Témoignage d’un stage hors du commun au Cambodge

Récit, challenge et conseils à la suite d’un stage de 4 mois réalisé au Cambodge avec Eclosio, afin d’en apprendre plus sur les pratiques liées aux biopesticides. Un voyage hors du commun et hors de ma zone de confort.

Qui je suis et comment tout cela a commencé

Je m’appelle Eliza et je suis en 3e année de bachelier en Agronomie, à finalité Environnement, à la Haute École de La Reid (province de Liège, Belgique). Dans le cadre de mon cursus, je devais réaliser un stage pendant mon premier quadrimestre. Ce stage a pour but d’écrire un mémoire de bachelier sur le sujet étudié.

Fascinée par la nature et éternelle convaincue que l’agroécologie est synonyme de développement durable, j’ai décidé de réaliser mon stage de septembre 2019 à janvier 2020 avec Eclosio au Cambodge sur le sujet des biopesticides. Un biopesticide est un pesticide à base de produits naturels et est donc en accord avec la protection de l’environnement – ce qui en faisait un projet idéal pour moi.

Éternelle convaincue que l’agroécologie est synonyme de développement durable, j’ai décidé de réaliser mon stage de septembre 2019 à janvier 2020 avec Eclosio au Cambodge sur le sujet des biopesticides.

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Figure 1 : de gauche à droite : Piano, Monsieur Chea Sok, Éliza, Sophorn, Takada

Mon expérience

Je suis partie au Cambodge avec Simon, lui aussi stagiaire chez Eclosio et étudiant à la Haute École d’Agronomie à La Reid. Nous avons donc partagé cette expérience à deux, même si nos projets étaient différents. Après de longues heures d’avion, je suis alors arrivée au Cambodge en septembre, quand l’automne commençait en Belgique. Nous sommes arrivés pendant la période des pluies, avec une température autour de 30 °C. Simon et moi avons été merveilleusement accueilli·e·s nous nous sommes très vite acclimaté·e·s à la nourriture, aux coutumes, à la ville comme à la campagne. En plus du choc thermique, le choc culturel fut énorme. En effet, là-bas tout est différent. Les mœurs, le rythme de vie et la façon de travailler ne sont pas les mêmes que chez nous, ce qui m’a demandé une grande capacité d’adaptation. La langue a également été un frein important pour mener mon étude, mais j’ai trouvé rapidement un autre moyen de communiquer et de me faire comprendre.

Le rythme de vie et la façon de travailler ne sont pas les mêmes que chez nous, ce qui m’a demandé une grande capacité d’adaptation. La langue a également été un frein important pour mener mon étude, mais j’ai trouvé rapidement un autre moyen de communiquer et de me faire comprendre.

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Figure 2 : Paysage de la province de Takeo

Je logeais à la capitale, Phnom Penh, dans un appartement en colocation avec Simon dans le centre et je faisais les trajets en taxi jusqu’à la campagne de Takeo, où j’y étais nourrie et logée par une famille cambodgienne. La dichotomie entre le chao organisé de la ville et la sérénité de la campagne faisait partie de mon quotidien. Des étudiant·e·s en agronomie m’ont aidée à trouver des agricultrice·teur·s et à la traduction pour mon étude. Piano, Takada, Sophorn, Sreyrath et Butun sont très vite devenus mes ami·e·s, malgré quelques difficultés pour communiquer de l’anglais au khmer ! J’ai également rapidement rencontré des expatrié·e·s provenant du reste du monde et qui m’ont aidé à découvrir d’autres endroits de Phnom Penh, d’autres provinces, m’ont encouragé à voyager, et à m’ouvrir aux autres. Ce voyage n’aurait pas été le même sans les merveilleuses rencontres faites sur place.

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Figure 3 : De gauche à droite : Sreyrath, Takada, Simon, Eliza, Sophorn, Buntun et Madame Meourn

Ce que j’ai appris

J’ai rapidement appris à être tolérante, à résoudre des problèmes, à trouver des solutions avec des compromis, à gérer un projet, à être autonome et à vaincre ma timidité. Je me sens maintenant plus apte et légitime professionnellement – c’est réconfortant et satisfaisant, après des années d’acharnement à étudier, de se rendre compte que nos connaissances acquises ont un vrai poids. Mon étude consistait à rencontrer nombreux·ses agricultrice·teur·s et, à travers un ou deux entretiens, mieux comprendre les pratiques liées aux biopesticides. J’ai donc été en contact avec beaucoup de personnes en peu de temps, dans plusieurs provinces, ce qui m’a permis de mieux comprendre l’hétérogénéité qui fait du Cambodge un pays si particulier et différent des pays voisins. Il a fallu que je supprime ma façon occidentale de penser afin de m’adapter aux situations auxquelles je faisais face au quotidien. J’ai vite oublié le pain, le fromage et les frites belges pour devenir une adepte de la cuisine cambodgienne – complètement inconnue du grand public. Je me suis également habituée à utiliser quelques mots en khmer indispensables au quotidien, qui font maintenant partie de mon vocabulaire même une fois de retour en Belgique.

Il a fallu que je supprime ma façon occidentale de penser afin de m’adapter aux situations auxquelles je faisais face au quotidien. J’ai vite oublié le pain, le fromage et les frites belges pour devenir une adepte de la cuisine cambodgienne.

Ce stage m’a également permis de me rendre compte de l’importance des ONG dans un pays meurtri se remettant d’un génocide récent. En l’absence d’un État fort, les coopératives, ONG, institutions scientifiques travaillant au Cambodge sont essentielles au développement du pays. Cela m’a permis de réaliser l’importance du travail qui m’attend après mes études et la responsabilité toute particulière de travailler dans le milieu de la protection de l’environnement.

Quelques conseils…

Fonce ! C’est le conseil le plus important que je peux te donner. Ce voyage a changé ma vie et j’attends avec impatience de retourner au Cambodge prochainement. Je conseille à tous les prochain·ne·s stagiaires de parler anglais, d’être social, indépendant et surtout autonome. Cette aventure peut paraître insurmontable, mais, avec un petit coup de boost, il est facile de sortir de sa zone de confort et d’affronter ce voyage inoubliable. Le temps passe très vite donc profite de chaque instant.

Après avoir pris cette importante décision, renseigne-toi sur la monnaie locale, le visa, les vaccins, etc. Documente-toi sur ton projet et sur l’histoire du pays, de la région dans laquelle tu veux aller. Une fois sur place, il sera important de noter le plus possible – une fois rentré·e·s chez toi, il sera trop tard pour se rappeler les noms, prénoms, numéros ou les villages des personnes que tu auras rencontrées.

Et surtout, prépare-toi à changer ! La personne que tu seras en revenant ne sera plus la même que celle qui sera partie.

Eliza

Témoignage de stage : Mon aventure en Bolivie

Qui suis-je?

Bonjour! Je m’appelle Louise. J’étudie l’anthropologie sociale et culturelle à la KUL (Katholieke Universiteit Leuven). J’ai fait un stage avec Eclosio pendant 2 mois, de mi-Septembre à mi-Novembre dans la campagne bolivienne, dans le département de La Paz, où j’ai travaillé sur un projet agroécologique avec des petits producteurs de cacao. Plus précisément, j’ai mené une recherche sur ses aspects sociaux, en mettant l’accent sur la vie quotidienne des « cacaoleteros » (les producteurs de cacao, en espagnol).

Prêt? Partez!

Cela faisait dix ans que je rêvais de voyager en Amérique latine. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à apprendre l’espagnol à l’âge de dix-huit ans. Dans le cadre de mes études d’anthropologie, on m’a demandé de mener des recherches ethnographiques pendant environ six semaines durant l’été. C’est à ce moment-là que je me suis dit : « Ça y est ! Je vais partir en Amérique latine ». Ma thèse porte sur l’agroécologie et l’écologie, et vise à étudier ce que ces concepts signifient au niveau mondial et local et comment ils sont liés. Dans cette optique, j’ai commencé à envoyer des courriels à des organisations travaillant sur ces sujets en Amérique latine. Je ne vais pas mentir. Mes demandes ont été pour la plupart négatives. Mais, de manière tout à fait inattendue, Eclosio m’a envoyé par email une proposition pour l’un de ses projets en Bolivie. Lorsqu’on m’a demandé si j’étais intéressée par cette offre, j’ai bien sûr répondu « Oui, je le suis ! ».

Cela faisait dix ans que je rêvais de voyager en Amérique latine. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à apprendre l’espagnol à l’âge de dix-huit ans. Dans le cadre de mes études d’anthropologie, on m’a demandé de mener des recherches ethnographiques pendant environ six semaines durant l’été. C’est à ce moment-là que je me suis dit : « Ça y est ! Je vais partir en Amérique latine ».

Eclosio_LouiseV_StageBolivie

Quand la terre choque

Vous pouvez facilement l’imaginer. Il n’y a pas que des paillettes et de l’or. Passer du temps dans un endroit où l’on n’est pas sûr d’avoir l’électricité, où les gens vivent encore parfois dans des maisons en bois sans eau courante, cela vous touche vraiment. Vous faites l’expérience de chocs culturels, aussi bien pendant votre stage qu’à votre retour. C’est le genre d’expérience qui vous changera. Profondément !

Je me souviens particulièrement de la journée que j’ai passée avec un couple âgé, Isabel et Gabriël. Leur maison était en bois, il n’y avait pas d’eau courante, pas d’électricité et pas de gaz pour cuisiner. Préparer la nourriture était une tâche difficile, car cela n’était possible qu’avec un feu de bois.

J’ai senti tous mes privilèges de blanche en moi. Moi, dans mon joli t-shirt, avec mon smartphone de luxe. À la fin de la journée, j’ai eu une conversation avec ma mère d’accueil. Elle m’a expliqué que cette famille s’en sortait plutôt bien, avec un terrain de choix pour les cacaoyers qui leur permettait d’avoir une production substantielle avec plus que suffisamment d’argent pour prendre soin d’eux. Ce n’étaient pas des pauvres, a-t-elle affirmé. Le principal problème était qu’ils avaient neuf enfants, ce qui, bien sûr, augmentait considérablement leurs frais de subsistance.

J’espère que cet exemple montre que les chocs culturels existent vraiment. Ils vous arriveront. Cependant, j’insiste sur le fait qu’il ne faut pas les passer en revue trop rapidement. Au contraire, vous devriez poser des questions, essayer de comprendre ce que la pauvreté signifie réellement pour les personnes avec lesquelles vous travaillez/vivez. Cela changera votre point de vue. Je ne peux pas changer ma « blancheur » et tout ce qui va avec. Je peux cependant m’assurer que je ne juge personne injustement. Sortir de mon propre cadre est essentiel dans ce processus.

Longue vie au stage ! Beaucoup d’avantages !

Je veux insister sur le fait qu’il y a tellement d’avantages à faire un stage. Il est certain que vous apprenez à vous débrouiller seul et à faire face à des situations stressantes. Vous pouvez également apprendre ou améliorer une langue et développer vos compétences sociales… et bien d’autres choses encore.

Ca m’a coûté de quitter mon nid douillet. Mais cela m’a permis d’apprendre énormément sur moi, et ce, en un très court laps de temps.

J’ai évidemment appris tout ce qui précède et bien d’autres choses encore. Mais ce dont je suis le plus reconnaissant, c’est d’avoir appris qu’en dépit du fait que je me trouvais à l’autre bout du monde et que je me sentais parfois seul, j’avais vraiment un système de soutien. Il ne pouvait pas me sortir de toutes les situations stressantes ou difficiles, mais il était là, à mes côtés. Il m’en a coûté beaucoup de quitter mon nid douillet. Mais cela m’a permis d’apprendre beaucoup sur moi-même en très peu de temps.

Quelques (bons) conseils

« Sachez dans quoi vous vous engagez et sachez très bien que vous ne savez pas du tout dans quoi vous vous engagez… »

Honnêtement, cela s’applique à tout. Lorsque vous partez pour un stage quelque part, où que ce soit, essayez de vous préparer le mieux possible. Renseignez-vous sur l’histoire du pays, ses habitants, ses réussites économiques, son système politique, etc. Evitez absolument d’arriver quelque part en touriste. Vous n’êtes pas un touriste ! Vous êtes un stagiaire désireux d’apprendre et d’apporter sa contribution. La contribution est beaucoup plus facile si vous connaissez au moins les bases du pays et des personnes qui vous accueillent.

Evitez absolument d’arriver quelque part en touriste. Vous n’êtes pas un touriste ! Vous êtes un stagiaire désireux d’apprendre et d’apporter sa contribution. La contribution est beaucoup plus facile si vous connaissez au moins les bases du pays et des personnes qui vous accueillent.

Mais, malgré tout ce que vous avez lu ou préparé, vous n’êtes jamais un initié. Ce sont eux qui le sont. Et c’est à vous d’apprendre d’eux. Ne présumez jamais que vous en savez plus ou mieux. Si vous les écoutez, vous serez parfois surpris de ce qu’ils vous apprennent. Et comment une situation peut être interprétée de manière totalement différente. Vous apprendrez qu’il y a vraiment plus d’un monde à voir.

Je me suis un peu éloignée de ma maison. Je pensais que trois mois loin de ma famille et de mon environnement familier seraient une pause bienvenue. Je sais que je ne suis pas la seule à partir pour cette raison. Mais, comme je l’ai dit précédemment, on apprend beaucoup sur soi-même et sur le monde en très peu de temps. Nous, les humains, sommes des êtres sociaux, nous avons besoin de gens autour de nous pour nous aider à faire face aux changements. Mon dernier conseil serait le suivant : assurez-vous de pouvoir vous appuyer sur votre système de soutien lorsque vous en avez besoin. Par exemple, j’ai créé un groupe Whatsapp appelé « Louise en Bolivie ». J’y publiais régulièrement de petits messages sur mon état de santé. L’important n’était pas ce que je leur disais. Ce qui comptait, c’était les réponses que je recevais. Les intégrer à ma journée, partager un moment avec les personnes que j’aime, c’était vraiment important.

Louise V. étudiante à la KUL.

 

internship Louise KUL in cambodia

La Transition citoyenne, c’est la santé ?


Alimentation locale et de saison, mobilité douce, renforcement du lien social,… la transition en plus d’être bonne pour la planète ne serait-elle pas également bonne pour la santé? L’intégration à une initiative de transition pourrait-elle être suggérée par le personnel de santé au même titre que l’exercice physique ou l’arrête du tabac? C’est en tout cas l’hypothèse que fait Pauline Minguet, diplômée en santé publique de l’Uliège et participante aux ateliers d’écriture d’Eclosio, ouvrant une nouvelle voie au programme de promotion de la santé.


Savez-vous que selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 70% du nombre total des décès à travers le monde peuvent être attribués aux maladies non transmissibles (MNT) ? Alors qu’auparavant la principale cause de décès étaient les maladies infectieuses telles que la peste, la variole, la lèpre, la syphilis ou encore le choléra, de nos jours, les patients présentent majoritairement des maladies non transmissibles aussi appelées pathologies chroniques telles que : les maladies cardio-vasculaires, les maladies respiratoires chroniques, le cancer et le diabète. C’est ce que l’on appelle la transition épidémiologique. Cette transition épidémiologique est la conséquence de nombreux facteurs. Bien que les liens de causalité soient difficiles à établir en santé publique, cette dernière peut notamment être attribuée aux habitudes de vies contemporaines (alimentation inadéquate, sédentarité, etc.) mais aussi à des facteurs environnementaux tels que la pollution atmosphérique, l’usage intensif de pesticides, les perturbateurs endocriniens etc. Ces pathologies chroniques sont rarement isolées et représentent souvent des facteurs qui potentialisent d’autres maladies. Par exemple : Le diabète est un facteur de risque des maladies cardio-vasculaires.

Cette nouvelle réalité épidémiologique est plus évidente pour une infirmière qui, comme moi, travaille dans le secteur des soins intensifs. D’autant plus, lorsqu’on connait les conséquences engendrées par ces soins et que l’on est confronté à des patients/des familles en détresse non seulement sur le plan émotionnel mais parfois aussi sur le plan financier. Dispensant quotidiennement des soins curatifs de haute technicité, nous sommes amenés à nous interroger sur les soins préventifs, dispensés en amont, pour prévenir ces pathologies. Ne devraient-ils pas être la priorité ? Sont-ils dispensés en quantité et en qualité suffisante ?

Santé Publique et Promotion de la santé

La Santé Publique s’interroge sur les facteurs qui déterminent la santé des individus et sur les relations qui existent entre ces facteurs. Elle suggère un lien étroit entre la santé des individus et l’environnement dans lequel ils évoluent. La promotion de la santé est donc perçue comme un moyen pour tenter de modifier l’environnement dans lequel les individus évoluent afin de le rendre plus favorable à leur santé. Par exemple : promouvoir l’exercice physique pour lutter contre la sédentarité, elle-même facteur de risque des maladies cardio-vasculaires.

Quelques constats liés à l’environnement de vie des êtres-humains

Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qualifie la situation actuelle d’« alarmante ». Selon leur dernier rapport de 2018, les activités humaines auraient déjà provoqué un réchauffement climatique de 0,8 à 1,2°C au-dessus des niveaux préindustriels. Certains impacts de ce réchauffement peuvent être irréversibles et engendrerons des répercussions délétères sur l’homme et sur sa santé. Le tout nouveau rapport annuel publié dans la revue médicale « The Lancet » et intitulé : « Compte à rebours sur la santé et le changement climatique » abonde en ce sens.  Selon ce rapport, un enfant né aujourd’hui respirera un air plus toxique qu’auparavant, cette toxicité est en relation directe avec la consommation des combustibles fossiles et est aggravée par la hausse des températures. La sonnette d’alarme est tirée, la prévalence des maladies respiratoires comme l’asthme augmentera, tout comme les risques cardiaques. Le réchauffement climatique sera également un facteur favorisant la malnutrition et l’émergence ou la prolifération des maladies infectieuses.

 

On assiste néanmoins à une prise de conscience collective à travers le monde et à l’émergence de nombreuses initiatives en faveur du développement durable.

 

Que peut-on faire ?

LE GIEC recommande des mesures d’atténuation, c’est-à-dire d’intervention de l’homme pour d’une part réduire les sources d’émissions de gaz à effet de serre et d’autre part, augmenter les puits de gaz à effet de serre, comme par exemple par la reforestation. De plus, il invite à la résilience, soit la réorganisation/la transformation du système (économique, social et environnemental) pour répondre à un événement ou à une tendance dangereuse, dans ce cas-ci, le réchauffement climatique. C’est précisément ce que le mouvement de la transition vise à faire.

À Remouchamps, sur la commune d’Aywaille, comme dans les nombreuses autres communes où la Transition s’établi,  les citoyen∙ne∙s tentent de bâtirent une communauté résiliente. Cette communauté favorise des modes de vie plus écologiques au niveau local en développant les circuits courts, une mobilité douce, des potagers collectifs, en utilisant une monnaie locale (à Aywaille il s’agit du Val’heureux), en organisant des conférences et des événements pour sensibiliser à l’écologie, en renforçant le lien social et la solidarité. La Transition citoyenne de Remouchamps (commune d’Aywaille) prend de l’importance. En s’associant à d’autres initiatives de Transition de la région, elle est devenue une ASBL : « Terre De Mains ».

Transition et santé

A l’heure où on entend de plus en plus parler de Transition et compte tenu des constats précités, il semble légitime de s’interroger sur le lien qui existe entre les initiatives de Transition citoyenne et la santé. Nous pouvons alors nous demander : « Est-ce que la pratique de la Transition citoyenne a un effet bénéfique sur la santé ? ». Un examen de la littérature scientifique m’a permis de confirmer le potentiel bénéfice sur la santé des initiatives de transition. C‘est la raison pour laquelle j’ai décidé de réaliser une étude de besoins. Cette dernière visant à mettre en lumière les besoins de la population étudiée est une étape préalable à toute stratégie de promotion de la santé. Je me suis alors demandé : « De quoi la population a-t-elle besoin pour être motivée à participer à une initiative de Transition ? Qu’est ce qui favorise cette participation mais aussi quels sont les obstacles à cette participation ? ». A contrario, je me suis également demandé s’il existait des risques liés à l’émergence de ces initiatives de transition.

Verdict

On peut constater une certaine rareté des sources documentaires traitant de l’impact sur la santé des initiatives de Transition. Certaines études soulignent toutefois leurs effets bénéfiques. Au niveau local, le lien social se voit renforcé, le soutien et la collectivité accroissent la motivation à agir. La santé peut se voir préservée par une alimentation de qualité. En effet, la transition promeut une alimentation saine, locale et de saison. Les produits accessibles en circuit courts sont généralement plus frais, moins transformés, moins traités et donc plus sains pour la santé. La réduction de l’utilisation de la voiture et la promotion des activités extérieures ont pour effet l’augmentation de l’activité physique (vélo, marche, jardinage etc.) dont les effets sur la santé ne sont plus à démontrer. Une réduction du stress par le biais de la solidarité, de l’entraide et du soutien mutuel a également été constaté. Au niveau global, la valeur ajoutée en termes de santé est en lien avec une alimentation raisonnée, une réduction de l’utilisation effrénée des ressources de la terre et la réduction de l’impact de l’homme sur la planète.

Cependant cet examen global a également permis de mettre en évidence certains points d’attention relatifs à l’émergence de ces initiatives.  Celui qui s’avère être problématique pour le domaine de la santé est celui-ci : on observe un manque de diversité des membres au sein des groupes de Transition et un problème d’inclusivité est soulevé. Or, l’équité est une valeur fondamentale de la promotion de la santé. On ne peut pas risquer de renforcer les inégalités de santé. La santé est un droit fondamental pour tous et les actions de promotion de la santé doivent en tenir compte.

Stratégie d’action

Etant donné le potentiel « atout santé » de la transition dont témoignent les résultats décrits ci-dessus, Nous proposons une stratégie de promotion de la santé par l’action environnementale. Elle comporte six axes :

  1. Une campagne de sensibilisation sur le lien entre santé et environnement ainsi que sur l’existence des initiatives de Transition (conseils et informations).
  2. La rédaction et la distribution d’un guide simple des gestes quotidiens ayant un impact environnemental et sur la santé humaine.
  3. L’engagement de spécialistes dans les écoles pour communiquer sur l’environnement.
  4. Créer une coopérative pour l’achat de produits sains et locaux.
  5. Impliquer d’avantage les politiques dans la préservation de l’environnement et de la santé.
  6. Travailler sur l’inclusivité et la diversité des membres au sein des groupes des initiatives de Transition.

Pour conclure…

La Transition citoyenne semble représenter une opportunité en termes de Santé Publique. Les professionnels de la santé doivent prendre conscience du bienfait que les actions en faveur du développement durable ont sur la santé de leurs patients. Ils sont la première ligne et disposent d’une certaine notoriété pour immiscer le changement et promouvoir un élan collectif auprès des citoyens. Aujourd’hui nous conseillons à nos patients d’arrêter de fumer, de pratiquer l’exercice physique, d’adopter une alimentation saine. Il faut bien évidement continuer à dispenser ces recommandations et même renforcer la prévention.  Cependant, soigner son environnement au sens large, soit préserver la santé de la planète en adoptant des mesures de résilience et d’atténuation est probablement une recommandation nouvelle à ajouter à cette « to do list to be healthy ». Car la santé humaine est intimement liée à celle de notre planète.

Pauline Minguet

L’intégration socio-professionnelle des primo-arrivants en Wallonie ; un véritable processus à double sens ?


La grammaire française traduit bien le nécessaire processus à double sens pour l’intégration: on intègre les nouveaux venus – les nouveaux venus s’intègrent. L’intégration socio-professionnelle prévue dans le dispositif d’accueil des primo-arrivants mis en place par la région Wallonne  se conforme-t-elle bien à ce processus à double sens? Analyse par Pascale Felten, Diplômée Uliège, volontaire Eclosio et participante aux ateliers d’écriture d’Eclosio


L’accès au marché du travail constitue un facteur clé pour l’inclusion des personnes primo-arrivantes[1] au sein de leur société d’accueil. En effet, l’emploi mène non seulement à une rémunération, mais permet aussi la construction de l’identité sociale et permet une certaine acquisition d’autonomie (Yakushko, Backhaus, Watson, 2008 ; Stokkink, 2011). Or, nombreuses sont les barrières à l’emploi que rencontre cette population en Wallonie, ce qui provoque des écarts considérables entre le taux d’emploi des autochtones et celui des allochtones (Adam, Van Dijk, 2015).

En Wallonie, la politique d’intégration des primo-arrivants[2] est du ressort de la Région wallonne, qui a instauré dans ce cadre le parcours d’intégration en 2014. Ce dernier, ayant subi plusieurs révisions, dont la dernière réalisée en novembre 2018, se compose de 4 modules : « un module d’accueil personnalisé ; une formation à la citoyenneté ; une formation à la langue française si besoin ; une orientation socio-professionnelle si besoin. » (Décret, 2018). Les primo-arrivants sont dans l’obligation de suivre ce parcours dans un délai de 18 mois à partir de leur inscription à la commune.

Notre recherche s’est intéressée plus particulièrement au dernier module, à savoir le dispositif d’orientation socio-professionnelle[3], en se demandant si ce-dernier répond de façon efficace aux besoins de la population primo-arrivante. De plus, nous avons tenté de savoir si ce dispositif s’inscrit réellement dans une optique de l’intégration comme étant un processus à double sens. Ainsi, le primo-arrivant arrive sur le territoire avec un certain nombre de ressources et de compétences, mais il importe aussi que la société lui accorde les moyens nécessaires pour arriver à une réelle intégration. Afin d’adresser cette question, nous avons mené une recherche qualitative durant laquelle nous avons rencontré 8 professionnels du secteur œuvrant en Province de Liège ainsi que 17 primo-arrivants habitant sur ce territoire, entretiens auxquels s’ajoutent plusieurs observations de terrain au Forem, au CRIPEL et au CRVI[4]. Cette recherche nous a amené à identifier six éléments clés, à leur tour composés de différentes variables, qui influencent l’accès au marché de l’emploi des primo-arrivants, et qu’il importe par conséquent de prendre en considération dans les politiques d’intégration socio-professionnelle de ce public.

Le choix professionnel

Ainsi, le premier constat est que les primo-arrivants manquent de choix quant à leur orientation professionnelle. Des éléments légaux, tels que le titre de séjour, le permis de travail, mais aussi le temps et l’attente liés aux procédures d’asile influencent le projet professionnel et la disponibilité sur le marché du travail de la personne (Yakushko, Backhaus, Watson, 2008). Les primo-arrivants sont ainsi souvent ‘accaparés’ par ces contraintes légales et ne disposent pas réellement du temps pour mettre en place leur projet professionnel. De plus, les procédures de reconnaissance des diplômes et de validation des compétences représentent un obstacle majeur, au vu de leur lourdeur administrative et leur coût considérable. Par ailleurs, cette reconnaissance ne se fait souvent que partiellement, amenant les personnes à devoir se reformer ou se réorienter vers un emploi qui ne correspond pas à leurs véritables compétences (Manço, Gatugu, 2018).  À ces difficultés de l’ordre légal s’ajoutent les barrières causées par une éventuelle non-maitrise de la langue française. En effet, même si certains professionnels de l’intégration soulignent la possibilité d’un apprentissage de la langue en travaillant, la maitrise de celle-ci semble quasi indispensable en Wallonie, encore peu ouverte à des dispositifs tels que les cours de langue orientés métier ou dispensés au sein des entreprises. Finalement, nos recherches ont confirmé un manque accru de formations adaptées et accessibles. Ainsi, les primo-arrivants sont régulièrement confrontés à un temps d’attente important pour entamer une formation, par ailleurs pas toujours adaptée[5] aux besoins réels des personnes. Notons en outre que les personnes sont orientées systématiquement vers des métiers dits « en pénurie », ce qui accélère le phénomène d’ethnostratification observable dans certains secteurs tels que la construction ou l’horeca.

Se retrouver dans la nouvelle société

Un autre aspect non-négligeable dans le processus d’intégration est la capacité d’orientation de la personne. Celle-ci dépend bien évidemment des compétences individuelles de chacun, d’où l’importance de proposer un accompagnement plus individualisé, répondant aux besoins réels de la personne. Cependant, à ces compétences s’ajoute l’importance d’un accompagnement concernant la compréhension des codes sociaux du pays d’accueil. Le fait de comprendre les normes du nouveau pays en termes d’interactions sociales et professionnelles est essentiel pour trouver un emploi et pour développer sa carrière professionnelle (Yakushko, Backhaus, Watson, 2008). De plus, il peut être très difficile de comprendre le paysage institutionnel wallon, habité par une multitude d’acteurs différents, ce qui impacte leur accès au marché du travail. En effet, afin d’entrer sur le marché du travail wallon, les personnes doivent souvent contacter un nombre élevé d’acteurs et d’organismes différents, face auxquels les difficultés de pouvoir s’orienter augmente considérablement. Ces difficultés sont, in fine, encore augmentées par un manque accru d’interprètes disponibles au sein des différents services, ce qui freine une bonne compréhension et communication.

Être prédisposé au travail

Un troisième aspect à prendre en considération dans l’analyse du dispositif d’intégration wallon est la prédisposition des primo-arrivants au travail. Tous les primo-arrivants ne sont pas prêts à entrer effectivement sur de marché du travail, et ce pour différentes raisons. Le parcours migratoire peut par exemple impacter leur santé, physique et mentale. À ces expériences traumatisantes peuvent s’ajouter des sentiments d’impuissance ou de mal-être face à ce nouveau pays et les nombreuses barrières que ces personnes peuvent rencontrer. En outre, des besoins en termes de sécurité et de logement peuvent primer, dans un premier temps, sur la volonté d’une mise à l’emploi. Or, ces éléments sont finalement très peu pris en compte par les politiques d’intégration, qui obligent toute personne primo-arrivante à suivre le parcours d’intégration, sans prise en compte des variables individuelles qui peuvent devenir un obstacle à la réalisation de celui-ci. Ceci est par ailleurs en complète contradiction avec l’objectif d’émancipation énoncé dans le décret.

Les obstacles à l’accès au marché de l’emploi

À ces constats s’ajoutent d’autres obstacles à l’accès au marché du travail. Ainsi, la discrimination à l’embauche représente un enjeu structurel majeur, intimement lié à la présence de stéréotypes et de discours populistes au sein de notre société. De plus, nous avons pu constater un manque important de contacts entre les organismes organisant le module d’intégration et le monde des entreprises, ce qui empêche la véritable mise au travail du primo-arrivant à la fin du parcours d’intégration. En outre, les entreprises ne sont pas impliquées dans la création et la mise en œuvre des dispositifs, ce qui pourtant améliorerait l’efficacité de ces pratiques de par une meilleure cohérence entre les besoins des entreprises et l’offre de travailleurs (Samek Lodovici, 2010 ; Birwe, 2018). Par conséquent, un travail de collaboration avec les entreprises ainsi qu’une démarche de sensibilisation aux avantages inhérents à l’emploi des primo-arrivants semble essentiel à leur intégration.

Les inégalités géographiques et de genre

Nous pouvons aussi constater des inégalités géographiques ainsi que de genre. Tout d’abord, il existe une inégalité en termes de services proposés et de nombre d’associations présentes d’un territoire à un autre. Ainsi, les territoires ruraux sont très peu desservis de services d’aide aux primo-arrivants, difficulté à laquelle s’ajoute le fait que ces territoires sont aussi peu desservis en transports publics (Gossiaux, Mescoli, Rivière, 2019). De plus, la non-reconnaissance de nombreux permis de conduire étrangers augmente davantage cette barrière, ce qui mène à une concentration des primo-arrivants dans les grandes villes, là où ils ont le plus de chances de trouver un emploi. En ce qui concerne les inégalités géographiques, ajoutons qu’au sein de la Wallonie, la façon dont le dispositif est mis en place ainsi que la plus ou moins grande qualité de collaboration entre les acteurs de terrain peuvent diverger fortement. Par conséquent, nous pouvons pointer une certaine inégalité de traitement en fonction du lieu de vie du primo-arrivant.

À ces inégalités géographiques viennent s’ajouter des inégalités de genre : les femmes sont souvent victimes de discriminations sur le marché de l’emploi. Par conséquent, les femmes primo-arrivantes doivent faire face à des discriminations multiples, amenant au phénomène de genrostratification (Stokkink, 2012) dans certains secteurs professionnels. A ceci s’ajoutent les contraintes liées à la vie familiale, telle que la garde des enfants. Les femmes primo-arrivantes ayant généralement un réseau de soutien moins développé que les femmes allochtones, le manque de structures de garde pour les enfants pose un problème de taille quant à leur mise à l’emploi, pourtant très peu pris en compte par le dispositif (Gossiaux, Mescoli , Rivière, 2019).

Conclusions

Plusieurs éléments vont donc influencer le processus d’intégration socio-professionnelle des primo-arrivants, et ce à des degrés variables en fonction des individus. Ce constat nous amène à affirmer qu’il faut un dispositif plus individualisé, prenant mieux en compte les difficultés spécifiques et valorisant davantage les compétences de chacun. Ainsi, le dispositif actuel, qui propose une solution unique, trop linéaire, pour tous les primo-arrivants n’est, de facto, pas adapté aux réalités observables sur le terrain. Afin d’arriver à un dispositif plus adéquat, il importe donc d’accorder davantage de moyens aux différents opérateurs de terrain, afin que ceux-ci puissent accorder plus de temps à un accompagnement plus individualisé et basé sur une vision plus humaine et bienveillante. De plus, augmenter les moyens permettrait un dispositif de plus grande qualité, ce qui parait indispensable au vu du caractère obligatoire de celui-ci.

Même si les barrières à l’intégration touchent les niveaux micro, méso et macro de la problématique, nous pouvons constater que le dispositif actuel ne se concentre que sur les aspects micro, c’est-à-dire  individuels de la problématique. Ainsi, s’inscrivant dans une certaine logique d’activation, il vise à développer les compétences des individus, tels que la maitrise de la langue et des codes sociaux. Cependant, le dispositif ne se concentre que très peu sur le niveau méso, comme par exemple sur le lien avec le monde des entreprises ou sur le développement du réseau social et professionnel des primo-arrivants. Les barrières structurelles sont, elles aussi, insuffisamment prises en considération par le dispositif car très peu d’initiatives contre la discrimination à l’embauche ou pour une valorisation de la diversité sont finalement soutenues.

Nous pouvons donc constater que le dispositif actuel ne favorise finalement pas réellement une intégration comme étant un processus à double sens, alors qu’une mise à l’emploi rapide des primo-arrivants serait bénéfique, non seulement pour les personnes elles-mêmes, mais aussi pour la société d’accueil.

Pascale Felten

Bibliographie

  • Adam Ilke et Martiniello Marco, 2013, « Divergences et convergences des politiques d’intégration dans la Belgique multinationale. Le cas des parcours d’intégration pour les immigrés », Revue européenne des migrations internationales, 29(2), pp. 77-93.
  • Adam Ilke, Van Dijk Mathijs, 2015, « Une meilleure insertion professionnelle des personnes issues de l’immigration : allons au mainstreaming », Policy briefs, Institute for European Studies, Bruxelles.
  • Adam Ilke et Van Dijk Mathijs, 2015, « Renforcer la coopération institutionnelle pour améliorer l’accès des personnes issues de l’immigration au marché du travail », Koning Boudewijnstichting, Brussels.
  • Birwe Habmo, 2018, « Primo-arrivants faiblement qualifiés : dispositifs d’insertion professionnelle dans quelques pays européens », dans Manço Altay et Gatugu Joseph, 2018, Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, éditions de l’Harmattan, collection « Compétences Interculturelles », Paris.
  • Cocagne Romuald et Stokkink Denis, 2018, « L’intégration des migrants par le travail », Collection « Notes d’analyse », RSE & Diversité.
  • Felten Pascale, 2019, « Dans quelle mesure les dispositifs d’intégration socio-professionnelle en Wallonie favorisent la capacitation des primo-arrivants à l’intégration sur le marché du travail ? », mémoire en sciences de la population et du développement, Université de Liège.
  • Gossiaux Axel, Mescoli Elsa, Rivière Mylène, 2019, « Rapport de recherche n°33. Evaluation du parcours d’intégration et du dispositif ISP dédiés aux primo-arrivants en Wallonie », Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique.
  • Manço Altay, 2008, Valorisation des compétences et co-développement. African(e)s qualifié(e)s en immigration, l’Harmattan, collection « Compétences Interculturelles », Paris.
  • Manço Altay et Felten Pascale, 2018, « Impact sur l’emploi des travailleurs immigrés qualifiés des projets d’insertion : évaluation sur le long terme du projet VITAR II », article accepté pour publication dans un ouvrage de la collection « Compétences Interculturelles » des éditions de l’Harmattan, Paris.
  • Manço Altay et Gatugu Joseph, 2018, Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, éditions de l’Harmattan, collection « Compétences Interculturelles », Paris.
  • Martiniello Marco, Rea Andrea, Timmerman Christiane, Wets Johan, 2009, Nouvelles migrations et nouveaux migrants en Belgique, Academia Press, Gent.
  • Pironet Didier, 2018, « L’intégration des demandeurs d’asile sur le marché du travail. Etat de la situation en 2017 », Labour-INT, CEPAG.
  • Région Wallonne, 2018, « Décretmodifiant le livre II de la deuxième partie du Code wallon de l’Action sociale et de la Santé relatif à l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère ».
  • Samek Lodovici Manuela, Centre européen de recherche en politique sociale, 2010, « Réussir l’insertion des immigrés sur le marché du travail. Rapport de synthèse », Rapport de synthèse pour le compte de la Commission européenne, Emploi, affaires sociales et inclusion.
  • Stokkink Denis, 2011, « L’intégration des Primo-arrivants en Wallonie et à Bruxelles », Les Cahiers de la Solidarité, n°29.
  • Stokkink Denis, 2012, « Les primo-arrivants face à l’emploi en Wallonie et à Bruxelles », Cahiers de la Solidarité, n°30.
  • Xhardez Catherine, 2014, « Parcours d’intégration entre soutien et sommation » Agenda Interculturel, n°319, pp. 16-19.
  • Yakushko Oksana, Backhaus Autumn, Watson Megan, Ngaruiya Katherine, Gonzalez Jaime, 2008, « Career Development Concerns of Recent Immigrants and Refugees », Journal of Career Development, 35 n°4.

[1] En Wallonie, le décret du 8 novembre 2018 définit les primo-arrivants comme « Les personnes étrangères séjournant légalement en Belgique depuis moins de trois ans et disposant d’un titre de séjour de plus de trois mois, à l’exception des citoyens d’un état membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen, de la Suisse et des membres de leur famille ».

[2] Pour des raisons de lisibilité, nous avons pris la décision de ne pas opter pour l’écriture inclusive. Notons cependant qu’en utilisant le terme ‘primo-arrivant’, nous considérons autant les femmes que les hommes.

[3] Ce module prévoit un accompagnement d’une durée de 4 heures, réalisé conjointement par les Centres Régionaux d’Intégration et le Forem.

[4] Le CRIPEL (Centre Régional pour l’Intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège) et le CRVI (Centre Régional de Verviers pour l’Intégration) font partie des 8 Centres Régionaux d’Intégration chargés de soutenir la politique d’intégration des personnes d’origine étrangère en Wallonie.

[5] Notons à ce sujet le manque de formations en alternance, de formations rémunérées ainsi que les tests d’entrée en formation qui se déroulent quasi toujours exclusivement en français.

La coopération Sud-Sud : une alternative plus égalitaire ?


La coopération entre États du Nord et du Sud restent marquée par des relations déséquilibrées à l’avantage des premiers. La coopération Sud Sud serait-elle plus égalitaire? Étude de cas de coopération Indo-sénégalais par Bénédicte Bazyn diplômée Uliège et participante aux ateliers d’écriture d’Eclosio


En général, la coopération au développement est perçue positivement. Aider les populations les plus désavantagées afin de créer un monde plus juste semble, effectivement, être un acte noble. Cette vision est cependant à nuancer. Si l’on y regarde de plus près, on constate qu’un paternalisme occidental reste souvent présent sur la scène internationale. Plus précisément, on remarque que si les pays occidentaux viennent en aide aux autres, se conférant une image de sauveurs et d’exemple à suivre, ils conservent dans le même temps des relations déséquilibrées à leur avantage. La coopération est-elle forcément intéressée ? Ou peut-on avoir des relations d’entraide égalitaire entre pays ?

Pour répondre à ces questions explorons un autre schéma de coopération internationale en place : la coopération Sud-Sud. Nous en entendons peu parler mais les relations dites « Sud-Sud » sont monnaie courante. Pour en savoir davantage, explorons un exemple précis. Mesdames et messieurs, attachez vos ceintures, nous décollons pour Dakar, capitale du Sénégal, afin d’analyser un projet médical indo-africain.

Qu’entendons-nous par « Sud-Sud »

Comme son nom l’indique, la coopération Sud-Sud fait référence à des relations d’aide entre nations dites « du Sud ». Pour rappel, on parle de « Sud » pour faire référence aux Etats qui possèdent un PIB faible, par opposition aux pays « du Nord », ou occidentaux, qui sont qualifiés de « développés ». Cependant, la coopération Sud-Sud ne consiste pas en des liens entre Etats à faibles revenus. En fait, il s’agit de rapports qui lient des pays aux revenus peu élevés à des nations dites émergentes. Ces dernières sont caractérisées par un taux de croissance économique conséquent, des structures économiques semblables aux nations de l’OCDE, malgré un PIB par habitant inférieur à ceux-ci. Généralement, lorsque l’on parle d’émergents, on fait référence aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), mais de nombreux autres pays entrent dans cette catégorie : l’Arabie Saoudite, le Koweit ou la Corée du Sud pour n’en citer que quelques-uns.

L’idée des flux de coopération Sud-Sud est de prendre le contrepied du comportement occidental en la matière. Ainsi, par exemple, les émergents concentrent leur aide sur la mise à disposition de services et la construction d’infrastructures (routes, hôpitaux, etc.), non sur la consolidation d’institutions, à l’instar de l’Occident. Bien sûr, les Etats du Nord ont construit aussi des écoles, des autoroutes ou des hôpitaux dans les pays en développement mais, si l’on se réfère au discours des institutions européennes par exemple, il s’agit d’une stratégie appartenant au passé et ce genre d’action se fait plus rare de nos jours. Les Etats émergeants insistent sur l’aspect empathique de leurs actions, sur les liens qu’ils partagent avec leurs partenaires en tant qu’ex-colonies ou contestataires des inégalités Nord-Sud ; là où les donateurs de l’OCDE agiraient uniquement dans un esprit de charité envers des peuples en détresse. Les émergents garantissent également une expertise basée sur leur propre expérience de développement. Enfin, les échanges Sud-Sud n’impliquent généralement pas de conditions, au contraire des obligations de démocratie qu’exige le Nord. Ils demandent néanmoins des bénéfices pour les deux parties : on parle de rapports « gagnants-gagnants ». En bref, les idées de solidarité  entre pays du Sud et d’émancipation s’opposeraient au paternalisme occidental qui prétend donner des leçons d’humanisme tout en assurant ses propres intérêts.

Le cas de l’Inde, en tant que partenaire d’aide Sud-Sud qui engage des montants toujours grandissants avec l’Afrique, semble particulièrement intéressant à étudier. En effet, New Delhi s’applique à se démarquer de sa principale rivale, la Chine, que beaucoup accusent d’être un nouveau colonisateur. Les indiens reprochent ainsi à leurs concurrents chinois  leur invasion des territoires africains, leur appétit vorace pour les ressources naturelles et leur tendance à ne pas engager de locaux dans les projets qu’ils mettent en place. Les acteurs indiens sont d’autant plus intéressants qu’en tant que leaders des Non-alignés[1] et héritiers de la doctrine de Gandhi, ils se targuent de traiter les pays en développement d’égal à égal.

Un projet révolutionnaire?

Pour lever le voile sur ces rapports méconnus qu’implique la coopération indo-africaine, je vous propose de revenir brièvement sur un projet de télémédecine et de formation médicale continue, implémenté par l’Inde dans quarante-huit pays africains : le Pan African e-Network. La télémédecine, consiste en la fourniture à distance de services de soins par l’intermédiaire de nouvelles technologies. Ainsi, le projet offre à des médecins, notamment au Sénégal, de contacter des confrères indiens, pour répondre à leurs interrogations sur des diagnostics complexes, et d’assister à des séances de formations dans de nombreux domaines médicaux. Ces services ont été, dès le début, assurés grâce à un système de connexion hybride (fibre optique et satellite), dans le but de permettre un accès universel aux soins et à la connaissance en matière de santé.

Ça, c’est ce que tout à chacun peut trouver dans les accords réunissant le gouvernement indien et l’Union Africaine, mais qu’en est-il dans la réalité ? Pour le savoir, rendons-nous à Dakar, dans un grand hôpital universitaire partie prenante du projet indien[2]. Les dialogues que permet ce dernier rendent évident un échange scientifique bénéfique pour les praticiens sénégalais. En contre-partie, leurs confrères en Inde reçoivent une rémunération pour chaque séance dispensée. Chacun semble y trouver son compte. Cependant, dans sa conception-même, le projet implique un déséquilibre : les médecins de Dakar se placent en apprenant lorsqu’ils demandent des conseils ou suivent des formations. En creusant un peu, on se rend compte que les inégalités ne s’arrêtent pas là. En effet, selon mes interlocuteurs de l’hôpital dakarois, les indiens ne semblent pas partageurs. De la mise en place et la maintenance des machines du réseau à la définition des horaires de séances, tout est assuré par les indiens. On est loin des promesses faites par New Delhi d’engager des locaux. Néanmoins, le Sénégal incarne une exception en Afrique dans la mesure où, suite à une importante lutte auprès des institutions concernées, le pays a obtenu de pouvoir former ses propres techniciens pour assurer la gestion du système. Cette particularité s’arrête toutefois à l’entretien du matériel, puisque New Delhi n’a pas lâché la bride sur les autres pans du partenariat. Par exemple, le personnel sénégalais n’a jamais été informé des mots de passe permettant l’accès aux différents serveurs.

La bonne volonté sénégalaise n’a pas non plus suffi à maintenir en vie le projet, qui a été mis en sommeil dès 2017 après huit ans d’activité. Depuis lors, aucune machine indienne ne peut ne serait-ce qu’être allumée. Cet arrêt était à prévoir. Premièrement, la vétusté des antennes paraboliques et des ordinateurs utilisés laissait peu de chance à la durabilité du réseau. D’autant plus qu’il n’a pas réellement été question, du côté indien, d’investir dans une technologie plus moderne. Deuxièmement, le passage de tutelle du projet à l’Union Africaine, prévu pour 2014, n’a jamais été suivi des volontés et des financements nécessaires à sa reprise par les Etats d’Afrique. Enfin, le Pan African e-Network a été annoncé dès son lancement comme un projet «  clé en main ». Cela signifie qu’il s’est appliqué de manière identique dans chaque nation participante, ce qui pose un problème. Voir l’Afrique comme un ensemble de pays identiques dans leurs situations et besoins est effectivement une grave erreur. On peut ainsi penser qu’en voyant trop grand, les indiens se sont lancés dans une partie perdue d’avance. Le réseau sera-t-il un jour remis en fonction ? Plusieurs rumeurs circulent, la plus probable étant celle de la conversion du projet en un nouveau réseau, encore plus vaste, et entièrement dirigé par l’Inde, malgré les réticences émises par certains Etats participants. Cela serait une tournure logique de la politique nationaliste que mène actuellement le Premier Ministre indien Narendra Modi.

Une question demeure : pourquoi New Delhi désire-t-elle conserver par-dessus tout ce partenariat alors qu’il semble avoir déjà montré ses limites ? En réalité, l’Inde a des intérêts en Afrique et non des moindres. Cela justifie sa présence au Sénégal même si celle-ci n’est pas semblable à celle de pays considérés comme envahisseurs, tel que la France ou la Chine, qui semblent omniprésents dans plusieurs quartiers de Dakar. La présence indienne est illustrée par quelques commerces, la marque automobile TATA, dont sont issus de nombreux bus circulant dans les rues de la capitale, ou encore les films et séries de Bollywood diffusés à la télévision. Mais c’est surtout dans les échanges commerciaux qu’on repère l’Inde. Elle est effectivement le deuxième plus grand importateur de produits sénégalais, surtout en matière de ressources énergétiques comme le phosphate. N’exportant vers son partenaire africain que des produits finis, les indiens répètent le schéma des échanges Nord-Sud qu’ils s’appliquent à dénoncer. Il arrive même que des denrées produites au Sénégal, comme les arachides, soient transformées et empaquetées en Inde avant d’être revendue dans leur pays d’origine sous le label « made in India ». En outre, New Delhi cherche à se garantir auprès du gouvernement sénégalais un allié sur le plan géopolitique afin d’obtenir un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU. Tous ces éléments indiquent que, même pratiquée par la nation se revendiquant de Gandhi, la coopération Sud-Sud n’est pas moins inégale que celle que nous pouvons dénoncer dans nos pays aujourd’hui.

Un avenir sombre?

Les relations de coopération Sud-Sud semblent aussi tomber dans les mêmes travers d’inégalité et de rapports de force. Devons-nous désespérer pour l’avenir de ce secteur ? Pas pour autant. En fait, plusieurs chercheurs affirment que les relations, aussi bien Sud-Sud que Nord-Sud, peuvent s’équilibrer à condition que les Etats en développement adoptent des positions plus fermes quant à leurs ambitions et leurs besoins. Il s’agit pour eux d’exiger une coopération plus juste qui leur permettrait de mettre en œuvre une stratégie qu’ils ont eux-mêmes déterminée. Ces pays peuvent aussi tirer profit de la concurrence que se livrent les pays occidentaux et émergents pour toucher aux richesses de leurs terres. Enfin, s’appuyer sur le transfert de technologies pour développer les entreprises est une stratégie non négligeable.

De plus, tout n’est pas sombre dans des projets comme le Pan African e-Network. Si sa mise en place laisse à désirer, l’outil télémédical présente un intérêt certain. Les nouvelles technologies sont devenues nécessaires pour le développement des nations, notamment dans le domaine des soins de santé, et le partage de celles-ci est une opportunité certaine. La possibilité de connecter des petits hôpitaux à de grandes infrastructures, débordant de spécialistes, peut permettre un accès plus vaste aux soins. L’installation d’un réseau de télémédecine a d’ailleurs été lancée par le gouvernement sénégalais afin de connecter les différentes régions entre elles. Cela représente une perspective d’avenir très positive.

Bénédicte Bazyn

[1] Le mouvement des Non-alignés a été officiellement lancé lors de la conférence de Belgrade, en 1961, à l’initiative du dirigeant indien Jawaharlal Nehru. À l’origine, il regroupait des pays en développement qui refusaient d’opter pour le camp d’une des deux superpuissances de l’époque (URSS et Etats-Unis). Cet ensemble d’Etats nouvellement indépendants aspirait en outre à un monde plus égalitaire et à développer des activités commerciales et de coopération entre pays du Sud.

[2] Les informations suivantes ont été recueillies dans le cadre de la réalisation d’un mémoire de fin d’étude sur le sujet. Pour ce faire, une étude de terrain a été menée au sein de l’hôpital susmentionné.

Game of Thrones et la représentation de l’altérité


Au travers des batailles épiques, des intrigues politiques, des pérégrinations des protagonistes… de  Game of Thrones se dessinent des représentations de l’altérité qui viennent marquer l’imaginaire des millions de spectateurs qui ont suivi la série. Décorticage par Gwen Horion, diplômée de l’Uliège 2019 et participante aux ateliers d’écriture d’Eclosio.


 

Des batailles épiques, des intrigues politiques complexes, de la nudité et même des dragons, Game of Thrones avait la recette parfaite pour créer un blockbuster mondial. En effet, la série fantastico-médiévale créée par David Benioff et D. B. Weiss n’est plus à présenter : depuis la diffusion du tout premier épisode en 2011, la série n’a cessé d’enchainer les succès, tant de la part de la critique que du public. Devenu un véritable phénomène médiatique et culturel, Game of Thrones a inspiré à toute une communauté de fans mais aussi au monde académique de nombreuses théories et interprétations. En effet, Game of Thrones a le mérite de susciter le débat : la série est-elle féministe ou au contraire sexiste ? Comment l’Histoire a-t-elle influencé l’intrigue ? Quelles leçons philosophiques la série nous apporte-t-elle ? Comment la différence est-elle représentée dans le show ? C’est bien cette dernière question qui va nous intéresser dans cet article. Car, dans un monde qui se veut de plus en plus multiculturel, la représentation de la différence est essentielle pour promouvoir le vivre-ensemble. Pour une meilleure compréhension du débat, une petite base théorique s’impose.

Qu’est-ce que l’altérité ?

L’altérité est un concept qui peut relever de nombreuses disciplines comme la philosophie, la sociologie ou encore la géographie. Définie de manière simple, l’altérité est caractéristique de tout ce qui est autre, distinct, différent de nous en tant qu’individu mais aussi en tant que communauté. L’altérité peut se présenter sous de nombreuses formes : l’Autre peut avoir une couleur de peau différente, une culture différente, une sexualité différente, un genre différent, et caetera. Ce concept est particulièrement important dans les études postcoloniales car l’existence de l’Autre est cruciale pour définir ce que l’on considère comme « normal » et pour pouvoir se situer dans le monde. En effet, d’après la sociologue britannique Sara Ahmed, la figure de l’Autre est indispensable à la formation de l’identité (individuelle ou communautaire) : c’est en définissant qui n’appartient pas à un groupe que l’on distingue qui fait effectivement partie du groupe. L’identité ne se définit donc pas contre la figure de l’Autre, mais grâce à cette figure.

L’Autre est essentiel, et pourtant, il fait peur. Mais cette peur est-elle innée ou le fruit d’un apprentissage ? Pour commencer à répondre à cette question, il est intéressant de regarder comment l’altérité est représentée dans la pop culture, et particulièrement dans les films et les séries télé. En effet, à l’heure de Netflix et du streaming, les films et séries font partie intégrante de notre vie quotidienne et peuvent influencer notre perception du monde en véhiculant ou, au contraire, en renversant les clichés liés à la figure de l’Autre. Alors sans plus attendre, partons pour Westeros et examinons comment l’altérité y est représentée.

L’altérité dans Game of Thrones

Dans le monde de Game of Thrones, de nombreux protagonistes sont des marginaux, c’est-à-dire des personnes qui ne rentrent pas dans les cases que la société féodale et patriarcale de Westeros impose. Pour citer quelques exemples, prenons Bran Stark, un jeune noble paraplégique, sa sœur Arya Stark, qui préfère devenir un assassin redoutable plutôt qu’une parfaite lady, Tyrion Lannister, surnommé « le Lutin » du fait de son nanisme, ou encore Lord Varys, un eunuque qui a réussi à monter les échelons de la société. Tous ces personnages, et bien d’autres encore, ne correspondent pas du tout à l’archétype du héro de série télé, et pourtant Game of Thrones en fait des personnages cruciaux plutôt que de les reléguer au second plan. Le show a donc le mérite de montrer ces personnages comme des êtres à part entière qui ont leur place à Westeros, et non comme une population qu’il faut cacher. La représentation de cette altérité est très importante car elle permet aux téléspectateurs qui s’identifient à ces personnages, ou qui partagent les mêmes caractéristiques que ces personnages, de se sentir représentés, vus et entendus. Comme l’exprime très bien l’acteur britannique Riz Ahmed, se sentir représenté dans les médias, que ce soit dans les films, les magazines ou les publicités, est essentiel car cela montre que l’on est pris en compte et que l’on est légitime. Cependant, être représenté est une chose, mais être représenté de manière réaliste en est une autre.

Daenerys Targaryen et Jon Snow : le feu et la glace

Il serait trop long d’analyser chacun des personnages de la série individuellement pour définir comment l’altérité est traitée dans Game of Thrones. Cependant, deux protagonistes, à savoir Daenerys Targaryen et Jon Snow, se révèlent être particulièrement intéressants dans leur façon de représenter la figure de l’Autre mais aussi dans leurs interactions avec d’autres Autres. En effet, Daenerys Targaryen est une princesse en exil sur le continent d’Essos et est par conséquent une étrangère à la fois sur ce continent inconnu et dans son pays natal. De plus, le fait qu’elle soit une femme (isolée, qui plus est) ne joue pas en sa faveur dans un monde où les femmes sont considérées comme une monnaie d’échange plutôt que comme des êtres humains. Pourtant, Daenerys est déterminée à reprendre le fameux Trône de Fer de Westeros. Elle fait de sa différence une force et joue des codes de la féminité à son avantage pour gagner en force et en popularité.

Le fait que Daenerys affirme sa propre identité et la porte fièrement est d’autant plus frappant qu’il se fait au détriment des différents peuples que Daenerys rencontre sur Essos. En effet, le premier peuple avec lequel Daenerys (et le spectateur) entre en contact sont les Dothraki, un peuple de guerriers nomades à la peau basanée qui vit dans les plaines d’Essos. Les Dothrakis sont représentés comme des êtres sauvages, violents et sans culture, pour qui seule la force physique d’un homme compte. De plus, les Dothrakis parlent une langue qui leur est propre et qui nécessite donc toujours un travail de traduction (grâce à des sous-titres ou via un personnage traducteur). Tout est donc fait pour que les Dothrakis apparaissent diamétralement opposés à Daenerys, mais aussi aux spectateurs eux-mêmes. Certains critiques voient dans les Dothrakis une représentation des peuples nomades d’Amérique du Nord, d’autres les identifient au peuple Mongol, d’autres encore y voient le peuple turc. Le problème qui se pose ici, cependant, n’est pas de savoir ce que représentent les Dothrakis mais plutôt le fait que la série semble assimiler toute personne de couleur à une barbarie et à une brutalité extrême.

De la même manière, les habitants de la Baie des Esclaves que Daenerys côtoient par la suite sont représentés comme particulièrement barbares et cruels, à la différence qu’eux sont clairement assimilables aux arabes, et même plus particulièrement aux arabes musulmans. En effet, comme son nom l’indique, la Baie des Esclaves est une région d’Essos qui prospère grâce à la traite des esclaves et est reconnaissable à son paysage rempli de déserts, de pyramides et de ziggurats. Comme les Dothrakis, les Maîtres de ces régions ont eux aussi un teint olive et des yeux en amandes et s’expriment dans une langue inconnue des téléspectateurs. L’association de ces éléments visuels et sonores, propre au monde arabe et à la religion musulmane, avec une pratique aussi cruelle et inhumaine que l’esclavage n’est pas anodine. Au contraire, cette représentation des musulmans, bien qu’elle ne soit que suggérée, est problématique car elle semble confirmer certains clichés islamophobes qui circulent encore de nos jours.

L’intervention de Daenerys à Essos, que ce soit auprès des Dothraki ou des esclaves de la Baie, est elle aussi problématique. En effet, en forçant les Dothrakis à renoncer à leurs pratiques barbares et en libérant les esclaves contre leur gré, Daenerys perpétue le cliché du « Sauveur Blanc », c’est-à-dire l’idée que les peuples non-blancs ont besoin de l’intervention d’un sauveur occidental afin de les sortir malgré eux de leur misère.

À l’opposé de l’attitude interventionniste et même colonialiste de Daenerys, Jon Snow, lui, est beaucoup plus nuancé dans ses rapports à l’Autre. Jon Snow est également un outsider dans le monde de Game of Thrones à cause de sa naissance : en tant que fils illégitime d’un noble de Westeros, Jon reçoit la même éducation qu’un enfant noble mais il ne peut prétendre à aucun héritage de la part de son père, pas même à son nom de famille. Jon navigue donc entre deux eaux, vivant dans un monde dans lequel il n’a aucune place, et il remet constamment en doute son identité. En rejoignant la Garde de Nuit, c’est-à-dire l’armée qui défend le fameux Mur contre les attaques venant du nord, Jon espère trouver une place aux confins d’une société qui le rejette. C’est là que Jon rencontre les Sauvageons, les peuples vivant au nord du Mur. Comme les peuples d’Essos, les Sauvageons sont représentés comme étant des sauvages, violents et barbares. Cependant, contrairement à Daenerys, Jon ne considère pas les Sauvageons comme un peuple à conquérir mais plutôt comme des alliés potentiels. Après avoir appris à connaître les Sauvageons et leurs modes de fonctionnement, Jon reconnaît que la seule vraie différence entre lui et les Sauvageons est que ceux-ci se trouvent du mauvais côté du Mur. En les faisant passer de l’autre côté de la frontière et en les protégeant de la menace des Marcheurs Blancs, Jon fait des Sauvageons ses alliés et même ses amis, ce qui se révèle utile pendant l’affrontement final avec les Marcheurs Blancs. Jon envisage donc l’Autre d’une manière totalement opposée à Daenerys : là où Daenerys voit l’altérité comme quelque chose de défini et de solide (« nous » versus « eux »), Jon au contraire y voit un espace de négociation où la différence n’est pas inhérente à un individu mais plutôt créée par la société, les coutumes et les schémas mentaux de chacun.

Pourquoi est-ce important ?

En huit saisons, Game of Thrones a réussi à créer un univers où le bien et le mal s’entremêlent et où il est difficile, voire impossible, de différencier les « méchants » et les « gentils ». Ainsi, même si l’attitude de Daenerys est problématique, la jeune fille agit toujours avec l’intime conviction d’œuvrer pour l’intérêt commun, et les nobles actions de Jon sont souvent dictées par ses ambitions personnelles. Le show ne donne donc pas de morale claire sur l’attitude à adopter face à l’altérité, mais il invite plutôt le téléspectateur à adopter un regard critique et à déceler les problématiques qui, à première vue, semblent anodines.

Bien sûr, Game of Thrones est une œuvre de fiction que l’on regarde pour se détendre et non pour en faire une analyse détaillée. Pourtant, comme nous l’avons vu, ce genre de série n’est pas à l’abri de véhiculer (de manière plus ou moins explicite) toute sorte de clichés qui influencent les téléspectateurs. C’est pourquoi il est important d’apprendre dès le plus jeune âge à toujours remettre en question ce que l’on nous présente dans les médias en général. Pour les enfants, le rôle des parents est évidemment important dans ce processus de recontextualisation car ils peuvent accompagner leurs enfants face aux écrans. Il est également indispensable que l’école fasse une place plus importante à l’éducation aux médias afin de sensibiliser les enfants et les adolescents aux messages qui se cachent dans leurs films et séries télé préférés.

Gwen Horion

Bibliographie

  • Série Game of Thrones (saisons 1 à 8), produite par David Benioff et D.B. Weiss (HBO).
  • Ahmed, Sara, Strange Encounters: Embodied Others in Post-Coloniality, Londres, Routledge, 2000.
  • Ahmed, Riz, “Riz Ahmed – Channel4 Diversity Speech 2017 @ House of Commons”, sur https://www.facebook.com/watch/?v=10154393155118997, consulté le 18 avril 2018 (vidéo Facebook).

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques