Harry Potter et l’oppression à travers les animaux fantastiques

Harry Potter et l’oppression à travers les animaux fantastiques
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publié par UniverSud en Avril 2018

Les romans Harry Potter sont mondialement connus et appréciés par tous les publics pour de nombreuses raisons : la présence de magie, d’un monde fantastique qui défoule les passions et provoque une irrésistible envie de s’envoler dans l’imaginaire, l’ambiance sombre qui entoure les aventures épiques du jeune sorcier, etc. Cependant, les célèbres textes de J. K. Rowling n’ont pas été qu’un phénomène médiatique et culturel. En effet, depuis leur sortie, le monde académique se penche sur les aventures du sorcier en herbe dans toutes sortes de domaines. Des physiciens qui cherchent à créer une véritable cape d’invisibilité, jusqu’aux économistes qui analysent de nouveaux systèmes monétaires, en passant par les historiens qui étudient le déroulement de la seconde guerre mondiale en comparaison avec l’avènement de Lord Voldemort, le mage noir ennemi juré de Harry Potter : tous s’abreuvent de la littérature fantastique de J. K. Rowling pour mener à bien leurs recherches.

C’est ainsi qu’en sociologie, l’analyse littéraire du monde fantastique de Harry Potter permet une meilleure compréhension des structures globales des phénomènes d’oppression dans le monde. Comme le dit si bien Sirius Black, le parrain de Harry : « Si tu veux savoir ce que vaut un homme, regarde donc comment il traite ses inférieurs, pas ses égaux. » Comment J. K. Rowling a-t-elle construit la société magique dans ses romans ? Quelles sont les classes privilégiées et celles dominées ? Peut-on comprendre les classes marginalisées dans les romans en tant que métaphores de la lutte des classes qui continue d’exister dans notre réalité ?

Les animaux fantastiques hiérarchisés

Au centre de l’atrium du Ministère de la Magie trône une fontaine, subtilement dénommée « La Fontaine de la Fraternité Magique » afin de masquer son rôle hiérarchisant. Les sorciers qui se baladent au sein du ministère peuvent admirer un elfe de maison, un gobelin et un centaure, tous trois affichant un regard passionné envers le sorcier et la sorcière qui les surplombent. Présentés de manière hypocrite en tant qu’égaux aux êtres humains, ces trois animaux fantastiques – premièrement discriminés par leur appellation « animaux » malgré leur intelligence semblable à l’intelligence humaine – sont en réalité marginalisés, chacun d’une manière différente, par la société magique tout entière.

Prenons les elfes de maison : l’une de ces petites créatures magiques travaille au sein d’une chaumière au service de ses maîtres sorciers et Harry apprendra très vite, durant sa scolarité, à ne pas se morfondre de la servitude dont ces êtres souffrent, car eux-mêmes sont passionnés par leur travail. Le gobelin, au contraire, n’est pas assujetti aux êtres humains mais travaille pour eux à la gestion de la Banque de Gringotts, la banque des sorciers, écrasé par la méfiance et le dégoût marqué par ces derniers envers sa race. Le centaure, quant à lui, être hybride composé d’un torse humain et d’un corps de cheval, est tout bonnement exclu de la société magique et doit vivre reclus au sein de la Forêt Interdite, une forêt interdite d’accès aux êtres humains.

Ainsi, J. K. Rowling nous décrit un monde fortement hiérarchisé où la liberté ne tient pas une grande place au sein des groupes sociaux que forment les trois êtres fantastiques susmentionnés.

Oppression

Avant d’avancer dans l’analyse littéraire de Harry Potter, il est nécessaire de s’arrêter quelques instants sur la notion d’oppression. En effet, dans toute société, certains groupes sociaux en ont toujours dominé d’autres. Karl Marx appelle cela « la lutte des classes ». La sociologue américaine Ann Cudd développe une définition de la notion d’oppression qui attire l’attention lorsque l’on garde en tête le monde hiérarchisé de J. K. Rowling. Ann Cudd définit l’oppression en tant que désordre social provenant d’une injustice indiscutable entre différents groupes sociaux. Un groupe social est un ensemble de personnes unies par des caractéristiques qui définissent leur appartenance au groupe en comparaison à d’autres groupes sociaux. Dans Harry Potter par exemple, les sorciers et les Moldus sont deux groupes sociaux distincts car les uns sont doués de pouvoirs magiques tandis que les autres n’en possèdent pas.

Brièvement résumé, il ne peut y avoir d’oppression dans une société, selon Ann Cudd, que selon quatre conditions : lorsqu’un groupe social est privilégié par rapport à un autre grâce à sa position, lorsque le groupe social inférieur souffre d’une quelconque manière de sa position, lorsque cette souffrance est infligée à un groupe et non à des individus en particuliers, et lorsque la position d’infériorité découle d’une limitation dans les choix qu’ont les groupes sociaux pour se définir dans la société. Ainsi, les sorciers gagnent en puissance en infériorisant les autres êtres magiques : les elfes de maison voient leurs libertés réduites à tel point qu’ils ne peuvent même pas quitter leur travail et se trouver d’autres maîtres à servir ; les gobelins sont considérés comme dangereux à cause de leur culture ; et les centaures croient dur comme fer qu’ils ont eux-mêmes choisi leur exclusion de la société alors qu’elle leur a été infligée par les sorciers.

Notre monde à l’image du monde magique

La beauté des textes de J. K. Rowling et la fascination qu’ils suscitent proviennent probablement des nombreux parallèles que l’on peut tracer entre son univers imaginaire et notre réalité sociale. De fait, chacun des êtres fantastiques cités dans cet article peuvent illustrer métaphoriquement une condition spécifique vécue, voire subie, par un peuple quelque part dans le monde, qu’il ait subit cette condition dans le passé ou qu’il continue à la subir.

Chacun des lecteurs s’étant plongé dans l’univers de Harry Potter aura reconnu à travers l’image de l’elfe de maison assujetti à un maître la condition même de l’esclavage, qui n’a malheureusement toujours pas été éradiqué de notre monde. Même son apparence trahit la servitude de l’elfe, forcé à se balader dans un simple chiffon crasseux à l’image des esclaves américains des siècles passés qui travaillaient dans les champs au service de leurs propriétaires. De plus, résignés et convaincus jusqu’au bout que leur servitude est la plus belle chose qui puissent leur arriver, les elfes de maison illustrent à la perfection les serfs au Moyen-Âge. Certains pourront aller jusqu’à comparer leur situation à celle des classes prolétaires du XIXe siècle, assujetties par des patrons et leur course à l’enrichissement.

Le groupe le plus facilement identifiable reste celui des gobelins, en ce que leur apparence est décrite dans les romans de manière similaire à celle de la communauté juive, avec tous les stéréotypes qui abondent dans la littérature lorsqu’un auteur désire développer le sujet du racisme culturel. Le sociologue Robert Young, qui a travaillé sur la colonisation des peuples, définit le racisme et la culture comme intrinsèquement liés : il n’existe pas l’un sans l’autre. Autrement dit, le racisme découle de la différence de cultures entre les groupes sociaux, ou encore : la culture est toujours construite racialement, en fonction de ses différences avec les autres groupes sociaux. Lorsqu’un groupe social diffère nettement d’un autre par sa culture, celle-ci est automatiquement considérée comme dangereuse et représente une menace pour les autres, en témoignent les nombreux conflits qui inondent l’actualité à la suite d’un retour vers des communautarismes tristement assumés : qu’ils soient indépendantistes ou unionistes, extrémistes religieux, etc., les conflits sociaux découlent toujours de la peur de voir son confort bouleversé par le mélange de cultures.  À travers ses romans fantastiques, J. K. Rowling remet ainsi au goût du jour le difficile sujet du dégoût et de la haine, qui n’a eu de cesse, à toute époque de l’histoire de l’humanité, d’accabler les communautés différentes des groupes dominants, sous l’absurde prétexte que leurs cultures seraient dangereuses pour l’ordre établi – qu’elles soient juives, arabes, chrétiennes ou même indigènes.

Enfin, les centaures illustrent avec brio la ségrégation dont ont souffert les communautés indigènes lors de la colonisation du continent Américain, ou tout autre peuple destitué de ses droits et libertés et exclus à cause de ses différences physiques ou culturelles. La polémique qui a secoué la société française autour de la situation géographique des Roms, ou celle, plus contemporaine, de l’ignoble traitement infligé aux réfugiés dans la tristement célèbre « jungle de Calais », sont de parfaits exemples du sujet illustré par les centaures dans les romans fantastiques de Rowling.

À quand l’émancipation ?

Doit-on en conclure que J. K. Rowling nous présente nos sociétés de manière pessimiste, comme si même la fiction ne pouvait se défaire des inégalités ? Indéniablement, l’auteure est imprégnée du passé colonial de son pays, le Royaume-Uni. Tout au plus arrive-t-elle à représenter dans ses romans le monde aussi confus et chaotique qu’il soit. Cependant, cette manière de mélanger des problématiques de notre époque comme du passé, d’ici ou d’ailleurs, empêche le lecteur d’en tirer des positions politiques claires. Cela permet toutefois à n’importe quel lecteur, où qu’il soit, de réfléchir à la question de l’oppression qui entoure ou structure la société dans laquelle il vit, dans l’espoir que ses réflexions l’amènent à développer une conscience du problème et le dirigent sur la route de l’émancipation.

Ceci dit, le chemin vers l’émancipation de tous les groupes sociaux opprimés est long. Comment éradiquer l’oppression quand il s’agit d’un phénomène social et difficilement évitable dans sa construction de la société ? La première étape est sans aucun doute la reconnaissance qu’un tel phénomène social et douloureux existe. La littérature en est l’un des moyens, et probablement l’un des meilleurs car il met en mouvement au sein de la pensée du lecteur toutes ses préconceptions et les fait s’entrechoquer avec de nouveaux apprentissages, de nouvelles manières de voir le monde et de le comprendre. Lire, c’est accepter de se détruire pour mieux se reconstruire. En d’autres termes, la culture et la connaissance sont sans nul doute les meilleures armes de construction massive d’un monde nouveau.

Ainsi, et plus globalement, l’on recommandera au système scolaire d’axer l’éducation de nos enfants et de nos ados sur le développement de leur culture générale, afin de leur faire ouvrir les yeux sur les différentes manières d’interpréter le monde. Cette éducation peut aussi s’appliquer à tous les citoyens, au moyen de campagnes politiques par exemple, afin que chacun soit doté de tous les outils utiles pour améliorer l’organisation de nos sociétés humaines et les rendre plus bienveillantes. Groupes de parole, analyses textuelles, mises en situation, jeux de rôle, voyages culturels, etc. : toutes les méthodes sont bonnes pour permettre à tous de se forger un esprit critique redoutable, capable d’enrayer le désir naturel de l’être humain à oppresser son prochain. La Fédération Wallonie-Bruxelles travaille en ce sens depuis 2003, au moyen de soutien aux associations « d’éducation permanente » qui travaillent avec des publics socio-culturellement défavorisés dans le but de développer une connaissance critique des réalités de la société. Le site www.educationpermanente.cfwb.be annonce qu’actuellement « quelques 280 asbl sont reconnues dans le cadre du décret de 2003 ».

Ainsi, à travers ce genre de mesures, il s’agit de faire naître dans nos sociétés le désir politique de combattre les inégalités, de mettre en place des stratégies internationales de soutien aux groupes sociaux opprimés, dans des cadres fixés par l’ONU par exemple, et surtout, sur le plan individuel, de toujours considérer l’autre en tant qu’égal.

Car finalement, comme le dit si bien J.K. Rowling : « Nous n’avons pas besoin de magie pour changer le monde. Nous avons déjà ce pouvoir à l’intérieur de chacun de nous puisque nous avons la capacité d’imaginer le meilleur. »

Luca D’Agostino