Témoignage de Nguyen Nguyet sur le stage méthodologique en appui à l’innovation en Agriculture Familiale

Je suis NGUYEN Minh Nguyet, je viens du Vietnam. Je travaille à l’Université des Sciences sociales et humaines de Hanoï et je participe également à un projet de gestion de l’eau dans le bassin de Dong Nai-Sai Gon, au sud du Vietnam. C’est un projet mené par l’Antenne de l’École Française d’Extrême-Orient (EFEO) à Ho Chi Minh ville.

Opportunité et innovation

En tant que membre d’une équipe de recherche dans le milieu rural, j’ai eu l’opportunité de passer un séjour merveilleux de 14 semaines en Belgique en 2018 dans le cadre du Stage méthodologique en appui à l’innovation en Agriculture Familiale, organisé par ADG (devenue depuis Eclosio) en collaboration avec l’Université de Liège – Gembloux Agro-Bio Tech, grâce à une bourse de l’Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur.

Ce stage est destiné aux cadres et acteurs.trices du monde rural des pays du Sud. Cette année, Eclosio accueillait 14 stagiaires de différents pays : Bénin, RDC, Cameroun, Madagascar, Sénégal, Niger, Burkina Faso et Vietnam.

Grâce aux compétences agronomiques des enseignants.tes de l’Université de Liège, et aux compétences méthodologiques en matière de développement rural des membres d’Eclosio, le stage fournit aux apprenants les capacités d’identifier des objectifs pertinents pour :

  • L’amélioration durable de l’agriculture familiale
  • La conception d’actions innovantes pour les atteindre
  • La réflexion autour de problématiques de l’agriculture familiale de façon multidisciplinaire et critique, afin de définir des pistes d’innovations possibles en vue de son amélioration durable
  • L’établissement d’un diagnostic approfondi, s’appuyant sur la réalisation d’études appropriées et ciblées

 

Conception de circuit court

Dans le cadre du stage, une camarade et moi-même avons eu l’occasion de faire une immersion à la ferme de Chavet, une ferme située dans la province de Liège, en Belgique.

Monsieur Olivier Chavet, fermier, a redémarré la petite ferme de ses grands-parents en 1998. Il fait des pommes de terre, des légumes, des céréales ayant la certification bio. Ses produits sont vendus directement aux consommateur.trice.s. Selon M. Rudolf Chavet, le père de M. Olivier, les petites fermes ne pourront survivre que si elles vendent directement leurs produits aux consommateur.trice.s. Mais, en règle générale, ils-elles préfèrent aller dans les magasins, où ils peuvent tout trouver. C’est la raison pour laquelle ils essaient depuis 15 ans de créer une coopérative pour rassembler des produits de plusieurs producteur.trice.s, afin que ces derniers puissent trouver plus de produits dans un même endroit.

Pour le fonctionnement de la coopérative, ils adoptent la vision « ProRegio », c’est-à-dire production et profit pour la région. Concrètement, les gérant.e.s de « ProRegio » essaient de trouver des opportunités pour les circuits alimentaires locaux/régionaux dont les produits bruts viennent directement des agriculteur.trice.s de la région ; des processus coopératifs qui peuvent être développés entre toutes les parties prenantes : consommateur.trice.s, agriculteur.trice.s, épiceries, investisseurs et commerces. C’est vraiment une opportunité économique non négligeable que ce soit pour le producteur, qui sécurise ainsi son modèle économique ; le consommateur qui obtient un prix ajusté au coût réel et le territoire car cela permet la création d’emplois locaux.

 

Valoriser ces acquis au Vietnam

À travers les cours théoriques, les immersions, les visites de terrain, cette formation est vraiment une occasion pour chaque stagiaire de transmettre les acquis à mon entourage une fois de retour.

Personnellement, j’ai acquis les connaissances qui sont nécessaires pour mon projet et pour mon pays en ce qui concerne les méthodes de gestion d’un projet, les conceptions d’une agriculture diversifiée, durable et les modèles de coopératives agricoles.

Le Vietnam est l’un des pays du  monde qui sera le plus exposé aux effets du changement climatique. D’ores et déjà, on constate des phénomènes de submersion marine des franges littorales du delta du Mékong, des remontées d’eau saumâtre de plus en plus loin à l’intérieur des terres provoquant une salinisation des sols et des épisodes de sécheresse de plus en plus longs et sévères comme celui qu’a connu la région à l’hiver-printemps 2016 sous l’influence du phénomène El Niño.

Dans ce contexte, le secteur de l’agriculture doit impérativement s’adapter à ces évolutions climatiques et économiques en innovant, notamment, dans le domaine de la gestion et de l’usage de l’eau. Pour être efficientes et durables, ces nouvelles modalités de gouvernance devront s’appuyer sur les stratégies paysannes : changement de types de cultures et de calendriers agricoles, usage raisonné d’intrants ; et sur une répartition adaptée et économe de la ressource, prenant en compte les savoirs locaux préexistants à la création du périmètre irrigué.

Mon projet s’inscrit dans le cadre d’une étude des stratégies paysannes face aux nouvelles modalités d’acquisition, distribution et d’utilisation de l’eau afin d’évaluer la nature et l’envergure des transformations induites puis d’identifier les capacités d’adaptation, voire de résilience, des usagers. Concernant la gouvernance locale de l’eau : nous allons étudier des modalités de création des Groupes d’Usager d’Eau et de leur fonctionnement en pointant les éventuelles distorsions entre, d’un côté, le modèle standard défini par l’État et les bailleurs de fonds internationaux et de l’autre, les modèles empiriques et pragmatiques observés sur le terrain.

 

Dans cette perspective, la participation au stage m’a permis d’acquérir d’une part des méthodes pour mener à bien un projet de recherche qui s’inscrit dans le contexte social, culturel et économique local et, d’autre part, des connaissances sur les modalités d’analyse des déterminants économiques et des conditions agroécologiques et environnementales qui orientent les stratégies paysannes dans les systèmes agraires irrigués.

Enfin, ce stage m’a également permis d’évaluer la pertinence et l’opérationnalité des nouveaux modèles culturaux développés par les services techniques de l’État dans le but de favoriser une transition vers une agriculture à haute valeur ajoutée durable.

L’entrepreneuriat rural, levier de développement des exploitations familiales

La 11ème édition de la semaine mondiale de l’entrepreneuriat sera du 12 au 18 Novembre 2018 un peu partout dans le monde. Elle a pour objectif de promouvoir l’esprit d’initiative et la créativité chez le plus grand nombre. Cet événement qui fête les entrepreneurs et l’esprit d’entrepreneuriat met à l’honneur  cette année les femmes, les jeunes, l’inclusion et la connexion des écosystèmes.

L’action d’Eclosio s’inscrit dans cette même dynamique au niveau  de ses deux pays d’intervention en Afrique de l’ouest: Le Sénégal et le Bénin. En effet, en vue d’obtenir un impact plus fort dans ses actions de soutien à l’indépendance économique et à la sécurisation des moyens d’existence des groupes vulnérables, Eclosio a opté pour la promotion de l’entrepreneuriat.

L’appui à l’entrepreneuriat prend de plus en plus de relief dans nos interventions (OSIRIS, MDD, PRIMEUR et DEFI au Sénégal ; PRAFA, FSE, AMSANA et FoNa au Bénin), la promotion de entrepreneuriat rural répond aux objectifs suivants :

  • Impulser des dynamiques de développement économique local centrées sur la valorisation de potentialités de nos territoires d’intervention (focus particulier sur l’agriculture) ;
  • Renforcer le pouvoir économique, sécuriser les moyens d’existence et élargir la protection sociale aux ménages ruraux dépendant de l’économie informelle ;
  • Améliorer l’accès des jeunes et des femmes à des emplois et des revenus décents comme moyen de stopper l’exode rural et d’amenuiser les flux de migration irrégulière tellement préjudiciables au développement économique des zones rurales ;
  • Renforcer la professionnalisation de la pratique agricole par la diffusion d’une approche de gestion économique des exploitations agricoles (promotion d’une culture entrepreneuriale) ;
  • Positionner les jeunes et les femmes comme des acteurs majeurs du développement durable de leurs terroirs ;

La problématique du chômage des jeunes se pose avec une grande acuité au Sénégal et au Bénin. En effet, dans chacun de ces deux pays, pas moins de 350 000 nouveaux demandeurs d’emplois frappent annuellement à la porte du marché du travail. Devant l’incapacité des économies locales à absorber cette forte demande, les états sénégalais et béninois ont inscrit la création d’un cadre incitatif au développement de l’entrepreneuriat au cœur de leurs politiques de promotion de l’emploi. Poursuivant dans cette lancée, et comprenant le caractère stratégique de l’accompagnement entrepreneurial dans l’amélioration des conditions d’existence des groupes se situant à la base de la pyramide économique (moyen de leur faire passer de la subsistance à l’indépendance économique), Eclosio s’est progressivement orientée vers des actions consistant à offrir aux populations qu’elle accompagne l’opportunité de bâtir leur avenir par la concrétisation de leurs rêves. Ainsi, à travers une action soutenue de sensibilisation, nous avons permis à des jeunes et des femmes – qui nourrissaient l’ambition de quitter le monde rural en direction des agglomérations urbaines à la recherche d’emplois souvent précaires avec des niveaux de rémunération en deçà du SMIG – de poser un autre regard sur leurs terroirs, de mieux voir les possibilités de réussir localement.

Combinant judicieusement les outils de communication de masse (les radios locales) et une approche de proximité (fora villageois, plaidoyers communautaires, causeries participatives…), les processus d’éducation pour un changement de comportement ont permis de faire éclore chez nos publics bénéficiaires un ESPRIT D’ENTREPRENDRE. Cette volonté de plus en plus manifeste chez les jeunes et les femmes de se projeter sur une initiative individuelle ou collective – comme moyen d’accomplissement personnel et de contribuer au progrès économique et social de leur communauté – consacre l’émergence d’une nouvelle façon de voir la réussite personnelle qui a l’avantage de contribuer au développement territorial de nos zones d’intervention.

Entrepreneuriat : un outil au service de la dynamisation de l’économie rurale

Le monde rural demeure le principal cadre de déploiement de nos actions de promotion de l’entreprenariat aussi bien au Sénégal qu’au Bénin.  Donnant une place privilégiée aux besoins et priorités spécifiques des jeunes et des femmes, nos appuis à la création et à la consolidation de MPER se fondent sur une parfaite compréhension de la structure et du fonctionnement de l’économie rurale. En effet, les initiatives entrepreneuriales que nous accompagnons sont généralement choisies à la lumière des conclusions d’une série de diagnostics préalables nous permettant de récolter une mine d’informations pertinentes sur les créneaux porteurs de chaque zone d’intervention (domaine d’activité présentant le plus grand potentiel de création de valeur ajoutée) et la configuration des chaines de valeur locales. Ainsi, en plus de garantir la pertinence des actions que nous entreprenons, cette démarche innovante nous permet d’identifier les pistes d’actions les plus propices au renforcement de la vitalité des économies locales.

Vers un leadership accru des femmes

Les traditions culturelles toujours prégnantes dans les sociétés africaines reposent sur un schéma de répartition de l’autorité fortement empreint de discrimination à l’égard des femmes. Les avancées notées au plan institutionnel (adoption de texte de loi en faveur de l’équité de genre) n’ont généralement pas permis aux femmes, surtout dans les zones rurales, d’accéder à une dignité et une reconnaissance sociale significative. En dépit du fait qu’elles représentent la plus importante proportion de la population active dans les secteurs agricoles et rural, les femmes sénégalaises et béninoises peinent à avoir accès suffisant aux ressources leur permettant de m’émanciper économiquement et, par ricochet, socialement. En faisant le choix d’accorder la priorité aux femmes dans ses actions de promotion de l’entrepreneuriat, Eclosio a permis à cette catégorie sociale souvent marginalisée de démontrer leur capacité à se hisser au rang d’acteur de premier plan du développement économique de leur communauté.

Faim zéro et agriculture durable : les citoyens se mobilisent, que font les responsables politiques ?

C’est la Journée mondiale de l’alimentation. 821 millions de personnes se trouvent en situation de sous-alimentation chronique. A l’ONU, les Etats membres de l’ONU se sont engagé à soutenir les exploitations agricoles familiales pour lutter contre la faim. Mais derrière les déclarations d’intentions, de nombreux Etats – dont la Belgique – continuent à soutenir l’agro-business et des politiques nuisibles à l’agriculture familiale. Heureusement, les initiatives citoyennes veillent et pallient.

Comme chaque année, la Journée mondiale de l’alimentation est célébrée le 16 octobre, date anniversaire de la création de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). 73 ans après sa création, les nouvelles que nous donne la FAO ne sont pas bonnes : selon le rapport qu’elle a publié le 11 septembre dernier avec quatre autres agences onusiennes, 821 millions de personnes se trouvaient en situation de sous-alimentation chronique en 2017, ce qui ramène le monde près de 10 ans en arrière.

Décennie de l’agriculture familiale de 2019 à 2028

Le droit à l’alimentation est pourtant un droit humain reconnu. En 2015, les dirigeants des 193 Etats membres de l’ONU ont adopté à l’unanimité les 17 Objectifs de développement durable, dont l’objectif « Faim zéro » visant à mettre un terme à la faim et à la malnutrition sous toutes leurs formes d’ici 2030. Et c’est également à l’unanimité que l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé de proclamer une Décennie de l’agriculture familiale de 2019 à 2028, reconnaissant par la même occasion le rôle des exploitations agricoles familiales pour lutter contre la faim.

Si tout le monde est d’accord, pourquoi n’y arrive-t-on pas ? Peut-être parce que, derrière l’unanimité de façade des résolutions onusiennes, tout le monde n’est finalement pas d’accord. Ainsi, alors que le symposium de la FAO sur l’agroécologie a fait le constat, en avril de cette année, d’un consensus sur le potentiel de l’agroécologie pour  » atteindre un large éventail d’objectifs politiques, environnementaux et de sécurité alimentaire, alliant des objectifs liés à la durabilité à la réduction de la pauvreté rurale« , de nombreux Etats continuent de s’engager dans le soutien à l’agrobusiness et à des politiques nuisibles à l’agriculture familiale.

La Belgique contre le droit des paysans

C’est le cas de la Belgique, dont la politique de coopération au développement s’oriente résolument vers le soutien au secteur privé. Le résultat de cette approche montre qu’elle ne répond pas aux besoins les plus criants, puisque seule 30% de l’aide belge au secteur privé local a été orientée vers les pays à faible revenu entre 2013 et 2016, pour 61% vers les pays à revenu intermédiaire, alors que ces derniers ont moins besoin d’être soutenus. C’est aussi le cas de l’Union européenne, dont la politique agricole continue à se baser sur l’intégration de l’agriculture européenne à des marchés globalisés, avec des impacts négatifs pour les agricultures locales. Encore récemment, le 28 septembre, la Belgique et les autres Etats membres de l’Union européenne présents au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies se sont tous abstenus ou ont même voté contre une Déclaration sur les droits des paysan.ne.s, qui a heureusement été adoptée à une large majorité grâce au vote d’autres Etats.

C’est un fait : l’agriculture paysanne a besoin de soutien, et en particulier de celui des pouvoirs publics, pour nourrir le monde de manière durable. Les moyens alloués à l’agriculture doivent donc être suffisants en volume et être orientés prioritairement vers l’agriculture familiale durable et les pratiques agroécologiques. Ensemble, les Etats membres de l’OCDE ont investi près de 280 milliards d’euros pour soutenir leur agriculture en 2017, dont plus de 92 milliards dans l’Union européenne. Il est grand temps d’orienter les moyens des politiques agricoles et ceux relevant de la coopération au développement vers des systèmes alimentaire durables et justes, plutôt que vers des modes de production qui épuisent les ressources naturelles, mettent sous pression les producteurs et ne parviennent pas à nourrir tous les habitants de la planète.

Raisons d’espérer

Mais il y a aussi des raisons d’espérer. Face à l’inaction de nombreux décideurs, des initiatives citoyennes proposent des solutions concrètes et portent des alternatives durables. Pour la 10ème année consécutive, le Festival Alimenterre met en question différents enjeux cruciaux du système alimentaire mondial, avec des projections-débats permettant à un public nombreux de s’informer et de débattre sur l’état des systèmes alimentaires. Dans le même esprit, le Forum des alternatives a rassemblé des citoyens désireux de discuter sur les alternatives à l’agrobusiness et de se former sur des pistes concrètes d’action à mettre en œuvre dans leur vie quotidienne. Les 27 et 28 octobre, des citoyens de toute l’Union européenne répondront à l’appel de l’initiative « Good Food, Good Farming » et pour exiger une « Bonne Nourriture et une Bonne Agriculture » et pour se faire entendre dans le cadre de la prochaine réforme de la Politique agricole commune.

Les alternatives de demain se construisent aujourd’hui et demandent à être soutenues. Il est grand temps que les décideurs politiques prennent la mesure de l’urgence et prêtent main forte aux citoyens d’ores et déjà mobilisés autour de solutions durables.

Par François Graas (SOS Faim), Sébastien Kennes (Rencontre des Continents), Johan Verhoeven (FIAN), Séverine de Laveleye (Quinoa), Pierre Santacatterina (Oxfam-Magasins du monde), Stéphane Desgain (CNCD-11.11.11), Koen Vantroos (Vétérinaires Sans Frontières), Hélène Capocci (Entraide et Fraternité), Nicolas Lieutenant (Caritas International Belgique), Pierre Collière (Eclosio), David Gabriel (Autre Terre). 

Les associations d’usagers, un levier de développement local : l’exemple du projet Liseke-Musimba

publié par UniverSud en Octobre 2016

Partenariat entre le CAUB et UniverSud-Liège : une page se tourne !

Le 1 juillet 2016 a marqué une étape importante dans la collaboration entre UniverSud-Liège et l’ONG congolaise CAUB. Cette date marque la fin du partenariat entre ces deux ONG dans le cadre du projet de construction du réseau d’eau à gestion autonome de Liseke-Musimba, conçu pour alimenter un quartier périphérique de la ville de Butembo, en République démocratique du Congo.

La mise en place d’un réseau d’eau à gestion autonome, quels défis?

La mise en place d’un réseau d’eau à gestion autonome, et la nature du partenariat qu’il implique, représente un défi à plus d’un titre. Il s’agit premièrement de construire un réseau d’eau complet, intégrant des captages, un réservoir et des bornes-fontaines, afin d’alimenter la population du quartier de Musimba. Outre les difficultés techniques, dépassées avec succès par le CAUB, ce type de projet implique aussi de mettre en place une structure de gestion complexe. De fait, ce qui constitue la particularité de ce projet, c’est que ce réseau d’eau est géré directement par la population bénéficiaire, au travers d’une structure locale de gestion qui est choisie par ces mêmes bénéficiaires et qui est tenue de leur rendre des comptes. La population du quartier choisit en son sein des représentants, lesquels vont constituer une assemblée générale. Ces représentants vont, à leur tour, élire un comité de gestion, qui sera  en charge de la gestion journalière du réseau d’eau. On parle donc de réseau d’eau à gestion autonome par la population, car les autorités locales n’interviennent pas, ou très peu, dans son fonctionnement.

Comme toute structure d’approvisionnement en eau potable, les réseaux d’eau à gestion autonome n’échappent pas à la mise en place d’une série de règles de fonctionnement. Parmi celles-ci, la plus importante est celle du paiement pour le service de l’eau. La population s’approvisionne en eau aux bornes-fontaines, en payant pour ce service, à un tarif qui est fixé par l’assemblée générale, c’est-à-dire par les représentants de la population. Cette tarification du service de l’eau permet de couvrir les frais d’entretien du réseau et d’assurer le paiement des fontainiers et des membres de la cellule technique de gestion. Autrement dit, cette cotisation permet d’assurer la pérennité du service de l’eau. Ce concept d’autofinancement du réseau d’eau, qui connaît un succès croissant en RDCongo, est souvent connu sous le terme d’ASUREP, acronyme désignant les associations des usagers de réseau d’eau potable qui sont en charge de la gestion de type ce réseau.

Un modèle idéal, vraiment ?

Le concept d’ASUREP est séduisant, il offre des opportunités importantes en matière de renforcement de la société civile et un intérêt en termes de couverture des besoins fondamentaux des bénéficiaires. Cependant son application concrète sur le terrain ne va pas sans poser de nombreuses difficultés. Le projet d’ASUREP Liseke-Musimba, nom des quartiers où se situent les sources captées et ceux desservis par le réseau, offre une belle illustration de ces difficultés et du succès en demi-teinte que l’on obtient parfois malgré les efforts importants consentis par tous les partenaires du projet. Ainsi, trois ans après le début du projet, le réseau d’eau totalise près de 25 km de tuyauteries, et dessert environ 22.000 personnes grâce à 45 bornes-fontaines. La construction de ces bornes-fontaines a mobilisé une partie importante de la population. Cette dernière a contribué au financement du réseau en fournissant des matériaux de construction et en offrant son appui sous la forme d’une main-d’œuvre nombreuse et dynamique. Cependant, en raison de financements insuffisants, il n’a pas été possible d’équiper le réseau d’un réservoir de stockage de l’eau, tel que cela était prévu initialement. Par conséquent, l’association en charge de la gestion de ce réseau s’est vue contrainte de procéder à des délestages, c’est-à-dire des interruptions régulières du service, ce qui réduit d’une part la qualité du service et diminue d’autre part les recettes de l’association. Pour y remédier, des solutions pour financer la construction d’un réservoir sont à l’étude tant au sein du CAUB que chez UniverSud-Liège. Parmi les solutions envisagées, citons la construction d’un réservoir modulaire ou l’installation d’un réservoir souple, le développement de partenariats publics-privés locaux, ou encore l’obtention de nouveaux financements belges.

Le défi technique se double d’un défi humain !

L’organisation des représentants des bénéficiaires en une structure inspirée de celle des ASBL –choisie pour sa transparence et son intégration dans le droit congolais–  ne fut pas non plus une mince affaire, surtout dans un contexte local marqué par une forte méfiance de la population vis-à-vis de ce type de structure, jugée comme fort exposée à la corruption et au népotisme. Actuellement, les tensions qui ont secoué l’ASUREP sont en voie d’apaisement, et on peut espérer que les prochaines élections sociales, devant conduire à la désignation des nouveaux membres du comité de gestion, seront l’occasion d’un nouveau dynamisme dans la gestion de ce réseau. D’une manière générale, ce concept des ASUREP se heurte aux difficultés inhérentes au développement de la gouvernance locale. Dans un contexte congolais caractérisé par la double empreinte de la gestion verticale, très hiérarchisée, issue de l’époque coloniale puis de l’ère Mobutu, et d’un opportunisme parfois déplacé, résultat d’années de privations et de « débrouille », la construction harmonieuse d’une structure de gestion représentative et transparente ne se fait jamais facilement.

L’ASUREP, un concept fragile mais qui a de l’avenir en RdCongo !

Néanmoins, malgré ces contraintes, l’approche « ASUREP » constitue un levier fondamental pour le développement local en RDCongo, entre autres pour trois raisons majeures. Premièrement, parce  qu’elle envisage la gestion d’une ressource naturelle sous une forme respectueuse de cette ressource, l’ASUREP ayant tout intérêt à protéger ses captages de toute forme de contamination si elle souhaite commercialiser l’eau. Deuxièmement, parce que cette approche soulage fortement le gouvernement central dans sa tâche de répondre aux besoins fondamentaux de la population. Étant donné la croissance rapide de la population congolaise et les faibles moyens financiers de l’État, ce dernier n’est pas en mesure de répondre à tous les besoins. Le développement des réseaux d’eau à gestion autonome par la population permet donc de compenser quelque peu les faiblesses de l’État congolais. Ce dernier a d’ailleurs reconnu explicitement cette situation, au travers de la reconnaissance officielle de l’approche ASUREP dans le nouveau code de l’eau congolais. Troisièmement, L’approche ASUREP est aussi un formidable levier pour le développement local. En effet, si un réseau d’eau est bien géré, il devient rapidement capable de générer des recettes excédentaires, qui peuvent alors être réinvesties localement dans différents types de sous-projets, comme la construction d’une salle de classe, d’un cyber-café, la réfection d’une route ou d’un pont, ou encore l’extension du réseau d’eau, si le débit des captages le permet. Définie ainsi, une ASUREP n’est rien de moins qu’une petite entreprise à finalité sociale, apte à assurer la création d’emplois et à subvenir à certains besoins de base de la population. À Kinshasa, la capitale du pays, où sont nées les premières ASUREP en 2009, des quartiers entiers bénéficient ainsi des retombées économiques de l’exploitation raisonnée et transparente des ressources en eau souterraines, grâce à la gestion dynamique des ASUREP.

Un projet se termine, une nouvelle aventure commence !

Si le projet Liseke-Musimba est officiellement terminé, Il ne fait que commencer à se développer de manière autonome. Pour cela, il a encore besoin d’aide et d’accompagnement. La collaboration entre UniverSud-Liège et le CAUB ne s’arrêtera donc pas complètement. Il reste en effet beaucoup à faire pour que l’ASUREP Liseke-Musimba développe ses compétences et soit en mesure d’assurer la pérennité du service de l’eau. C’est ainsi que le CAUB poursuit son travail de formation des membres du comité de gestion, afin de leur enseigner la maîtrise des outils nécessaires pour assurer une gestion rigoureuse et transparente du réseau d’eau, tel que la comptabilité, le contrôle de la qualité de l’eau, la gestion des facturations, etc. De son côté, UniverSud-Liège continue à rechercher des solutions pour financer la construction d’un réservoir d’eau et reste attentive aux besoins du projet.

Apprendre de ses erreurs, capitaliser sur ses réussites et continuer à progresser…

Nous restons, tant au Nord qu’au Sud, persuadés que l’approche ASUREP mérite que l’on s’y intéresse et nous exprimons le souhait que l’on développe davantage de projets autour de ce concept. Certaines erreurs ne doivent pas être reproduites, bien entendu et, tirant les leçons de notre expérience, il apparaît indispensable dans ce type de projet de renforcer, dès le début, les capacités de gestion et de communication de l’association qui sera en charge du réseau. En outre, il est important d’être vigilant quant aux variations des taux de devises et des impacts de l’augmentation soudaine du prix des matériaux de construction, un phénomène courant en RDCongo. Cependant, ces difficultés ne doivent pas nous freiner dans notre volonté d’appuyer la population congolaise dans l’organisation de son développement et dans notre volonté de fournir à ce pays les moyens de ses ambitions en matière de couverture des besoins fondamentaux.

 

David Cammaerts

Consultant chez UniverSud pour le projet ASUREP Liseke

Bokashi, un projet qui a la main verte !

Depuis plus de 15 ans, la promotion des techniques agroécologiques constitue le cœur de l’activité d’ADG au Cambodge. Cependant, cette transition se heurte à divers obstacles, comme celui de l’accès des agriculteur-trice-s à des engrais naturels de qualité.

Tout d’abord, parce que la fabrication individuelle de ce type d’engrais requiert des intrants naturels parfois difficilement accessible au sein même des fermes. Ensuite, parce que sa fabrication demande un temps et une énergie considérable pour tout fermier-e-s désireux de commercialiser ses produits à plus grande échelle. De plus, ces fertilisants « faits maisons » sont parfois de faible qualité. Enfin, parce que les fertilisants naturels disponibles sur le marché sont couteux et parfois eux aussi de qualité médiocre.

Ces difficultés ont pour résultat de freiner la transition agroécologique, pourtant essentielle à une gestion durable et respectueuse des sols.

Afin de pallier à ces problèmes, ADG, en partenariat avec la FAEC (Federation of Farmer Associations Promoting Family Agricultural Enterprise in Cambodia), a pour objectif d’assister les fermier-e-s de la coopérative d’Oudom Sorya dans la production d’un fertilisant naturel de haute qualité, le « Bokashi », et de l’aider à le commercialiser auprès d’autres producteurs et marchés locaux.

Le Bokashi est un mélange de matières organiques et de microorganismes essentiels au maintien et à l’amélioration de la structure du sol, de sa ventilation, de sa capacité de rétention en eau et de sa capacité d’absorption des éléments nutritifs. Les microorganismes utilisés améliorent également la résistance des sols face à diverses maladies et pathogènes.

Issue de la province de Takéo, Oudom Sorya est une coopérative agricole créée en 2013 par un groupe d’agriculteurs engagés collectivement autour d’activités commerciales telles que la production d’engrais et de riz. Elle rassemble aujourd’hui plus de 80 membres, dont 34 sont des femmes.

Pour ADG et la FAEC, l’objectif premier est d’améliorer la fertilité des sols en soutenant Oudom Sorya dans la production de cet engrais, à partir du partage d’intrants naturels présents dans plusieurs fermes de la coopérative.

Le but est d’obtenir un engrais qui soit d’une qualité suffisamment élevée pour permettre une augmentation de la production agricole des fermes et une augmentation du revenu des ménages. Évidemment, l’enjeu consiste aussi à créer un Bokashi dont le prix reste suffisamment accessible.

Pour mener à bien ce projet, ADG et la FAEC s’attèlent autour de trois axes principaux :

  • Développer une formule d’engrais naturel qui soit adaptée aux besoins des petits producteurs.
  • Soutenir Oudom Sorya dans la production de cet engrais.
  • Concevoir ensemble une stratégie de vente et de marketing.

Ces actions visent en premier lieu les membres de la coopérative. À termes cependant, il s’agira aussi d’attirer d’autres producteurs désireux d’utiliser des engrais naturels, mais qui n’ont ni le temps ni les intrants nécessaires pour les produire.

Enfin, sur le long terme, l’expérience avec Oudom Sorya servira de modèle pour d’autres coopératives agricoles et organisations paysannes du réseau

 


Le travail de Aude et Oudom, étudiant-e-s en agronomie, d’Eclosio et de la FAEC.



L’une est belge, l’autre cambodgien. Pour leur travail de fin d’études, ils ont décidé d’intégrer le projet du Bokashi. Pour eux, l’enjeu de trouver une alternative à l’utilisation des engrais chimiques fut une réelle source de motivation. D’après l’expérience conduite l’année dernière, le Bokashi produit par le programme possède déjà un taux d’efficacité trois fois supérieur aux fertilisants naturels produits par les agriculteurs, encourageant par là la poursuite de cette étude. Cette année, les recherches de Aude et Oudom auront pour but d’améliorer la qualité et l’efficacité du Bokashi précédent, tout en maintenant un prix abordable pour les producteurs locaux.

Comme le rappelle bien Aude, l’élaboration du Bokashi est loin d’être le résultat seul des recherches des étudiant-e-s. Il s’agit avant tout d’un travail d’équipe, dont les acteurs, ayant des compétences et approches différentes, enrichissent le projet.

En effet, le Bokashi est l’aboutissement d’un travail de 3 ans qui rassemble à la fois l’expérience de terrain des fermier-e-s de la coopérative, les connaissances des ingénieurs agronomes d’ADG, le soutien logistique et financier de la FAEC et d’ADG, l’échange de techniques avec d’autres organisations et les recherches estudiantines.

La première partie de leur travail consista à trouver, sur base du travail de l’étudiante précédente et d’autres études scientifiques, la méthodologie adéquate pour leurs recherches.

Une fois la méthodologie validée, le binôme s’est lancé au mois de mars dans la réalisation de trois types de microorganismes différents, dont l’analyse en laboratoire permit d’en révéler les plus efficaces. Arrivés à maturité, les microorganismes sélectionnés furent intégrés au Bokashi.

C’est donc le 5 et 6 avril, dans une ambiance à la fois sérieuse, mais décontractée, et sous un soleil de plomb, que les agriculteurs et les étudiant-e-s ont produit 1,8 tonne de Bokashi.

Le duo est actuellement en train de tester cette production.

Tandis qu’Oudom, de son côté, analyse l’azote, le phosphore, le potassium, la quantité de microorganismes présents et le taux d’humidité des échantillons en laboratoire.Avec l’aide des fermier-e-s, Aude s’attèle à préparer le terrain pour cette expérimentation : fabrication d’une nouvelle serre et réparation d’une ancienne, prise quotidiennes des mesures de PH et de la température du Bokashi et préparation des semis pour les salades et les brocolis chinois, les légumes cobayes de l’expérience.

Les semaines à venir auront pour but d’étudier le rendement du Bokashi. Tous les 4 jours, Aude mesure la taille des salades et des brocolis chinois. Le poids final de ces légumes permettra enfin de déterminer l’efficacité du nouveau Bokashi.

Pour le moment, ce qu’on peut déjà vous dire, c’est qu’ils poussent à vue d’œil et qu’ils sont bien verts ! Si les résultats sont réellement positifs, le Bokashi pourra être commercialisé.

C’est également sur ce pan que l’équipe d’ADG au Cambodge est en train de travailler. Brochure, posters, page Facebook et campagne de sensibilisation sont en cours de création afin de faire connaître un maximum la coopérative et son Bokashi.

Valentine Collet

La Belgique ne respecte pas ses engagements dans la lutte contre la faim !

[12-10-2016]

Communiqué de presse de la Coalition Contre la Faim (CCF)
Mercredi 12 octobre 2016

A l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, qui nous rappelle notamment que près de 800 millions de personnes à travers le monde souffrent de la faim, la Coalition contre la faim tire un bilan de l’aide publique de la Belgique dans le secteur de l’agriculture et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Résultat : alors que la Belgique aurait dû consacrer plus de €433 millions à l’agriculture et la sécurité alimentaire en 2015 pour respecter ses engagements, elle n’en a consacré que €158 millions, soit moins de 40 %.

La Coalition pointe également plusieurs financements de notre coopération qui profitent aux grandes multinationales de l’agrobusiness au détriment de producteurs familiaux locaux, alors que le soutien à l’agriculture familiale durable est la priorité de notre coopération. La Coalition recommande au Ministre de renforcer la cohérence de notre coopération en réaffirmant les priorités de soutien à l’agriculture familiale durable et en assurant un meilleur suivi des financements.

La Coalition contre la faim, CCF, qui regroupe les principales ONG belges de lutte contre la faim, publie une note d’analyse qui sera présentée au Parlement, ce 13 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation. Cette note  vise à effectuer un bilan de notre coopération dans le secteur de l’agriculture et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. « Ce bilan était important suite à l’échéance des objectifs du millénaire pour le développement en 2015 et à l’aube des nouveaux objectifs de développement durable, qui fixe l’éradication de la faim pour 2030 », explique Manuel Eggen, de l’ONG FIAN Belgium, auteur de l’analyse.

En vue de contribuer aux objectifs du millénaire et suite aux crises alimentaires de 2007/2008, la Belgique s’était engagée à consacrer 15 % de son aide publique au développement (APD) au soutien de l’agriculture dans les pays en développement pour 2015. Et cette aide devait cibler le soutien à l’agriculture familiale durable. « Ces engagements financiers et les priorités stratégiques doivent être salués comme positifs et ambitieux », estime Jean-Jacques Grodent, de SOS Faim. Mais d’après les données transmises par l’administration, l’objectif est loin d’être atteint : l’APD belge pour le secteur de l’agriculture est passée de €150,5 millions en 2011 (soit 7,79 % de l’APD) à €158,8 millions en 2015 (9,28%). « La  non-atteinte  des  15%  promis  est  également  à  analyser  dans  le  cadre d’une baisse structurelle de l’APD belge depuis 2011 », ajoute Thierry Kesteloot d’Oxfam-Solidarité. En 2015, l’APD ne représentait plus que 0,42% du Revenu national brut (RNB), loin de l’engagement des 0,7 % pourtant inscrits dans la loi de coopération. Au final, rien que pour 2015, ce sont plus de €275 millions qui n’ont pu être consacrés à la lutte contre la faim !

Et la suppression du Fonds belge pour la sécurité alimentaire, décidé par le Ministre Alexander De Croo en 2015 risque encore d’amputer le budget pour l’agriculture et la sécurité alimentaire à l’avenir.

L’analyse de la CCF révèle également qu’une  partie  significative de l’APD dans le secteur de l’agriculture échappe aux priorités de soutien à l’agriculture familiale et sert davantage à financer  des  projets  favorisant  des multinationales de l’agrobusiness, dont les impacts en termes de développement sont extrêmement limités, voire contradictoires. Des études de cas se penchent notamment sur des investissements de la Société belge d’investissement dans les pays en développement (BIO), des projets de la Banque mondiale ou de la très contestée Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique (financée à travers l’UE et la Région flamande). Dans certains cas, ces projets accroissent la pression sur les producteurs familiaux à accéder aux terres et aux ressources naturelles dont ils ont besoin pour produire et se nourrir, et sont susceptibles d’engendrer des violations des droits des communautés locales.

A l’aube des nouveaux objectifs de développement durable, qui engagent la Communauté internationale à éradiquer la faim d’ici 2030 et alors que le Ministre De Croo a annoncé son intention d’actualiser les priorités de la Belgique dans le secteur de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, la CCF demande au Ministre de réaffirmer ses engagements en soutien de l’agriculture familiale durable et de mettre en place des mécanismes permettant un meilleur suivi des engagements de la Belgique et d’assurer une cohérence avec les obligations internationales, en particulier avec le droit à l’alimentation.

POUR EN SAVOIR PLUS : 

Notes d’analyse « Aide publique de la Belgique pour l’agriculture (et la sécurité alimentaire et nutritionnelle) : bilan » à télécharger ici

Contact presse :
FR : Manuel Eggen – 02/640.84.17
NL : Thierry Kesteloot – 02/501.67.55

Pour sauver l’agriculture paysanne, changeons les règles actuelles du commerce international agricole

12 décembre 2017 – ADG est signataire de la lettre ouverte aux gouvernements réunis à Buenos Aires à la conférence ministérielle de l’OMC

Alors que nous faisons face à des défis majeurs en termes de sécurité alimentaire, changement climatique et transition écologique, nos politiques agricoles restent formatées par des règles du siècle passé. C’est le cas en particulier des règles du commerce international agricole, adoptées à Marrakech en 1994 et qui ont conduit à la création de l’OMC en 1995.

Ces règles ont des effets destructeurs pour les paysanneries du Nord comme du Sud : industrialisation des modes de production, accaparement des terres, financiarisation de l’agriculture, dumping économique, social et environnemental. Elles renforcent le pouvoir des sociétés transnationales, imposent des techniques de production qui nuisent aux écosystèmes et elles dégradent les régimes alimentaires. Elles ruinent les exploitations paysannes, pourtant à même de nourrir correctement la population et de préserver durablement la planète.

Le bon sens voudrait que la priorité d’une bonne politique agricole soit de nourrir la population ; pourtant c’est plutôt la « compétitivité sur le marché international » qui sert aujourd’hui de moteur des politiques agricoles. L’Union européenne, par exemple, est ainsi devenue première importatrice et première exportatrice alimentaire mondiale. Faut-il en être fier ? Le haut degré de dépendance de l’agriculture et de l’alimentation vis-à-vis de l’extérieur nous laisse à la merci d’aléas géopolitiques et, par la multiplication de transports inutiles, contribue aussi au réchauffement climatique. Elle contribue aussi à maintenir les agricultures du Sud dans la position de producteurs de matières premières à bas prix.

Lorsque des porte-conteneurs européens remplis de pommes pour la Chine croisent dans l’Océan indien des porte-conteneurs chinois remplis de pommes pour l’Europe, la planète chauffe, et certaines firmes s’enrichissent au détriment des producteurs.

Le récent livre de Jean-Baptiste Malet[1] sur le circuit mondial du concentré de tomates est un bel exemple de l’absurdité sociale et écologique des règles actuelles. Les firmes transnationales produisent là où les coûts de production sont les plus bas, pour vendre là où leurs marges bénéficiaires sont les plus grandes. On a ainsi mondialisé les marchés agricoles, entraînant les agriculteurs dans une spirale mortifère de baisse des coûts-baisse des prix.

A la base de ces règles (négociation de l’Uruguay Round, 1986-1994), les deux grandes puissances exportatrices agricoles de l’époque, USA et UE, ont réussi à blanchir le dumping de leurs excédents – bradés à bas prix vers les pays tiers- en remplaçant les subventions à l’exportation par des subventions aux exploitations agricoles découplées de la production. Ces subventions sont notifiées dans la fameuse boîte verte à l’OMC, qui n’est pas soumise à restriction et n’est pas visée par les discussions en cours à l’OMC

Les règles de l’OMC permettent à l’UE et aux USA de fournir des matières premières agricoles à l’agro-industrie et à la grande distribution à des prix souvent inférieurs au coût de production, en subventionnant les exploitations pour qu’elles continuent quand même à produire et à vendre à perte. Ces règles leur permettent aussi d’exporter vers des pays tiers pauvres incapables de subventionner leur agriculture. C’est une forme d’accaparement des marchés qui est institutionnalisée par les règles de l’OMC.

[1]« L’empire de l’or rouge, enquête mondiale sur la tomate d’industrie » – Fayard – 2017

Pour le producteur de mil du Sénégal, par exemple, les farines européennes qui arrivent dans le port de Dakar sont une concurrence déloyale. Ces farines sont vendues à des prix inférieurs aux coûts de production européens, rendus possibles par les subventions de l’UE. Peu importe si ces subventions sont dans la boîte bleue, jaune ou verte de l’OMC : ces farines, comme avant l’Uruguay Round,  sont vendues sur les marchés africains à des prix qui concurrencent déloyalement les producteurs de céréales locales. Le Commissaire européen à l’Agriculture et au développement rural Phil Hogan rétorquera que les subventions de la boîte verte n’ont pas d’effet distorsif sur les échanges : ce serait vrai si les produits issus des exploitations européennes n’étaient pas exportés. Sans ces subventions, un grand nombre d’exploitations de l’UE et des pays « développés » utilisant la boîte verte seraient en faillite. Il y a bien un effet distorsif par accroissement de la capacité de production et d’exportation.

Il est donc urgent de remettre en cause les règles actuelles du commerce international  et d’établir des règles justes et solidaires adaptées aux défis de ce siècle. A notre avis, ces règles doivent répondre aux objectifs de souveraineté alimentaire, c’est-à-dire permettre aux Etats/Régions de définir leur politique agricole et alimentaire adaptée à leur contexte et leurs besoins, sans nuire aux économies agricoles des pays tiers, et intégrant d’autres priorités comme l’alimentation des populations locales, la valorisation des producteurs alimentaires, le travail avec la nature, etc…(comme souligné dans les 6 piliers de la déclaration du forum Nyeleni en 2007).

Il faut remettre le commerce international agricole à sa juste place, ni plus ni moins. L’import-export ne doit plus être la priorité des politiques agricoles, mais le complément de politiques axées d’abord sur une production agricole destinée à nourrir la population locale, nationale, régionale.

Mais les discussions au sein de l’OMC et l’ordre du jour de la conférence ministérielle en matière de réduction du « soutien interne » n’avancent pas dans ce sens, l’UE et les USA refusant de mettre les soutiens de la boîte verte en question. Nous appelons les gouvernements réunis à Buenos Aires à prendre la mesure des vrais enjeux et établir les bases de nouvelles règles, qui permettront des échanges internationaux plus coopératifs et d’autres politiques agricoles nationales et régionales.

Nous appelons les organisations paysannes, juristes, économistes, ONG à travailler ensemble à des propositions concrètes de nouvelles règles du commerce international agricole qui permettent aux agriculteurs du nord et du sud de vivre dignement de leur travail, d’avoir accès à leur marché local, de produire une alimentation saine et nutritive, de diminuer le réchauffement climatique et d’enrayer le déclin de la biodiversité grâce à des pratiques agricoles agro-écologiques.

Michel Buisson, auteur de ‘Conquérir la souveraineté alimentaire’ Harmattan, 2013
Gérard Choplin, analyste indépendant sur les politiques agricoles, auteur de ‘Paysans mutins, paysans demain-Pour, une autre politique agricole et alimentaire’ Editions Yves Michel, 2017
Priscilla Claeys, Senior Research Fellow in Food Sovereignty, Human Rights and Resilience, Centre for Agroecology,Water and Resilience (CAWR), Coventry University (UK) and author of “Human Rights and the Food Sovereignty Movement: Reclaiming Control”, Routledge, 2015.

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques