qualité, le « Bokashi », et de l’aider à le commercialiser auprès d’autres producteurs et marchés locaux.

Le Bokashi est un mélange de matières organiques et de microorganismes essentiels au maintien et à l’amélioration de la structure du sol, de sa ventilation, de sa capacité de rétention en eau et de sa capacité d’absorption des éléments nutritifs. Les microorganismes utilisés améliorent également la résistance des sols face à diverses maladies et pathogènes.

Issue de la province de Takéo, Oudom Sorya est une coopérative agricole créée en 2013 par un groupe d’agriculteurs engagés collectivement autour d’activités commerciales telles que la production d’engrais et de riz. Elle rassemble aujourd’hui plus de 80 membres, dont 34 sont des femmes.

Pour ADG et la FAEC, l’objectif premier est d’améliorer la fertilité des sols en soutenant Oudom Sorya dans la production de cet engrais, à partir du partage d’intrants naturels présents dans plusieurs fermes de la coopérative.

Le but est d’obtenir un engrais qui soit d’une qualité suffisamment élevée pour permettre une augmentation de la production agricole des fermes et une augmentation du revenu des ménages. Évidemment, l’enjeu consiste aussi à créer un Bokashi dont le prix reste suffisamment accessible.

Pour mener à bien ce projet, ADG et la FAEC s’attèlent autour de trois axes principaux :

  • Développer une formule d’engrais naturel qui soit adaptée aux besoins des petits producteurs.
  • Soutenir Oudom Sorya dans la production de cet engrais.
  • Concevoir ensemble une stratégie de vente et de marketing.

Ces actions visent en premier lieu les membres de la coopérative. À termes cependant, il s’agira aussi d’attirer d’autres producteurs désireux d’utiliser des engrais naturels, mais qui n’ont ni le temps ni les intrants nécessaires pour les produire.

Enfin, sur le long terme, l’expérience avec Oudom Sorya servira de modèle pour d’autres coopératives agricoles et organisations paysannes du réseau

 


Le travail de Aude et Oudom, étudiant-e-s en agronomie, d’Eclosio et de la FAEC.



L’une est belge, l’autre cambodgien. Pour leur travail de fin d’études, ils ont décidé d’intégrer le projet du Bokashi. Pour eux, l’enjeu de trouver une alternative à l’utilisation des engrais chimiques fut une réelle source de motivation. D’après l’expérience conduite l’année dernière, le Bokashi produit par le programme possède déjà un taux d’efficacité trois fois supérieur aux fertilisants naturels produits par les agriculteurs, encourageant par là la poursuite de cette étude. Cette année, les recherches de Aude et Oudom auront pour but d’améliorer la qualité et l’efficacité du Bokashi précédent, tout en maintenant un prix abordable pour les producteurs locaux.

Comme le rappelle bien Aude, l’élaboration du Bokashi est loin d’être le résultat seul des recherches des étudiant-e-s. Il s’agit avant tout d’un travail d’équipe, dont les acteurs, ayant des compétences et approches différentes, enrichissent le projet.

En effet, le Bokashi est l’aboutissement d’un travail de 3 ans qui rassemble à la fois l’expérience de terrain des fermier-e-s de la coopérative, les connaissances des ingénieurs agronomes d’ADG, le soutien logistique et financier de la FAEC et d’ADG, l’échange de techniques avec d’autres organisations et les recherches estudiantines.

La première partie de leur travail consista à trouver, sur base du travail de l’étudiante précédente et d’autres études scientifiques, la méthodologie adéquate pour leurs recherches.

Une fois la méthodologie validée, le binôme s’est lancé au mois de mars dans la réalisation de trois types de microorganismes différents, dont l’analyse en laboratoire permit d’en révéler les plus efficaces. Arrivés à maturité, les microorganismes sélectionnés furent intégrés au Bokashi.

C’est donc le 5 et 6 avril, dans une ambiance à la fois sérieuse, mais décontractée, et sous un soleil de plomb, que les agriculteurs et les étudiant-e-s ont produit 1,8 tonne de Bokashi.

Le duo est actuellement en train de tester cette production.

Tandis qu’Oudom, de son côté, analyse l’azote, le phosphore, le potassium, la quantité de microorganismes présents et le taux d’humidité des échantillons en laboratoire.Avec l’aide des fermier-e-s, Aude s’attèle à préparer le terrain pour cette expérimentation : fabrication d’une nouvelle serre et réparation d’une ancienne, prise quotidiennes des mesures de PH et de la température du Bokashi et préparation des semis pour les salades et les brocolis chinois, les légumes cobayes de l’expérience.

Les semaines à venir auront pour but d’étudier le rendement du Bokashi. Tous les 4 jours, Aude mesure la taille des salades et des brocolis chinois. Le poids final de ces légumes permettra enfin de déterminer l’efficacité du nouveau Bokashi.

Pour le moment, ce qu’on peut déjà vous dire, c’est qu’ils poussent à vue d’œil et qu’ils sont bien verts ! Si les résultats sont réellement positifs, le Bokashi pourra être commercialisé.

C’est également sur ce pan que l’équipe d’ADG au Cambodge est en train de travailler. Brochure, posters, page Facebook et campagne de sensibilisation sont en cours de création afin de faire connaître un maximum la coopérative et son Bokashi.

Valentine Collet

La Belgique ne respecte pas ses engagements dans la lutte contre la faim !

[12-10-2016]

Communiqué de presse de la Coalition Contre la Faim (CCF)
Mercredi 12 octobre 2016

A l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, qui nous rappelle notamment que près de 800 millions de personnes à travers le monde souffrent de la faim, la Coalition contre la faim tire un bilan de l’aide publique de la Belgique dans le secteur de l’agriculture et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Résultat : alors que la Belgique aurait dû consacrer plus de €433 millions à l’agriculture et la sécurité alimentaire en 2015 pour respecter ses engagements, elle n’en a consacré que €158 millions, soit moins de 40 %.

La Coalition pointe également plusieurs financements de notre coopération qui profitent aux grandes multinationales de l’agrobusiness au détriment de producteurs familiaux locaux, alors que le soutien à l’agriculture familiale durable est la priorité de notre coopération. La Coalition recommande au Ministre de renforcer la cohérence de notre coopération en réaffirmant les priorités de soutien à l’agriculture familiale durable et en assurant un meilleur suivi des financements.

La Coalition contre la faim, CCF, qui regroupe les principales ONG belges de lutte contre la faim, publie une note d’analyse qui sera présentée au Parlement, ce 13 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation. Cette note  vise à effectuer un bilan de notre coopération dans le secteur de l’agriculture et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. « Ce bilan était important suite à l’échéance des objectifs du millénaire pour le développement en 2015 et à l’aube des nouveaux objectifs de développement durable, qui fixe l’éradication de la faim pour 2030 », explique Manuel Eggen, de l’ONG FIAN Belgium, auteur de l’analyse.

En vue de contribuer aux objectifs du millénaire et suite aux crises alimentaires de 2007/2008, la Belgique s’était engagée à consacrer 15 % de son aide publique au développement (APD) au soutien de l’agriculture dans les pays en développement pour 2015. Et cette aide devait cibler le soutien à l’agriculture familiale durable. « Ces engagements financiers et les priorités stratégiques doivent être salués comme positifs et ambitieux », estime Jean-Jacques Grodent, de SOS Faim. Mais d’après les données transmises par l’administration, l’objectif est loin d’être atteint : l’APD belge pour le secteur de l’agriculture est passée de €150,5 millions en 2011 (soit 7,79 % de l’APD) à €158,8 millions en 2015 (9,28%). « La  non-atteinte  des  15%  promis  est  également  à  analyser  dans  le  cadre d’une baisse structurelle de l’APD belge depuis 2011 », ajoute Thierry Kesteloot d’Oxfam-Solidarité. En 2015, l’APD ne représentait plus que 0,42% du Revenu national brut (RNB), loin de l’engagement des 0,7 % pourtant inscrits dans la loi de coopération. Au final, rien que pour 2015, ce sont plus de €275 millions qui n’ont pu être consacrés à la lutte contre la faim !

Et la suppression du Fonds belge pour la sécurité alimentaire, décidé par le Ministre Alexander De Croo en 2015 risque encore d’amputer le budget pour l’agriculture et la sécurité alimentaire à l’avenir.

L’analyse de la CCF révèle également qu’une  partie  significative de l’APD dans le secteur de l’agriculture échappe aux priorités de soutien à l’agriculture familiale et sert davantage à financer  des  projets  favorisant  des multinationales de l’agrobusiness, dont les impacts en termes de développement sont extrêmement limités, voire contradictoires. Des études de cas se penchent notamment sur des investissements de la Société belge d’investissement dans les pays en développement (BIO), des projets de la Banque mondiale ou de la très contestée Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique (financée à travers l’UE et la Région flamande). Dans certains cas, ces projets accroissent la pression sur les producteurs familiaux à accéder aux terres et aux ressources naturelles dont ils ont besoin pour produire et se nourrir, et sont susceptibles d’engendrer des violations des droits des communautés locales.

A l’aube des nouveaux objectifs de développement durable, qui engagent la Communauté internationale à éradiquer la faim d’ici 2030 et alors que le Ministre De Croo a annoncé son intention d’actualiser les priorités de la Belgique dans le secteur de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, la CCF demande au Ministre de réaffirmer ses engagements en soutien de l’agriculture familiale durable et de mettre en place des mécanismes permettant un meilleur suivi des engagements de la Belgique et d’assurer une cohérence avec les obligations internationales, en particulier avec le droit à l’alimentation.

POUR EN SAVOIR PLUS : 

Notes d’analyse « Aide publique de la Belgique pour l’agriculture (et la sécurité alimentaire et nutritionnelle) : bilan » à télécharger ici

Contact presse :
FR : Manuel Eggen – 02/640.84.17
NL : Thierry Kesteloot – 02/501.67.55

Pour sauver l’agriculture paysanne, changeons les règles actuelles du commerce international agricole

12 décembre 2017 – ADG est signataire de la lettre ouverte aux gouvernements réunis à Buenos Aires à la conférence ministérielle de l’OMC

Alors que nous faisons face à des défis majeurs en termes de sécurité alimentaire, changement climatique et transition écologique, nos politiques agricoles restent formatées par des règles du siècle passé. C’est le cas en particulier des règles du commerce international agricole, adoptées à Marrakech en 1994 et qui ont conduit à la création de l’OMC en 1995.

Ces règles ont des effets destructeurs pour les paysanneries du Nord comme du Sud : industrialisation des modes de production, accaparement des terres, financiarisation de l’agriculture, dumping économique, social et environnemental. Elles renforcent le pouvoir des sociétés transnationales, imposent des techniques de production qui nuisent aux écosystèmes et elles dégradent les régimes alimentaires. Elles ruinent les exploitations paysannes, pourtant à même de nourrir correctement la population et de préserver durablement la planète.

Le bon sens voudrait que la priorité d’une bonne politique agricole soit de nourrir la population ; pourtant c’est plutôt la « compétitivité sur le marché international » qui sert aujourd’hui de moteur des politiques agricoles. L’Union européenne, par exemple, est ainsi devenue première importatrice et première exportatrice alimentaire mondiale. Faut-il en être fier ? Le haut degré de dépendance de l’agriculture et de l’alimentation vis-à-vis de l’extérieur nous laisse à la merci d’aléas géopolitiques et, par la multiplication de transports inutiles, contribue aussi au réchauffement climatique. Elle contribue aussi à maintenir les agricultures du Sud dans la position de producteurs de matières premières à bas prix.

Lorsque des porte-conteneurs européens remplis de pommes pour la Chine croisent dans l’Océan indien des porte-conteneurs chinois remplis de pommes pour l’Europe, la planète chauffe, et certaines firmes s’enrichissent au détriment des producteurs.

Le récent livre de Jean-Baptiste Malet[1] sur le circuit mondial du concentré de tomates est un bel exemple de l’absurdité sociale et écologique des règles actuelles. Les firmes transnationales produisent là où les coûts de production sont les plus bas, pour vendre là où leurs marges bénéficiaires sont les plus grandes. On a ainsi mondialisé les marchés agricoles, entraînant les agriculteurs dans une spirale mortifère de baisse des coûts-baisse des prix.

A la base de ces règles (négociation de l’Uruguay Round, 1986-1994), les deux grandes puissances exportatrices agricoles de l’époque, USA et UE, ont réussi à blanchir le dumping de leurs excédents – bradés à bas prix vers les pays tiers- en remplaçant les subventions à l’exportation par des subventions aux exploitations agricoles découplées de la production. Ces subventions sont notifiées dans la fameuse boîte verte à l’OMC, qui n’est pas soumise à restriction et n’est pas visée par les discussions en cours à l’OMC

Les règles de l’OMC permettent à l’UE et aux USA de fournir des matières premières agricoles à l’agro-industrie et à la grande distribution à des prix souvent inférieurs au coût de production, en subventionnant les exploitations pour qu’elles continuent quand même à produire et à vendre à perte. Ces règles leur permettent aussi d’exporter vers des pays tiers pauvres incapables de subventionner leur agriculture. C’est une forme d’accaparement des marchés qui est institutionnalisée par les règles de l’OMC.

[1]« L’empire de l’or rouge, enquête mondiale sur la tomate d’industrie » – Fayard – 2017

Pour le producteur de mil du Sénégal, par exemple, les farines européennes qui arrivent dans le port de Dakar sont une concurrence déloyale. Ces farines sont vendues à des prix inférieurs aux coûts de production européens, rendus possibles par les subventions de l’UE. Peu importe si ces subventions sont dans la boîte bleue, jaune ou verte de l’OMC : ces farines, comme avant l’Uruguay Round,  sont vendues sur les marchés africains à des prix qui concurrencent déloyalement les producteurs de céréales locales. Le Commissaire européen à l’Agriculture et au développement rural Phil Hogan rétorquera que les subventions de la boîte verte n’ont pas d’effet distorsif sur les échanges : ce serait vrai si les produits issus des exploitations européennes n’étaient pas exportés. Sans ces subventions, un grand nombre d’exploitations de l’UE et des pays « développés » utilisant la boîte verte seraient en faillite. Il y a bien un effet distorsif par accroissement de la capacité de production et d’exportation.

Il est donc urgent de remettre en cause les règles actuelles du commerce international  et d’établir des règles justes et solidaires adaptées aux défis de ce siècle. A notre avis, ces règles doivent répondre aux objectifs de souveraineté alimentaire, c’est-à-dire permettre aux Etats/Régions de définir leur politique agricole et alimentaire adaptée à leur contexte et leurs besoins, sans nuire aux économies agricoles des pays tiers, et intégrant d’autres priorités comme l’alimentation des populations locales, la valorisation des producteurs alimentaires, le travail avec la nature, etc…(comme souligné dans les 6 piliers de la déclaration du forum Nyeleni en 2007).

Il faut remettre le commerce international agricole à sa juste place, ni plus ni moins. L’import-export ne doit plus être la priorité des politiques agricoles, mais le complément de politiques axées d’abord sur une production agricole destinée à nourrir la population locale, nationale, régionale.

Mais les discussions au sein de l’OMC et l’ordre du jour de la conférence ministérielle en matière de réduction du « soutien interne » n’avancent pas dans ce sens, l’UE et les USA refusant de mettre les soutiens de la boîte verte en question. Nous appelons les gouvernements réunis à Buenos Aires à prendre la mesure des vrais enjeux et établir les bases de nouvelles règles, qui permettront des échanges internationaux plus coopératifs et d’autres politiques agricoles nationales et régionales.

Nous appelons les organisations paysannes, juristes, économistes, ONG à travailler ensemble à des propositions concrètes de nouvelles règles du commerce international agricole qui permettent aux agriculteurs du nord et du sud de vivre dignement de leur travail, d’avoir accès à leur marché local, de produire une alimentation saine et nutritive, de diminuer le réchauffement climatique et d’enrayer le déclin de la biodiversité grâce à des pratiques agricoles agro-écologiques.

Michel Buisson, auteur de ‘Conquérir la souveraineté alimentaire’ Harmattan, 2013
Gérard Choplin, analyste indépendant sur les politiques agricoles, auteur de ‘Paysans mutins, paysans demain-Pour, une autre politique agricole et alimentaire’ Editions Yves Michel, 2017
Priscilla Claeys, Senior Research Fellow in Food Sovereignty, Human Rights and Resilience, Centre for Agroecology,Water and Resilience (CAWR), Coventry University (UK) and author of “Human Rights and the Food Sovereignty Movement: Reclaiming Control”, Routledge, 2015.

Ensemble pour un lait équitable

Ce vendredi 1er juin, on « fête » la Journée mondiale du lait partout dans le monde. Producteurs laitiers, transformateurs et industries saisissent l’opportunité pour attirer l’attention et mettre en lumière leurs activités en lien avec « l’or blanc ». Pour une grande partie des producteurs et productrices familiaux de lait dans le monde, cette journée n’est pas l’occasion de faire la fête.

Manneken Pis qui urine du lait, des vaches qui apparaissent devant l’Atomium à Bruxelles ou devant des monuments en Afrique de l’Ouest,… Par ces actions, nous – différentes organisations belges et acteurs de la société civile – voulons amener les gens à réfléchir sur la production laitière familiale et faire entendre les producteurs et les productrices qui veulent vivre dignement de leur production. Nous demandons aux décideurs politiques de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux filières laitières d’être viables en Europe et en Afrique de l’Ouest.

L’UE produit 24% de la production mondiale de lait

En 2016, la production mondiale de lait de vache a atteint 678,6 millions de tonnes, dont l’UE était responsable à elle seule pour 24 % (soit 164 millions de tonnes). La production africaine, quant à elle, a stagné autour des 37 millions de tonnes, issues principalement de systèmes de production d’(agro-)éleveurs transhumants. En Afrique de l’Ouest, ces éleveurs représentent environ 48 millions de personnes, et fournissent 70 % de l’approvisionnement en lait local. Les systèmes locaux de collecte, de traitement et de commercialisation du lait par le biais de mini-laiteries, de centres de collecte et d’industries locales permettent au lait de parvenir au consommateur. Ce sont surtout les mini-laiteries et les centres de collecte – où les producteurs de lait participent à la gestion – qui assurent un prix équitable pour les éleveurs.

Pourtant, la production laitière locale est confrontée à de nombreux défis. En Afrique de l’Ouest, elle ne représente que 50 % du lait consommé localement. Ceci découle d’un ensemble d’obstacles qui mettent en péril la qualité et la quantité de lait produit localement; mais c’est aussi le résultat de la concurrence inégale du lait en poudre importé, principalement d’Europe. Cette importation de lait en poudre européen en Afrique de l’Ouest pourrait augmenter de manière significative dans les années à venir, l’UE cherchant des moyens d’écouler ses stocks régulateurs de lait en poudre (s’élevant à 380 000 tonnes) sur le marché ouest-africain en pleine croissance. L’OCDE estime que la population en Afrique de l’Ouest devrait augmenter jusqu’à 500 millions de personnes d’ici 2030, et avec elle la demande en lait.

Un prix équitable pour une vie digne

C’est pourquoi nous appelons les décideurs politiques à prendre des mesures concrètes pour encourager la production familiale de lait local et équitable en Afrique. Nous voulons que les politiques et les programmes de coopération reconnaissent l’importance des systèmes de production (agro-)pastoraux et fournissent un appui technique et financier pour développer les filières locales de production laitière. Il s’agit plus précisément de soutenir la production laitière locale par le biais des mesures suivantes :

  • développer les cultures fourragères ;
  • améliorer l’accès aux crédits et aux soins vétérinaires ;
  • adapter et améliorer les politiques d’aménagement territorial ;
  • utiliser les leviers commerciaux (par ex. le Tarif Extérieur Commun de la CEDEAO dans le cadre d’Ecowas) et fiscaux (par ex. baisse de la TVA) pour favoriser la consommation de lait local, à des prix qui permettent aux productrices et producteurs de vivre dignement de leur travail.

Nous demandons également que les décideurs politiques respectent les principes de cohérence des politiques pour le développement et la souveraineté alimentaire, afin que l’Afrique puisse protéger son marché contre les importations de lait en poudre. Nous demandons notamment que ces principes soient respectés dans le cadre de négociations commerciales entre l’Europe et l’Afrique.

Enfin, nous appelons l’Union européenne à revoir sa politique agricole pour mettre un terme aux excédents structurels, garantir un prix équitable aux producteurs de lait européens et éviter le dumping de lait en poudre vers l’Afrique.

Face aux politiques laitières européennes, les producteurs familiaux européens et ouest-africain unissent leurs forces, victimes d’un modèle économique qui favorise la production industrielle au détriment des populations locales et d’une production de lait durable et équitable.

Signataires : La Coalition Contre la Faim*, AFRICA EUROPE FAITH & JUSTICE NETWORK, CNCD11.11.11, Oxfam Solidarité, SOS Faim, Iles De Paix, Vétérinaires Sans Frontières, Fairebel

*En tant que membre de la Coalition contre la Faim, nous relayons cette note de position. 

L’impact d’Ebola sur le secteur de la santé en république de Guinée

publié par UniverSud en 2018

Le premier cas d’Ebola en Guinée a été localisé le 6 décembre 2013 dans la préfecture de Guéckédou, dans le sud-est, où un garçon de deux ans a été atteint par une maladie « inconnue ». C’est seulement plus de trois mois après que les autorités guinéennes, avec l’aide de Médecins Sans Frontières (MSF), confirmèrent la présence du virus Ebola en Guinée, laissant ainsi le temps à la maladie de se propager à l’intérieur du pays et dans les pays voisins, notamment en Sierra Leone et au Liberia. À la fin du mois de juin 2014, la maladie à virus Ebola (MVE) était confirmée dans 60 endroits en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia. Le 8 août 2014, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclara la MVE comme une « urgence de santé publique de portée mondiale ». Entre juillet et décembre 2014, la MVE fut confirmée dans cinq autres pays : le Nigeria, le Sénégal, le Mali, les États-Unis d’Amérique ainsi que le Royaume-Uni. La MVE a touché 31 districts sanitaires en Guinée, où vivent environ neuf millions d’habitants. Elle y a causé 2544 décès sur 3814 cas enregistrés. Pour l’ensemble des pays touchés, il y eut au total 28 616 cas confirmés, probables ou soupçonnés, plus de 11 310 décès et 23 588 orphelins. La transmission du virus prit fin le 1er juin 2016.

Les conséquences de l’épidémie

Au-delà du nombre de personnes décédées, la maladie à virus Ebola (MVE) a eu des conséquences sur le secteur sanitaire guinéen. L’un des tous premiers effets, selon nous, a été d’avoir mis à nu l’état déplorable dans lequel il se trouvait. En effet, au moment de la survenue de la MVE en Guinée, l’État consacrait à peine 3% de son budget à la santé ; le secteur comptait 1,3 médecin généraliste et trois lits d’hôpitaux pour 10 000 habitants, et seulement 17% des agents de santé couvraient près de 70% de la population. Ebola, en utilisant les rares ressources dont disposait encore le secteur de la santé guinéen, a accéléré la détérioration rapide d’un système qui avait déjà été sérieusement mis à mal par les différentes crises socio-politiques qu’avait connues le pays depuis 2007, ainsi que par la crise économique mondiale de 2008. Toutefois, si la MVE a accéléré la détérioration du système de santé guinéen, elle a néanmoins permis à la communauté internationale de prendre conscience du danger qu’il y a à laisser se détériorer les systèmes de santé des pays pauvres créant des risques au-delà des frontières nationales.

 

Graphique 1

Dépenses des ménages en santé sur les 10 dernières années précédent Ebola

Source: World Health Organization Global Health Expenditure database

 

Plus spécifiquement, Ebola a eu des répercussions sur l’ensemble des éléments constitutifs du système de santé guinéen (cf. encadré système de santé). Dans un premier temps, ses effets ont été essentiellement négatifs. Par exemple, au début de la lutte contre l’épidémie d’Ebola en Guinée[1], les autorités nationales ont dû allouer à cette cause des fonds ainsi que des infrastructures a priori destinés à d’autres programmes de santé plus ou moins urgents. Ce fut le cas notamment des ambulances utilisées pour transporter les premiers cas d’Ebola, initialement destinées au programme de santé maternelle et infantile. Ensuite, les décès[2] et désertions du personnel soignant  à cause de l’épidémie d’Ebola, ont entrainé des problèmes à la fois opérationnels et de sûreté, comme la fermeture de certains établissements. Une psychose généralisée s’est installée dans tout le pays, menant notamment au refus des populations de fréquenter les lieux de soins publics. Par effet de ricochet, cela a entraîné une diminution des dépenses privées en santé (cf. graphique 1) ainsi que d’énormes lacunes au niveau du Système National d’Information Sanitaire (SNIS).

Dans un second temps, concomitamment à l’intervention de la communauté internationale, les effets d’Ebola ont été bénéfiques pour le système de santé guinéen. Par exemple, la lutte contre Ebola a permis de mettre en place un mécanisme de réponse nationale rapide, grâce notamment au renforcement des capacités de surveillance des maladies. La lutte contre la maladie a aussi permis l’établissement de lieux de prise en charge des malades en cas d’épidémie, le recrutement et la formation de nombreux agents de santé au niveau des districts sanitaires, ainsi que le renforcement de la logistique humanitaire. Elle a également donné lieu à la mise à jour du système national de détection des maladies grâce à la construction – et/ou la reconstruction – de nombreux laboratoires, et à la mise en place de partenariats scientifiques pour le développement de vaccins et d’autres activités de recherches cliniques entre l’Institut National de Santé Publique (INSP) et certains partenaires au développement.

Ebola et la coopération au développement

Nous avons relevé à la fois des effets négatifs et positifs de la lutte contre l’épidémie d’Ebola sur la coopération dans le domaine de la santé. Ainsi, au niveau de la gestion des finances publiques[3], peu de partenaires avaient inscrit leur financement dans le budget de l’État, nonobstant les fonds importants alloués au titre de l’aide humanitaire en 2014[4]. Mentionnons également, en tant qu’effet négatif, la mise en place d’un organisme ad hoc (la Cellule Nationale de Coordination contre Ebola) afin de coordonner les différents partenaires au développement, mettant ainsi à l’écart le Ministère de la santé pendant toute la lutte contre Ebola.

 

Graphique 2

Décaissement aide publique au développement en santé : 2002 à 2010 + 2014

Source: World Health Organization Global Health Expenditure database

 

A contrario, on retrouve des effets positifs de la maladie à virus Ebola en ce qui concerne l’apport d’aide publique au développement (cf. graphiques 2 et 3) et d’aide humanitaire[5], qui ont atteint des chiffres extraordinaires en 2014. Ce fut également le cas en matière d’alignement sur les priorités nationales, où l’essentiel des partenaires au développement se sont conformés au Plan de Relance et de Résilience du Système de Santé (PRRSS) pour la période 2015-2017. Celui-ci constituait le premier plan triennal de mise en œuvre du Plan National de développement Sanitaire (PNDS) pour la période 2015-2024. Avec ses trois objectifs spécifiques[6], le PRRSS a permis de renforcer l’ensemble des piliers du système de santé guinéen. Il a notamment permis de financer adéquatement le système de santé pendant la mise en œuvre dudit plan par le biais de l’aide publique au développement ainsi que du financement de l’État ; d’améliorer la fourniture en médicaments, vaccins, équipements et autres technologies de santé de qualité ; de renforcer le leadership du Ministère de la Santé, notamment en matière de coordination des partenaires au développement[7] ; de renforcer les ressources humaines par le biais de la formation et du recrutement de 6000 agents de santé sur trois ans[8]; de renforcer le système national d’information sanitaire ainsi que la recherche nationale en santé.

 

Graphique 3

Aide publique au développement en santé sur les 10 dernières années précédent Ebola

Source: World Health Organization Global Health Expenditure database

 

En dernier lieu, Ebola a permis de mettre au jour la défiance qui existait entre d’une part le personnel soignant et d’autre part la population. Avant la survenue de l’épidémie d’Ebola en Guinée, les communautés n’étaient pas prises en compte dans l’élaboration et/ou la mise en œuvre des politiques et stratégies de santé nationale. Leur participation dans le système de santé se limitait au financement et à l’utilisation des services de soins. En outre, les premières interventions dans la lutte contre Ebola étaient essentiellement médicalisées et ne tenaient compte d’aucun aspect socio-culturel. De ce fait, les communautés n’avaient pas l’habitude d’être en contact rapproché avec les autorités sanitaires. Ceci a sans doute facilité la circulation de rumeurs et de fausses informations pendant la lutte contre Ebola en Guinée. Cela pourrait aussi expliquer les difficultés qu’ont rencontrées les autorités à faire s’impliquer davantage les communautés dans la lutte contre Ebola, surtout dans les zones relativement enclavées. Imaginez une petite communauté de quelques centaines de personnes qui voit pour la première fois des personnes habillées comme des extraterrestres, descendant dans des voitures « 4X4 » et pulvérisant leur village à cause du décès de deux enfants. En réaction, en Guinée Forestière, certaines communautés cachaient leurs malades, estimant que le pouvoir en place avait importé le virus afin d’exterminer « les leurs ». D’autres ne voulaient pas que les corps de leurs proches soient enterrés de façon sécurisée, d’aucuns attaquaient des convois d’agents sanitaires, voire même commettaient des homicides. Il a fallu faire appel à des anthropologues, des sociologues et des assistants sociaux pour comprendre la situation afin d’y apporter une solution.

Conclusion

Au-delà du drame de l’épidémie Ebola en lui-même, la maladie a permis à la fois de mettre en lumière les dysfonctionnements du système et d’en améliorer certains aspects. Il reste, certes, encore beaucoup à faire pour améliorer la santé des Guinéens et pour favoriser une meilleure efficacité de l’aide dans le secteur de la santé. Toutefois, parmi tout ce qui reste à faire pour aller dans ce sens, il faut, selon nous, d’abord mettre la priorité sur quatre réformes : le renforcement du leadership et la gouvernance du Ministère de la Santé (chargé de définir les modalités de financement du système de santé, les services de soins à prester ainsi que les modalités dans lesquelles ces prestations vont se tenir) ; l’augmentation des dépenses publiques en santé (avec comme objectif de consacrer 15% du budget national au secteur sanitaire, conformément à l’engagement d’Abuja en 2000) ; une meilleure harmonisation des partenaires au développement dans le secteur de la santé ; une utilisation accrue, par les partenaires au développement, des institutions et des systèmes nationaux de gestion financière.

Système de santé Selon l’OMS (2000)

Le système de santé d’un pays donné représente l’ensemble des organisations, des institutions et des ressources consacrées à améliorer la santé de sa population. Tout système de santé est constitué de sept éléments essentiels, à savoir : le leadership et la gouvernance (c’est à ce niveau qu’on élabore la politique et les stratégies sanitaires du pays, qu’on clarifie les rôles des acteurs public-privé et qu’on gère les demandes conflictuelles) ; les ressources humaines ; l’information (celle-ci permet, d’une part, de faire remonter aux responsables politiques les informations sur la réalité du terrain et, d’autre part, de définir la politique et les stratégies sanitaires spécifiques au pays) ; le financement du système de santé ; l’apport en médicaments, vaccins et technologies ; la prestation des services de soins ; et enfin la population. Les systèmes de santé sont des entités complexes et évolutives. Elles ont la capacité de s’auto-organiser, de s’adapter et d’évoluer dans le temps. Leur complexité résulte de l’interrelation entre leurs éléments constitutifs. Leur aspect évolutif et leur adaptabilité pourraient être liés au fait que toute intervention qui vise l’un des éléments constitutifs d’un système de santé a aussi des effets sur d’autres de ses éléments constitutifs. Compte tenu de cette complexité et du caractère évolutif qui leur sont propres, l’approche systémique semble être la plus adéquate pour mieux saisir les systèmes de santé.

Salim Ly

 

[1] Plus précisément entre mars 2014 et août 2014, soit bien avant la mobilisation internationale pour endiguer l’épidémie du virus Ebola.
[2] 115 au total.
[3] Selon la Banque mondiale, la gestion des finances publiques couvre toutes les phases du cycle budgétaire, à savoir : la préparation du budget, le contrôle interne et l’audit, les marchés, les mécanismes de suivi et d’établissement de rapports ainsi que les audits externes.
[4] Plus de 350 millions USD, selon l’OMS, qui n’ont pas été inscrits dans le budget de l’État.
[5] Plus de 350 millions USD, selon l’OMS.
[6] À savoir : l’élimination de la maladie à virus Ebola en Guinée, l’amélioration de la performance du système de santé guinéen de district, ainsi que l’amélioration de la gouvernance globale dans le secteur de la santé guinéen.
[7] Par exemple, la Cellule Nationale de Coordination contre Ebola a été transformée en Agence Nationale de Sécurité Sanitaire et intégrée au sein du Ministère de la Santé.
[8] Soit 2000 agents de santé engagés chaque année au niveau des districts sanitaires entre 2015 et 2017.

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